Pourquoi les Algériens fuient-ils les campagnes ?

Chômage, terrorisme et manque d’infrastructures

Pourquoi les Algériens fuient-ils les campagnes ?

Par : Hamid Saïdani, Liberté, 18 juin 2008

Le dernier recensement général de la population et de l’habitat vient de révéler un chiffre des plus inquiétants. Plus de 80% de la population algérienne vivent dans les villes, dont la majorité est concentrée sur le littoral. Le ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, M. Noureddine Yazid Zerhouni, n’a pas manqué de mettre en relief cette statistique révélatrice d’une évolution surprenante des mouvements des populations vers les villes. Commentant ces chiffres, le ministre a rappelé que dans les années 1960, 1970 et 1980, “la population urbaine n’était que de 30% et le reste était rural”. Il a indiqué que “cela signifie que les deux tiers de la population des villes sont des gens qui sont venus récemment de la campagne”. En faisant ce parallèle, M. Zerhouni voulait certainement démontrer que le déplacement des populations s’est effectué de manière accélérée durant les 20 dernières années. Mais qu’est-ce qui pousse les citoyens à quitter les zones rurales pour se concentrer dans les villes et les chefs-lieux ? Quelles sont les raisons de cet abandon des campagnes ? Le recensement réalisé en avril dernier devrait nous éclairer sur ce phénomène social. Cependant, il faut attendre le traitement de toutes les statistiques recueillies lors de cette opération pour pouvoir analyser la situation. Toutefois, il suffit d’observer les évolutions qu’a connues la société algérienne de manière générale durant ces 15 ou 20 dernières années pour comprendre ce mouvement des populations.
Sans aucun doute, le terrorisme se trouve à la tête des causes qui ont poussé les Algériens des campagnes à abandonner tout derrière eux pour rejoindre les villes. D’après des statistiques non officielles, on compte plus d’un million de déplacés en Algérie du fait du climat de terreur qui régnait dans les zones rurales dans les années 1990 et dans d’autres jusqu’à présent. La recherche de plus de sécurité constitue donc l’un des paramètres qui incitent nos ruraux à se réfugier dans les villes et les agglomérations urbaines, quitte à laisser derrière eux tous leurs biens. Mais il n’y a pas que le terrorisme qui fait fuir les gens des campagnes. Il y a aussi l’absence dans les zones rurales de conditions de confort social (santé, éducation, logement décent…) qui, lorsqu’elle se conjugue avec un taux de chômage des plus alarmants, pousse ces populations à faire mouvement vers les agglomérations à la quête de meilleures conditions de vie. Les chiffres rendus publics démontrent on ne peut mieux l’échec total des politiques de développement menées jusqu’à présent, notamment celles destinées à maintenir les populations rurales en campagne.
Il est vrai que plus globalement, ces politiques de développement n’ont accordé que peu de place pour les régions rurales où l’on manque de tout (eau, électricité, assainissement, structures de santé, écoles, routes, lieux de distractions…), bien que des efforts aient été consentis dans ces domaines par l’État depuis l’indépendance. Les statistiques du recensement ont également mis à nu les failles de la politique agricole qui n’a pu jusqu’ici inciter les populations issues des zones rurales à y retourner ou à s’y maintenir. Il faut dire aussi, sur un autre plan, que l’État détient une grande part de responsabilité dans une telle situation puisque même les grands projets et les investissements économiques sont concentrés dans ou autour des villes. Cela pousse les populations à la recherche d’un emploi, notamment les jeunes, à aller en ville. Le recensement aura donc eu le mérite de montrer les limites des stratégies de développement conduites par les pouvoirs publics.

Hamid Saïdani