Le divorce chez les jeunes couples prend de l’ampleur

Le divorce chez les jeunes couples prend de l’ampleur

De la mairie au tribunal

Samia Lokmane, Liberté, 11 mars 2007

Les sections du statut personnel des tribunaux croulent sous les demandes de divorce. Elles représentent 80% des affaires traitées par les magistrats. La moitié met en scène des couples n’ayant pas achevé une année de vie commune. Les unions contractées uniquement sur papier connaissent de plus en plus ce genre d’issue.

“Il n’est pas donné à tout le monde la chance de s’aimer pour la vie. Dix ans, dix mois, dix secondes et nous voici…”
Ce refrain est tiré du dernier opus Double Enfance, de l’artiste français Julien Clerc. Ses parents ont mis fin à leur mariage dans les années cinquante alors qu’il était enfant, avec un vague espoir, sans doute, que cette rupture n’allait pas trop le déchirer. Mais à soixante ans, la star pleure inlassablement son cœur disloqué.
“C’est toujours difficile de divorcer quand on a des enfants”, commente Nadia Aït Zaï, juriste et directrice du Centre d’information et de documentation sur les droits des enfants et des femmes (Cidef). En revanche, les couples n’ayant jamais franchi le seuil des maternités ont moins de scrupules à aller devant le juge pour réclamer la dissolution de leur union. Ils s’y prennent de plus en plus tôt, souvent de peur d’être piégés par une naissance qui, à leurs yeux, représente un bâillon. De nos jours, les divorces précoces sont légion. Au bout d’une semaine, quelques mois ou une année comme dans la chanson de Clerc, les conjoints décident de prendre le large. “Cette tendance est en augmentation”, assure Me Adlène Bouchaïb. Ce jeune avocat plaide des affaires de divorce depuis une dizaine d’années. Sur l’ensemble des dossiers qui se sont succédé sur son bureau, la moitié met en scène des protagonistes qui n’ont pas vécu ensemble plus de 12 mois. “Ceux qui tiennent une année avouent avoir accompli un exploit”, rapporte l’avocat. Quelles sont leurs motivations ? Pourquoi la vie à deux paraît si insupportable à certains couples alors qu’ils viennent à peine de l’entamer ? L’institution du mariage a-t-elle à ce point perdu de son prestige ? Le divorce n’est-il plus une tare ?

Quand la répudiation dope les divorces
La loi, en tout cas, facilite les choses au mari en l’autorisant à rompre une alliance, quand il veut, même au lendemain des noces et sans devoir une explication à quiconque. Selon l’article 48 du code de la famille, “le divorce est la dissolution du mariage. Il intervient par la volonté de l’époux ou à la demande de l’épouse dans la limite des cas prévus aux articles 53 et 54”. La répudiation étant ainsi portée aux nues, les hommes l’adoptent sans embarras. “Depuis 20 ans — soit depuis la promulgation du code de la famille — les divorces ont explosé. Les magistrats croulent sous les dossiers. Chacun traite environ une cinquantaine par jour”, observe Mme Aït Zaï. Me Bouchaïb approuve. Il révèle que certaines juridictions implantées au sein des grandes agglomérations ont été contraintes d’ouvrir de nouvelles sections du statut personnel, tant les affaires de divorce sont nombreuses. “Elles représentent 80% du nombre des dossiers confiés aux juges”, fait-il remarquer. Selon des chiffres rapportés par diverses études sur la famille et la population, les dissolutions de mariage sont au nombre de 30 000 chaque année. “Le ministère de la Justice tait les chiffres car ils sont effarants”, renchérit la directrice du Cidef. Pour leur part, les magistrats, débordés, bâclent les dossiers. Rarement ils ont le temps de réconcilier les partenaires et, dans la majorité des cas, de ramener l’époux à la raison.
“Les audiences de conciliation sont des formalités”, avance Me Bouchaïb. De son côté, Mme Aït Zaï déplore la négligence du rôle du médiateur, pourtant mis en exergue par le code de la famille. Si depuis deux décennies, les maris recourent volontiers au divorce unilatéral, les modifications apportées à la loi de 1984, il y a deux ans, dans ses articles 53 et 54, offrent aux épouses plus de possibilités de reprendre leur liberté. Aussi, sont-elles nombreuses à s’engouffrer dans cette brèche, exploitant les raisons encore rares (désertion de la couche conjugale, maltraitance…) leur permettant de s’affranchir d’une union vouée à l’échec. Ainsi, chez les jeunes couples, les demandes de divorce émanent variablement de l’épouse et de l’époux. “Quelquefois, les séparations sont le fruit d’un consentement mutuel”, note Mme Aït Zaï. Des couples ayant partagé le même lit pendant deux ou trois mois tombent finalement d’accord sur la nécessité d’enterrer leur union. Il arrive aussi que ce soient des époux virtuels qui n’ont jamais vécu sous le même toit.

Un livret de famille sans la famille !
Il fut un temps où les couples bénis par la Fatiha attendaient la naissance du premier enfant pour inscrire leur mariage à l’état civil. Il en résultait des situations cocasses. Ainsi, sur le livret de famille, la date de naissance de bébé précédait celle du mariage. Mais les unions religieuses pouvaient aussi conduire à des issues fâcheuses. Des femmes répudiées retournaient au domicile de leurs parents, sans avoir une trace administrative de leur union passée. Dans les mariages un peu douteux, le consentement de l’imam est utilisé de manière exclusive afin de ne pas compromettre le mari qui, du jour au lendemain, peut prendre le large sans rien devoir à “sa femme”, à “ses enfants” ou à sa “belle-famille”. Les unions par la Fatiha font le bonheur des adeptes de la polygamie. Aguerries et vigilantes, de nombreuses femmes aujourd’hui tiennent à conduire leurs futurs conjoints devant le P/APC, avant les noces. Cette manière de faire vient d’obtenir l’assentiment du ministère des Affaires religieuses qui empêche les imams de lever la Fatiha en l’absence d’acte de mariage. Cependant, une telle arme est à double tranchant.
À quoi un livret de famille peut-il bien servir quand la famille n’existe pas ? Dans les tribunaux, des couples se présentent avec l’intention d’annuler des mariages restés sur papier. “Quelquefois, des raisons sociales, comme la quête du logement — accordé en priorité aux couples mariés —, peut conduire un homme et une femme à précipiter leur union légale, mais, au fil du temps, des conflits surgissent et l’un et l’autre se rendent compte qu’ils ont fait une sottise”, épilogue Mme Aït Zaï. L’obstacle à vivre ensemble tient aussi dans un petit autoadhésif très précieux : le visa. Face à l’impossibilité d’obtenir l’autorisation de regroupement familial, des hommes finissent par jeter l’éponge et délivrer des épouses restées au pays, dans l’attente vaine du fameux sésame. Quelquefois, quand le rêve de vivre à deux ici ou là-bas se réalise, le nid douillet peut néanmoins se transformer en cage, que l’un ou l’autre des conjoints est pressé de fuir. Les raisons sont multiples.

De l’idylle aux deals impossibles
“Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants.” Les épilogues de contes de fées ont inspiré les rêves de beaucoup de petites filles qui, en devenant adultes, continuent à imaginer l’arrivée du beau prince charmant sur son magnifique cheval blanc. Or, dans la vie, la vraie, les lendemains de noces ne sont pas aussi magiques. “Au cours de la cohabitation, les conjoints se découvrent. L’un ou l’autre est déçu, parfois choqué en se retrouvant face à quelqu’un d’autre”, remarque Mme Aït Zai. Ces malheureuses surprises ne sont pas l’apanage des couples issus de mariages arrangés. Dans les cas devenus très rares d’unions concoctées par les familles, dans les milieux conservateurs, le fiancé a le droit uniquement de rencontrer sa promise au domicile de ses parents, parfois en leur présence. “Cela existe toujours”, souligne la juriste. Mais de nos jours, les mariages expriment surtout le désir exclusif d’hommes et de femmes qui franchissent le pas sans le concours d’un entremetteur. Après quelques mois, ils pensent qu’ils se connaissent assez, se découvrent des affinités et font la promesse de s’aimer pour la vie. Fréquemment, la passion les empêche d’évoquer l’essentiel et de se projeter longuement dans l’avenir. Se montrant sous leur meilleur profil, ils font attention à tout, à leur image, à leur discours. En somme, ils tiennent avant tout à ne pas décevoir leur futur conjoint. Mais les divorces sont aussi le résultat de masques qui tombent. “L’être humain est capable de dissimuler son véritable caractère sous une vitrine. Mais pas indéfiniment. Après le mariage, le naturel revient au galop. On se laisse aller”, explique davantage la présidente du Cidef. Selon elle, des fiancés très tolérants deviennent des maris très jaloux, interdisant à leurs épouses d’aller travailler ou de mettre le nez à la fenêtre. “Il y a des concessions que les femmes peuvent faire et d’autres graves qu’elles refusent”, dit Mme Aït Zai. Certaines, conscientes des travers de leurs futurs maris, pensent qu’elles pourront les changer. Afin d’éviter ces deals impossibles, la présidente du Cidef préconise le recours des couples aux contrats de mariage notariés, conformément aux amendements du code de la famille.
“Une femme peut y préserver tous ses droits, dont l’exercice d’une profession”, fait-elle savoir. Mais à lui seul, ce contrat est loin d’être une garantie de bonheur conjugal. Des femmes ayant à peine rangé leurs toilettes de noces arrivent devant les tribunaux pour réclamer le divorce. Soit parce que le mari est violent, soit parce qu’il est impuissant. Quand il a le profil du gendre idéal, sa famille parfois est accusée d’avoir brisé le foyer conjugal.

Les vilaines belles-sœurs !
L’une des dernières affaires traitées par Me Bouchaïb oppose une jeune femme de 19 ans à son mari âgé de 26 ans. Moins d’une année après le mariage, le couple divorce. La cohabitation avec la belle-famille s’est transformée en enfer pour l’épouse. Celle-ci n’a plus supporté la cruauté de ses belles-sœurs. “Dans énormément de cas, les séparations sont la conséquence de ce genre de conflits”, dévoile l’avocat. La crise du logement contraint les couples à une coexistence parfois longue avec toute “la tribu”. Mais rarement, elle est pacifique. “Quand la famille s’immisce dans les affaires du couple, rien ne va plus”, observe Me Bouchaïb. Sa présence sous le même toit que les conjoints complique les choses. Mais les beaux-parents peuvent aussi influer sur la vie du couple quand celui-ci habite seul. Ces intrusions creusent davantage le fossé quand le couple n’est pas assez soudé. Il s’installe alors un climat de suspicion. “Souvent, les divergences s’aggravent quand il y a une absence de communication dans le ménage”, suggère Me Bouchaïb. Un effet boule de neige est entraîné par une accumulation de problèmes. Au début, il s’agit de broutilles. Puis survient une véritable mésentente. “Les difficultés peuvent commencer quand le couple ne se met pas d’accord, par exemple, sur le choix d’une couleur pour repeindre la salle à manger. Des fois, je suis choqué en écoutant ce genre de récit. Les problèmes paraissent si superflus et terre à terre”, confie l’avocat. Il est d’autant surpris quand ce genre de litanies provient de couples d’un certain niveau intellectuel.

Divorcée et puis après !
Dans le conscient collectif, une femme et un homme divorcés ne renvoient nullement la même image. Entourée de compassion ou stigmatisée, la divorcée porte son statut comme une croix. Même sans enfants, son retour au bercail est un coup de semonce pour sa famille. Elle est souvent ce membre de trop. Quand elle n’est pas une bouche de plus à nourrir, sa présence est source d’inquiétude. Car il n’est jamais sûr qu’elle ait la chance de refaire sa vie. Au meilleur des cas, elle épousera un homme également divorcé ou un veuf avec ou sans enfants. En revanche, l’homme a toute latitude de tourner la page et de recommencer à zéro. Affranchi financièrement, il a l’embarras de choisir une nouvelle épouse, sans antécédents conjugaux. Or, aujourd’hui, de nombreuses femmes ont brisé ce sort injuste. Ayant pris leur destinée en main, elles ne vivent plus leur divorce comme un fatalité et ne sont guère résignées. Elles sont instruites, ont un emploi et souvent un logement. Autant d’acquis sur la voie de l’autonomie font qu’elles ne sont plus contraintes de persister dans une union où elles sont malheureuses. Des cadres, des enseignantes, des médecins constituent la majorité des femmes qui demandent le divorce et, au pire, l’achètent par le kholaa.

Le profil des speeds-divorced
Justement, ils n’ont pas de profil. Les divorcés précoces sont à la fois issus de milieux pauvres et aisés, ont un haut et bas niveau d’instruction. Ils se sont mariés trop jeunes, à un âge raisonnable ou tard. Mme Aït Zai et Me Bouchaïb ne distinguent pas de catégorie particulière. Les couples ayant contracté une union matrimoniale à un âge assez avancé font partie du lot. Aujourd’hui, dans notre pays, les jeunes se marient de plus en plus tard. La moyenne d’âge pour la femme est de 31 ans. Elle est de 33 pour les hommes. “Après 30 ans, les gens expriment plus d’exigences quant à leur perception de la vie de couple”, remarque la présidente du Cidef. En revanche, les plus jeunes divorcent parce qu’ils n’ont pas mûrement réfléchi avant de se lancer dans l’aventure du mariage. “Dans les familles huppées, le garçon de 24 ou 25 ans qui vient de finir ses études a tout ce qu’il faut pour convoler en justes noces : un travail, un appartement, une voiture… mais pas suffisamment de maturité”, relate pour sa part Me Bouchaïb. Les divorces rapides sont diversement appréciés par leurs auteurs. Certains, très affectés, les subissent comme des échecs. D’autres y décèlent une mauvaise expérience. La parenthèse est refermée plus facilement quand il n’y a pas d’enfants. Quand ceux-ci existent, des couples regrettent de ne pas avoir eu le courage de rompre alors qu’il était temps, aussitôt la pomme de discorde cueillie…

S. L.

 


Les femmes en première ligne

Les ratés d’unions éphémères

Par : Samia Lokmane, Liberté, 11 mars 2007

Dans les salles d’audience des tribunaux, de jeunes couples consolident les contingents des divorcés. Les femmes sont souvent victimes de ces unions sans lendemain. Témoignages.

“Fe sif yaklou el gâteau. Fechta ând el bougatou”. En substance, cet adage est : “En été, ils célèbrent les noces. En hiver, ils se précipitent chez l’avocat”. Parfois, le mariage ne dure pas plus qu’une saison ou ne commence même pas. Amel a 26 ans. Mariée depuis trois ans. Elle n’a pas vécu un seul jour avec son époux. Le couple n’a pas de toit. C’est d’ailleurs la principale raison qui l’a poussée à divorcer. “Cela et autre chose”, dit-elle très pudique. En ce dimanche du mois de février, la jeune femme se retrouve dans une salle d’audience du tribunal d’Alger. Elle est serrée sur un banc du dernier rang au milieu d’autres malheureuses. Derrière elle, accroupi dans un coin, son père patiente sagement. De temps en temps, Amel tourne le dos. Elle lui jette un coup d’œil pour s’assurer qu’il est toujours là. Elle raconte son histoire en un clin d’œil. “Il est ingénieur. Sa famille et la mienne se connaissent. Nous nous sommes mariés à l’État civil. L’acte devait appuyer notre demande de logement. Mais, à ce jour, nous n’avons rien obtenu. Je ne peux pas patienter davantage”, résume Amel. Pendant trois ans, son rêve de fonder un foyer s’est amenuisé. Vivre avec sa belle-famille ne l’aurait pas trop dérangé. Sauf qu’elle est déjà à l’étroit. Amel s’en veut d’avoir hâté son mariage civil. Etre affligée du statut de divorcée alors qu’elle n’a jamais connu les joies d’une vie à deux, la fait souffrir. Mais, elle préfère cette situation à l’attente lasse qui la consume depuis trois longues années. Lila, elle, vient juste de sortir de chez la juge du statut personnel. Elle se précipite dehors en compagnie de son père et de son avocate. Devant la magistrate, son mari a confirmé son intention de la répudier. “Je ne peux plus vivre avec elle”, s’est-il contenté d’expliquer. La vie commune a duré un an et demi. Lila, encore incrédule, confie avoir été surprise par la volte-face de son époux. “Du jour au lendemain, il ne voulait plus de moi”, relate-t-elle de sa voix frêle. Son père vient à son secours : “Il lui a fait payer son refus de suivre son train de vie dissolue”. Sous ses yeux brouillés par les larmes, sa bouche écume. “Ma fille reviendra vivre chez moi dans la dignité”. Leïla, de son côté, retournera également au domicile familial. Sportive, elle s’est enfermée depuis son mariage dans un hidjab qui l’étouffe. Au sein d’une maison de jeunes où elle était animatrice, elle a fait la connaissance d’un gars d’un certain âge, un agent de sécurité, qui lui a peint la vie en rose. L’idylle a duré quelques jours. Au bout d’un mois, une adolescente frappe à la porte. Elle prétend être la fille de son conjoint. La visiteuse l’a traitée de tous les noms. Avant de partir, elle lui donne un ultimatum. “Si tu ne quittes pas mon père, nous te ferons ton affaire”, la menace-t-elle. Or, ce dernier refuse de divorcer. De jour en jour, il se transforme en geôlier. Il bat Leïla. Les marques des coups sont consignées sur des certificats de légistes. Ils sont la seule arme dont dispose la jeune femme pour racheter sa liberté. Le nez dans un journal, son tortionnaire est debout de l’autre côté de la salle d’audience. Il fait mine de ne pas la voir et donne l’impression de se retrouver par erreur au tribunal. Pour quitter la prison, Adel a dû assumer sa faute, celle d’avoir engrossé sa petite amie. À sa libération, il l’épouse. Des liens se nouent mais ne résistent pas aux pressions des deux familles. Six mois après le mariage, le divorce est prononcé.

S. L.

 


Dalila Iamarène-Djerbal à liberté

“La nouvelle génération est moins disponible à passer des compromis”

Par : Samia Lokmane, Liberté, 11 mars 2007

Mme Iamarène-Djerbal est sociologue. Elle est aussi membre actif du Réseau Wassila d’aide aux femmes et enfants victimes de violences et membre de l’équipe de rédaction de la revue Naqd.

Liberté : De plus en plus de couples, mariés depuis peu de temps (moins d’une année), décident de rompre leur union, soit à la demande du mari, de la femme ou d’un commun accord. Qu’est-ce qui explique cette tendance ?
Dalila Iamarène-Djerbal : Le modèle familial n’est pas à l’abri du changement. La proportion et les raisons du divorce évoluent parce que le mariage évolue. Malheureusement, nous n’avons pas de chiffres qui répartissent les divorces selon la durée du mariage, mais ce que l’on constate c’est que les époux ont toujours répudié librement et allègrement sans que l’on s’effraie des chiffres du divorce.

Pourquoi cette question est-elle posée aujourd’hui alors que les chiffres montrent plutôt une stabilité ?
Quelques statistiques données par le ministère de la Justice montrent des chiffres relativement constants, environ 25 000 divorces annuels entre 1994 et 2003. Pour l’année 2001, on compte 24 914 divorces pour 194 273 mariages pour une population de 31 millions d’habitants, soit une proportion de 12,8% de divorces par rapport aux mariages. Il serait intéressant de comparer cette proportion entre deux générations pour mesurer une évolution conséquente.
Il faut noter d’abord que le mariage, et par conséquent le divorce qui est un de ses résultats, évolue parallèlement aux changements qui touchent la société et cela est valable pour toute société et à toute époque. Il n’y a pas de jugement de valeur à émettre mais un constat. Les rôles attendus des deux époux, rôle économique, d’éducation, de solidarité, connaît des remaniements. Jusqu’alors, le mariage était la mise au service du lignage, de la force de travail et de la capacité procréatrice d’un homme et d’une femme. Ils étaient jugés irresponsables et la décision et le choix du conjoint ne les concernaient pas, c’était une décision du groupe. Les facteurs, instruction, emploi, salariat, urbanisation, augmentation de l’âge moyen au mariage, qui est passé à 30 ans pour les filles et 32 pour les garçons, ont permis depuis une génération une certaine autonomie des individus par rapport à la grande famille qui ne décide plus, à elle seule, du devenir de ses membres. Autonomie matérielle et sociale signifie aussi aspiration des individus à un nouveau mode de relations conjugales et familiales basé sur la personnalité des conjoints, une autonomie du couple par rapport à la grande famille (particulièrement celle de l’époux), plus d’exigences sur le plan relationnel à l’intérieur du couple.
Le mariage, il n’y a qu’à voir les courriers dans la presse, suscite une recherche d’affinités, de sentiments, de convergence d’idées sur le projet de vie commun, d’accès à des loisirs offerts dans les grands centres urbains, et est soumis à l’exposition des modèles présentés par les medias, etc., quels que soient les milieux sociaux. Mais ces aspirations entrent en conflit avec les conditions sociales : pénurie de logement, dépendance économique des femmes, crispation sur des attitudes rigides quant au rôle masculin qui s’accompagnent de violences ou d’autoritarisme. Le divorce est dramatique pour les femmes mais il est dédramatisé car subjectivement, elles commencent à se sentir moins contraintes d’accepter pour des raisons sociales ou culturelles n’importe quelle situation, particulièrement les violences, qui constituent en ce qui les concerne, le gros des motifs de divorce.

Quelles sont les raisons du divorce précoce ? Touche-t-il des catégories de couples en particulier ?
On ne peut pas s’avancer sur cette idée parce que nous n’avons pas de chiffres fiables des divorces selon la durée de vie du mariage et sur les raisons invoquées, mais nous pouvons voir sous quelle forme ils se produisent.
Si l’on prend l’année 2001, le détail donne divorce sur répudiation et demande unilatérale de l’époux 60%, par consentement mutuel 37%, et par kh’ol 1,6% (demande de divorce de la femme). Ces proportions sont restées identiques entre 1994 et 2003. On voit qu’il s’agit essentiellement de divorce décidé par l’époux devant lequel la femme n’a pas d’alternative, elle ne peut que se résigner parce qu’il n’y a pas égalité d’accès au divorce. Mais un tiers des couples arrive à s’entendre pour se séparer sans trop dégâts. Par contre, de plus en plus de femmes préfèrent payer pour rompre une relation devenue impossible, et en 2003 le kh’ol constitue 3% des divorces, 400 cas (sur 25 000) en 2001, 700 en 2003.

Peut-être est-ce là la raison de ces inquiétudes ?
Il est nécessaire que le ministère de la Justice mette régulièrement à la disposition des chercheurs ou des journalistes des statistiques (comme également toutes les institutions et sur tous les sujets d’ailleurs), pour que la société puisse juger de l’évolution de tous ces paramètres, indicateurs de changements. Des études doivent être menées sur des variables tels que l’âge des époux et la durée de vie du mariage pour juger si cette hypothèse est fondée.
Une thèse publiée en 2005, faite sur 34 couples en instance de divorce dans les tribunaux d’Alger, note que les mariages datant de moins de 1 an représentaient 19%, de 1 à 4 ans 47%, de 5 à 9 ans 13%, de 10 à 14 ans 14%, et 6% de plus de 14 ans de mariage.

Pensez-vous que l’institution du mariage a perdu de sa valeur au point de pousser de jeunes couples à divorcer alors qu’ils viennent à peine d’entamer leur vie à deux ?
Dans la société traditionnelle l’alliance est une condition vitale pour l’individu, l’homme a besoin d’une épouse pour prendre en charge ses repas, la maison, lui assurer une descendance, prendre en charge les personnes âgées ou handicapées. La femme a besoin d’un époux parce qu’elle n’a ni accès au marché ni accès aux relations sociales par elle-même. Aujourd’hui cette dépendance totale s’estompe et donne plus de latitude aux personnes pour imaginer une union, baliser des choix, définir le profil du conjoint, toujours dans le cadre de règles définies par le milieu social, le capital culturel, etc. Par conséquent, la nouvelle génération investit de nouvelles attentes le mariage et projette une responsabilité strictement personnelle dans sa réussite ou son échec. Aussi est-elle moins disposée à passer des compromis ou remettre en question ses aspirations. C’est particulièrement le cas des filles pourtant plus menacées par le célibat. Elles s’entourent de garanties avant de s’engager car le divorce ou la polygamie restent une menace constante au-dessus de leur tête.

Les hommes et les femmes ont-ils moins de mal à divorcer aujourd’hui ? N’ont-ils plus honte de leur statut de divorcés ?
Le divorce a toujours existé. Il n’y a pas de famille “idéale”, où les unions seraient éternelles. Des analyses démographiques montrent que l’on se mariait et on divorçait pour les hommes, ou on était répudiée, pour les femmes, très facilement mais les personnes ne restaient pas seules très longtemps.
Une historienne a montré qu’aussi bien les hommes que les femmes au XVIIIe siècle à Constantine se mariaient plus d’une fois dans leur existence, parce que l’espérance de vie était plus réduite mais aussi parce que la répudiation était très commune.
Le divorce est une solution quand la vie commune n’est plus possible et que cette relation met en danger l’équilibre de chacun, les conjoints et les enfants. Par contre le divorce devient sans doute plus accessible en milieu urbain par rapport au rural, aux catégories sociales qui ont plus de capacités à se prendre en charge, et plutôt pour les couples sans enfant. La proportion dans le RGPH de 1998 donne 0,26% de divorcés hommes (ils se remarient plus rapidement) et 1,26% de femmes. Mais nous avons besoin de plus de données pour vérifier ces propositions.

Propos recueillis par S. L.