Le khol’â, ce droit tant redouté

Conférence du HCI sur le divorce

Le khol’â, ce droit tant redouté

El Watan, 8 mars 2018

La question du khol’â continue de susciter la polémique entre ceux qui veulent supprimer ou limiter ce droit donné à la femme pour se libérer sans condition d’un lien conjugal souvent très douloureux, et ceux qui plaident pour une équité entre les époux en matière de divorce.

Introduit en 2005 dans le code de la famille, le khol’â, ce droit donné à la femme pour rompre le lien conjugal moyennant une réparation financière et sans passer par l’accord de l’époux, est aujourd’hui au centre d’une grande polémique parce qu’elles sont de plus en plus nombreuses à user de ce droit pour se libérer d’une union souvent douloureuse.

Lors de la conférence organisée hier par le HCI (Haut Conseil islamique) à Alger, les débats étaient biaisés dès le départ, faute de statistiques fiables sur les divorces et les mariages.

Au programme de cette journée, deux conférences et une troisième, annulée en raison de l’absence de l’invitée, qui est juge. Enseignante à la faculté de droit de l’université de Béjaïa, Zoubida Igroufa commence d’emblée par préciser que le khol’â est un droit consacré par la religion, mais qui n’a jamais été donné à la femme, jusqu’en 2005, avec la révision du code de la famille.

Cependant, dit-elle, sans avancer de données chiffrées, il est en «constante hausse», ce qui la pousse à s’interroger s’il constitue «un moyen de sauvetage» ou «un drame». Toutefois, elle évoque les multiples causes qui font du khol’â l’unique moyen pour se libérer d’un mariage contraignant et tragique. «Il y a un problème d’interprétation de la loi. Plus de 90% des demandes de divorce introduites par les femmes sont rejetées à cause du refus du mari. Pour rompre la relation conjugale, elles n’ont que le khol’â.

Elles l’utilisent comme le font les hommes depuis 1984, avec la répudiation», dit-elle avant d’aborder la question des conflits conjugaux en disant que «la femme doit comprendre son mari, le laisser se reposer une fois de retour à la maison et ne pas l’exacerber avec un surplus de paroles». Des propos qui font réagir le modérateur Youcef Belmahdi : «Vous avez trop chargé les femmes. Elles aussi ont besoin d’être aidées et réconfortées. Elles travaillent dehors et à la maison et vivent des situations difficiles», lance- t-il.

Poursuivant son exposé, la conférencière estime important de «revoir les structures de médiation pour les rendre plus perspicaces» et de profiter des expériences d’autres pays, citant comme exemple l’Egypte, où, faut-il le préciser, le nombre de répudiations est l’un des plus importants, ou encore les pays du Golfe, où les droits des femmes sont les plus brimés. L’intervenante pense, néanmoins, que les deux époux «ne doivent pas abuser» du droit de rompre le lien conjugal, qui «doit être protégé le plus possible dans l’intérêt de la cellule familiale».

«Oui, les femmes mariées subissent des violences sexuelles»

Plus pragmatique, et en femme de terrain, la sociologue Zohra Djir, maître assistante à l’université de Mascara, décortique la problématique du divorce et la question du khol’â, en s’appuyant sur une enquête qu’elle a effectuée à Mascara, durant la période allant de 2005 à 2010, en posant des questions précises à 20 femmes qui ont recouru au khol’â pour rompre la relation conjugale.

Elle s’attarde sur certains phénomènes qui existent à l’intérieur du pays, dans des villes connues comme étant conservatrices, comme le mariage précoce, l’emprise de la belle-famille sur la vie du jeune couple, le choix de la mariée, etc. Les résultats sont très significatifs.

L’incompatibilité avec la belle-famille vient en première position, avec 20 cas, suivie de l’exploitation matérielle, (13 cas), le manque de confiance et le mauvais comportement de l’époux (9), l’adultère (6), les accusations d’adultère contre la femme (5), et la violence sexuelle avec 4 cas.

En outre, elle affirme que les données auxquelles elle a accédé font état de 216 divorces prononcés en 2015 à Mascara, dont 63 concernent le khol’â et 12 à l’amiable. En 2016, le nombre de divorces a baissé pour atteindre 193, mais le khol’â a augmenté, puisqu’il a été utilisé dans 82 cas. En 2017, le nombre de ruptures du lien conjugal a augmenté pour atteindre 289 cas.

La répudiation vient en première position avec 108 cas, suivie du khol’â, qui a encore grimpé, avec 94 cas et du divorce (sous condition et avec l’accord du mari) avec 28 cas. Durant le deux premiers mois de l’année en cours, il y a eu 35 désunions, dont 20 par khol’â, 19 à l’amiable et 4 divorces sous condition.

«Si la femme recourt à ce droit, c’est pour se libérer d’une situation douloureuse, souvent soumise à des violences, notamment sexuelles. Vous êtes étonnés de m’entendre parler de ces violences, surtout qu’il s’agit de femmes mariées ? Oui, c’est parce que la femme ne peut pas parler au juge de ces violences qu’elle préfère utiliser le khol’â, ce droit qui lui permet de divorcer sans être obligée de justifier son acte», conclut la conférencière.

Pour Youcef Belmahdi, la «problématique est beaucoup plus profonde qu’on le pense». En imam averti, il met en garde contre «ces fatwas de certains imams qui, au lieu de protéger la cellule familiale, la poussent à l’éclatement par des avis qui n’ont aucun lien avec la religion. Par ces fatwas, on a permis des mariages avec une, deux, trois, voire quatre femmes, augmenté le nombre de divorces par répudiation, etc. L’imam doit être un sociologue de son temps».

Membre du HCI, Saïd Bouyazri résume toute la problématique sur laquelle le Conseil devra se pencher, vers la fin du mois de mars. D’abord, dit-il, en mettant en avant toutes les causes (sociales, psychologiques, économiques, etc.), leurs effets sur la cellule familiale, notamment les enfants qui sont les premières victimes du divorce, et réfléchir ainsi à des solutions, à travers des recommandations, qui seront remises aux autorités.

L’orateur met l’accent sur plusieurs dispositions du code de la famille, notamment celles qui consacrent la médiation, en plaidant pour leur «refonte, afin de les rendre plus perspicaces». Il appelle à une plus grande implication du juge, qui, selon lui, doit être plus imprégné des problèmes du couple, mais reconnaissant, toutefois, les avancées de certaines dispositions du code de la famille dans certains volets, comme la médiation.

«Des femmes sont répudiées parce qu’atteintes d’un cancer»

Invitée à cette conférence, la présidente du CNDH (Conseil national des droits de l’homme), Fara Lakhdar Benzerrouki, en profite pour poser «un gros problème» à l’assistance en général et au HCI en particulier. «Nous sommes face à une situation inquiétante.

Nous sommes de plus en plus sollicités par des organisations des droits de l’homme qui nous interpellent sur ces nombreux cas de femmes qui sont répudiées par leurs maris parce qu’elles sont atteintes d’un cancer. Elles apprennent leur répudiation alors qu’elles sont sur un lit d’hôpital, en pleine séance de chimiothérapie. Cette situation nous inquiète. Nous voulons trouver une solution», lance la présidente du CNDH.

La réponse est donnée par le président du HCI, Bouabdellah Ghlamalah. «Nous ne sommes pas là pour nous élever contre le khol’â. Ce n’est pas notre prérogative. Notre vision est plus large. Elle englobe toute la problématique du divorce. Toutes les idées débattues ici et les recommandations vont être étudiées par le HCI, lors de sa réunion vers la fin du mois. Nous sortirons avec des propositions que nous soumettrons aux autorités», répond le président du HCI.

Il est cependant important de relever que lors du long débat qu’ont suscité les conférencières, à aucun moment l’assistance n’a posé de question sur la répudiation, ce droit unilatéral qu’ont les hommes en matière de divorce pour mettre à la rue, depuis 1984 (date de la promulgation du code de la famille), des milliers, voire des centaines de milliers de femmes et d’enfants. Le débat est resté concentré sur cette brèche ouverte par les amendements de 2005, permettant à la femme, au même titre que l’homme, d’avoir le droit de rompre le lien conjugal sans être obligée de révéler les raisons de son acte.

Le recours très minime par rapport à la répudiation est encore vu comme un abus de la femme. Une intervenante a même osé demander au HCI s’il allait prendre «des mesures pour mettre un terme à cet abus». Pourtant, les chiffres parlent d’eux-mêmes. La répudiation continue d’occuper le haut de la liste des divorces, avec 49% des ruptures des liens conjugaux, suivie des séparations à l’amiable, avant le khol’â, avec seulement 12% des ruptures.
«Le divorce doit être une exception et non pas la règle»

Lors d’un point de presse animé en marge de la conférence sur le khol’â, le président du HCI, Bouabdellah Ghlamalah, a déclaré ne pas détenir les statistiques sur les divorces, encore moins sur les mariages, qui permettraient de faire l’état des lieux, notamment en matière de divorce, et par rapport au recours à la procédure du khol’â.

Cependant, il précise : «Même si nous n’avons pas les derniers chiffres, nous savons que le khol’â représente 20% des ruptures des liens du mariage en Algérie. La société a beaucoup évolué et nous devons comprendre ce qui se passe.

Les recommandations de cette conférence vont être étudiées lors d’une réunion du HCI, et nous sortirons avec des mesures que nous présenterons aux autorités.»

Pour Ghlamalah, l’objectif de ce débat «n’est pas de mettre un terme» ou «de conditionner» le khol’â «mais d’évaluer la situation en matière de divorce et de faire en sorte que les liens du mariage soient plus protégés et que la cellule familiale soit préservée.

Nous n’avons pas de solutions, mais nous pouvons réfléchir ensemble pour comprendre et faire face à la problématique du divorce qui doit être une exception et non pas la règle».

Interrogé sur l’avis du HCI à propos de l’avortement thérapeutique, en cas de malformation congénitale du fœtus, Gholamalah explique : «L’islam interdit l’avortement. Cependant, lorsque le fœtus constitue un danger pour la mère, il est clair que dans ces conditions, l’interruption de la grossesse devient inévitable.

Il y a eu une fatwa dans ce sens, prononcée par feu cheikh Hamani, et elle reste toujours valable. Mais, qui peut dire que le fœtus est porteur de danger pour la mère ? Ce sont les médecins. C’est à eux de décider.»

Gholamalah a encore une fois été interpellé sur les cas de poulets tués avec des charges électriques, mais il n’a pas jugé utile de répondre à une telle question, car dit-il, «cela ne relève pas» de ses «prérogatives». S. T.

Salima Tlemçani