Les conditions d’un renouveau agricole
Ressources en eau, mécanisation, semences et organisation des filières
Les conditions d’un renouveau agricole
El Watan, 1er février 2016
Chute des ressources financières, faiblesse des précipitations en cette saison hivernale, et retard dans la mécanisation du secteur, des facteurs parmi tant d’autres qui ne jouent pas en faveur de la croissance du secteur agricole.
Un secteur sur lequel mise le gouvernement en cette période de vaches maigres pour booster la production hors hydrocarbures, et par ricochet les exportations. Mais aussi pour réduire la facture des importations qui a explosé ces dernières années, avant d’enregistrer une tendance à la baisse en 2015.
Ce que veut consolider le département de Sid Ahmed Ferroukhi durant ce quinquennat. L’objectif étant d’ailleurs de réaliser l’autosuffisance pour certains produits, plus précisément les viandes rouges, le blé dur et la poudre de lait à l’horizon 2019. Et d’introduire en parallèle sur le marché mondial des produits marqués par des excédents de production, à l’image de la pomme de terre et la tomate.
Le défi s’annonce difficile à relever «mais très possible», selon Chérif Omari, conseiller au ministère de l’Agriculture, du développement et de la pêche (MADRP), puisqu’il y a lieu d’intervenir sur plusieurs facteurs tout en rationalisant les dépenses : l’eau, la mécanisation agricole et les semences. Des points qui seront au centre d’une rencontre qui regroupera l’ensemble des acteurs du secteur début mars prochain.
Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, l’a annoncé le 27 janvier dernier en marge de sa visite dans la wilaya de Laghouat pour souligner le regain d’intérêt du gouvernement à l’agriculture dans la conjoncture actuelle.
Ce que nous rappellera également le représentant du MADRP, qui dira : «Avec les difficultés financières, le secteur agricole peut donner beaucoup d’éléments sur la sécurité alimentaire qui est posée aujourd’hui avec acuité.» Il s’agit donc de travailler sur deux fronts. D’abord pour réduire la facture alimentaire, et deuxièmement pour contribuer à la diversification des exportations en essayant de placer la production nationale agricole sur le marché international.
L’eau, une question centrale
Mais avec un secteur en manque d’encadrement, de structuration et de mécanisation, les conditions à assurer sont nombreuses. Ce que reconnaît d’ailleurs notre interlocuteur selon lequel le travail est déjà en marche dans un cadre coordonné, notamment sur la question centrale de l’eau. «Nous travaillons en étroite collaboration avec le ministère des Ressources en eau.
Ce qui nous permet d’assouplir les procédures», notera-t-il avant de poursuivre : «Heureusement qu’il y a eu des investissements publics qui nous ont permis d’avoir cette marge de sécurité.» Cependant, beaucoup reste à faire pour diminuer la dépendance du secteur vis-à-vis des aléas climatiques, c’est-à-dire pour adopter les systèmes d’économie d’eau. «La question est prise en charge par les deux ministères. C’est une bataille à mener tous les jours pour économiser cette ressource rare», fera t-il remarquer.
Cela dit, pour M. Omari, l’objectif d’irriguer 2 millions d’hectares de surfaces céréalières (contre 1,2 million d’hectares actuellement) à l’horizon 2019 est réalisable. Une attention exprimée par l’ensemble des acteurs du secteur, à l’image de l’Union générale des paysans algériens (UNPA) dont le premier responsable regrette la non généralisation de l’irrigation, donnant l’exemple des fruits et légumes dont seulement 700 hectares sur une surface globale de 4 millions d’hectares sont irrigués.
Des pas sont encore à franchir Idem pour la réduction des importations. Si pour certaines filières les excédents de production, à l’exemple de la tomate (un excédent de 600 000 tonnes cette année) et la pomme de terre sont là pour montrer les capacités de la production nationale hors hydrocarbures d’aller à l’international, le manque d’organisation des filières freine cette ambition affichée de part et d’autre.
Manque d’organisation
C’est sur ce chantier que travaille aussi le MADRP en organisant des rencontres régionales avec les acteurs des différentes filières. «Nous devons agir sur l’organisation des filières et des segments de filière pour consolider certains résultats et en améliorer d’autres», nous dira encore M. Omari. Le ministre a mis l’accent sur cette question, soulignant la nécessité d’améliorer le savoir-faire des agriculteurs par le biais de la formation et un meilleur accès aux techniques de vulgarisation.
Car, faut-il le noter, sans cette condition, les résulats ne seront que faibles. Les crises cycliques que traversent les professionnels du secteur viennent rappeler à chaque fois ces lacunes en termes de structuration et d’organisation. D’où l’amoncellement des difficultés et le recours systématique à l’importation d’appoint dans plusieurs cas.
En effet, au cours de ces dernières années, particulièrement entre 2006 et 2011, les épisodes durant lesquels le gouvernement a opté pour l’importation ont été nombreux. Ils ont touché plusieurs produits, à l’exemple des viandes, de la pomme de terre et de la poudre de lait. Ce n’est qu’à partir de 2013 que les factures ont commencé à connaître une tendance baissière. Mais, c’est plutôt le résultat de la baisse des prix à l’importation dans les marchés mondiaux des matières premières alimentaires.
Quelle que soit l’explication donnée à la réduction de la facture alimentaire, le département de Ferroukhi ambitionne de maintenir cette tendance baissière pour arriver, à l’horizon 2019, à éliminer certains produits déjà cités (viandes, blé dur) de la liste des importations. Le ministre a d’ailleurs fait part de cette résolution cette ambition à maintes reprises lors de ses sorties médiatiques.
Comment réaliser ce résultat en trois ans ? Pour le blé dur, un segment dans lequel l’Algérie assure 50% des besoins nationaux, le MADRP prévoit d’intensifier la production. «C’est à notre portée, d’autant que nous n’importons plus les semences depuis 20 ans. C’est déjà un acquis», nous dira M. Omari. Pour faciliter la tâche aux professionnels de la filière, le cap sera mis au cours de cette période sur la mécanisation en équipant les céréaliculteurs en moissonneuses-batteuses, notamment.
Limiter les importations
Pour le lait dont les importations annuelles oscillent entre 300 et 350 000 dont 50% par le privé, l’accent est mis sur le suivi technique des éleveurs et sur l’intensification des cultures fourragères. Enfin, concernant les viandes rouges, une filière qui enregistre annuellement des achats de l’ordre de 500 000 tonnes, le MADRP essayera de grignoter graduellement sur les quantités importées à travers l’augmentation de la production nationale sur ces trois ans (2016-2019) tout en maintenant l’équilibre sur le marché au niveau local. Le ministère de l’agriculture semble confiant pour la réalisation de l’ensemble de ces objectifs.
D’où vient cette assurance ? «Nous avons des gisements de productivité d’une grande importance à exploiter. Nous n’avons pas encore atteint la limite de nos rendements», nous répondra M. Omari donnant l’exemple des céréales dont la moyenne de production nationale représente la moitié de celle enregistrée à l’échelle mondiale, c’est-à-dire 17 quintaux à l’hectare (contre 30 quintaux à l’hectare).
L’espoir est-il donc permis pour la relance de l’agriculture ? «La crise est une aubaine. Elle nous incite à renouer avec le travail et à couper avec l’esprit de la rente», conclura notre interlocuteur.
Samira Imadalou
Slemnia Bendadoud .Consultant agricole
«Le soutien doit d’abord profiter au producteur»
Dans cet entretien, Slemnia Bendaoud, auteur de plusieurs ouvrages sur l’agriculture, revient sur la situation du secteur agricole. Il analyse les facteurs à l’origine de l’échec des politiques adoptées jusque-là. Pour ce consultant, le manque d’organisation des filières, l’absence de structuration et la faible mécanisation ne font que freiner l’essor d’un secteur dont dépend la sécurité alimentaire du pays.
Comment se présente la situation du secteur agricole en cette période d’amenuisement des ressources financières ?
Notre agriculture demeure encore traditionnelle dans sa considération et essence économique, conception technique et exploitation pratique. Fortement dépendante des marchés extérieurs pour son approvisionnement en intrants, semences, pesticides et know-how, elle en subit dans sa propre chair les contrecoups des fluctuations de leur demande et prix imposés, lesquels se répercutent impérativement dans la formation du prix à la production à l’échelon local. Nos coûts de revient en dépendent considérablement et notre marché intérieur en est tributaire bien malheureusement.
A cette dépendance, il y a lieu d’ajouter le manque flagrant d’organisation de notre secteur agricole, non encore convenablement encadré et très sérieusement structuré, trop introverti, peu mécanisé, en partie négligé et très souvent décalé au second rang si ce n’est plus loin derrière, faute justement de stratégie durable en matière de substitution aux produits pétroliers qui constituent la rente du pays.
Si cet amenuisement des ressources financières ne touche pas au volume des moyens de production de ce secteur au plan des restrictions budgétaires envisagées par le gouvernement, il évacue cependant du marché algérien ces importations souvent farfelues et très exagérées de fruits exotiques qui freinent l’émergence de leur production localement, tenant compte de la grande diversité de notre climat et maîtrise techniques de leur culture. Nombreux sont ces opérateurs privés qui ont toujours versé dans ces «solutions de facilités liées à l’importation des produits finis» au détriment de la recherche de réelles perspectives à nos produits nationaux, autrefois très prisés sur les marchés asiatique et européen.
Quel serait l’impact du recours aux licences d’importation pour certains produits agricoles ?
L’organisation du marché des facteurs de production au sein du secteur agricole est une donnée incontournable dans la maîtrise des plans de production et des échanges avec l’extérieur à développer à travers la promotion des exportations de nos produits agricoles. Notre diversité climatique est en mesure de nous placer parmi les producteurs d’un très large éventail de fruits et légumes dans le monde au vu des très grandes ressources naturelles dont nous disposons et qui restent malheureusement peu utilisées ou, plus grave encore, carrément ignorées.
Une très solide agriculture repose essentiellement sur une organisation qui s’appuie sur un système associatif des paysans adhérant à des filières liées entre elles à travers des programmes communs et un but précis, avec cependant des objectifs d’étapes ou de paliers. La limitation en amont des produits agricoles importés favorise les paysans à entrevoir leur production localement. Cela peut également jouer comme facteur stimulant à leur production sur le sol algérien.
A l’opposé de l’instauration de ces licences d’importation des produits agricoles, les pouvoirs publics sont tenus de penser dès à présent à la nécessité de lever immédiatement les contraintes bureaucratiques et autres mobiles ou alibis qui démotivent toute action liée à leur exportation.
Le ministère de l’Agriculture envisage d’arrêter l’importation de certains produits comme les viandes et le blé dur d’ici à 2019 : la mesure sera-t-elle applicable avec le retard pris dans l’organisation des filières agricoles ?
De nos jours, à qui appartient la terre arable ? La réponse fuse tel un éclair : au béton, à ces bâtisses hideuses qui ont pris leurs quartiers au sein de nos généreux prés et très prolifiques champs de blé. Pourquoi le grenier de Rome est-il devenu cette poubelle de l’Europe ? Cette question a de quoi rendre fou de rage le paysan algérien ! Avec le temps, ce fut cette vocation perdue à jamais et une dépendance qui s’accentue d’année en année. La suppression de l’importation des viandes (rouges et blanches) est très opportune.
Plus que nécessaire ! Elle peut même être effective dans les semaines qui suivent sans pour autant influer sur les cours ou la régulation du marché national, étant entendu que le cheptel ovin, évalué à plus de 20 millions de têtes, peut même dégager une part à l’exportation au cas où une véritable prospection en la matière venait à être réalisée au vu de la qualité supérieure de notre viande ovine.
Sous le fallacieux prétexte de faire fléchir les prix des viandes rouges au stade de détail, d’importantes quantités de ces produits ont été importées sans jamais atteindre le but projeté, vu que le rite religieux, ainsi que les habitudes de consommation constituent parfois de très sérieux handicaps quant à leur facile écoulement ou réelle substitution aux produits dits frais.
Concernant le blé dur, il y a lieu de préciser que plus de 40% de la population algérienne en consomment de façon permanente, régulière et journalière, sauf que la production locale reste insuffisante quant à la couverture de ce besoin, d’où le glissement de la demande vers d’autres produits de substitution.
Il reste néanmoins à préciser que l’Etat perd beaucoup d’argent dans cette rente souterraine versée indûment et indirectement aux minoteries, semouleries, laiteries, fromageries, indues boulangeries, usines de transformation d’aliment de bétail et de CMV et autres opérateurs intervenant dans le secteur.
Le soutien doit d’abord profiter au producteur et en facteurs de production seulement. Mais pas à toute une chaîne d’intervenants sous la forme d’une rente souterraine qui gangrène la filière. C’est plutôt notre concentration sur notre métier de base qui doit impulser désormais les vrais leviers de l’organisation de nos filières agricoles.
Qu’en est-il de la filière pomme de terre ?
Sur un total de 200 000 hectares en irrigué, ce féculent s’approprie pour son exploitation plus de la moitié des terres en termes de superficie qui lui est réservée sur l’ensemble des deux récoltes réalisées en une seule année (celle dite de saison et celle de l’arrière-saison). Il reste que nous sommes toujours dépendants des marchés étrangers pour ce qui de la «semence élite» dont le volume de son importation oscillant et très fluctuant d’année en année (1200 à 1500 t environ), faute de planification et d’absence d’usines de transformation ou de débouchés à l’exportation, fait tantôt grimper ses prix, tantôt chuter leurs cours, perturbant sérieusement la filière qui ne dispose cependant pas de plan de culture rigoureux et figé dans le temps.
Dans un marché national essentiellement concentré sur l’intra-consommation, il est évident que les variétés très prisées soient celles dites «potagères» dont la «Spunta», laquelle à elle seule représente plus 70% de sa culture au vu de son rendement, gros tubercule et design, et ce, en dépit de sa très faible résistance aux maladies et au stockage prolongé.
Son marché alterne tantôt des saisons caractérisées par de gros gains dont profitent surtout les intermédiaires et tantôt d’importantes pertes que subissent dans leur propre chair les fellahs, dont une bonne partie se ruine dès que baissent sensiblement les prix au stade de gros pour quitter à jamais la profession.
Au vu des grandes potentialités dont dispose le pays au plan de son développement, la filière pomme de terre a vraiment besoin d’une nouvelle réorientation à tous les niveaux de sa culture et surtout au niveau des espèces de sa commercialisation.
On se doit d’aller vers un système de régulation au travers d’une diversification variétale tournée vers les marchés internationaux afin de lancer des variétés en rapport avec la demande internationale et ses nombreuses exigences sur la base de relations contractuelles et de programmes pluriannuels.
Aussi, le traitement mécanisé du produit fini (manufacturé) doit aider la profession à se hisser au niveau des standards internationaux pour conquérir des marchés à l’exportation, tenant compte de la qualité hautement appréciée du produit algérien planté dans le Sud du pays, en raison de son sol sablonneux qui donne de très beaux et harmonieux tubercules.
Un effort particulier est à espérer en matière de production de la semence élite locale à travers la dynamisation des fonctions dévolues aux centres de son expérimentation et vulgarisation, devant ainsi graduellement se substituer aux importateurs de cette même semence, dont leur intervention au sein du marché algérien profite beaucoup plus aux firmes internationales qui monopolisent la commercialisation de ce produit vital pour la consommation des ménages.
Samira Imadalou
Le système SYRPALAC en quête d’amélioration
La filière pomme terre reflète le manque d’organisation du secteur
La filière pomme de terre est l’illustration type du manque d’organisation des filières agricoles.
Alors que durant des années le secteur faisait face à l’inadéquation entre la production et le besoins nationaux en ce féculent (d’où le recours à l’importation), c’est le contraire qui s’est produit au cours de ces derniers exercices. Mais cet excédent de production n’arrive malheureusement pas à être géré faute justement de structuration de la filière. La pomme de terre a inondé le marché avec des prix abordables pour les consommateurs, entre 25 et 35 DA le kilogramme.
Une situation qui n’arrange pas les agriculteurs qui ont essuyé des pertes importantes avec un prix à la sortie de l’exploitation, chutant en dessous du prix de référence (27 DA/kg) appliqué depuis juin dernier dans le cadre du Système de régulation des produits agricoles de large consommation (Syrpalac). «Nous n’arrivons ni à exporter ni à stocker», nous dira un agriculteur. «L’organisation n’est pas bien installée», expliquera par ailleurs un professionnel de la filière, laquelle compte, pour rappel, 100 000 agriculteurs.
L’arrivée de nouveaux bassins de production a en effet impacté positivement sur la production, mais pas sur l’organisation. Même constat du côté du MADRP, qui pointe du doigt le Sypralac. Un système en quête de changement pour plus de performance. Ce à quoi s’attelle le ministère de l’Agriculture à travers l’évaluation dudit système. Il s’agit surtout d’améliorer les capacités de stockage et d’assurer une synchronisation entre les bassins de production et les chambres froides.
C’est-à-dire investir dans les aires de stockage là où la production est importante, à l’image de Oued Souf. Dans cette région, la SGP Proda a lancé un programme de réalisation de chambres froides. Le privé a suivi. Faudrait-il noter que le ministre a relevé l’impératif de «dépasser l’étape de stockage» des produits agricoles vers l’investissement dans l’infrastructure de base.
Et ce, pour permettre le tri et l’emballage des produits sur les lieux-mêmes de leur production, tout en facilitant leur commercialisation. Un travail de longue haleine. Pour rappel, le gouvernement a pris des mesures pour le stockage de près de 40 000 tonnes de pomme de terre d’arrière-saison à l’échelle nationale en vue de réguler le marché. Le volume de pomme de terre destinée au stockage jusqu’à mars prochain s’ajoutera à près de 10 000 autres tonnes actuellement en stock, sur un total de 123 000 tonnes de pomme de terre stockée depuis juin dernier.
Samira Imadalou