Algérie: Trois questions
L’impasse budgétaire
La récession pétrolière et gazière
Le changement du modèle de croissance
Risques Internationaux, 10 mars 2012
Le modèle de croissance suivi par l’Algérie depuis le début des années 2000, et qui consiste, pour l’essentiel, à promouvoir la croissance du secteur hors hydrocarbures par l’injection massive d’investissements publics dans l’économie, semble aujourd’hui avoir touché ses limites. Il laisse des chantiers inachevés, une foule de surfacturations sur les grands travaux en cours et des annulations sans explication de contrats attribués, depuis 5 ans, après appels d’offres.
Des financements publics en voie d’épuisement
Si l’on se reporte à 2007, dernière année « normale » avant la flambée du prix du baril qui avait culminé en août 2008 (juste avant le déclenchement de la crise financière des subprimes, en septembre de la même année) on constate que les revenus et les dépenses du budget de l’Etat algérien – dépenses courantes + dépenses d’investissement – dégageaient encore un excédent de 4,4 % du PIB (l’équivalent de près de $ 6 mds en dollars courants et au taux de change de 2007) à la fin de l’exercice. Cette année là, le prix moyen du pétrole algérien avait été de 75 $ le baril. Et les dépenses d’investissement de l’Etat, dans le cadre du programme 2005/2006 dit « des 100 milliards de dollars », s’étaient élevées à 15,5 % du PIB.
La comparaison avec le budget de l’année 2011 est cruelle : l’année dernière, le prix moyen du baril algérien s’est élevé à $ 103. Le solde du budget 2011 n’en n’a pas moins été déficitaire de DA 544 mds (soit 4 % du PIB, $ 7,6 mds environ, au taux de change de 2011). La part du PIB consacrée aux investissements publics a été revue à la baisse : 14 % contre 15,5 % en 2007. Les dépenses courantes, par contre, se sont accrues de 60 % entre 2007 et 2011. La hausse des salaires et l’augmentation des subventions destinées à la stabilisation des prix des produits de première nécessité sont les principaux responsables de cet accroissement, face à une grogne sociale que le régime algérien a ressenti comme une menace de subversion, dans le contexte régional du « printemps arabe ».
Résultat : pour équilibrer son budget 2011 sans avoir recours à l’endettement, le gouvernement s’est résolu, comme il l’avait déjà fait en 2009 (année de crise et de relance) et en 2010, à puiser dans le « Fonds de régulation des recettes pétrolières » FRR. Et il devra probablement faire de même en 2012, bien que la loi de finances 2012 ait sensiblement revu à la baisse les dépenses d’investissement de l’Etat (cf. l’article « Algérie, vers la fin d’une politique budgétaire expansionniste ? » du mois d’octobre 2011). Le FRR est facilement mobilisable puisqu’il est, statutairement, un simple « sous-compte en dinar » du Trésor à la Banque centrale. Il est alimenté par les recettes pétrolières réelles de l’Etat diminuées des recettes pétrolières théoriques, sur la base d’un baril à $ 37 (chiffre retenu dans les dernières lois de finances).
En ce début 2012, le Fonds de régulation s’élève à $ 65 mds, en baisse depuis 2009. Au ministère algérien des Finances, on assure que cette manne financière couvrira le déficit budgétaire jusqu’en 2014. Mais si le régime d’Alger souhaite qu’il reste, dans ce Fonds, un montant significatif pour « les générations futures », et donc pour « l’après pétrole », ce qui avait été la raison même de sa création, il lui faudra prendre des mesures d’économie.
Cela, d’autant plus que les revenus des hydrocarbures, qui sont à la base de l’alimentation de ce FRR, sont menacés par la décroissance de ce secteur d’activité essentiel à l’équilibre de l’économie algérienne.
Pétrole et gaz en récession
Le recul du produit intérieur brut du secteur algérien des hydrocarbures (gaz et hydrocarbures liquides, dont brut) a commencé en 2006, année où celui-ci avait enregistré une contraction de 1,2 % en termes réels. Les responsables algériens expliquaient alors ce revers par la nécessité, très temporaire, de procéder à des travaux d’entretien sur les installations : la croissance du secteur était sensée redémarrer dès l’année suivante, en 2007 (lors des consultations de 2006 avec les autorités algériennes, dans le cadre de l’article IV des statuts du FMI, les experts du Fonds Monétaire avaient d’ailleurs repris à leur compte, sans aucun recul, cette explication algérienne).
Puis, d’année en année, la perspective d’un retour de ce secteur à la croissance n’a cessé d’être repoussée à plus tard : en 2009, la reprise était attendue pour 2010, en 2010, on l’attendait pour 2011… Et en 2011, l’espoir d’une croissance très faible (+0,3 % seulement) a été reporté sur l’année 2013…
Selon le nouveau PDG de Sonatrach, Abdelhamid Zerguine, qui a présenté, en février dernier, les résultats provisoires de son groupe, la production primaire d’hydrocarbures a encore reculé de 3,7 % en 2011, passant de 214 millions de tonnes équivalent pétrole (TEP) en 2010 à 206 mns TEP en 2011.
Calculées en volume, les quantités de pétrole et de gaz exportées reculent également : les ventes d’hydrocarbures liquides à l’étranger sont passées de 1,7 millions de b/j en 2007 à 1,3 mns de b/j en 2011. Quant aux ventes de gaz naturel, elles sont tombées de plus de 59 milliards de m3 en 2007 à 54 mds de m3 actuellement.
Le taux de renouvellement des réserves d’hydrocarbures est insuffisant : il s’est situé entre 40 % et 50 % ces 10 dernières années. Si cette tendance persiste, on est en droit de douter de la capacité de l’Algérie de remplir ses engagements contractuels (surtout pour le gaz) à moyen terme. On voit mal, en particulier, comment la quantité de gaz naturel exporté (par moitié par gazoduc et par moitié sous forme liquéfiée) pourrait atteindre 85 mds m3 en 2014, comme le prévoit la Sonatrach, alors que la demande interne en gaz ne cesse de croître.
Ce dilemme est assez grave pour que de très importants investissements soient programmés, par Sonatrach, pour les années 2012/2016, de l’ordre de $ 68 mds, dont 82 % dans l’amont pétrolier. Son nouveau PDG annonce une intensification de la recherche, avec 160 nouveau puits d’exploration par an. Près de $ 16 mds doivent être investis dès 2012.
Les conditions faites aux compagnies pétrolières associées seront, de ce fait, nécessairement assouplies. Même si rien de tel n’a encore été officiellement annoncé, il est probable que la règle des 51 % / 49 % (51 % pour la partie algérienne et 49 % pour les partenaires étrangers) sera aménagée. L’accord qui vient d’être passé pour le développement gazier de la région de Reggane et qui porte sur un investissement de $ 3 mds va dans ce sens : Sonatrach n’a qu’une part de 40 %, l’espagnol Repsol (qui signe ainsi son grand retour dans l’on shore algérien, après plusieurs années de conflit) détient 29 % ; le solde est partagé par l’italien Edison et deux compagnies allemandes.
Néanmoins, l’ampleur des financements qui devront être affectés au secteur des hydrocarbures – surtout à la recherche et au développement – va inévitablement réduire les moyens qui pourront être désormais consacrés aux investissements hors hydrocarbures. Le soutien à la croissance « hors pétrole » par les programmes de grands chantiers publics n’est probablement plus tenable en l’état.
L’interruption d’un modèle de croissance inachevé
L’Algérie a déjà commencé, sans l’avouer, à infléchir son modèle de croissance. Le programme de soutien à la croissance actuellement en vigueur (2009-2013) qui portait initialement sur $ 150 mds d’investissement (cf. le dossier Algérie du 15 juin 2009) a déjà été fortement ralenti.
Les trois programmes d’appui à la croissance successifs, celui de 2001-2005, puis de 2005-2009 et de 2009-2013 ont permis de maintenir la progression du PIB hors hydrocarbures à un rythme compris entre 5 % et 6 %. Si le premier d’entre eux était relativement modeste, de l’ordre de $ 7 mds au taux de change de l’époque (il s’agissait alors de réhabiliter une économie meurtrie par la décennie noire des années 90, marquée par une sanglante guerre civile), le second n’a cessé d’être revu à la hausse. Au début 2005, les montants d’investissements annoncés étaient de l’ordre de $ 50 mds sur 5 ans ; mais dès mars 2006 le chef du gouvernement (Ahmed Ouyahia, à cette époque, comme aujourd’hui) évoquait le chiffre de $ 100 mds, le programme initial ayant été complété par deux programmes de développement régionaux : pour le Sud du pays, puis pour la région des Hauts Plateaux. Quant au plan d’action gouvernemental 2009-2013, annoncé en mai 2009, il avait tout de suite été fixé à hauteur de $ 150 mds (dont, il faut le dire, un certain nombre de reports du programme précédent, autant de projets qui n’avaient pas été achevés, ni même pour certains, commencés).
A partir de 2006, ces investissements ont dopé la croissance « hors hydrocarbures » et ont été, du fait du recul du secteur des hydrocarbures, année après année, les seuls moteurs de la croissance globale de l’économie algérienne :
+ 2 % en 2006 (+ 5,6 % pour le PIB hors hydrocarbures) ;
+ 3 % en 2007 (+ 6,3 % hors hydrocarbures) ;
+ 2,4 % en 2008 (+ 6,1 % hors hydrocarbures) ;
+ 2,4 % en 2009 (+ 9,3 % hors hydrocarbures) ;
+ 3,3 % en 2010 (+ 5,9 % hors hydrocarbures).
On voit combien la croissance globale est restée peu dynamique durant toute cette période, en dépit des financements publics massifs investis. Il semble que 2011 n’a pas échappé à cette règle, avec une croissance globale estimée par le FMI à hauteur de 2,5 % et une croissance hors hydrocarbures de 4,9 %. Les projections du FMI pour 2012 portent respectivement sur 3,1 % et 5,3 %.
En fait, les retombées des investissements publics sur l’ensemble de l’économie algérienne auraient pu être beaucoup plus élevés s’il n’y avait eu beaucoup de retards dans les grands chantiers, beaucoup de surcoûts et d’incohérences… Ainsi la plupart des grands chantiers de travaux publics ont-ils été confiés à des entreprises étrangères, alors que l’ONS (Office algérien des statistiques) déplore le manque de création d’entreprises algériennes dans ce domaine, sur cette période !
Les retards dans la réalisation de certains grands projets défient l’entendement. Ce n’est que trente années après sont lancement officiel que le métro d’Alger a commencé à voir le jour, l’année dernière. Un premier tronçon de 9,5 km a été inauguré le 31 octobre 2011, mais les surcoûts liés aux derniers retards de réalisation sont évalués à plusieurs dizaines de millions d’euros.
Le tramway d’Alger aurait, pour sa part, dû être livré en 2009. Un premier tronçon de 7,2 km (sur 23 km) n’a été terminé qu’en mai 2011. D’autres retards affectent l’autoroute Est-Ouest, la rocade du Sud d’Alger, la Grande Mosquée (dont les travaux auraient dû commencer en 2010) le Centre International de conférence etc.
Dans le domaine du transport ferroviaire qui figurait pourtant parmi les secteurs prioritaires des deux derniers grands programmes d’appui à la croissance, pratiquement rien n’a encore été entrepris. $ 30 mds étaient pourtant inscrits dans le plan 2005-2009 et $ 80 mds dans le suivant, en cours de réalisation. Les contrats qui avaient été attribués sur adjudication depuis 2007 (dont de nombreux contrats d’études) ont été annulés et de nombreux appels d’offre ont été déclarés « infructueux ». Il s’agit aussi bien de lignes nouvelles, de travaux d’électrification, que de la réhabilitation des gares (80 gares de la SNTF à moderniser) ou d’aménagements ferroviaires dans la région d’Alger. Dans ces annulations figurent de nombreux projets qui faisaient partie des programmes de développement régional.
Quelle stratégie alternative ?
L’indice d’un changement de stratégie réside dans la poursuite de la dépréciation du dinar algérien. Une nouvelle dévaluation, de 10 %, est intervenue en janvier 2012 (107 dinars pour € 1). L’objectif, soutenu par le staff du FMI, est de rendre les importations plus chères, donc moins compétitives, face à la production industrielle et agricole algérienne.
Mais cette stratégie, qui s’accompagne de la mise en place de nombreuses mesures réglementaires qui sont autant d’obstacles aux importations de produits de grande consommation, tarde à porter ses fruits. Pour être efficace, une dévaluation dite « compétitive » doit être encadrée par des mesures d’accompagnement favorables à la reprise des secteurs productifs. Or, en dépit de mesures ponctuelles (remises de dettes aux PME, appuis aux agriculteurs) le poids des grands « lobby » d’importateurs reste bien trop prégnant, bien trop proche des cercles corrompus des « grands décideurs » pour que des changements de cap soient perceptibles.