Des espaces verts «détournés» et une liquidation qui n’en finit pas
Des espaces verts «détournés» et une liquidation qui n’en finit pas
Que se passe-t-il à Bois des Cars II ?
Enquête par Chafaa Bouaiche, La Tribune, 19 avril 2008
Nous sommes en 1978. Le règne du président Houari arrive à sa fin. Conformément à l’ordonnance n° 76-92 du 23 octobre 1976 relative à l’organisation de la Coopérative immobilière et sur proposition de ses fondateurs : M.M Gaceb, Ayed, MAz, Bakour…, une assemblée générale des membres de la Coopérative s’est tenue le 9 avril 1978 au siège de la Compagnie immobilière algérienne (CIA. A l’ordre du jour : étude des statuts, dénomination de la coopérative, capital social… A l’unanimité, l’AG adopte la dénomination « Coopérative d’habitat d’Alger (CHA). L’Algérie voit naître sa première coopérative d’habitat. La CHA regroupe six sites: (02) à Bouzaréah, (01) à Hydra et (03) à Dely Brahim, ce quartier de la commune d’El Biar, avant d’accéder au statut de commune en 1985.
Le lancement des trois sites de Dely Brahim est tributaire d’un acte administratif de cession de terrain de l’APC. Le 30 juillet 1981, M. Fodil Sahraoui, maire d’El Biar, appose sa griffe sur la demande de la création de la coopérative. Un terrain de 8 hectares est cédé à la CHA. Le 20 janvier 1985, une somme de 3 720 000 DA est versée à la recette communale. Au commencement des travaux, Dely Brahim accède au statut de commune.
En 1985, les sociétaires organisent une assemblée générale qui dure trois jours: du 16 au 18 décembre. A la fin de leur réunion, les coopérateurs désignent M. Mohamed Gaceb, ancien DG de la CIA et fondateur de la CHA, en qualité de président de la CHA et installent un conseil chargé de la gestion de la coopérative.
Des demandes d’inscription affluent auprès de la CHA qui fixe une souscription de 1500 DA pour chaque adhérent. Un fois la décision attribuée, le sociétaire participe à l’achat du terrain et au coût de viabilisation (voirie, eau, éclairage, assainissement…). Le sociétaire ne bénéficie de l’acte de propriété qu’une fois acquitté de toutes les charges. Le prix d’un lot de terrain de 450 m2 est fixé au prix dérisoire de 29.000 DA ! Aujourd’hui, le prix de ce lot est fixé à 9 milliards de centimes !!!
Le 11 novembre 1992, la CHA est dissoute. Les sociétaires installent des comités de gestion. Le président de la CHA, Mohamed Gaceb, devient président liquidateur. Sa désignation, selon lui, est approuvée par le président de la Délégation exécutive communale de Dely Brahim. Le 13 juillet 1994, le président liquidateur adresse un courrier aux sociétaires pour les informer de l’enregistrement de l’acte de dissolution.
Le site Bois des Cars II est pratiquement le plus important de par sa superficie. Dans le procès-verbal établi chez un notaire, nous pouvons lire: un lot de terrain à bâtir sur le territoire de la commune de Dely Brahim anciennement commune d’El Biar daïra de Bir Mourad Raïs, wilaya d’Alger, lieu dit Bois des Cars II de la superficie de dix hectares douze ares soixante centiares. Alors que sur l’acte de cession signé par le maire d’El Biar, on peut lire 8 hectares !
Ledit lot de terrain appartient à la CHA au moyen de l’acquisition qu’elle en a faite de la commune alors d’El Biar suivant acte administratif en date du 29 novembre 1984.
Cette acquisition a eu lieu moyennant le prix principal de 6 75 600 DA qui a été payé comptant ainsi qu’il résulte des quittances énoncées dans l’acte d’analyse. Alors qu’auparavant, il est mentionné 3 720 000 DA !
Pour l’accomplissement des formalités de publicité financière, M. Gaceb a présenté le cahier des charges concernant le lotissement, un exemplaire du plan du lotissement approuvé par la DUCH de la wilaya d’Alger, après modification du lotissement, le 16 novembre 1987, annexé à l’arrêté n° 323/SDAJ.C./DCF portant transfert de propriété de la parcelle de terrain désignée en date du 10 avril 1984.
Un arrêté n° L 86.1 portant autorisation de lotir de la parcelle désignée en date du 31 août 1986.
Aujourd’hui, selon les dires de M. Gaceb, Bois des Cars II est composé de 250 lots et une parcelle lotie immeuble collectif et équipement. L’immeuble collectif est composé de 36 logements et un centre commercial. L’autorisation de la réalisation est faite par arrêté n° D1/89/160 portant permis de construire et une convention qui porte le n° 92.16.001 est signée avec le CTC centre.
La réalisation de logements collectifs pour coefficient occupation de sol. Elle vise à densifier l’assiette du terrain.
CB
L’apport de la CNEP : la polémique
Pour réaliser le projet, le président de la CHA sollicite l’apport de la Caisse nationale d’épargne et de prévoyance (CNEP). La direction de la banque donne une suite favorable. Une convention de financement d’une opération de promotion immobilière est alors signée entre le Directeur général de la CNEP et la CHA représentée par son président.
Dans son article 1, il est mentionné: «La convention a pour objet de fixer les modalités de financement par la CNEP d’un programme de promotion immobilière initiée par la CHA au profit de ses sociétaires ». L’article 2 : «Le prêt est consenti à la CHA agissant en qualité de Maître d’ouvrage pour la réalisation d’un programme de promotion immobilière tel que défini à l’article 3 ». Ce dernier stipule « la construction de 36 logements de type standing et un centre commercial ».
Le 22 octobre 1991, la CNEP accorde un prêt d’un montant de 37 035 600 DA. Un avenant n°1 d’un montant de 54 407 460 DA est accordé le 17 novembre 1991, enfin un troisième et dernier avenant est accordé à la CHA le 6 mai 1997. En effet, l’avenant a pour objet de la réévaluation et la prorogation de délai du projet 36 logements et un centre commercial. A cet effet, le montant global accordé par la CNEP à la CHA est de l’ordre de 141 millions de dinars. Selon M. Abdelakader Bellal, résident à Bois des Cars II, M. Gaceb a demandé un crédit CNEP au nom de la coopérative à l’insu des coopérateurs. « Il a détourné un terrain réservé à un équipement socio-éducatif pour ériger des immeubles au nom de la coopérative. Aujourd’hui, il les gère comme une propriété privée», regrette M. Bellal.
CB
Il est l’objet d’une polémique
Quelles prérogatives pour le liquidateur ?
Les résidents que nous avons rencontrés contestent les prérogatives de M. Gaceb, président liquidateur de la CHA. « Il se comporte comme propriétaire privé de lieux. Il vend des lots. Il vend les espaces verts. Ce n’est pas normal », dénoncent les résidents.
M. Gaceb n’entend pas la chose de la même oreille. « La coopérative est une entité privée. Le président liquidateur a toutes les prérogatives de réaliser l’actif et le passif de l’ex-CHA. A cette fin, il prend toute mesure. Dans le PV de l’AG, les sociétaires m’ont autorisé à acquérir des biens pour la coopérative et aussi vendre. J’ai le droit de prendre toutes les mesures utiles de nature légale. Mon rôle est de gérer l’aspect résiduel de la coopérative», indique M. Gaceb. Selon lui, il n’y a pas de copropriété à la CHA. « Les espaces verts et autres espaces sont gérés par le liquidateur. Chacun est propriétaire de son bien. Une fois que le sociétaire bénéficie de l’acte de propriété, il ne fait plus partie de la coopérative».
Selon M. Ouriachi, « En date du 15 octobre 1994, une correspondance notifiant la fin de mission de la liquidation de l’ex-CHA à l’égard des ex-coopérateurs, invités à retirer leur acte de propriété auprès du notaire, contre signature d’un quitus a été envoyé par M. Gaceb. La signature d’un quitus est contraire à la loi, puisque la remise d’un acte notarié de propriété par la partie obligeante et sa porise de possession par la partie obligée sont en elles-mêmes un quitus. Il vise à exclure de la coopérative toute personne ayant obtenu l’acte de propriété, ce qui permettra à M. Gaceb d’agir comme il veut», souligne M. Ouriachi.
Un exemple édifiant à ce sujet : un lot de 4000 m2 réservé à un équipement (dispensaire et un centre socioéducatif) est le sujet d’une discorde. M. Gaceb envoie un entrepreneur pour clôturer la parcelle. Les résidents protestent. Le président liquidateur souligne qu’il n’y a aucune volonté de détourner le terrain ni changer l’intitulé du projet. «La clôture vise à éviter l’empiétement de la parcelle par les riverains».
Un permis de construire est signé en date du 24 avril 2000 par les services de l’APC. «C’est également l’APC qui a signé tous les permis de modification».Par ailleurs, M. Gaceb indique que les sociétaires n’ont aucun droit de s’immiscer dans la gestion de la parcelle. « Ils ne font plus partie de la coopérative», se contente de déclarer M. Gaceb.
Concernant les modifications et autre rajout de lots, M. Gaceb souligne que toute modification fait objet de tous les examens et accords de l’APC. Pour ce faire, l’APC procède à la vérification de la propriété, vérification du plan d’aménagement qui permet ou non la modification.
CB
Détournement d’espaces verts
Des résidents dénoncent
Par Badia Amarni
Depuis quelques années, Abdelkader Bellal, résident à Bois des Cars II, se bat en compagnie d’autres sociétaires contre les modifications et rajout de lots et « la dilapidation de tous les espaces verts de la coopérative immobilière Bois des Cars II par M. Gaceb, président liquidateur de la CHA d’Alger». Nous avons visité les lieux. Le béton a pris la place de la verdure. Tous les espaces verts sont lotis et vendus. « Pis, même le couloir de desservitude des lignes de haute tension a été loti», déplore M. Bellal.
Au début des années 1990, explique M. Bellal, un espace réservé pour un équipement public, «a été détourné par M.Gaceb qui a bénéficié auprès de la Cnep d’un crédit au nom de la coopérative pour bâtir 3 immeubles de R+7. Tout cela s’est fait à l’insu des sociétaires», affirme M. Bellal.
Aujourd’hui, il reste une assiette de terrain d’environ 4000 m2 réservée à la construction d’un groupe socio-éducatif. «M. Gaceb a envoyé un entrepreneur pour clôturer cette parcelle. La résistance des résidents a dissuadé l’entrepreneur», affirme notre interlocuteur.
Selon un autre sociétaire, M. Abdelkader Ouriachi, la coopérative a été achetée avec l’apport des sociétaires. «Tout a été réalisé par nos propres moyens. La CHA n’a participé aucunement à la construction», affirme M. Ouriachi. Concernant le statut de président liquidateur de M. Gaceb, notre interlocuteur affirme que M. Gaceb s’est fait désigné. « Il n’a pas été élu par l’assemblée générale comme le prévoit la loi », précise M. Ouriachi en ajoutant que M. Gaceb n’a jamais rendu des comptes de la situation financière. « A travers le titre de liquidateur, M. Gaceb est devenu le propriétaire absolu des lieux. Il vend et partage les terrains à sa guise alors que les biens sont achetés par les capitaux réunis des sociétaires », souligne M. Ouriachi.
B.A
M. Brahim Sedrati, président de l’APC de Dely Brahim déclare :
«Il y a eu modifications et rajout de lots»
« Je peux attester que toutes les coopératives sont vielles de 20 ans. S’il y a un quelconque litige, les coopérateurs peuvent recourir à la justice. Ils doivent en revanche apporter des preuves de leurs accusations. Dans une coopérative, l’APC a un rôle d’assurer l’entretien des routes, éclairage, assainissement…
Il est vrai qu’au niveau de la coopérative il y a eu modification et des rajouts de lots. Mais tout cela est approuvé par la Direction de l’urbanisme d’Alger. Des permis de construire ont été délivrés par l’APC après avis de la DUCH. Concernant l’accaparement des espaces verts, il faut faire confiance à la justice».
Au sujet de l’espace que compte clôturer l’ex-CHA, M. Sadrati souligne que l’espace en question est réservé, dans le plan de la CHA, à un équipement socioéducatif dans la proportion qui lui revient. Les coopérateurs ne m’ont pas attendu pour ester en justice M. Gaceb. »
Tout en précisant que lui n’est pas concerné ni de prés ni de loin par ce qui se passe dans le site Bois des Cars II, car dit-il, « j’ai quitté l’APC en 1989 pour ne revenir qu’en 2007 » M. Sedrati affirme que le problème de la caducité des mandats du président de la coopérative ou du liquidateur relève, comme ils l’ont soutenu les contestataires, des instances compétentes.
CB
La Sitac est-elle légitime ?
Créée en 1992 après la dissolution de la CHA, l’association pour la défense et la sauvegarde du site Bois des Cars II «Sitac Bois des cars II» a pour mission entre autre de «promouvoir l’aménagement d’espaces verts, aires de jeux, lieux de loisir et de manière générale toutes activités légales permettant l’épanouissement des résident du site.»
Le 18 mai 2003, les résidents de Bois des Cars II tiennent une AG pour renouveler le bureau de la Sitac, non renouvelée depuis 1992.
« Ce changement est intervenu suite aux multiples défaillances et agissements préjudiciables des membres de l’ancien bureau qui exercent depuis 1992 », peut-on lire dans un courrier adressé à M. le Wali d’Alger.
C. B.
Promotions immobilières au niveau de la coopérative !
«Trois promotions immobilières privées sont érigées à Bois des Cars II. Les promoteurs ont acheté des lots de terrains chez des particuliers, en toute illégalité, pour construire des promotions immobilières. Ont-ils le droit d’acheter ces terrains ? Ont-ils le droit de construire ces immeubles ? », s’est interrogé M. Abdelkader Bellal qui attend une réponse des autorités.
C. B.