Son économie face aux chocs externes : L’Algérie fait-elle partie de la crise ?
El Watan, 15 octobre 2008
Il y a quelques jours, un ami reprenant les termes de questionnements sans fin sur les éventuelles retombées en l’Algérie de la crise financière internationale a eu une réflexion détonante de lucidité.
Au volant de sa voiture, en écoutant une émission de radio sur les explications du ministre des Finances quant aux éventuelles répercussions de cette crise mondiale sur l’économie algérienne, l’homme est surpris d’entendre l’orateur soutenir qu’il n’y a pas de risques « à part la hausse des prix des produits d’importation ». « Les importations ? C’est-à-dire tout ! », s’exclame-t-il comme pour percer l’énigme faussement entretenue par le discours officiel.
Cette remarque a le mérite de ramener à la réalité tous les débats pédantesques de nos experts et de nous épargner d’éventuels arguments spécieux de nos politiques. Rien que pour son alimentation, en effet, l’Algérie reste très dépendante des importations. Il s’agit donc ici d’un aspect très vulnérable de notre économie et, surtout, fortement exposé aux menaces de la crise actuelle du système financier qui porte le danger de déborder sur l’économie réelle. Pour tout dire, la facture d’importations globales du pays pour l’année 2009 serait de l’ordre de 34 milliards de dollars, selon les prévisions contenues dans le projet de loi des finances actuellement en débat à l’APN.
Le taux d’inflation prévisionnel de 3,5% est en deçà de son niveau actuel (4,5%) et, en réalité, bien loin des niveaux effectifs qui doivent être supérieurs, dont une part importante serait même le fait d’importation du marché européen. Voilà donc une conséquence pour le consommateur final qui verra son pouvoir d’achat chuter davantage à mesure que l’inflation est plus grande. Cette conséquence est pour sûr une donnée qui n’est pas pour atténuer l’inquiétude des ménages, alors que la crise mondiale menace de récession. Ainsi la crise internationale peut « entrer » en Algérie par la porte du commerce d’importation.
Cependant, il y a lieu de dire que cette éventualité n’est pour l’instant pas encore avérée. Ce qui l’est, par contre, c’est la baisse de la demande de pétrole. Il s’agit là d’un scénario théoriquement possible et qui prend déjà l’allure d’une tendance qui se confirme. La baisse drastique du cours du pétrole sur le marché international, qui est passé en quelques semaines seulement en dessous des 80 dollars le baril, est là pour le rappeler. Rien qu’à l’évoquer, ce scénario donne des sueurs froides aux dirigeants de pays qui tirent la majorité de leurs revenus des exportations des hydrocarbures.
L’Algérie, par exemple, dont les exportations de pétrole et de gaz représentent quelque 98% de ses recettes en devises. Cette éventualité, comme nous le voyons, suffit donc à elle seule pour susciter toutes les angoisses tant notre économie reste dangereusement dépendante de la vente de cette ressource naturelle dont les prix se négocient sur des marchés internationaux. Mais si l’on doit se référer aux déclarations des différents représentants du gouvernement, l’heure n’est pas aux inquiétudes. Selon le ministre des Finances, Karim Djoudi, l’Algérie est « à l’abri » des effets négatifs de la crise. D’autant que le premier responsable de la Banque d’Algérie a été, lui, rassurant sur les placements (des réserves de change) sur le marché financier américain.
Tous les doutes ne sont pas dissipés au jour d’aujourd’hui sur d’éventuelles pertes qu’aurait subies l’Algérie en dépit des assurances fournies par le gouverneur de la Banque d’Algérie à qui échoit la gestion de ce matelas de devises. D’un montant de 133 milliards de dollars à juillet 2008, ces réserves de change restent une garantie financière en prévision des « années de vache maigre ». D’abord, elles représentent plusieurs années d’importations. Ensuite, elles peuvent revêtir également la fonction de soutenir la monnaie nationale au cas où celle-ci venait à s’effondrer, comme on l’a vu auparavant avec la dévaluation du dinar. Cette question cependant pose toute la problématique des performances économiques de l’Algérie.
Si nous prenons le cas du projet de loi des finances 2009, il est important de faire remarquer que le solde budgétaire (négatif) s’élève plus de 20% du PIB (produit intérieur brut, un indicateur mesurant la richesse créée durant l’année). Ce déficit sera financé en puisant dans le Fonds de régulation des recettes (FFR), un fonds où est mis le surplus fiscal recouvré par rapport à la fiscalité budgétisée, peut-être aussi longtemps que les prix du brut le permettent. Car il faut bien savoir que cela est encore possible simplement parce que les cours de pétrole restent bien supérieurs par rapport aux prix de référence servant à l’élaboration des lois de finances.
Et il est d’ailleurs intéressant de faire remarquer que pour la prochaine loi de finances, le prix de référence a été porté au niveau de 37 dollars. Là, nous sommes loin déjà des niveaux actuels des cours qui oscillent autour de 80 dollars. D’où, peut-être, la quiétude du gouvernement. Il faut convenir cependant que le gouvernement a le don de vivre dans le présent, préférant ignorer cette épée de Damoclès qui reste suspendue sur notre économie et qui a pour nom « l’effondrement des prix ». Ainsi que l’a commenté récemment un banquier français, au plus fort de la crise à la fin du mois de septembre, l’Algérie conserve encore une « marge » pour faire des affaires, la marge étant le différentiel entre le prix de référence (37dollars) et les cours de pétrole actuels.
Mais même là encore, l’écart n’est pas aussi grand qu’on pourrait être amené à le croire. En réalité, la marge est réduite si l’on tient compte du « prix d’équilibre » pour la loi de finances. A titre d’exemple, en 2006, le prix de référence qui était de 19 dollars correspondait en vérité à un prix d’équilibre de 42 dollars. C’est-à-dire que le prix de baril qu’il faut aujourd’hui pour équilibrer les dépenses et les recettes est en réalité supérieur aux 37 dollars de la loi de finances 2009. Ainsi, si l’on doit dire que notre économie n’est pas touchée immédiatement par cette crise parce qu’elle n’a pas englouti des quantités de notre si rare devise, il reste, par contre, qu’elle n’en a pas moins sonné l’alerte d’avertissement et montré notre si grande fragilité.
En réalité, cette crise financière internationale vient nous rappeler que la santé financière de l’Algérie tient… à un tuyau. Et que, contrairement aux occidentaux, notre crise est plutôt maligne.
Par Ali Benyahia