L’Algérie face à la pression démographique

Besoins en hausse, ressources en baisse : L’Algérie face à la pression démographique

El Watan, 6 avril 2015

Très fortement dépendant d’une rente d’hydrocarbures en déclin, le gouvernement algérien a de quoi s’inquiéter des toutes récentes données démographiques que vient de livrer l’Office national des statistiques (ONS).

Comment, en effet, s’y prendre pour employer, nourrir, loger, scolariser, soigner et équiper une population qui vient d’atteindre 40 millions d’habitants et qui compte exclusivement sur l’Etat pour pourvoir à cette demande sociale.

Le budget de l’Etat qui se rétrécit au gré du déclin permanent des recettes pétrolières et de l’explosion des dépenses publiques, ne pourra, à l’évidence, jamais subvenir aux besoins d’une population déjà suffisamment pléthorique et qui, de surcroît, enregistre un peu plus d’un million de nouvelles naissances chaque année. Il n’y aurait certainement pas eu d’inquiétudes à se faire si l’Algérie avait assis son développement sur une industrie émergente, une agriculture intensive et un tourisme florissant.

Ces nouvelles naissances seraient autant de bras au service du développement du pays. Ce qui n’est à l’évidence pas le cas, notre industrie étant en pleine phase de désertification, l’agriculture à l’abandon et le tourisme encore à l’état de jachère.

Plus grave encore, la population ayant tourné le dos à l’Algérie profonde, ce sont les villes côtières qui supporteront, en plus de l’exode rural qui s’accélère, le plus gros des nouvelles naissances. Le surpeuplement de ces villes, avec tous les risques sociaux, sécuritaires et sanitaires qu’il comporte s’inscrit parfaitement dans la logique de ce bouleversement démographique largement entamé. C’est un problème national majeur dont devrait d’ores et déjà se préoccuper le gouvernement s’il tient vraiment à éviter à son pays l’irréparable.

Il faut en effet que nos gouvernants prennent bien conscience que si le taux de croissance démographique se maintient à son très bas niveau actuel (2,15%) mais, pire encore, s’il venait, comme il est sérieusement à craindre, à augmenter, la population algérienne qui s’élevait déjà à 39,5 millions d’habitants en janvier 2015 dépassera allègrement les 50 millions à l’horizon, pas très lointain, de 2025.

Près de 70% de cette population sera en âge de travailler, ce qui, à l’évidence, posera problème pour un pays qui n’a, pour l’instant, pris aucune mesure forte de nature à garantir des emplois et des conditions de vie décentes, ne serait-ce qu’à une part significative des personnes en âge de travailler.

Sans mesures fortes de nature à mettre fin à la désertification industrielle et agricole qui lamine l’économie algérienne, le pari sera à l’évidence impossible à tenir dans les conditions de gouvernance actuelles. Les résultats mitigés de la croissance (à peine 3%), l’absence d’offensives en matière de réformes, la gestion des affaires publiques sans vision prospective, l’exclusion du privé du financement des équipements collectifs, et la régression continue de l’activité industrielle ne poussent effectivement pas à l’optimisme.

Pour faire face à l’explosion de la demande sociale que cette très forte poussée démographique va engendrer, il faudrait en effet créer pas moins de 12 millions d’emplois nouveaux, construire des centaines de milliers de logements dotés d’équipements collectifs, assurer la formation de plus de 12 millions d’élèves et étudiants, et garantir les soins et la sécurité sociale à une population de plus en plus nombreuse et vulnérable (3,3 millions de personnes âgées de plus de 60 ans, 12 millions d’enfants de moins de 15 ans, 1 million de femmes accouchant chaque année.

Le pari d’une prise en charge correcte de la demande sociale sera d’autant plus difficile à tenir qu’il faudra opérer dans un contexte de forte érosion des recettes d’hydrocarbures et, plus largement, de la rentabilité fiscale que les niveaux de croissances industrielle et agricole risquent de compromettre.

L’avenir économique pour un pays qui a lié son sort à celui de la rente pétrolière sans se soucier de la mutation à tous points dangereuse de sa démographie paraît, de ce fait, sombre et porteur de graves périls pour la cohésion sociale et la stabilité politique. Si rien de sérieux n’est entrepris pour prendre en charge cette demande sociale additionnelle, de graves troubles politiques et sociaux pourraient en être les conséquences logiques.

Il est, par conséquent, temps de passer dès à présent à un nouveau modèle de croissance qui ne sera plus, comme c’est actuellement le cas, porté exclusivement par l’Etat, mais par toutes les forces vives de la nation.

L’Algérie ayant aujourd’hui la chance de disposer de dizaines de milliers d’entrepreneurs et hommes d’affaires disposant, pour certains, d’énormes fortunes, la sagesse politique recommanderait de les impliquer dans le financement d’une part significative des infrastructures et équipements publics à réaliser.

Nous demeurons toutefois convaincus que ce nouveau régime de croissance auquel l’Algérie aspire reste tributaire de l’avènement d’un nouveau régime politique porteur d’une tout autre approche du développement économique et social que celle qui a de tout temps prévalu en Algérie (développement au seul moyen de la rente pétrolière).

Les réformes à entreprendre étant longues et particulièrement difficiles à mettre en œuvre, il est indispensable que ceux qui seront chargés de conduire le changement disposent d’une légitimité politique sans faille, ne serait-ce que pour développer un discours favorable au planning familial et à un aménagement du territoire plus harmonieux.

A défaut, les mutations systémiques espérées risqueraient d’être compromises par l’hostilité de certaines forces politiques et sociales qui craindraient de perdre des rentes de situations et des privilèges.
Nordine Grim


Hausse des besoins, baisse des ressources

L’économie nationale à l’épreuve de la croissance démographique

Croissance démographique d’un côté, faible croissance économique de l’autre. Avec plus de 40 millions de bouches à nourrir dès l’année prochaine, les responsables du pays seront confrontés dans les prochaines années aux besoins croissants d’une population plus nombreuse.

Nourrir plus de monde avec moins d’argent dans les caisses dans un contexte où les hydrocarbures resteront la principale source de revenus extérieurs pour le pays constituera un véritable casse-tête. «Le coût du développement pour 40 millions d’habitants n’est pas le même que pour 20 millions», observe l’économiste Abderrahmane Benkhalfa.

Et avec une économie dont les relents sociaux sont prononcés, l’impact est considérable. «Plus nous serons nombreux, plus le coût des subventions sera élevé, et plus il sera difficile pour le budget de l’Etat de le prendre en charge». Selon l’office national des statistiques (ONS), l’accroissement naturel de la population a presque doublé sur les quinze dernières années et le taux brut de natalité est passé de 19% à 26%. Cet accroissement s’est jusque-là fait au détriment des déséquilibres régionaux.

La densité de la population sur la bande littorale s’accroît beaucoup plus vite que la densité nationale. Sur la décennie 1998-2008, la densité nationale est passée de 12 à 14 habitants au km2, alors que dans les wilayas du littoral elle est passée de 244 à 274 hab/km2. Le fort accroissement d’une population peut parfois être considéré comme un frein au décollage économique.

Cela était le cas pour l’Algérie après l’indépendance. Pression sur le marché du travail, du logement, sur les besoins alimentaires, énergétiques, etc., une population plus nombreuse engendre «des exigences nouvelles et plus grandes», estime M. Benkhalfa. En revanche, «la baisse de la natalité accroît initialement la proportion d’actifs, ce qui est favorable à l’essor économique du pays», explique Hyppolite d’Albis, spécialiste en économie démographique, non sans souligner que par la suite «la baisse de la natalité a un effet négatif en accroissant la proportion de retraités».

Si l’Algérie n’est pas dans le cas d’une baisse de la natalité, elle est néanmoins dans une situation de hausse du ratio de dépendance démographique (proportion des personnes de moins de 15 ans et de plus de 60 ans par rapport à la population en âge d’activité, soit 15-59 ans).

Pression

La part des moins de 15 ans a encore progressé, ainsi que celle des plus de 60 ans ; en revanche, la population en âge de travailler continue de régresser.

La population algérienne est encore loin du vieillissement (les plus de 60 ans représentant moins de 9% de la population), mais ces chiffres peuvent servir à réfléchir «à des dispositifs publics et sociaux» en matière de prise en charge des personnes âgées, ainsi qu’à «la soutenabilité d’un système de retraite et à l’offre de soins et de services aux personnes dépendantes», estime
Hyppolite d’Albis. Pour les jeunes, il s’agit de penser aux moyens de créer de l’emploi aux nouveaux entrants sur le marché du travail avec une croissance fébrile (moins de 5% ces 15 dernières années).

Abderrahmane Benkhalfa affirme qu’il faudra «doubler le PIB actuel» pour prendre en charge les besoins futurs.

Kamel Kateb, chercheur à l’Institut national des études démographiques (France), dans une étude sur la «Transition démographique et le marché du travail en Algérie» (2010), estimait qu’il faudra «créer deux fois plus d’emplois à l’horizon 2020 pour répondre à la demande».

Le chercheur se base dans cette étude sur des projections de l’ONS (18,5 millions de la population active en 2020) et sur les chiffres de l’emploi de l’ONS de 2008 (9,1 millions d’emplois et 1,2 million de chômeurs). Selon lui, la demande d’emploi additionnelle pourrait se situer entre 250 000 et 300 000 entre 2015 et 2040.

Alternatives

Pour tous ces besoins, l’Algérie devra trouver un choix alternatif aux revenus de l’énergie pour plusieurs raisons, dont la durée de vie des ressources conventionnelles, l’évolution des cours du pétrole, ou encore l’augmentation de la consommation interne d’énergie. Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a récemment déclaré que la durée de vie de nos hydrocarbures conventionnelles a été prolongée jusqu’en 2037. L’ancien ministre de l’Energie, Nordine Aït Laoussine, parle quant à lui d’épuisement à l’horizon 2030 si aucune nouvelle découverte significative n’est pas réalisée.

Mohamed Beghoul, expert en énergie, affirme que les volumes commercialisés annuellement sont nettement supérieurs aux volumes découverts. Abderrahmane Mebtoul, citant des simulations de revenus d’exportation en 2013, parlait de possibilité de réaliser «des recettes de 55 milliards de dollars/an jusqu’en 2040 en supposant que les prix restent au niveau actuel».

A l’époque, ils étaient encore au-dessus des 100 dollars le baril. Mais depuis, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a écarté toute éventualité d’un baril à 100 dollars, tablant sur un prix autour des 73 dollars d’ici à 2020. De surcroît, la hausse de la consommation interne d’énergie pose également problème.

En dix ans (2003-2013), la consommation primaire d’énergie a augmenté de plus de 50%. Selon la CREG, les niveaux de nos besoins en gaz naturel se situeraient aux horizons 2020 à 54 milliards de m3, soit le double de la consommation actuelle. A ces besoins s’ajouteront les volumes à exporter qui sont déjà en baisse depuis quelques années. L’Union européenne s’inquiète d’ores et déjà de la capacité de l’Algérie à honorer ses engagements à long terme. Autant de préoccupations à prendre en compte.

Reste à savoir si l’Etat, dans l’urgence de la situation actuelle et la précipitation qui a suivi la chute des cours pétroliers, pourra se soucier de l’après-2019.
Safia Berkouk


Chômage, logement, investissement Les politiques publiques otages de l’urgence

Au lendemain de l’indépendance, l’Algérie comptait environ 10 millions d’habitants. En 2020, ce chiffre aura plus que quadruplé. Les décideurs actuels ont-ils anticipé sur les changements à venir pour préparer les réponses adéquates ?

Rien n’est moins sûr. Les politiques économiques et sociales adoptées jusque-là ont été souvent empreintes de populisme, surtout ces dernières années, quand elles n’ont pas péché pas par manque de planification. Des politiques qui ont accentué les disparités régionales au profit des habitants du Nord et au détriment de ceux du Sud et des Hauts-Plateaux. Selon les statistiques de l’ONS, la densité de la population est de 274 habitants au km2 sur la bande littorale, contre moins de 2% dans le Sud.

Plus de 85% de la population résident en milieux agglomérés, et plus de 63% des agglomérations urbaines sont dans le Nord du pays.

L’ONS parle de «déséquilibre persistant dans la répartition» de ces agglomérations. En matière d’emploi, de logement ou d’orientations économiques, l’idée a toujours prévalu de parer au plus urgent. La transition de l’économie socialiste administrée vers l’économie de marché, entamée dans les années 90’, n’est pas encore achevée, mais dans le processus d’ouverture tous azimuts, le pays a laissé des plumes (40% de l’économie informelle, un accord d’association avec l’UE désavantageux, des importations démesurées).

Les privatisations avortées, la stratégie industrielle vue et revue avec chaque nouveau ministre du secteur, les lois de finances complémentaires, ou encore les tergiversations autour des investissements étrangers sont les exemples d’une «navigation à vue», comme cela est souvent reproché au gouvernement.

Les bouleversements dans l’économie mondiale de 2008 et 2014 ont notamment mis en avant les lacunes d’une économie réduite à réagir aux crises par des ajustements conjoncturels, car pas suffisamment outillée pour y faire fasse, à défaut de pouvoir les anticiper.

Les programmes présidentiels de relance, de soutien et de consolidation de la croissance se sont quant à eux limités à un objectif d’investissements publics pluriannuels et multisectoriels, avec des surcoûts de réalisation importants et une gabegie sans précédent. et ce, avec toutes les conséquencs sur ele plan social et même territorial. Aissa Delenda, directeur du laboratoire stratégie de population et développement durable à l’université d’Oran estime à ce sujet .

«Quelque soit le poids de la démographie, les disparités entres les catégories sociales et les régions, ou les secteurs d’habitat, vont persister en raison des inégalités de la répartition des ressources».

POur notre chercheur, «Les difficultés dans le secteur de l’emploi seront encore plus difficiles à surmonter durant la prochaine décennie en raison de l’arrivée de gros effectifs (de diplômés notamment) sur le marché du travail.

«Court-termisme»

En matière de logement, l’argument de l’urgence a toujours été avancé pour expliquer la poussée comme des champignons de cités-dortoirs, souvent loin de toute commodités et de structures sociales et administratives. L’Etat se targue de réaliser un million de logements par an, mais la demande paraît incompressible, sa satisfaction ayant parfois été contrariée par des aléas naturels (séisme, inondation) quand elle n’était pas simplement imputable à la prolifération des indus bénéficiaires.

Sur un parc immobilier de 7 millions d’unités, près d’un million étaient inoccupées pour au moins autant de demandes insatisfaites. La construction de villes nouvelles à Sidi Abdallah (Alger), Bouinan (Blida), El Ménéa (Ghardaïa) et Boughezoul (Médéa) n’a, quant à elle, jamais réellement eu lieu faute de coordination et de cohésion entre les différents départements en charge de la ville.

Dans le domaine de l’emploi, le travail d’attente sans réelle perspective et l’entrepreneuriat de jeunes à outrance ont été privilégiés pour absorber un chômage qui était de 30% à la fin des années 1990. Ce taux a baissé de deux tiers, officiellement, mais l’emploi n’a jamais été aussi précaire. Près de 80% des chômeurs actuels sont issus d’emplois non permanents. Là encore, l’urgence était davantage d’ordre statistique.

Les gouvernements successifs ont jusque-là été incapables de mettre en place une politique de développement et de croissance économique à long terme, fondée sur autre chose que l’exploitation des ressources d’hydrocarbures. L’exemple le plus concret concerne la promotion des exportations hors hydrocarbures, un objectif qui date depuis plus de 30 ans, mais qui n’a jamais dépassé le simple slogan.

Nouveau modèle

Dès l’année prochaine, les Algériens seront plus de 40 millions. Ils seront 46,5 millions en 2025, selon les prévisions de l’ONS. Un régime de croissance fondé sur la dépense publique depuis plus 15 ans a permis d’améliorer certains paramètres sociaux et de relever le niveau de vie d’une certaine catégorie de la population.

Toutefois, si «le processus de développement a évolué d’une manière importante, il n’a pas eu d’impact sur la croissance économique», déplore l’économiste Abderrahmane Benkhalfa. Le budget de l’Etat représente 40% du PIB, soit l’un des plus importants au monde, mais un tel budget s’il ne produit pas de croissance au bout de dix ans, c’est un «problème».

L’Algérie a plus que jamais besoin d’un «nouveau régime de croissance», générateur de revenus capables de faire face à la baisse du budget de l’Etat en cas de recul des prix du pétrole. La mise en place d’un tel modèle qui nécessite, selon notre interlocuteur, «un travail de fond avec des décisions structurelles et des ajustements sur l’organisation de l’économie et la structuration des marchés a besoin d’au moins 3 à 4 ans.» Encore faut-il commencer !
Safia Berkouk


Logement, emploi, sécurité alimentaire, énergie… Les besoins galopants d’une population en croissance

Quelles sont les conséquences économiques et sociales de la croissance démographique en Algérie ? Qu’en est-il de l’équilibre entre le développement et l’évolution de la population ? Des questions qui reviennent régulièrement dans les débats et s’invitent de nouveau après le dernier bilan de l’Office national des statistiques (ONS).

Un bilan qui fait ressortir une forte hausse des naissances. Et ce, avec un seuil d’un million pour la première fois. Avec 39, 5 millions d’habitants au 1er janvier 2015 et une prévision d’une population de plus de 40 millions d’habitants dans moins d’une année, l’évolution de la démographie est loin d’être en homogénéité avec l’économie nationale avec le déséquilibre constaté entre population et développement. De même qu’elle dépasse les prévisions déjà annoncées.

Il y a quelques années, les spécialistes parlaient de 40 millions d’habitants en 2040 se basant sur croisssance démographique de 1,4% contre 4% au lendemain de l’indépendance. Et voilà que ce pic est attendu pour 2016, avec une modification de la structure par âge de la population. Cette modification sera sans nul doute accompagnée, comme ce fut le cas par le passé, par l’augmentation des besoins par catégorie de la population. Entre la prise en charge sanitaire, l’épineux problème du logement, l’éducation, l’emploi et les besoins alimentaires, les attentes sont importantes.

Au final, l’Algérie n’a profité ni de la ressource humaine, ni de la rente des hydrocarbures pour asseoir les bases d’une économie solide et performante. Les politiques n’ont pourtant pas cessé à chaque fois que l’occasion leur était donnée (notamment lors des campagnes électorales) d’évoquer l’atout jeunesse, sans pour autant utiliser efficacement cette richesse. Idem pour les hydrocarbures dont les recettes ont majoritairement servi à financier les importations et à arracher la paix sociale via les subventions.

En effet, parallèlement à la croissance démographique, peu d’avancées ont été enregistrés sur les plans social et économique en dépit de l’importance des dépenses engagées tout au long de ces plus de cinquante ans d’indépendance. Et dire que le recensement de la population effectué tous les dix ans vise essentiellement à adapter les politiques sociales et économiques avec les taux de croissance démographique, selon les explications de l’ONS.

Il y a certes eu des tentatives de maîtrise de la croissance démographique (au début des années 80’) de manière à assurer un meilleur équilibre entre la population et le développement. Cependant, l’objectif n’a pas été atteint faute de planification. Si la population a évolué de 10 millions en 1962 à près de 40 millions actuellement, au niveau économique la croissance n’a pas suivi.

Ni le dirigisme tous azimuts et le système de centralisation, ni la libéralisation et ni les tentatives de redressement n’ont réussi à assurer l’équilibre tant attendu. Dans ce cadre, l’agriculture censée garantir la sécurité alimentaire du pays en est un exemple édifiant. Les différentes études menées à ce sujet ont montré que dès la fin des années 70’, l’agriculture n’a pas atteint les objectifs fixés.

Et pour cause, la production agricole a faiblement augmenté au cours de cette période, alors que les besoins sous l’effet de la croissance démographique ont suivi la tendance inverse. Aujourd’hui encore, même si cette production s’est améliorée dans certaines filières, elle reste faible dans les filières stratégiques.

Ce qui fait que l’Algérie importe une bonne partie des besoins de la population en lait et en céréales. Mais, globalement, c’est toute l’économie productive qui a subi une régression parallèlement à la croissance démographique. L’industrie a vu au fil des ans sa production fortement chuter. Idem pour le pouvoir d’achat des algériens qui s’est dégradé en dépit des augmentations de salaires opérées dans la fonction publique et le secteur économique. Cela pour dire que l’économie est loin d’évoluer au même rythme que la population, mais surtout que cette population n’a pas bénéficié de la rente du pétrole faute de planification.

Chômage, le problème majeur

Cette tendance risque justement d’avoir de lourdes conséquences, notamment sur l’emploi. Déjà en hausse en septembre dernier par rapport à avril 2014, selon l’ONS, ce problème pourrait s’accentuer de l’avis des experts avec l’arrivée de nouvelles générations sur le marché du travail.

Cette année, les moins de 29 ans représentent 55,2% des demandeurs d’emploi, et les 30/49 ans près de 30%, selon l’ONS. Si les nouveaux demandeurs d’emploi en 2015 sont nés antérieurement à l’année 2000, la hausse de la natalité aujourd’hui aura beaucoup plus un impact sur le taux de dépendance «mais son impact sur le marché du travail ne se fera ressentir qu’à partir des années 2030», estime à ce sujet Nacerredine Hammouda, chercheur au Centre de recherches en économie appliquée au développement (CREAD). Autrement dit, autant se préparer pour faire face à une demande croissante en emplois.

Or, l’économie nationale n’est pas encore en mesure de relever ce défi en l’absence d’une économie productive. Relevant que la nouvelle dynamique démographique que connaît l’Algérie depuis le début des années deux milles remet à l’ordre du jour toute la problématique population-développement,M.Benhamouda plaide pour des stratégies tenant compte de cette nouvelle donne. «Les stratégies à mettre en œuvre pour la création d’emplois qui seraient générés par la croissance économique doivent tenir compte de cette nouvelle donne», dira-t-il à ce sujet.

D’autres experts évoquent la problématique du financement de la caisse des retraites en raison du vieillissement de la population. «Des changements fondamentaux s’imposent dans ces domaines et un taux de croissance économique fort élevé (8 à 10%) est nécessaire pour remédier à l’évolution de cette situation», écrivait en 2004 le professeur Haffad Tahar, de l’université de Sétif dans une étude sur les conséquences économiques de la croissance démographique en Algérie.

A rappeler que les projections faites dans ce cadre montrent que la proportion des vieux pourrait passer à 9,2% en 2020, pour atteindre 22% en 2050. Avec tout ce que cela nécessite comme moyens de prise en charge en dehors des pensions de retraite.

Les experts n’ont cessé de le rappeler et de tirer la sonnette d’alarme : «Avec le rythme de croissance démographique que connaît la population, les besoins alimentaires sont de plus en plus importants.

Ils le seront davantage». D’où la nécessité d’agir sur les rendements de la production agricole en ciblant les produits stratégiques : blé tendre, pomme de terre, produits maraîchers, lait, fruits, viandes rouges et viandes blanches.

Or, toutes ces filières dépendent essentiellement de l’importation et subissent régulièrement des crises. Il y a eu des progrès ces dernières années, mais les rendements restent aléatoires. D’où le recours aux importations massives. «En moyenne annuelle, sur la période quinquennale 2007-2011 l’Algérie importait 82% des calories consommées par sa population.

Sur la période 1963-1967, la moyenne annuelle était de 32%», nous rappellera dans ce sillage Slimane Bédrani, expert agricole et chercheur au Cread, avant de poursuivre : «Ces chiffres calculés sur les données de l’Organisation mondiale de l’agriculture (FAO) montrent à quel point la dépendance alimentaire du pays s’est aggravée depuis le début de l’indépendance, obérant ainsi notre sécurité alimentaire.»

Pour M. Bédrani, cette situation s’explique par le fait que la population a plus que triplé entre les deux dates et par le fait que la consommation moyenne par tête s’est très nettement améliorée à la fois quantitativement et qualitativement. «Tout cela permis par la rente pétrolière et gazière. Mais qu’en sera-t-il quand ces deux sources tariront ?» s’interrogera-t-il en conclusion.

Avenir énergétique incertain

Une étude de la Commission de régulation de l’électricité et du gaz (Creg) sur la planification énergétique en Algérie à l’horizon 2030 prévoit une augmentation à 30 millions de tonnes pour les carburants (contre 16 millions en 2013) et de 60 milliards de m3 pour le gaz naturel (contre 32 millions en 2013).

Pour l’électricité, les prévisions tablent entre 2020-2030 sur un niveau de consommation de consommation de 80 TWH (térawatt/ heure) en 2020 et 150 TWH en 2030.

Face à cette demande croissante, le déclin inexorable des ressources fossiles, le débat houleux sur le gaz de schiste, les prix internationaux en baisse et l’absence d’efficacité et de l’économie d’énergie viennent accentuer cette incertitude. «Il est incontestable que les premiers défis auxquels devra faire face l’Algérie sont la satisfaction des besoins alimentaires — et par conséquent le développement hydraulique — et la sortie de la dépendance pétrolière de notre économie pour passer de la distribution de la rente pétrolière à sa transformation en véritable économie diversifiée, créatrice de nouvelles richesses et surtout d’emplois durables.

Mais sans ressources énergétiques, et par conséquent sans indépendance énergétique à garantir pour le long terme, rien de tout cela ne sera possible», a estimé à ce sujet dans l’une de ses récentes sorties médiatiques Abdelmadjid Attar, expert en énergie et ancien PDG de Sonatrach.
Samira Imadalou