L’Etat en panne d’idées pour dynamiser le Sud
Les mesures en faveur de la région se multiplient
L’Etat en panne d’idées pour dynamiser le Sud
El Watan, 11 novembre 2013
En passe d’être adoptée, la loi de finances pour 2014 a prévu de nouvelles mesures destinées à encourager l’investissement dans le sud du pays.
Visant les jeunes promoteurs et les chômeurs des wilayas du Sud, ces dospositions prévoient notamment la prorogation des périodes d’exonération au profit des microentreprises bénéficiant de l’aide du fonds du Sud, créé dans le cadre des dispositions Ansej et CNAC à dix 10 ans au titre de l’IBS, l’IRG, la TAP. Des mesures supplémentaires qui viennent s’ajouter à plusieurs autres décidées par l’Etat en faveur d’une région riche en ressources naturelles, mais mal lotie en matière de développement. Le fait est que l’activité pétrolière et gazière est loin de rayonner sur la population de la région, aggravant davantage les inégalités territoriales par rapport aux populations du nord du pays.
Les statistiques officielles l’attestent, puisque quelle que que soit l’activité économique, c’est le Nord qui reste dominant en captant 34% de l’ensemble des entités économiques contre 9% pour le Sud, seulement, selon le rapport 2011 du Conseil national économique et social (CNES) sur le développement humain. C’est pourtant au Sud que la pression de l’offre de main-d’œuvre est la plus forte sur le marché du travail. Entre 1998 et 2008, cette offre s’est accrue en moyenne de 8,3 dans le Sud contre environ 5,3% pour le Nord.
En matière d’investissements, les chiffres de l’Agence nationale pour le développement de l’investissement montrent qu’il y a 5 fois plus de déclarations d’investissements pour le Nord que pour le Sud. C’est pourtant dans le Sud que l’accroissement de la population est le plus prononcé, avec en moyenne 2,5% de croissance, selon le recensement démographique de 2008.
Si les analyses des experts font état d’un défaut de développement sur le plan national, la région du Sud nécessite pourtant un traitement particulier, ce que l’Etat reconnaît en consacrant des programmes budgétaires spéciaux et un fonds spécial qui prend notamment en charge les besoins en équipements et une partie de la facture de l’électricité des ménages, des agriculteurs et des activités économiques non agricoles. L’Etat reste ainsi le principal investisseur dans le Sud, avec un programme d’investissements qui avoisine les 1400 milliards de dinars sur la période 2005-2013.
Mais tout cela reste insuffisant, a priori. Selon Tahar Belabes, coordinateur du Comité national pour la défense des droits des chômeurs, organisation à l’origine de mouvements de protestation qui ont secoué plusieurs wilayas du Sud au début de l’année 2013, «le développement dans le Sud, qu’il soit économique ou humain est interdit» et les investissements qui y sont réalisés sont «une façade. Il ne sont pas réels et ne créent pas véritablement d’emplois durables». Notre interlocuteur avait, au moment des manifestations, remis en cause l’efficacité des dispositifs Ansej et CNAC, estimant que seule la création d’entreprises peut engendrer de l’emploi.
Le privé rebuté
Il faut dire qu’en matière d’activité économique dans le Sud, l’investissement est relégué au second plan, puisque plus de 50% des entités économiques existantes sont versés dans le commerce, alors que 9,5% seulement opèrent dans l’industrie.
Au lendemain de la grogne des chômeurs, les opérateurs économiques de la CIPA (Confédération des industriels et producteurs algériens) avaient lancé une caravane pour le Sud, au cours de laquelle ces chefs d’entreprise ont pris attache avec les autorités locales dans certaines wilayas, notamment Ghardaïa pour y engager des projets d’investissements. Zaïm Bensaci, président du Conseil national consultatif de la PME, qui avait pris part au périple, en fait un bilan mitigé.
«Sur 50 dossiers qui ont été déposés par les investisseurs, seulement 5% ont commencé à avoir un retour sur leur demande, mais même les réponses sont insuffisantes». Ces opérateurs ont demandé des terrains pour développer des projets dans les secteurs de l’agriculture, les stations thermales, la mécanique, toutefois, ils sont toujours dans «le flou». Selon notre interlocuteur , «les autorités locales ne s’impliquent pas suffisamment à cause du laisser-aller, ou des réticences».
Le problème crucial qui se pose pour les opérateurs concerne l’attribution du foncier et «les walis n’ont pas d’instruments juridiques pour décider en la matière», estime Mahfoud Megatli, secrétaire général de la Confédération générale des entrepreneurs algériens»
Si les conditions fiscales sont «intéressantes» pour investir dans le Sud, selon M. Bensaci, cette région n’est pourtant pas «exploitée car l’investissement y est difficile à cause du climat, de l’éloignement et du manque d’infrastructures». Sans compter que «les autorités locales n’ont rien fait pour attirer les investisseurs», regrette le président du conseil consultatif.
Limites de l’état
«On ne peut rien faire si nous n’avons pas d’accompagnement», affirme M. Megatli , qui met en avant «un déficit de main- d’œuvre locale, puisque tout le monde veut travailler dans le pétrole, et des banques qui n’accordent pas d’avantages pour les investisseurs qui veulent aller au Sud, comme des taux bonifiés sur les crédits».
Pourtant l’ANDI accorde bien des avantages aux investisseurs qui souhaitent s’implanter dans certaines régions du Sud et l’Etat a décidé de nouvelles mesures supplémentaires pour encourager l’investissement dans la région, mais «seulement après les protestations», note le chef d’entreprise. Il a notamment décidé d’une bonification de 100% du taux d’intérêt des prêts accordés par les banques pour les projets initiés dans le cadre des dispositifs Ansej et CNAC par les jeunes dans les dix wilayas du Sud.
L’Etat a, en tout cas, annoncé la couleur, le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, déclarant il y a quelque temps qu’«il est impossible que la Fonction publique crée plus d’emplois. Il s’agit maintenant d’encourager le secteur économique, qu’il soit public ou privé, à créer des postes d’emploi».
Qu’ils soient d’ordre bancaire, administratif ou de main-d’œuvre, ou qu’ils concernent le foncier, les problèmes dont souffrent les wilayas du Sud ne sont pas spécifiques à cette région. Ces causes à l’origine du manque d’attractivité pour l’investissement ont, en effet, été avancées pour tout l’ensemble du territoire du pays. Simplement, même si le sous-développement est national, les disparités régionales entre le Sud et le reste du pays, peuvent difficilement être occultées.
Repère :
Le fonds spécial de développement des régions du Sud comptait à la fin de 2012 un montant de 238,4 milliards de dinars, selon le Premier ministre, Abdelmalek Sellal.
Financé à hauteur de 2% par les recettes de la fiscalité pétrolière, ce fonds prend en charge près de 50% de la facture de l’électricité des ménages et des agriculteurs dans les régions du Sud, selon la loi de finances 2008. Depuis 2011, il finance également «la réduction à hauteur de 10 % de cette facture au profit des activités économiques non agricoles dans les wilayas du Sud». Entre 2006 et 2012, le fonds a consommé 68,7 % de ses ressources sachant que 641,7 milliards de dinars lui avaient été injectés depuis 2006. Cette année-là, l’Etat avait en outre accordé un programme spécial complémentaire de développement de 377 milliards de dinars à dix wilayas du Sud (Adrar, Laghouat, Biskra, Béchar, Tamanrasset, Ouargla, Illizi, Tindouf, El-Oued et Ghardaïa).
Safia Berkouk