Violences à l’égard des femmes
Violences à l’égard des femmes
4 000 victimes en six mois
Samia Lokmane, Liberté, 23 novembre 2005
Ces statistiques, révélées par la police nationale, et couvrant le second et troisième trimestres 2005, font ressortir une nette progression des agressions sur la voie publique, qui concernent plus de 70% des cas.
Il y a une année, l’Institut national de santé publique diffusait les résultats d’une enquête statistique nationale sur les violences faites aux femmes dans notre pays durant 2003. L’étude avait permis de recenser 9 033 cas de maltraitance, dont
2 444 provenaient de la comptabilité de la police nationale. Depuis, les choses ont empiré. Le nombre des affaires prises en charge par les services judiciaires de la sûreté nationale est en progression incommensurable.
Durant les deux derniers trimestres de l’année en cours, soit de avril à septembre, près de 4 000 victimes ont été comptabilisées. 1 811 cas se rapportent à la période allant d’avril à juin et 1 928 à la phase qui s’étale entre juillet et septembre. “Une comparaison entre ces deux trimestres permet déjà de constater qu’il y a une petite hausse”, observe également Messaoudène, responsable du service de la protection des mineurs à la direction de la Police judiciaire. Convié, hier, à la journée d’étude sur les violences domestiques et à l’égard des femmes, organisée par le ministère délégué à la femme et à la famille au camp des jeunes de Zéralda, la représentante de la DGSN était pratiquement la seule ayant pu mettre un chiffre sur les maltraitances et révéler leur ampleur, du moins pour ce qui concerne son département.
Les bilans à sa disposition sont symptomatiques à plus d’un titre. Ils dévoilent l’étendue d’un drame que les autorités publiques ont du mal à endiguer. Les femmes, très vulnérables, ne sont à l’abri nulle part, même pas chez-elles.
Les sévices dont elles font l’objet, font d’elles des souffre-douleur, des proies expiatoires. Sur les 1 928 victimes dénombrées durant le dernier trimestre, 1 393 ont été battues, 70 violées, 422 ont été confrontées à de mauvais traitements (insultes, humiliations, privations, y compris de nourriture), 30 ont dû affronter un harcèlement sexuel et 13 ont été tuées. Les auteurs de ces crimes ne sont pas vraiment là où on les cherche.
D’ordinaire, le domicile conjugal est qualifié d’enfer pour une catégorie de femmes sous le joug d’un mari brutal, quelquefois tortionnaire. Or, les chiffres de la DGSN montrent que 75, 50% des violences précitées se sont produites dans un milieu extra-familial, soit sur la voie publique ou sur les lieux de travail. Les époux, quant à eux, représentent 11,4% des auteurs. Dans 5,50% se sont les frères, dans 3,42% les amants, dans 3,11% les fils et dans 1,3% les pères. L’identité des agresseurs est quasiment similaire durant la période précédente (entre avril et juillet 2005) où les violences sur la voie publique se sont également taillées la part du lion avec un taux de 79%. L’essor de la délinquance dans nos villes fait des femmes des captures privilégiées.
Cependant, en l’absence d’instituts de sondages et d’études sociologiques avisées, les experts naviguent dans le noir.
D’ailleurs, quand bien même les statistiques de la police sont effarantes, elles ne reflètent que très partiellement la réalité. Car encore de nos jours, quelques femmes uniquement osent porter plainte contre leurs bourreaux. La violence à l’égard du sexe faible est un tabou.
Les invités du département de Nouara Djaâffar, parmi les cadres des différents ministères et du mouvement associatif, ont été unanimes à ce propos.
Personnellement consciente de cet état de fait, la ministre de la famille a pris l’initiative de briser le mur du silence autour des victimes en lançant une campagne de sensibilisation à l’échelle nationale qui a démarré, hier, et s’étalera jusqu’au 6 décembre prochain.
Au cours d’un point de presse, la représentante du gouvernement a esquissé le programme de cette campagne, avec l’organisation, notamment, de rencontres au niveau des wilayas. “C’est déjà un pas important car il faut aller vers les femmes de l’intérieur du pays”, commente pour sa part, Dalila Djerbal, sociologue et membre du réseau Wassila de soutien aux populations en détresse. D’ailleurs, son organisation ainsi que les autres associations militant pour les droits des femmes sont appelées à faire partie d’un réseau que le ministère de la famille entend mettre en place à moyen terme en vue de rompre la solitude des victimes. Mais faut-il d’abord les identifier. “Nous comptons mener notre propre enquête en collaboration avec l’Unicef et le Fnuap”, annonce Mme Djaâfar. Jusque-là, des études parcellaires ont été faites. Intervenant aux travaux, M. Makboul, directeur du Centre national des études et des analyses sur la population (Ceneap), a confié à l’auditoire que 5 introspections sur le sort de la femme et de l’enfant ont été commandées à son institution entre autres par le ministère de la solidarité, l’Unicef ainsi que les associations Iqraa et SOS-femmes en détresse. Lui-même reconnaît que le travail accompli jusqu’à présent est très insuffisant.
Selon M. Makboul, les difficultés dans l’élaboration d’études exhaustives sur les violences à l’égard des femmes, s’expliquent par “la nature cachée du problème, l’absence de signalisation et le non-recensement des maltraitances comme des violences spécifiques”. Dans une tentative d’interprétation des indices sociaux ayant accentué les violences, il a mis l’accent sur la mutation du modèle familial et la fragilisation de sa structure, à cause notamment de la promiscuité et la précarité de l’emploi.
Pendant une décennie, un groupe multidisciplinaire installé au niveau de l’INSP s’est employé à prendre en charge le problème en tissant des liens entre différents partenaires et en devenant une véritable structure d’alerte. Le fruit de cette coopération réside dans l’enquête réalisée en 2003. Sur les 9 033 cas de violences répertoriés, 3 746 figurent dans les bilans des services de médecine légale et 713 ont été recensés par les centres d’écoute et d’aide psychologique des associations comme SOS-femmes en détresse. Rappelant ces résultats, Faïka Medjahed, responsable de la division santé et femmes à l’INSP note que plus de 50% des violences ont eu lieu à domicile.
De son côté, le profil des victimes fait ressortir que les 4/5 ont moins de 45 ans. 1/3 uniquement a fait des études secondaires. Si ce n’est pas la mort, le pire pour toutes ces femmes consiste à être jetées à la rue.
Actuellement, l’état dispose seulement de deux centres d’accueil, l’un à Bou Ismaïl et l’autre à Tlemcen. “Les structures ne sont pas suffisantes”, admet Nouara Djaâfar qui affiche l’intention de demander au gouvernement de mettre en place des infrastructures supplémentaires.
Samia Lokmane
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Mères célibataires et enfants des rues
Les indices inquiétants du Ceneap
Samia Lokmane
Le Ceneap a mené deux études distinctes au cours de ces dernières années, l’une sur les mères célibataires et les enfants abandonnés et l’autre, sur les enfants des rues.
La première qui a pris en compte le témoignage de 873 femmes dévoile que 206 ont entre 21 et 25 ans. 36,8% ne sont pas allées au-delà de l’école primaire. 18,55% sont même analphabètes. 43% sont issues de familles déstructurées et 13% sont, elles-mêmes, des enfants abandonnées. Ayant vécu dans la solitude et dans l’errance, ces êtres, devenus femmes, se sont retrouvés très vite sur le chemin de la déperdition. 46% sont des prostituées régulières ou occasionnelles et 42% subissent des violences.
Le profil des enfants des rues est aussi affligeant. Sur une population de 527 garçons et filles interrogés, 41% ont affirmé avoir 15 ans ou moins. 63,4% ont un niveau d’instruction primaire.
Enfin, dans 54% des cas, le départ du domicile parental est dû à la violence des géniteurs.
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Harcèlement sexuel
Un millier d’appels en un an à l’UGTA
Samia Lokmane
La plupart des victimes sont des femmes divorcées ou en instance de divorce
En mettant à la disposition des victimes du harcèlement sexuel en milieu professionnel un numéro vert, la commission des femmes travailleuses de l’UGTA a levé le voile sur une pratique abjecte que les victimes taisaient auparavant pour ne pas se retrouver au chômage. “Le harcèlement est une violence sourde et insidieuse. C’est un viol du corps et de la conscience”, observe Wahiba Hassani, psychologue au centre d’écoute de la commission. Selon elle, les victimes sont confrontées à un “chantage ignoble”. Soit elles “paient de leurs personnes pour continuer à percevoir leurs salaires” soit “elles refusent les avances du patron et perdent leur gagne-pain”. En une année, de janvier à décembre 2004, Mme Hassani et ses collègues du centre d’écoute ont reçu près d’un millier d’appels. 388 appels ont été effectués personnellement par les victimes. Deux sentiments, l’injustice et la discrimination les consument.
Aucune catégorie d’âge ou professionnelle n’est épargnée. L’âge des harcelées varie entre 21 et 55 ans. Si les femmes travaillant dans le secteur public sont plus nombreuses à appeler le centre de l’UGTA, c’est parce qu’elles ont beaucoup plus d’opportunités de le faire. “Chez le privé, les conditions de travail sont draconiennes”, explique Mme Hassani.
Les travailleuses de rang subalterne, comme les secrétaires (118 des appelantes) et les ouvrières (79) sont plus exposées au harcèlement.
Néanmoins, les cadres aussi y sont confrontés. Elles sont 93 à avoir demandé l’aide du centre d’écoute de l’UGTA. Les conséquences sur la santé et le devenir des victimes sont dramatiques. Irritabilité, perte de poids, stress permanent, ulcère, troubles de la tension, lésions cutanées et dépression sont le lot de toutes les harcelées.
Pour les en prémunir, les pouvoirs publics ont fait un pas à travers la pénalisation du harcèlement sexuel en vertu de l’article 341 du code pénal. Cependant, il semble bien que ce texte n’a pas dissuadé les patrons harceleurs qui puisent leur domination dans la précarité de l’emploi.