Licences d’importations: La critique des experts
LICENCES D’IMPORTATIONS
La critique des experts
Le Soir d’Algérie, 23 décembre 2017
Le gouvernement a supprimé le régime des licences d’importation deux ans après l’avoir vendu aux Algériens comme la panacée au déficit de la balance des paiements. Il l’a remplacé par de nouvelles mesures de sauvegarde : suspension de l’importation de 900 produits, augmentation de la taxe intérieure de consommation (TIC) et relèvement des droits de douane pour d’autres. Est-ce la meilleure des solutions ?
Lyas Hallas – Alger (Le Soir) – En annonçant la suppression des licences d’importation, le ministre du Commerce Mohamed Benmeradi a expliqué que ce régime a fait l’objet de critiques aussi bien par les opérateurs algériens que les partenaires commerciaux de l’Algérie. Il a également souligné que ce régime a déstabilisé le fonctionnement de l’économie. Or, ont jugé des économistes, les mesures de sauvegarde qui l’ont remplacé s’inscrivent dans le même registre. «L’impact qu’a eu le régime des licences d’importation a été faible vu les distorsions de marché et de l’instabilité de l’environnement des affaires que cela a créé. Mais, si cela est remplacé par des ‘’suspensions’’ des importations, nous sommes dans le même registre. L’environnement des affaire a besoin de stabilité et de visibilité », a souligné Lies Kerrar. «Le gouvernement se retrouve devant une situation où il essaie de concilier un fonctionnement plus ou moins correct des marchés et de l’économie, d’une part, et la préservation des réserves de change. Il semble que les problèmes sont plus structurels et se trouvent en amont des sphères commerciale et financière ; ils sont dans la diversification de la production et des exportations. Une vision claire et une stratégie de sa mise en œuvre tardent à se mettre en place. C’est la seule manière de rendre solvable dans la durée la facture d’importation», a renchéri Youcef Benabdallah. Ainsi, analyse-t-on, la suspension des importations ne réglerait pas le problème de la balance des paiements, même si on admet que cela pourrait donner la chance d’exister à certaines industries naissantes. «Une industrie automobile commence à se mettre en place et il est logique de lui donner quelque chance de pouvoir exister. Cependant, les pressions de nos partenaires économiques amènent à l’ouverture d’une brèche dans la politique de sauvegarde mise en place. C’est la dure loi d’un monde globalisé pour un pays comme le nôtre qui est extrêmement dépendant de l’extérieur. C’est là une de nos vulnérabilités majeures», a, ainsi, commenté Sammy Oussedik, l’exception faite au secteur de l’automobile qui pourrait, selon les mesures annoncées par le ministre du Commerce, bénéficier d’un contingent supplémentaire au cas où les assembleurs locaux ne tiendront pas leurs engagements de mettre 150 000 véhicules sur le marché en 2018. Il a ajouté que «la question de la cohérence est au cœur de la problématique ». Et d’asséner : «Le problème est que nous n’avons pas de stratégie économique claire si ce n’est dans l’ordre du discours. Prenons le cas de l’accord d’association avec l’Union européenne. Il peut se résumer sur le plan économique à l’ouverture de notre marché et, parallèlement, à une assistance de mise à niveau de nos entreprises et du ‘’backbone’’ national (fonctions transversales, ex. administration, droit, internet). Aujourd’hui, malgré le satisfecit des uns et des autres quant à l’évaluation du P3A (Programme d’appui à la mise en œuvre de l’Accord d’association), le constat est que nos entreprises et notre économie sont encore bien loin d’être compétitives. Nous restons, plus que jamais, une économie rentière focalisée sur le secteur extractif peu préparée à la globalisation.»
Une logique financière
Dans ce contexte, où l’Algérie est à la veille du démantèlement tarifaire total prévu dans l’Accord d’association, le rattrapage semble impossible. «Dans cette histoire d’Accord d’association, nous avons négligé l’essentiel : nos réformes. Le démantèlement tarifaire de 2020 devait coïncider avec des réformes entreprises 10 ou 15 ans avant permettant de développer notre compétitivité pour exporter en Europe.
Mais, nous sommes à la veille de 2018 et les réformes, nous ne les avons même pas encore amorcées», a soutenu Lies Kerrar. Et de noter : «Nous nous sommes embarqués par exemple dans un processus complexe et inextricable dans le domaine automobile. Or, le problème vient du fait que nous avons négligé le fondamental: réformer notre environnement des affaires pour rendre la production en Algérie attractive et compétitive. Nous pensons qu’il suffit de ‘’protéger des marchés’’ pour développer une industrie. C’est une erreur. Cette protection doit accompagner des réformes profondes de l’environnement des affaires et non remplacer les réformes. Notre premier objectif doit être de rendre la production plus compétitive en Algérie qu’ailleurs.» En effet, c’est, explique-ton, la logique financière qui a prévalu dans l’élaboration des nouvelles mesures. «Le relèvement des droits de douane est un instrument transparent (…) Mais, le niveau et la structure du tarif ne traduisaient pas le besoin de développer des avantages comparatifs dans des secteurs ciblés comme cela s’est passé dans tous les pays qui ont négocié ce type d’accord. Le recours au relèvement du tarif et l’imposition de la TIC sur les produits importés s’inscrivent dans une pure logique financière», a estimé Youcef Benabdallah. Un avis partagé par Lies Kerrar qui renvoie au dernier plan d’urgence publié en novembre dernier par le think tank Nabni : «Ce qui est surprenant est que dans ce contexte, l’on a priorisé la stabilité du dinar, qui, à son taux actuel, correspond à une subvention des importations, au lieu de stabiliser le cadre institutionnel des affaires, du commerce et de l’investissement. Le meilleur moyen de réduire les importations est de dévaluer le dinar car, un dinar maintenu artificiellement fort est purement et simplement une subvention aux importations. Nabni a, également, recommandé d’abandonner le régime des licences d’importation… mais, il n’a pas recommandé de remplacer cela par des ‘’suspensions d’importation’’. » Nos interlocuteurs ont, en tout cas, recommandé d’abandonner ces mesures. «Le problème des restrictions commerciales est toujours le même : s’agit-il de mesures adossées à des stratégies de transformations structurelles de l’économie ou de mesures strictement financières sans lendemain et pouvant être largement détournées par les élites locales ? A la différence des licences, l’interdiction se caractérise par une certaine transparence puisque l’interdiction vaut pour tout le monde. Et, l’interdiction de certaines importations va réduire le déficit commercial de manière certaine puisqu’on sait à l’avance quels sont les montants qui vont être économisés. Or, le commerce de la valise va rompre cette transparence puisque les prix vont s’élever et évincer une partie des consommateurs », a indiqué Youcef Benabdallah. Il a suggéré qu’«il y a intérêt d’encadrer sérieusement ces politiques pour les abandonner le plus tôt possible et se préparer à revenir avec plus de résilience au cadre négocié avec les partenaires.» Et à Sammy Oussedik de conclure : «Je pense que ni les Européens ni nous ne pensons que le démantèlement tarifaire est possible d’ici 2020. Il est illusoire de penser que ce que nous n’avons pas pu faire en 17 ans, nous serons en mesure de le réaliser en moins de 3 ans. Cependant, aucune des parties ne le dira officiellement. N’oublions pas que l’Accord d’association avec l’UE comporte d’autres volets tels que le dialogue politique, l’Etat de droit, le dialogue stratégique et sécuritaire ou encore la migration et la mobilité. Cela pour dire que le contexte général et plus précisément notre situation seront déterminants. Ils fixeront nos marges de manœuvre. Je pense également que la pression engendrée par la réduction drastique de la rente sera autrement plus déterminante quant au reprofilage et l’avenir de notre économie que la pleine application de l’accord avec l’UE.»
L. H.