L’inflation à 7,7%, problème émergent pour le gouvernement algérien

L’inflation à 7,7%, problème émergent pour le gouvernement algérien

Abed Charef, Maghreb Emergent, 14 Octobre 2012

La trêve entre Karim Djoudi et Mohamed Lakcaci dure toujours. Après s’être tirés dans les pattes à cause de l’inflation, le ministre des finances et le Gouverneur de la Banque d’Algérie maintiennent la balle dans le camp des autres ministres. Mais leur nouveau discours ne peut cacher une autre réalité : l’économie algérienne cache une partie de son inflation, en maintenant un soutien des prix anachronique pour plusieurs produits, utile pour acheter la paix sociale mais dangereux pour l’économie.

Le taux d’inflation s’est envolé en Algérie, et menace de passer à deux chiffres. Alors que le FMI s’inquiète, le ministre des finances Karim Djoudi, et le gouverneur de la Banque d’Algérie, Mohamed Lakcaci, tentent quelques timides parades, qui se sont révélées bien insuffisantes.

Le gouvernement, qui n’a pas réussi à booster la croissance, ni à relancer l’investissement, pouvait jusque-là présenter, dans son bilan, un relatif succès dans la maitrise de l’inflation, qu’il avait réussi à maintenir sous la barre symbolique des cinq pour cent, avec un taux de 4.5% en 2011. Mais avec ces chiffres publiés par l’Office national des statistiques (ONS), il ne reste plus rien au gouvernement pour tenter d’édulcorer son action.

Au mois d’août 2012, le rythme d’inflation en glissement annuel a atteint 7,7%, contre 7,5% en juillet, selon l’Office national des statistiques (ONS). Cette augmentation, constante, est observée depuis le début, d’un mois sur l’autre, selon une courbe que rien ne semble pouvoir arrêter. Depuis le début de l’année, le taux d’inflation, selon l’ONS, s’est élevé à 4,9% en janvier, 5,3% en février, 5,9% en mars. Il a franchi le cap des six pour cent (6.4) en avril, 6.9% en mai, 7.3% en juin, 7,5% en juillet pour terminer l’été à 7,7%, en août.

MM. Djoudi et Laksaci, qui viennent tous deux d’assister aux réunions annuelles du FMI et de la Banque Mondiale, durant lesquelles l’Algérie a annoncé accorder un prêt de cinq milliards de dollars au FMI, ont tenté quelques explications. Sans grande conviction. L’inflation est due, selon eux, à des dysfonctionnements de l’économie et du marché. Une manière de rejeter la balle dans le camp adverse : c’est le ministère du commerce qui n’arrive pas à organiser le marché, et celui de l’agriculture qui n’arrive pas non plus à satisfaire de manière organisée la demande nationale en produits agricoles.

Les deux hommes semblent avoir accordé leurs violons, pour éviter de se tirer dans les pattes une nouvelle fois. Au début de l’année, M. Laksaci accusait le gouvernement de distribuer trop d’argent, ce qui provoque immanquablement une hausse de l’inflation. M. Djoudi avait vertement répliqué, rejetant les causes de l’inflation sur la non maitrise de la masse monétaire, qui revient à la Banque d’Algérie. Entre 2000 et 2011, l’expansion de la masse monétaire avait été la cause principale de l’inflation, mais celle-ci a été progressivement maitrisée, pour être ramenée sous les cinq pour cent.

Modèle incontrôlable

Autre source de l’inflation, mais moins importante, la baisse du taux de change du dinar. Le gouvernement a fait glisser le dinar pour en diminuer le pouvoir d’achat après les fortes hausses de salaires de 2011. Toutefois, ce procédé a été moins utilisé en 2012.

D’autre part, le taux d’inflation affiché masque une autre réalité économique, celle d’une inflation cachée, d’une part, et d’un sérieux déséquilibre économique, d’autre part. En effet, des produits de large consommation sont maintenus hors inflation, car subventionnés par l’Etat, ou soumis à des prix administrés. Le pain, le lait, le loyer, l’électricité, les carburants et nombre d’autres produits n’ont pas connu d’augmentation depuis des années. Leurs prix sont devenus ridiculement bas, ce qui permet aux Algériens à faible revenu de tenir malgré l’inflation.

A l’inverse, l’inflation se concentre sur les produits non subventionnés, qui peuvent doubler de prix en quelques semaines, car soumis à forte pression de la demande, et à un marché totalement déstructuré. Ainsi, au début de l’année, le prix de la pomme de terre, second produit le plus consommé en Algérie après les céréales, a été multiplié par trois, avant de rechuter avec le début des récoltes de printemps.

Ce modèle est devenu totalement incontrôlable, commente un économiste. « Prenez l’exemple de l’achat d’un véhicule neuf. Celui-ci, fabriqué à l’étranger, contient une source d’inflation provenant de l’extérieur, en raison de la baisse du dinar. Mais comme l’industrie automobile est en crise de surproduction, les prix n’ont pas trop augmenté. L’Algérien continue donc de bénéficier d’un prix relativement stable du véhicule. Par contre, il subit une forte hausse des accessoires et des services liés à l’entretien du véhicule. Dans le sens inverse, il compense cette hausse par un faible prix des carburants.

Le carburant importé revendu dans tous les pays de la région

Le résultat de ces subventions est pour l’économie algérienne est à la limite du loufoque. Ainsi, la wilaya de Tlemcen consommerait plus de carburant que celle d’Alger. En réalité, le maintien des prix très bas favorise un trafic très important vers le Maroc, alors que la frontière est supposée fermée et hermétiquement surveillée. Le même phénomène est observé sur les frontières algéro-tunisiennes.

Dans le même temps, le carburant est pourtant rationné à Tlemcen et dans une bonne partie de l’ouest algérien, malgré les dénégations du ministre de l’énergie, M. Youcef Yousfi. Un algérois qui s’est rendu à Tlemcen samedi 14 octobre n’a pu trouver de l’essence pour le retour. Pas d’essence non plus à Oran. Il lui a fallu se rendre à Sidi Bel-Abbès, où une file de plus de cinquante voitures l’a contraint à une longue attente. « Normal, disait un autre automobiliste, excédé. Notre essence va au Maroc, et nous, on subit dans la pénurie ».

Dernière curiosité de cette saga : le carburant consommé en Algérie est partiellement importé. Le boom du parc automobile, la vétusté des raffineries existantes et le retard pris dans la réalisation de nouvelles raffineries a contraint l’Algérie à des importations massives de carburant en 2012 !