Exportations vers l’Afrique : Des marchés proches, mais loin d’être acquis

Exportations vers l’Afrique : Des marchés proches, mais loin d’être acquis

El Watan, 16 février 2015

Soumises à la rude épreuve de la concurrence internationale, les entreprises algériennes tentent de trouver des débouchés dans les pays africains qui apprécient déjà leurs produits. Il s’agit notamment des pays du Sahel (Niger, Mali, Mauritanie) et, dans une moindre mesure, du Sénégal, du Burkina Faso et du Cameroun, que les contrebandiers et autres acteurs de l’informel approvisionnent depuis de très longues années en marchandises de toutes sortes produites ou seulement commercialisées en Algérie.

Dans les boutiques de Niamey, (Niger) à titre d’exemple, est commercialisée toute la panoplie de produits agroalimentaires fabriqués par les entreprises algériennes Cévital, SIM, Benamor, Ifri, NCA Rouiba et autres, qui leur sont parvenus au moyen du commerce informel. L’électroménager, l’électronique, l’habillement et l’outillage algériens y sont également fortement présents et, de surcroît, très appréciés par la clientèle nigérienne, de l’avis de nombreux marchands locaux.

Tout l’enjeu de l’exportation des produits hors hydrocarbures algériens vers les contrées africaines devrait précisément consister à tirer avantage de cette familiarisation avec nos produits pour ériger un courant d’affaires légal animé par des entreprises de production et de distribution qui activeront dans la légalité, à charge pour les Etats concernés de leur offrir les conditions requises pour l’exercice d’un commerce légal et transparent.

Il faut en effet savoir qu’en matière d’échanges commerciaux, tout manque à nos frontières. Les réseaux routiers sont défectueux, la sécurité fait cruellement défaut, les postes de douanes sont rares, les banques inexistantes, les stations-service très éloignées les unes des autres, et les zones de dépôt de marchandises exportables introuvables.

Ce n’est pourtant qu’à ces conditions que pourront se développer les courants d’affaires légaux entre l’Algérie et ses voisins africains, mais force est de constater que rien de bien sérieux n’est entrepris dans ce sens, ce qui laisse présager que les échanges commerciaux continueront à être, pour longtemps encore, l’apanage des contrebandiers et autres acteurs informels.

Les actions multiformes de marketing qu’entreprend depuis de longues années la société algérienne de foires et expositions (Safex) en direction du Niger, du Mali, de la Mauritanie, du Burkina Faso, du Sénégal et du Cameroun n’ont pas atteint les objectifs escomptés, précisément pour ces raisons.

Pas moins de 70 entreprises publiques et privées relevant de secteurs aussi variés que l’agroalimentaire, le textile, les cosmétiques, les matériaux de construction, les travaux publics, les télécommunications, l’édition, les industries pharmaceutiques, électriques, électroniques, les produits aurifères et autres services feront également des voyages promotionnels à Dakar et Yaoundé dans les tout prochains mois, selon un haut responsable de la Safex. A titre d’encouragement, ajoute-il, les entreprises qui effectueront le déplacement vers ces foires africaines bénéficieront d’une contribution conséquente accordée par l’Etat au titre du dispositif d’aide aux exportations.

Elle sera financée par le Fonds spécial pour la promotion des exportations hors hydrocarbures créé à cet effet. Les exportateurs-exposants en partance pour ces pays seront ainsi exonérés de tout paiement au titre de leur participation, à charge pour eux de gagner des parts de marché en Afrique, en veillant à y exposer des produits qui correspondent à la demande et aux goûts des consommateurs concernés.

Il faut toutefois signaler que les manifestations économiques qu’avait précédemment organisé la Safex ont beaucoup plus contribué à booster le commerce informel entre l’Algérie et les pays concernés qu’à développer d’authentiques courants d’affaires animés des acteurs économiques légaux, preuve s’il en fallait une, de la nécessité de créer parallèlement à toutes les actions marketing un environnement favorable au développement d’échanges commerciaux transparents.

La chute des recettes d’hydrocarbures va très probablement pousser les pouvoirs publics algériens à prendre à bras-le-corps cet épineux problème des échanges commerciaux avec les pays voisins d’Afrique. L’Algérie a tout à y gagner : des débouchés pour de nombreux produits (électroménager, habillement, etc.) qui n’ont de chance de se vendre que dans certaines localités d’Afrique, la construction à terme d’une véritable communauté économique africaine, la stabilité des populations, la rentabilité des infrastructures routières transsahariennes, etc.

Le Forum des chefs d’entreprises (FCE) qui voit, à juste raison, de nombreux avantages à tirer de l’essor des courants d’affaires avec les pays d’Afrique, vient d’interpeller le gouvernement sur la nécessité de s’impliquer encore davantage dans la mise en place des conditions requises pour le développement du commerce entre l’Algérie et certains pays d’Afrique, la réalisation d’une partie importante de la route transsaharienne n’étant, à l’évidence, pas suffisante pour insuffler une forte et irréversible dynamique au commerce interafricain.
Nordine Grim


Riche en ressources, mais peine à se développer

L’Afrique en quête de transformations économiques

L’Afrique a reçu 57 milliards de dollars d’Investissements directs étrangers (IDE) en 2013, soit moins de 4% des flux mondiaux (Cnuced). En outre, si le continent draine d’importants flux dans le secteur manufacturier et les services, ce sont toujours les industries extractives qui ont été le moteur des investissements durant la décennie.

S’il recèle d’importantes ressources naturelles, mais aussi agricoles (un quart des terres agricoles mondiales), le continent noir reste toujours associé au sous-développement, à la pauvreté, au moment où les puissances mondiales s’y disputent les parts de marché. Face à la crise qui secoue l’économie mondiale, beaucoup de pays voient en l’Afrique «le prochain relais de croissance et de rentabilité» (déclaration de Agnes Lo Jacomo, présidente du Medef Île-de-France). Le Fonds monétaire international considère par exemple l’Afrique subsaharienne comme «l’une des régions les plus dynamiques» en devenir. Et pour cause.

Le taux moyen de croissance de l’Afrique depuis le début des années 2000 (6,1% entre 2000 et 2010) a été supérieur à la moyenne de la croissance mondiale. Si la crise financière et économique mondiale de 2008 a freiné cette croissance, le taux moyen sur la période 2008-2012 a tout de même été supérieur de 2% à celui de l’économie mondiale, selon le rapport sur le développement économique en Afrique 2014 de la Cnuced.

Une performance imputée à des facteurs internes (meilleure gestion macroéconomique, forte demande intérieure, climat politique relativement plus stable), mais aussi externe (prix élevé des matières premières, renforcement de la coopération économique avec les pays émergents, l’augmentation de l’aide publique au développement et des IDE emmenés surtout par l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe).

L’Afrique a du potentiel et surtout des atouts. Dans un autre rapport sur l’investissement dans le monde (2014), l’organisation onusienne relevait que «la perspective d’une croissance soutenue de la classe moyenne émergente a attiré les investissements dans les secteurs de la consommation, notamment de l’alimentation, de l’informatique, du tourisme, de la finance et du commerce de détail». Le continent compte plus d’un milliard d’habitants et sa classe moyenne compte beaucoup dans son dynamisme.

Une étude de la Banque africaine de développement (BAD) révélait l’année dernière que la classe moyenne africaine était en augmentation. Un Africain sur trois y appartient aujourd’hui, soit quelque 370 millions de personnes qui drainent autant de besoins en consommation, en production, en importation, en investissement et en équipement.

Atouts

En 20 ans, la consommation des ménages africains a doublé avec un taux moyen de croissance de 5% et une part de 62% du PIB. Elle a été «la principale contribution à l’accroissement de la production pour la période 2000-2011», selon la Cnuced. Mais une grande partie de ses besoins a été comblée par les importations dont la croissance moyenne a presque doublé entre 1990 et 2011, représentant plus de 32% du PIB. Pour réduire la pauvreté, on estime que l’Afrique aura besoin à moyen et long termes d’un taux moyen de croissance de 7% et plus, qui nécessitera des taux d’investissement d’au moins 25% du (PIB), ce qui n’a pas été le cas ces deux dernières décennies (18% du PIB).

A titre d’exemple, l’Afrique subsaharienne accuse un déficit d’investissements de 50 milliards de dollars par an dans le domaine des infrastructures. Or, l’organisation onusienne estime que «la productivité des entreprises est réduite de 40% et la croissance du revenu par habitant de 2%, du fait du manque d’infrastructures.» La part considérable des ressources naturelles dans la croissance africaine met le continent devant l’enjeu de devoir transformer son économie en orientant ses investissements dans des secteurs plus productifs, l’agro-industrie, le secteur manufacturier, outre les infrastructures.

Intégration

Et le salut de l’Afrique pourrait bien venir de l’intérieur. Le rapport de la Cnuced sur les investissements dans le monde laisse apparaître une progression des investissements intra-africains (essentiellement dans le secteur manufacturier et des services). «Entre 2009 à 2013, 18% des annonces d’investissements étrangers de création de capacités provenaient de pays africains, contre moins de 10% pendant la période précédente.

Pour de nombreux petits pays africains, souvent sans littoral ou n’exportant pas de pétrole, l’IDE intra-régional est une source importante de capitaux étrangers», lit-on dans le document. Si la contribution du continent noir «aux chaînes de valeur mondiales se limite encore souvent à l’incorporation en aval de matières premières dans les exportations de pays développés», on estime que l’investissement intrarégional pourrait quant à lui contribuer au développement de chaînes de valeur régionales.
Safia Berkouk


Investissements, échanges commerciaux

Les entreprises algériennes à la traîne

Que ce soit en investissement ou en exportation, le marché africain reste quasiment vierge pour les entreprises algériennes en dehors de la présence de Sonatrach dans le secteur des hydrocarbures. En excluant des statistiques les pays du Maghreb, il ressort que les exportations algériennes vers les pays africains représentent moins de 0,2% des exportations globales du pays, moins de 100 millions de dollars ces trois dernières années.

En matière d’investissements, le constat est encore pire, mais avec les groupes Cevital dans l’agroalimentaire et Condor dans l’électroménager des projets commencent à fleurir (voir graphe.) «Il ne faut pas rater les opportunités de s’élargir sur notre continent. Le bassin africain reste encore sous-développé et ne demande qu’à assurer sa sécurité alimentaire et son développement», observe Farid Bourenani, expert en ingénierie financière et conseiller auprès de Cevital.

Soudan, Djibouti, Sénégal, Mali, Côte d’Ivoire, Ethiopie, le groupe dirigé par Issad Rebrab est annoncé dans plusieurs pays africains et son nom est associé à des projets estimés à plusieurs centaines de millions de dollars. «Il y a des projets qui génèrent de la valeur ajoutée, mais qui ne sont pas encore entamés», indique M. Bourenani, sans en préciser les montants, mais en expliquant que l’argent investi consistera aussi en des «réinjections» de ressources à partir d’investissements déjà réalisés.

Pour l’heure, «il n’y a pas d’activité qui a déjà commencé, mais la prospection, elle, est permanente». Le Soudan pourrait être le premier pays à voir la concrétisation de l’investissement de Cevital de par son importance. La logique du groupe est d’investir en amont et en aval de l’activité sucrière pour «assurer la sécurité alimentaire du pays» et aussi échapper à la fluctuation du marché des matières premières.

Cevital veut «contrôler l’amont de l’activité en investissant dans les pays où il y a assez d’eau pour produire de la canne à sucre et c’est le cas au Soudan et aussi en Ethiopie». En aval, l’objectif est de créer des raffineries de sucre et d’huile là où les besoins des populations existent, comme en Afrique de l’Ouest. Le groupe privé exporte déjà ses produits vers plusieurs pays africains.

La voie de l’export

L’intérêt n’est donc pas nouveau, du moins en matière de commerce, mais l’export est souvent une porte d’entrée. «Sur des marchés matures, il y a moins de place pour vous, il vaut mieux aller sur des marché en développement. Il est plus facile d’aller au Bénin ou au Mali que d’aller en Suède ou en Allemagne», estime notre interlocuteur. Dans ce cadre, le groupe Condor prévoit d’ailleurs d’exporter 200 000 à 300 000 euros de produits électroménagers vers le Soudan avant d’investir dans la production dans une seconde étape. Plusieurs entreprises algériennes exportent vers l’Afrique, essentiellement dans le secteur agro-alimentaire.

Le Trophée Export récompense d’ailleurs chaque année les meilleures entreprises exportatrices, mais les montants restent anodins. En 2013, les laiteries Soummam avaient décroché ce trophée avec des exportations de 3 millions de dollars. L’ancien président d’Algex, Mohamed Bennini, déplorait que l’Algérie ait pendant des années négligé l’Afrique, accordant la priorité «à des marchés traditionnels comme l’Europe».

Pourtant, rien de ce côté-là non plus. «On ne pourrait pas placer un bonbon en Europe et si on ne vendait pas des produits du terroir, on ne vendrait rien du tout», soutient Boudjemaâ Kemmiche, PDG du groupe Ifri qui cumule près de 20 ans d’expérience dans le domaine de l’export. Ses produits sont présents notamment au Cameroun, au Sénégal, au Nigeria, en Côte d’Ivoire. Pour lui, l’Algérie a des produits «qui tiennent la route» et peuvent donc répondre «aux standards de consommation des pays africains où ils pourront se vendre facilement».

Simplement, il y a des préalables. «Il faudrait d’abord satisfaire la demande locale avant d’exporter les excédents». Ensuite, l’export «est un métier et on est les derniers au monde dans ce domaine. Il faut mettre de la valeur ajoutée dans les produits et comprendre qu’aujourd’hui 50% de la valeur d’un produit réside dans son emballage». Une réalité que les rares producteurs nationaux n’ont pas tous forcément comprise, même si en valeur intrinsèque leurs produits sont exportables.

Modalités

Pour Smaïl Lalmas, conseiller en développement des entreprises à l’export, «peu importe le marché vers lequel on veut exporter, il faut d’abord avoir une stratégie à l’export et une tutelle pour s’en occuper». Considérer que parce qu’il est sous-développé, le marché africain est plus facile d’accès serait erroné, selon lui. «Il est convoité par toutes les puissances mondiales, il est ultra-concurrentiel.

Les pays qui y sont entrés, comme la Chine, sont passés par des projets d’aide au développement, des projets à titre gracieux, des actions diplomatiques, des lignes de crédit, etc.». Et, justement, l’Algérie prête beaucoup aux pays africains mais efface également beaucoup de dettes. Entre 2010 et 2013, l’Algérie a effacé plus de 900 millions de dollars de dettes pour 14 pays africains. «On efface la dette pour rien, sans contrepartie. On aurait pu convertir cette dette», commente Smaïl Lalmas.

Une idée partagée par Farid Bourenani, pour qui «il y a plusieurs modalités pour accéder au marché africain». L’une d’entre elles est de «convertir en actifs la dette détenue par l’Algérie sur certains de ces pays». L’Algérie, dit-il, «a l’obligation de rayonner sur l’Afrique, mais au lieu de faire sortir des devises, on peut transformer la dette, en contrepartie de laquelle on va nous céder des terres», par exemple. Une option parmi d’autres. Encore faut-il que ce nouvel intérêt pour l’Afrique soit autre chose qu’un choix dicté par la conjoncture, qui sera oublié aussitôt les cours du pétrole repartis à la hausse.


Jean-joseph Boillot. Economiste, spécialiste des économies émergentes

«Le continent est devenu incontournable sur la table des grands décideurs»

– On parle de l’Afrique comme un relais de croissance en cette période de crise. Quels sont, selon vous, les arguments qui permettent de confirmer ou de relativiser cette affirmation ?

Relais ! Pas vraiment. Pour deux raisons. D’abord, l’étroitesse du PIB africain. Si vous prenez la seule Afrique subsaharienne, son PIB total l’an dernier se montait à 3300 milliards de dollars en parité du pouvoir d’achat, soit tout juste 3% du PIB mondial, et moitié moins si on prend les taux de change de marché. Avec pourtant plus de 5% de croissance, sa contribution à la croissance mondiale a été au mieux de 4%. On est loin de la Chine par exemple avec près de 30%, et même de l’Inde avec près de 10%.

La deuxième raison est que la baisse des prix des matières premières, mais aussi la crise Ebola et la panique hélas qui lui a été associée, devraient faire perdre un point de croissance au moins au continent en 2015. Par contre, l’approche est tout à fait différente dès lors qu’on s’inscrit dans ce qu’on appelle les cycles industriels et de l’investissement public. Ce sont des cycles de 5 à 15 ans tenant au délai de mise en œuvre des projets industriels ou d’infrastructures et qui dépendent de la vision de moyen terme des entrepreneurs et des pouvoirs publics.

De ce point de vue, j’observe bien un mouvement d’anticipation de la croissance africaine autour de 5 à 10% par an, selon les pays, et là le tableau change. Dans ma recherche publiée dans le livre Chindiafrique, j’obtiens une contribution de l’Afrique à la croissance mondiale qui devrait progressivement monter autour de 10% d’ici 2020. Or, celle de l’Union européenne l’an dernier a été tout juste supérieure à 5%, alors qu’elle est toujours officiellement la plus grosse masse économique du monde.

Et comme je ne suis pas optimiste sur la capacité des Européens à se sortir du piège déflationniste à court terme, le terme de relais devient tout à fait approprié. Et c’est ce que je vois tous les jours avec les entreprises européennes, mais aussi chinoises, indiennes, américaines, etc. On reste prudent, mais le continent est devenu incontournable sur la table des grands décideurs. La question est plutôt : où, quoi et comment ?

– Le continent recèle beaucoup de richesses naturelles, mais peine encore à émerger. Est-ce un problème de gouvernance, est-ce dû au poids de la colonisation ? Comment expliquer ce retard ?

Un problème de gouvernance bien sûr. Comme le disent tous les économistes un peu censés, le développement est une affaire de dynamique vertueuse entre des institutions économiques, sociales et politiques et du capital humain. Mais là où je reste attaché à la vision d’un des pionniers de l’économie du développement, Albert Hirschman, il ne sert à rien de répéter que «les économies sous-développées ne se développent pas parce qu’elles sont sous-développées».

On voit bien le lien étroit partout dans l’histoire entre le niveau de développement et la qualité de la gouvernance, de même d’ailleurs qu’entre le bonheur et le revenu par habitant, au moins jusqu’à un certain seuil de 10 000 USD par habitant, je crois. Non, la vraie question est la dynamique et non la transformation des institutions et ses séquences qui sont en général adaptées à l’histoire, à la culture mais aussi à la démographie de chaque pays ou région du monde. De ce point de vue, la thèse de mon livre me paraît toujours tenir.

Comme on a pu le voir en Chine dans les années 1980, mais aussi en Inde depuis une dizaine d’années, la pression socio-démographique des jeunes générations est telle qu’un grand nombre de dirigeants africains n’ont pas d’autre choix que d’adapter les institutions en faveur du développement économique et social, sauf peut-être là où les rentes en matières premières sont considérables par rapport aux populations concernées.

Mais on ne peut nier également, dans les facteurs historiques, l’héritage très difficile de la colonisation, notamment dans la construction des Etats face à des identités, à des réalités géographiques très éloignées des Etats-nations classiques. Se rajoute également une sortie difficile des relations post-coloniales héritées de la guerre froide.

Comme le dit l’économiste Dany Rodrick, pour réussir son décollage l’Afrique ne peut que protéger ses industries, éviter de tomber dans le piège de la maladie des matières premières, y compris agricoles, et fixer de bons taux de change. Beaucoup reste à faire dans ces domaines. De sorte que je préfère parler du bouillonnement de la préémergence, plutôt que du décollage de l’Afrique, même si je suis confiant à moyen terme sur la capacité du continent à trouver son propre modèle.

– On présente l’Afrique comme un grand chantier où tout reste à faire. Dans la course mondiale pour se partager ce chantier, un pays comme l’Algérie peut-il y faire la concurrence à la Chine, à la France, à l’Inde par exemple ?

Vous avez tout à fait raison. Il y a un grand risque à voir l’Afrique courtisée par toutes les grandes puissances, y compris les puissances moyennes européennes, alors qu’elle reste largement balkanisée et trop hésitante sur ses stratégies de développement. Je reste persuadé que la Chine, mais aussi l’Inde, à leur manière, ont donné un coup de pied positif dans la fourmilière africaine en mettant un peu plus de concurrence dans les arrangements avec les grandes puissances occidentales et en offrant surtout de nouvelles perspectives, de nouveaux modèles économiques à l’Afrique. Mais elles non plus ne viennent pas pour faire œuvre de charité.

C’est à l’Afrique de tirer le meilleur parti de ses partenaires, et pour cela de négocier dur afin d’améliorer ses termes de l’échange sur le moyen terme. C’est ici que des pays comme l’Algérie, «petits» par la taille de la population mais aussi par rapport aux grandes puissances, ont toute leur place, à condition bien sûr d’être à la hauteur techniquement et financièrement.

Et dans ce domaine, ils peuvent s’appuyer sur des institutions régionales ou sous-régionales comme la Banque africaine de développement (BAD) par exemple, mais aussi constituer eux-mêmes des fonds financiers et techniques dédiés à l’ensemble du continent en consacrant une partie de leurs rentes naturelles plutôt que de vivre en autarcie ou d’exporter du capital. Les sommets de la BAD ou de l’Union africaine montrent qu’il y a toujours une prime de proximité géographique et historique dans les relations intra-africaines.
Safia Berkouk


Après l’énergie et les infrastructures

L’Algérie veut tenter l’expérience africaine

Après avoir focalisé pendant de longues années ses échanges avec les pays de l’Union européenne (UE), l’Algérie a décidé de changer de vision et de tenter l’expérience africaine. Un terrain laissé vide à travers une politique économique africaine fondée jusque-là sur l’énergie et les infrastructures, conformément aux orientations du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (New Partnership for Africa’s Development, NEPAD).

Parallèlement à la création des commissions mixtes, à l’organisation des forums d’affaires et à l’échange des visites (l’Algérie a reçu quatre Présidents africains en un mois), les déclarations illustrant l’intérêt grandissant de l’Algérie à l’Afrique sur le plan économique se sont en effet multipliées ces dernières semaines. Plus particulièrement depuis l’amorce de la chute des cours du pétrole sur le marché international. La baisse des exportations d’hydrocarbures et la recherche de nouvelles sources d’entrée de devises expliquent cet engouement pour le continent africain, connu pour ses richesses minières et pétrolières.

L’Algérie semble donc vouloir rattraper le retard pour avoir sa part du gâteau et passer ainsi du stade des relations politiques et du traitement des questions sécuritaires aux échanges économiques. Le 21 janvier dernier, lors de son passage à la télévision algérienne, le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a clairement affiché la volonté du gouvernement à s’ouvrir sur le marché africain, promettant d’accompagner les entreprises algériennes dans le processus d’exportation.

Il a même annoncé l’organisation, avant la fin de l’année, d’un forum d’affaires algéro-africain pour étudier ce dossier et arrêter les mesures nécessaires à cette ouverture. Une ouverture souhaitée par le Forum des chefs d’entreprises (FCE), dont le président, Ali Haddad, n’a pas manqué d’interpeller le ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, sur ce dossier lors d’une rencontre entre les deux parties, le 21 janvier dernier, dans le cadre des réunions de concertation tenues entre le FCE et les représentants du gouvernement.

Ali Haddad a plaidé pour la mise en place d’un guichet unique pour la promotion des investissements sur le continent africain, mais aussi pour la facilitation de l’acte d’exporter vers les pays de cette région. Moins de deux semaines plus tard, le 1er février dernier, le ministre de l’Industrie, Abdessalem Bouchouareb, aborde de nouveau ce dossier, et ce, à l’occasion du forum économique algéro-béninois organisé en marge de la visite du président de la République du Bénin, Thomas Boni Yayi, en Algérie.

Le ministre de l’Industrie accorde une grande importance à ce forum algéro-africain. Il affiche même un certain empressement pour la tenue de cette réunion, s’engageant dans le même sillage à assurer la jonction dans un délai de dix-huit lois de la Transsaharienne reliant Alger à Lagos, de manière à accélérer l’intégration économique sud-sud après des années de léthargie et de promesses.

L’Algérie absente sur le marché africain

Car, faut-il le noter, cette question de coopération et de partenariat sud-sud a toujours été évoquée dans les discours des dirigeants africains, notamment l’Algérie, mais dans la réalité le niveau des relations économiques reste faible entre ces pays pourtant liés par plusieurs accords. Ce qui a poussé Ali Haddad à évoquer la question avec ses homologues africains lors d’une rencontre, le 5 février dernier, en marge du sommet France-Afrique.

Il est vrai que l’Afrique offre d’importantes opportunités pour le développement des entreprises, mais il est également vrai que le terrain est déjà conquis par les pays qui ont compris plus tôt que les affaires se font en Afrique, à l’image de la Chine, la Russie, la France ou encore le Maroc qui est, faut-il le noter, plus présent dans le continent noir par rapport à ses voisins du Maghreb.

Energie, banques et télécoms sont entre autres secteurs à travers lesquels le Maroc est présent en Afrique à la faveur de sa réorientation de sa politique extérieure vers l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest. De son côté, l’Algérie en plus d’être absente sur le marché africain, n’arrive pas également à intensifier ses échanges au niveau maghrébin.

Ce problème d’intégration est d’ailleurs régulièrement soulevé, sans pour autant trouver son issue. «Mettons d’abord le paquet pour se placer au niveau maghrébin, avant d’élargir notre présence aux autres pays d’Afrique», nous dira un opérateur économique, pour qui ce processus d’ouverture sur le continent noir s’annonce dur eu égard aux entraves déjà rencontrées par les quelques exportateurs algériens, mais surtout à la faible compétitivité des entreprises algériennes, au moment où d’autres pays avancent à grands pas vers l’Afrique en dépit d’un contexte économique pas toujours favorable aux affaires. Cette question sera au cœur du programme de l’AFRICA CEO FORUM 2015 qui se tiendra à Genève, les 16 et 17 mars prochain.

Samira Imadalou


Brahim Guendouzi Enseignant à l’université de Tizi Ouzou

«Beaucoup de handicaps pourraient freiner la pénétration des marchés africains»

L’adaptation des produits aux marchés africains, l’assistance du secteur bancaire et de la douane, l’assurance–qualité, les normes techniques et la logistique sont, selon Brahim Guendouzi, enseignant à l’université de Tizi Ouzou, autant de paramètres à prendre sérieusement en considération pour espérer réussir l’expérience en terre africaine.

– Comment évaluez-vous la coopération entre l’Algérie et ses principaux partenaires commerciaux ?

La coopération entre l’Algérie et ses principaux partenaires commerciaux est ordinaire, dans le sens où l’on se contente d’échanger des produits énergétiques d’un côté avec des produits manufacturiers de l’autre, sans grande ambition afin de les rehausser à un niveau plus qualitatif. Il faut dire que la diplomatie économique est quasi inexistante dans ce cas.

L’absence de volonté de part et d’autre fait que les relations commerciales de l’Algérie avec l’extérieur restent en deçà des potentialités que recèle l’économie algérienne. D’autant plus que les opérateurs économiques ne semblent pas eux aussi trop vouloir s’investir dans des actions plus concrètes, et ce, pour des raisons multiples spécifiques à chaque partie.

Les relations économiques Nord-Sud sont réputées assez déséquilibrées compte tenu de la nature des forces en présence. Par ailleurs, les rapports Sud-Sud peinent à progresser du fait de nombreux obstacles tant objectifs que subjectifs. L’Algérie se trouve à la croisée des chemins, car étant un pays pétrolier avec des ressources conséquentes elle n’arrive pas à trouver le chemin de la croissance économique durable lui permettant de rehausser le niveau de coopération avec ses partenaires étrangers.

– Concernant l’Union européenne et l’Algérie…

Les relations commerciales de l’Algérie avec les pays de l’Union européenne sont relativement plus consistantes puisque les importations du pays représentent 60% du total. De même que les exportations de pétrole et gaz à destination des pays européens sont conséquentes. L’accord d’association signé entre l’Algérie et l’Union européenne a eu pour effet d’encadrer et en même temps de dynamiser ces relations commerciales. Le démantèlement tarifaire, certes progressif, s’est fait au détriment de l’Algérie.

Les mesures d’accompagnement ont été timides, comme par exemple les programmes de mise à niveau des entreprises qui n’ont pas eu les effets escomptés. Le constat actuel est amer : l’explosion des importations, alors que la structure des exportations n’amorce pas de mouvement de diversification.

– La nécessité de se tourner vers d’autres pays, notamment vers l’Afrique, est de plus en plus évoquée. Qu’en pensez-vous ?

Toute destination commerciale est la bienvenue pour le cas de l’Algérie, y compris les économies africaines dont certaines connaissent des taux de croissance économique appréciables, et ce, compte tenu de nombreuses contraintes qui les caractérisent.

– Comment les entreprises algériennes comptent-elles alors s’y prendre ?

La question mérite d’être posée à maints égards. Il y a précisément le fait de la taille de ces entreprises en termes de moyens matériels, humains, financiers, organisationnels et technologiques pouvant les handicaper à l’approche de ces marchés. Ensuite, il est de notoriété que les opérations d’exportation nécessitent un savoir-faire, des frais spécifiques lourds, une confrontation à de nombreux intermédiaires et une prise de risques élevée, dont on sait que les PME ne sont pas toujours à même d’accepter.

Cette nouvelle orientation de la politique commerciale vers l’extérieur ne pourra être totalement efficace ni aboutir à une amélioration de la performance de l’économie nationale et celle des entreprises industrielles si par ailleurs la politique macro-économique se caractérise par des insuffisances et des lenteurs.

– L’Afrique peut-elle constituer une alternative plus fructueuse pour les entreprises algériennes face aux difficultés d’accès aux autres marchés, notamment européens ?

Les marchés africains peuvent dans certains cas présenter des opportunités d’exportation pour des entreprises algériennes. Mais attention, il y a beaucoup de handicaps qui pourraient freiner le processus de pénétration de ces marchés. Il y a, par exemple, l’inexistence d’accords commerciaux préférentiels, d’autant plus que l’Algérie n’étant pas membre de l’OMC elle ne peut bénéficier de la fameuse clause de la Nation la plus favorisée (NPF) en vigueur entre les pays membres de l’organisation. Ce fait aura pour conséquence de pénaliser les produits algériens en termes de droits de douane et autres mesures non tarifaires de protection commerciale.

Par ailleurs, en matière d’implantation d’entités commerciales ou productives dans les pays africains, il faut tout d’abord prendre la précaution de signer des accords de non-double imposition afin de garantir sur le plan fiscal les intérêts des opérateurs algériens. Le manque d’expérience des entreprises algériennes à l’approche des marchés étrangers fait que l’Etat soit contraint de leur assurer un accompagnement adéquat.

Il existe un dispositif de promotion des exportations hors hydrocarbures (Fnspe, Algex, Cagex, CACI, etc.) qu’il faudra parfaire en tenant compte des réalités des marchés africains que personne ne maîtrise d’ailleurs. Au demeurant, il reste l’identification à faire du potentiel de produits exportables, ainsi que les entreprises qui disposent de capacités organisationnelles, humaines et financières et qui ont la volonté à vouloir développer des flux d’exportations en s’investissant dans tous les domaines touchant cette activité.

La question de l’adaptation des produits aux marchés africains, l’assistance du secteur bancaire et de la douane, l’assurance-qualité, les normes techniques, la logistique, etc., sont autant de paramètres à prendre sérieusement en considération pour espérer réussir cette expérience en terre africaine. Vouloir cibler les marchés africains, c’est bien ; le faire concrètement et durablement n’est pas évident. Quelques opérations sporadiques ont une chance d’aboutir. Ce sera un apprentissage.

Cependant, l’accès aux marchés étrangers, et pas uniquement africains, nécessite à la fois une stratégie, des ressources conséquentes et des savoir-faire. Cela se construit sur les moyen et long termes. Surtout avec la nouvelle orientation du commerce international autour des chaînes de valeur mondiales.

– Quels sont, justement, les facteurs sur lesquels il y a lieu de jouer pour améliorer le niveau des relations et passer au stade de l’investissement ?

Je considère que l’Algérie a intérêt à se doter d’une structure officielle à même de gérer ces questions qui deviennent de plus en plus complexes dans le contexte de la mondialisation. Je pense à la création d’un Secrétariat d’Etat au Commerce extérieur pour plus de synergie entre les différents acteurs concernés par les échanges commerciaux avec l’étranger.

Il y a lieu de mettre de l’ordre dans les importations, où nous constatons malheureusement beaucoup de failles. La question centrale de la diversification des exportations hors hydrocarbures est qu’il faudra se doter d’une véritable stratégie afin de pouvoir intégrer les chaînes de valeur mondiales par lesquelles des flux commerciaux seront susceptibles de se développer. La question de la normalisation et des normes internationales doit être prise en charge dans l’intérêt des entreprises algériennes.

L’accompagnement des sociétés exportatrices par les pouvoirs publics est également une préoccupation légitime à ne pas ignorer. Il y a en définitive de nombreuses interrogations qui sont en suspens depuis de nombreuses années du fait de l’absence d’une structure qui élabore des réflexions et mène des actions en profondeur car le commerce extérieur, l’investissement et la production s’organisent de plus en plus autour des chaînes de valeur mondiales (CVM).

Le règlement n°14-04 du 29 septembre 2014 fixant les conditions de transfert de capitaux à l’étranger au titre de l’investissement à l’étranger par les opérateurs économiques de droit algérien est certes encourageant pour l’activité d’exportation et d’investissement, mais cela reste insuffisant s’il n’y a pas d’autres mesures d’accompagnement.