La vérité insondable

La vérité insondable

l Watan, 29 janvier 2007

Mourad Medelci dit avoir eu connaissance des malversations du groupe Khalifa par des écrits de presse. Certes des journaux évoquèrent, en leur temps, les premiers dérapages en dépit d’une vindicte du golden boy et de son entourage direct et indirect. Mais tous les dirigeants politiques et les hauts commis de l’Etat étaient eux aussi au fait des zones d’ombre du dossier Khalifa. Ils savaient, y compris Mourad Medelci, que sous leurs yeux se déroulait un pillage en règle de l’argent d’institutions publiques et d’une multitude d’épargnants bernés par les taux d’intérêts faramineux d’une banque illégalement constituée. Mais ces responsables ne pouvaient réagir à l’époque car une sorte d’omerta était de mise sur les agissements de l’empire. Moumen était reçu en très haut lieu et était présenté comme un modèle de réussite de « l’Algérie de l’ouverture économique ».

Il participait, dans son domaine, à ravaler la façade de l’Algérie de l’après-1999. Il figurait, comme la Concorde Civile, dans le lot des grandes réalisations d’un pays qui se normalise. Et puis sa « grande générosité » était appréciée par tous : sponsoring, cartes de crédit, billets d’avion gratuits, réceptions…

Jusqu’à fin 2002, date du gel des avoirs du groupe, personne n’osait le critiquer et aucune institution étatique ne pouvait fouiner dans ses affaires. Mourad Medelci dit vrai aujourd’hui en assurant devant la juge du procès de Blida que « personne n’a attiré son attention sur quoi que ce soit ». Mais en affirmant qu’il n’a pas eu « l’intelligence de réagir au moment où il le fallait », il avoue en réalité qu’il n’avait pas eu la force d’aller plus loin dans son métier de responsable des finances, c’est-à-dire de s’attaquer à un groupe maffieux intouchable.

Devant la juge, il préfère s’en prendre à lui-même, c’est-à-dire à ses capacités de comprendre et de réagir plutôt qu’au système qui protégeait Moumen Khalifa et dont tous les acteurs paraissent être toujours en place. C’est trop demander à Mourad Medelci qui préfère se positionner en deçà de cette ligne rouge qui plane sur le procès, celle que tout le monde évoque, y compris la juge, mais que personne ne clarifie : où commence-t-elle et où finit-elle, qui est en deçà et qui est au-delà. Secret le plus total. Le procès de Blida en est là, à 20 jours de travaux, à tourner autour du pot, avançant péniblement dans la quête d’une vérité insondable car touchant à un monde invisible. Aura-t-il la capacité d’y faire une incursion ? Ou bien subira-t-il le sort de l’enquête sur l’assassinat de Boudiaf qui a mobilisé tant d’énergie, fait verser tant d’encre et de larmes pour finalement aboutir au verdict de « l’acte isolé de Boumaârafi dans un contexte maffieux », une sentence clés en main qui sauve le système.

Ali Bahmane