Le financement à fonds perdus de l’agriculture en Algérie reste sans impact sur les prix

Le financement à fonds perdus de l’agriculture en Algérie reste sans impact sur les prix

Abed Charef, Maghreb Emergent, 24 Décembre 2012

Le financement de l’agriculture algérienne se diversifie, mais les résultats restent mitigés. Ceci est visible notamment pour les produits frais, dont les prix à la hausse constituent la principale source d’inflation. Les crédits sont, en fait, de modeste envergure. Ils sont surtout destinés aux produits dits « stratégiques ».

Paradoxe de l’agriculture algérienne : les financements paraissent importants, mais ils restent sans impact sur les prix, qui continuent de grimper, notamment depuis un an. La hausse des prix des produits agricoles constitue d’ailleurs la principale source d’inflation dans le pays, qui a atteint le taux record de 8.6% en novembre, selon l’Office National des Statistiques.

Les formules de prêts ont été diversifiées. Au prêt classique, s’ajoutent ceux consentis dans le cadre de la mise en valeur des terres, les crédits bonifiés ANSEJ (Agence Nationale de soutien à l’emploi des jeunes), et le crédit Refig (compagnon), formule star de la BADR (Banque de l’Agriculture et du Développement Rural). Celle-ci finance également le logement rural en vue de fixer les populations, mais tout cet effort reste sans effet sur les prix.

Selon l’Office National des Statistiques, l’indice des prix à la consommation a augmenté de 8,1% à Alger au mois de novembre dernier par rapport à novembre 2011, après un pic à 9.9% en octobre. Cet indice a tiré vers le haut le taux d’inflation, qui s’est situé à 8,6% en novembre 2012, contre 8,3% en octobre. Cette hausse des prix à la consommation tirée essentiellement par l’augmentation de plus de 22,6% des prix des produits agricoles frais, la viande de poulet (+41,6%), la viande de mouton (+31,8%), le poisson frais (28,2%) et les oeufs (+18,6%).

Ces résultats mitigés contrastent avec l’effort officiel destiné à relancer la production agricole. Selon M. Boualem Djebar, PDG de la BADR, celle-ci a accordé aux fellah 85 milliards de dinars (850 millions d’euros) de crédits d’exploitation en 2012, et 35 milliards de dinars (350 millions d’euros) de crédits d’investissement. Ces chiffres n’incluent pas les sommes consacrés à l’importation. Pour les seules céréales, les importations ont atteint 1.8 milliards de dollars en 2012, un chiffre en nette baisse par rapport à 2011.

Selon M. Djebbar, le crédit « Refig » est rapide, et adapté aux fellahs. Il peut être débloqué en quelques jours, alors que pour les autres formules, les délais d’attente sont en moyenne de deux mois. Toutefois, seuls 10.000 crédits « refig » ont été accordés aux agriculteurs en 2012, a-t-il dit. Par contre, les crédits d’équipement restent faibles, avec seulement 13 milliards de dinars (130 millions d’euros).

Céréales et au lait en priorité

En fait, le crédit aux agriculteurs restent mal adaptés, et n’ont donc pas d’impact sur les prix. « Les crédits répondent aux préoccupations du gouvernement, pas à ceux des fellahs », déclare un économiste. Ainsi, relève-t-il à titre d’exemple, les crédits sont d’abord consacrés aux secteurs considérés comme stratégiques (céréales, lait), dont les prix sont subventionnés, et donc stables. Par contre, les produits à forte fluctuation des prix (pomme de terre, viande, produits frais) sont peu concernés. L’Etat a ainsi financé des expériences pour assurer une agriculture d’appoint pour les céréales. Les résultats sont probants, avec des rendements qui vont jusqu’à 80 quintaux à l’hectare.

Conséquence directe de cette situation, les fellahs qui pratiquent la céréaliculture sont les plus solvables. Chez eux, le taux de remboursements est élevé, selon M. Djebbar, et seuls cinq pour cent des fellahs connaissent des difficultés, alors que dans certaines wilayas, le taux de remboursement est de 100%.

A l’inverse, le secteur de la pêche connait « beaucoup de difficultés ». Près de 500 embarcations ont été financées selon la formule ANSEJ, mais les bénéficiaires ont des difficultés à honorer les échéances de remboursement, a indiqué le PDG de la BADR.

Autre non-dit de ce dossier : l’effacement de la dette des fellahs. Près de 32.000 fellahs, sur 34.800, ont bénéficié de cette mesure, décidée par le président Abdelaziz Bouteflika comme promesse phare de son troisième mandat. 3.000 autres dossiers sont encore en suspens, et nécessitent un complément d’enquête. Mais un spécialiste du monde rural se demande si les remboursements ne vont pas chuter l’année prochaine, dès lors que les élections présidentielles approchent.

Confusion

Les chiffres de la BADR restent toutefois modestes dans l’absolu, avec moins de 1.5 milliards d’euros en 2012. Pour les trois prochaines années, la BADR prévoit de consacrer quatre milliards de d’euros de crédits à l’agriculture, un secteur qui assure 12% du PIB de l’Algérie, avec environ 22 milliards de dollars.

De plus, près de la moitié des crédits vont à la céréaliculture, sous forme de subvention : les céréales sont achetées à un prix élevé auprès des fellahs, pour encourager la production, et revendus au consommateur à un prix fortement subventionné.

Autre facteur de l’inefficacité des crédits sur les prix, le financement est d’abord destiné aux grosses entreprises, dont certaines sont publiques, comme l’OAIC (Office interprofessionnel des Céréales), qui gère les importations de céréales. Les petits fellahs, eux, sont peut touchés par les crédits. Enfin, les exploitants des terres publiques, exploitations individuelles (EAI) ou collectives (EAC), qui constituent les meilleures terres du pays, accèdent difficilement au crédit. Ne disposant pas de titre de propriété, ils ne peuvent présenter de garanties, et ne sont donc pas bancables. Le crédit Refig a tenté de contourner cette difficulté, sans grand succès. Seuls les fellahs exploitant de grandes superficies et pouvant présenter d’autres garanties peuvent réellement tirer profit des financements disponibles.