L’entrepreneuriat féminin en mal de suivi
Débat autour de projets de Microentreprises
L’entrepreneuriat féminin en mal de suivi
El Watan, 9 juillet 2017
L’emploi féminin était de l’ordre de 5% dans les années 1970 ; avec tous les dispositifs mis en place depuis, il est passé à seulement 20% aujourd’hui et seulement 7% dans l’entrepreneuriat, alors que la norme du Bureau international du travail (BIT) est d’arriver à au moins 30%.
A l’initiative de l’ambassade des Pays-Bas, une rencontre sur l’entrepreneuriat féminin a eu lieu hier à Alger. Cette rencontre, qui a regroupé plusieurs entrepreneurs femmes, visait à montrer des exemples de réussite et débattre des difficultés que rencontrent les femmes pour faire aboutir leurs projets économiques.
Gestion des déchets, recyclage des matières plastiques, traiteur, femme chauffeur de taxi… sont autant d’exemples qui ont été présentés hier et pour lesquels leur initiatrices ont fait face, — et en sus des obstacles classiques que rencontre tout lanceur de projet en Algérie — au poids de l’environnement socio-culturel.
L’ambassadeur du royaume des Pays-Bas, Robert Van Embden, a souligné que «le secteur privé occupe une place de moteur de croissance économique. Les PME sont sans conteste essentielles pour diversifier l’économie et je suis convaincu que les femmes ont un rôle majeur à jouer dans le développement de ce créneau».
En Algérie, Ansej, Angem, CNAC et autres sont des dispositifs de microcrédit qui ont aidé les porteurs de projets, mais leur soutien s’arrête souvent à la pure transaction financière, le suivi et l’accompagnement des projets font défaut. En tout, 13 parties prenantes interviennent dans l’aide à la création d’entreprises, entre dispositifs publics, privés et aides internationales, mais ce qui freine une réelle «explosion» d’idées et d’entrepreneuriat féminin, c’est l’absence de dispositif spécifique.
«Nous n’avons pas de dispositif, ni de politique forte pour encourager l’entrepreneuriat féminin. Il est plus que temps de créer un dispositif spécifique dédié aux femmes, comme cela se fait ailleurs dans le cadre d’une discrimination positive en faveur des femmes» indique Abdou Abderrahmane, directeur de recherche au Cread, qui a été chargé d’une étude sur la contribution des institutions à l’entreprenariat féminin.
«L’emploi féminin était de l’ordre de 5% dans les années 1970, avec tous les dispositifs mis en place depuis, on est passé à seulement 20% aujourd’hui et seulement 7% dans l’entrepreunariat, alors que la norme du BIT est d’arriver à au moins 30%, c’est dire qu’il y a un long travail à faire afin de soutenir les femmes pour la création de leurs entreprises.
D’où l’importance de créer un dispositif spécifique aux femmes», souligne M. Abdou. Et d’ajouter que les femmes sont nombreuses sur les bancs des universités et à sortir avec des diplômes, mais on ne les voit pas aussi nombreuses sur le marché du travail. «Il existe sur le terrain des initiatives, mais elles manquent d’encadrement, elles ne sont pas orientées ni aidées.
Elles touchent aussi rarement à de nouveaux créneaux» relève le chercheur du Cread, en plaidant pour une spécialisation des dispositifs des microcrédits. «L’Algérie a dépensé des budgets colossaux pour la création d’entreprises, il y a eu certes nombre de créations mais hélas, beaucoup de mortalité aussi», déplore M. Abdou en notant que beaucoup d’entreprises peinent à se pérenniser et à survivre au-delà de quelques années. «C’est normal d’avoir une femme taxi, mais une société de taxis, c’est mieux.
On gagnerait à aider ces femmes à développer leurs entreprises, leur apprendre à pérenniser leurs projets, les rendre plus performantes dans le temps et la durée, penser à créer dix emplois par an», souligne encore M. Abdou en appelant les entrepreneurs à sortir du statut de créatrice d’entreprise à celui de femme managers et sortir des créneaux classiques et désuets comme traiteur.
«L’Etat doit aider ces femmes, il faut que nos institutions changent de politique et que les dispositifs mis en place soient plus agressifs, si on veut réellement avoir un tissu de PME performant», dit-il. Et au directeur de l’Angem à Boumerdès de suggérer que l’introduction d’incubateurs dans les universités est la meilleure façon d’orienter les jeunes diplômés.
Une doctorante à HEC Alger, en charge d’une thèse sur l’entrepreneuriat féminin, a relevé, quant à elle, le manque d’accompagnement dans les projets. «Une fois l’entreprise lancée, les femmes se sentent isolées et livrées à elles-mêmes», constate-t-elle. Un coach spécialisé dans l’accompagnement de création d’entreprise critique, pour sa part, l’absence de connexion entre les différents dispositifs d’aide à l’emploi. En marge de cette rencontre, l’ambassadeur du royaume des Pays-Bas a indiqué que son pays est prêt à appuyer les initiatives allant vers une plus grande présence des femmes dans l’entrepreneuriat.
«Nous avons écouté de forts et intéressants témoignages et de beaux exemples de réussite, nous voulons apporter notre appui à travers différentes initiatives, notamment la formation et pourquoi pas le cas échéant aider les entrepreneurs, en particulier les femmes à exporter leurs produits vers les Pays- Bas ou d’autres pays de l’Union européenne», a déclaré Robert Van Embden, en évoquant notamment des potentialités de partenariat dans les secteurs agricole, hydrique et la gestion des déchets.
A noter que les Pays-Bas sont le 5e client de l’Algérie et son 15e fournisseur avec un volume d’échange de 1 milliard de dollars. Importateurs d’hydrocarbures et exportateur vers l’Algérie de produits agricoles, laitiers et chimiques, «les Pays-Bas veulent rentrer dans un vrai partenariat avec l’Algérie», a souligné Van Embden en notant que son pays a une expertise en matière agricole qu’il peut apporter à l’Algérie. Il cite des exemples de projets pilotes, comme la culture de la pomme de terre à El Oued et une ferme d’élevage à Guelma, et pourquoi pas la possibilité de créer un échange entre les universités d’agronomie des deux pays.
N. B.