Les 12 décisions économiques irrationnelles qui vont coûter cher à l’Algérie
Tewfik Abdelbari, TSA, 26 août 2015
La gestion économique de l’Algérie souffre de lacunes importantes. De nombreuses lois, réglementations et décisions du gouvernement sont, au mieux, contestables, voire suicidaires. Dans un contexte de crise aigüe en perspective, l’heure est aux réformes structurelles sérieuses. TSA a recensé 12 décisions irrationnelles qui coûtent ou vont coûter cher à l’Algérie. Une liste non exhaustive mais qui est symptomatique de la paralysie et la mauvaise gestion de l’économie nationale. Explications.
L’accord d’association avec l’Union européenne
L’accord d’association, négocié au début des années 2000 et signé en 2005, a été initié à un moment où l’Algérie avait besoin de reconnaissance pour confirmer son fameux « retour sur la scène internationale », cher au président Bouteflika. Le pays venait de sortir d’une décennie de terrorisme. Il avait besoin de montrer qu’il était redevenu fréquentable. L’accord signé avec l’Europe ne contient que des concessions : l’Algérie ouvre son marché aux Européens pratiquement sans aucune contrepartie économique. Un accord presque immoral.
En août 2012, l’Algérie et l’UE sont parvenues à un accord prévoyant le report à 2020 de l’entrée en vigueur de la zone de libre-échange prévue initialement pour 2017. À cette échéance, l’Algérie doit avoir une économie compétitive et des entreprises performantes. Mais trois ans après avoir obtenu ce sursis, aucune amélioration notable n’a été enregistrée. Les entreprises publiques algériennes sont dans un tel état qu’il faudrait au moins vingt ans, beaucoup de compétences et des milliards de dollars pour les redresser. Le même constat s’applique à l’agriculture et à tous les autres secteurs.
Financement des projets d’infrastructures sur fonds propres de l’État
Sans doute un des éléments au centre de nombreux problèmes. Au début des années 2000, lorsque les « pétrodollars » coulaient à flot, l’Algérie a lancé de vastes projets d’infrastructures. Seulement, le choix du mode de financement, sur fonds propres de l’État en l’occurrence, est contestable.
Le gouvernement s’est vu proposer la coopération d’organismes internationaux comme la Banque Mondiale (BM) pour la réalisation de ces infrastructures en partenariat. L’Algérie aurait pu bénéficier de l’expertise et du savoir-faire, en plus des financements de l’institution monétaire à des taux très faibles.
Seulement, les dirigeants ont pensé, par arrogance, qu’il suffisait de disposer d’argent pour faire aboutir les chantiers. Mais le gouvernement et ses « experts » sont loin d’être outillés pour la gestion de tels projets. Le résultat est que la plupart ont pris des retards pharaoniques faute d’études sérieuses, à l’image de l’autoroute Est-Ouest. Surtout, le recours aux partenariats aurait pu éviter aussi l’injection massive de fonds dans les circuits de la corruption. Aujourd’hui le constat est terrible : des centaines de milliards de dollars ont été dépensées dans des projets qui n’ont pas abouti ou qui ont été mal réalisés.
La règle des 51/49% appliquée à tous les secteurs
Toute création d’entreprise en partenariat avec une firme étrangère doit maintenir un actionnariat algérien majoritaire. C’est le principe de la règle dite « 51/49% » instaurée par Ahmed Ouyahia en 2009. Elle est censée limiter les sorties devises à travers les rapatriements de dividendes et permettre de contrôler les investissements étrangers.
Sauf que la 51/49% a agi comme un épouvantail pour les investisseurs internationaux. Très peu de partenariats ont été noués alors que l’Algérie disposait d’une manne pétrolière conséquente. À l’heure des « vaches maigres », il est très peu probable que les investissements étrangers se bousculent à la porte du pays, même avec la suppression de cette règle.
Par ailleurs, en termes de sorties de devises, la mesure est loin d’être efficace. Au contraire, elle encourage des pratiques condamnables d’optimisation fiscale: ce que les partenaires étrangers perdent en dividendes, ils ont tendance à le récupérer ailleurs, par un système de prix de transferts par exemple, au détriment du Fisc, des réserves de change et de l’économie algériennes.
Le rachat de Djezzy
Un cas symptomatique de l’irrationalité de certaines décisions gouvernementales. Le rachat forcé de l’opérateur de téléphonie mobile est un véritable fiasco. L’Algérie a déboursé près de 4 milliards de dollars pour s’approprier les 51% de Djezzy à un moment où le secteur de la téléphonie mobile est en mutation et l’opérateur en déclin.
Sur la base d’un bénéfice annuel de 200 millions de dollars, la part revenant à l’État est donc de 102 millions. Dans ce cas de figure, en admettant que les bénéfices restent stables et que l’entreprise n’investisse pas un seul centime, il faudrait près de… 45 ans pour que l’État rentabilise son investissement.
Or, l’opérateur est une entreprise en déclin, dans un secteur en pleine mutation. L’internet de troisième génération (3G) constitue effectivement un relai de croissance potentiel, mais non garanti. Dans tous les cas, l’époque où le secteur des télécommunications réalisait une croissance à deux chiffres semble révolue. Ainsi, le rachat de Djezzy est une décision plus qu’incertaine.
Le blocage des privatisations
Après avoir lancé une campagne de privatisation, l’État a mis un terme à ce processus. Pourtant, les exemples de succès existent : Sim (agroalimentaire), Henkel (détergents…), la reprise de Cogec (jus) par Cevital… En effet, certaines petites et moyennes entreprises et industries (PME/PMI) n’ont rien à faire dans le giron de l’État qui n’a ni les compétences managériales, ni les fonds pour gérer ces entités économiques.
Il y a certes des exemples d’échecs, tels le complexe sidérurgique d’El Hadjar, mais le tout est de choisir ses partenaires avec attention et prévoir des garde-fous dans les clauses contractuelles.
L’aval du CNI pour les investissements
Autre facteur de blocage des investissements : le passage obligatoire par le Conseil national de l’investissement (CNI), un organe éminemment politique puisque chapeauté par le Premier Ministre, pour tout investissement supérieur à… 15 millions de dollars (avant la loi de finances 2015, ce seuil était de 5 millions de dollars !). Une somme dérisoire, une « bouchée de pain » pour un pays qui souhaite diversifier rapidement son économie.
Cette couche bureaucratique (et politique) supplémentaire, avec les lenteurs que cela implique, est un véritable frein et un repoussoir pour les investisseurs étrangers comme algériens. À force de trop vouloir contrôler et filtrer les investissements, le gouvernement fait fuir les éventuels projets, dont l’Algérie a pourtant grand besoin.
Le paiement des importations par Credoc
Le crédit documentaire (Credoc) a été introduit comme unique moyen de paiement des importations, par la LFC 2009, à l’époque où Ahmed Ouyahia était à la tête du gouvernement. Une mesure administrative qui visait à réduire ou freiner les importations. Résultat des cours ? Six ans après la mise en œuvre du Credoc, les importations n’ont pas ralenti. Au contraire, elles ont explosé et atteignent pratiquement les 60 milliards de dollars.
Cette mesure a essentiellement profité aux banques, notamment étrangères, dont la principale activité est le financement des importations. Jusqu’à leur plafonnement par la Banque d’Algérie, les commissions prélevées par les banques ont généré près de 1500 milliards de dinars chiffre d’affaires (cumulé) pour les banques installées en Algérie.
Par ailleurs, le Credoc comporte un risque : les Algériens payent cash et en totalité, avant la réception de la marchandise. De nombreux cas d’arnaques ont été enregistrés : des équipements défectueux sont livrés aux entreprises algériennes alors que les fournisseurs, ayant reçu la totalité du paiement, n’ont aucun intérêt à répondre aux demandes des entreprises algériennes, livrées à elles-mêmes.
L’IBS et l’instabilité juridique
L’impôt sur les bénéfices des sociétés (IBS) a vu ses taux changer 3 fois en l’espace de moins d’un an. La Loi de Finances pour 2015 a provoqué un tollé en augmentant l’imposition pour les producteurs et en l’abaissant pour les activités d’importation destinée à la revente en l’état. Même en tentant de rectifier le tir avec la Loi de finances complémentaire (LFC) pour 2015, le gouvernement commet une autre erreur pénalisant davantage le secteur des services.
Toujours au chapitre des bourdes, l’IBS a été modifié en cours d’année, créant la confusion autour des taux applicables. En effet, cet impôt est calculé sur un exercice plein. Or, l’exercice de 2015 tombe en partie sous le coup de la Loi de finances initiale, tandis que l’autre partie de l’exercice devrait, théoriquement, être soumise à la LFC 2015.
Le marché parallèle de la devise
Le marché parallèle des devises échappe, par définition, au contrôle de l’État. C’est un canal pour la fuite des devises et toute sorte de trafics. Pourtant le gouvernement reste impassible, voire complaisant, face à cette situation.
L’État refuse d’augmenter l’allocation de tourisme, alors que sa seule augmentation à 500 euros permettrait d’assécher ce marché de moitié, selon les banquiers. Le pouvoir politique pourrait également autoriser les compagnies d’assurances à financer les soins à l’étranger et permettre aux étudiants de convertir leurs dinars pour payer leurs études dans universités étrangères.
Dans le même temps, le gouvernement devrait interdire le versement des retraites des émigrés en devise. En effet, ces sommes sont changées sur le marché parallèle, alimentant le circuit illégal du change.
Les augmentations de salaires
Les augmentations démesurées des salaires, accordées dans le sillage des « printemps arabes », ont été un moyen pour maintenir le calme sur le front social. Ces hausses conséquentes des revenus, sans aucune contrepartie en productivité, sont une aberration économique : elles s’orientent directement vers la consommation de produits importés, augmentant la facture extérieure de l’Algérie et elles contribuent à une forte inflation.
En fin de compte, c’est une hausse artificielle des salaires qui n’augmente pas réellement le pouvoir d’achat. En effet, tout gain dans ce domaine est presque immédiatement annulé par la hausse des prix à la consommation et la dévaluation du dinar. Au final, ces hausses ont nui au pouvoir d’achat de tous les Algériens.
Subventionner les produits au lieu des personnes
Autre élément phare : les subventions massives que consacre l’État à de nombreux produits de « première nécessité ». Celles-ci coûtent extrêmement cher à l’Algérie, avec près de 29 milliards de dollars, soit près de 18% du PIB (en 2012). Surtout, leur distribution aveugle profite particulièrement aux populations les plus riches et aux industriels qui consomment l’essentiel des produits subventionnés (Exemple : Coca-Cola achète du sucre subventionné !).
Sans remettre en question la politique sociale et l’État providence, cher aux Algériens, il paraît nécessaire et inévitable de revoir le système de distribution. Il paraît plus judicieux de mettre en place un ciblage des subventions envers les catégories qui en ont réellement besoin. Cela permettrait de réaliser des économies considérables et surtout, d’avoir un système de soutien plus équitable.
La gestion de l’Ansej
L’Agence nation de soutien à l’emploi des jeunes (Ansej) n’est pas une révolution ou une invention algérienne. L’essaimage est une pratique répandue, notamment chez les grands groupes à l’étranger : accompagner des cadres pour monter projets viables.
Seulement, en Algérie, le gouvernement accorde massivement des crédits à des individus qui n’ont pas forcément les compétences ou le savoir-faire pour gérer une entreprise. Le suivi fait également défaut, à tel point que les bénéficiaires de l’Ansej sont actuellement rattrapés par la justice pour ne pas avoir remboursé leurs crédits.
Pire, le dispositif a vidé le marché du travail. Les entreprises ont du mal à recruter, tant les jeunes préfèrent attendre un crédit de l’Ansej. Le gouvernement aurait été mieux inspiré d’aider les PME à se développer en leur accordant des avantages (fiscaux, par exemple), en l’échange de recrutements de jeunes chômeurs.