Valse-hésitation gouvernementale sur le rôle du Crédit Populaire d’Algérie
par Yazid Taleb, Le Quotidien d’Oran, 25 février 2013
Que faire du Crédit Populaire d’Algérie ? Le rôle de la banque publique dont la privatisation a été stoppée in extrémis en 2007 traduit une certaine valse-hésitation gouvernementale sur la réforme bancaire.
Objet ces dernières années d’une sollicitude particulière de la part des pouvoirs publics, le CPA est considéré comme une banque à vocation universelle. Selon des données récentes révélées par son PDG, M Mohamed Djellab, par ailleurs très avare en communication, sa part de marché est de 11%. Le bilan du CPA avoisinait à fin 2011, près de 1.000 milliards de dinars avec 103 milliards de dinars de fonds propres. Le bénéfice enregistré en 2011 s’est établi à 13,2 milliards de dinars, soit un taux de près de 15% qui classe la banque parmi les établissements moyennement rentables au sein d’un secteur très prospère. La banque publique du boulevard Amirouche se distingue surtout de ses consœurs par 3 caractéristiques originales : l’essentiel des crédits à l’économie du CPA va à l’investissement qui représente 80% de l’encours total, les crédits alloués au secteur public représentent, seulement à fin 2011, près de 33 % contre 67 % pour le secteur privé ; enfin le CPA se caractérise par une diversification de son portefeuille qui couvre plusieurs secteurs d’activités dont le BTPH, l’industrie manufacturière, les services, l’énergie, le tourisme et le commerce.
UN DUALISME QUI S’ACCENTUE
Ces particularités ont placé ces dernières années le CPA – et un degré moindre la BDL avec laquelle elle présente beaucoup de points communs – au centre des projets de restructuration du secteur. L’un des derniers est un programme global de modernisation conçu dans le cadre d’une collaboration discrète entre le FMI, la Banque mondiale et le ministère des Finances algérien, dirigé à l’époque par M. Benachenhou assisté de Karim Djoudi au titre de ministre délégué à la Réforme financière. A la fin de l’année 2007, l’une de ses dispositions phares qui prévoyait la privatisation d’une grande banque publique, le CPA, a été interrompu officiellement pour cause de crise financière internationale. Cette nouvelle “vision stratégique” visait à transformer en profondeur le paysage financier algérien à travers, tout d’abord, une réforme des banques publiques y compris au moyen de la privatisation de plusieurs d’entre elles. Le CPA devait ouvrir la voie et montrer le chemin à la BDL. La privatisation était conçue comme le moyen le plus efficace et le plus rapide de favoriser la concurrence et la diversification des acteurs, des activités et des services proposés à la clientèle dans un secteur bancaire algérien dominé par une poignée de mastodontes publics.
Au lieu de ce processus de mise en concurrence visant à la convergence des secteurs publics et privés, qui était toujours d’actualité selon Abdellatif Benachenhou, les dernières années ont surtout été marquées par une accentuation du dualisme entre les deux secteurs. Pour l’essentiel, les décisions gouvernementales concernant la généralisation du crédit documentaire ont constitué une forte incitation au renforcement de la spécialisation des banques privées, dont 70% des engagements sont constitués de crédits à court terme, dans un financement du commerce extérieur devenu extraordinairement rentable. De leur coté, les banques publiques, dont plus des deux tiers des engagements sont déjà des crédits à moyen et long termes, ont été simultanément invitées à supporter seules le poids des décisions récentes de financement massif de la micro entreprise qui est en passe de provoquer une modification sensible de la structure du portefeuille de certaines d’entre elles.
BANQUE UNIVERSELLE VS BANQUE SPECIALISEE
Le dernier projet de réforme en date concerne la création d’une banque spécialisée dans le domaine du logement. En décembre dernier, le ministre de l’Habitat, M. Abdelmadjid Tebboune, annonçait que le gouvernement a décidé de confier cette tâche au CPA. Il avait ajouté que le choix de cette institution financière était motivé par la «grande expérience» de celle-ci dans la gestion des fonds et crédits destinés au secteur. M. Tebboune affirmait que le CPA devra assumer le rôle de «banque du logement», précisant qu’il prendra en charge «seul» cette opération. Au sein de nombreuses banques du secteur public comme du secteur privé, qui ont fait du crédit immobilier l’une de leurs priorités, et tout spécialement à la CNEP, on nous confirme que les déclarations des officiels algériens « ont fait mal » et provoqué une évidente perplexité. Aux dernières nouvelles, le projet initialement très radical de M.Tebboune de concentrer l’ensemble des aides de l’Etat au secteur immobilier au sein d’un seul établissement bancaire pour des raisons d’efficacité et de lisibilité n’a pas été approuvé par le gouvernement.
LE CPA, CHEF DE FILE DE FINANCEMENTS SYNDIQUES
Le rôle nouveau attribué au CPA semble en réalité s’inscrire dans une double démarche dont tous les aspects ne sont manifestement pas encore précisés. La première orientation consiste à exploiter l’expérience du CPA en matière de financement des entreprises de réalisation du secteur dans le but de lui confier l’accompagnement des sociétés mixtes en cours de création. Dans ce domaine elle ne serait cependant pas seule mais prendrait systématiquement la tête d’opérations de financements syndiqués accessibles à l’ensemble des banques algériennes. Une option d’autant plus viable que la CNEP, par exemple, a déjà largement atteint les quotas prudentiels de financement au profit d’un acteur de la construction comme l’ENPI qui semble appelé à jouer un rôle central dans la stratégie des pouvoirs publics. Le deuxième volet s’inscrit dans une stratégie de diversification de l’offre de logements au profit des classes moyennes nationales. Il a conduit à l’annonce toute récente de la création de la nouvelle catégorie des logements promotionnels publics(LPP) dont le programme pourrait à terme atteindre près de 300 000 unités. Les bénéficiaires seront les ménages dont le revenu mensuel est compris entre 6 et 12 fois le SMIC. Selon le projet conçu par M.Tebboune, ces catégories devaient être invitées à s’orienter vers le CPA. Cette option, contraire au principe de la concurrence au sein du secteur bancaire, est fortement critiquée par les banques et ne devrait pas être retenue par le gouvernement.