Le successeur de Rafik Khalifa en France est mis en examen

Le successeur de Rafik Khalifa en France est mis en examen

Soupçonné d’abus de biens sociaux, il a été placé en détention.

Le Monde, 3 avril 2004

Sept mois après l’émission, par Interpol, d’un avis de recherche à l’encontre du milliardaire algérien Rafik Khalifa, dans le cadre de poursuites pour « blanchiment d’argent », la justice française se penche, à son tour, sur les anciennes activités de l’homme d’affaires. Les tribunaux de Nanterre (Hauts-de-Seine), de Paris et de Bobigny (Seine-Saint-Denis) sont saisis d’enquêtes visant l’ex-compagnie aérienne Khalifa Airways, la société de location de voitures du groupe et l’ancienne chaîne de télévision Khalifa TV.

La juge d’instruction de Nanterre, Isabelle Prévost-Desprez, a mis en examen, jeudi 1er avril, le successeur de M. Khalifa à la tête de Khalifa Airways, M. Chouchana, pour les faits « d’abus de biens sociaux et de banqueroute ». Il a été placé en détention. M. Chouchana avait été chargé de diriger puis de liquider la compagnie aérienne et la société de location de voitures après la fuite de M. Khalifa. La justice lui reproche d’avoir joué un rôle majeur dans les pertes, estimées à 100 millions d’euros par les enquêteurs. Sollicité par Le Monde, l’avocat de M. Chouchana, Me Thierry Dorléac, n’a pas démenti ces informations, mais a refusé de s’exprimer sur le dossier.

M. Khalifa, aujourd’hui réfugié à Londres, à la tête d’une chaîne de télévision émettant essentiellement vers l’Algérie, ne s’est plus rendu sur le territoire français depuis son départ précipité. Ses anciens avocats, dont Me René Bouvier, ont indiqué au Monde avoir perdu tout contact avec leur ancien client, dont l’empire s’est écroulé aussi vite qu’il était apparu. Il a laissé, en France, des impayés de plusieurs millions d’euros, notamment à l’égard de l’équipe de football de Marseille et du club de rugby de Bordeaux-Bègles.

PAYÉS EN ESPÈCES
Dans l’enquête conduite à Nanterre sur Khalifa Airways, liquidée le 10 juillet 2003, les policiers n’ont pu retrouver aucun compte et l’ensemble des ordinateurs avaient disparu lors des perquisitions. Il est apparu, également, que les salariés étaient fréquemment payés en espèces par des fonds envoyés, selon M. Chouchana, par Khalifa de son exil londonien.
Des soupçons de détournement d’actifs pèsent, par ailleurs, sur la gestion de la société de location de voitures, liquidée le 29 juillet 2003. De nombreux véhicules de luxe auraient été alloués, dans des conditions contraires aux intérêts de la société, à des personnalités en vue, comme Gérard Depardieu.

Enfin, les enquêteurs se sont intéressés à l’achat et à la revente, par le groupe Khalifa, de la demeure cannoise dans laquelle son dirigeant avait donné, le 3 septembre 2002, une fastueuse fête célébrant la création de Kahlifa TV.

Le parquet de Paris, pour sa part, a confirmé avoir reçu, fin février, une première synthèse de l’enquête préliminaire ouverte après la transmission par Tracfin, l’organisme anti-blanchiment, d’informations sur des mouvements de fonds suspects ordonnés par Khalifa Airways. Les vérifications de la Brigade de recherche et d’investigations financières (BRIF) ont permis de renforcer les doutes sur certaines opérations. Des mouvements de fonds, à l’origine suspecte, auraient ainsi été ordonnés via la banque Sao Paulo à destination de l’île de Man, de Dubaï et de Washington. L’attention des policiers s’est également fixée sur un virement de 150 000 euros, effectué en août 2002, via le Crédit mutuel centre Est-Europe, au nom d’Antinéa, une petite compagnie aérienne achetée par M. Khalifa.

Enfin, les enquêteurs signalent que Khalifa Bank est fortement suspectée d’avoir alimenté, à partir de mai 1999, sous forme de cavalerie financière, le reste du groupe Khalifa. Les épargnants algériens floués dans cette affaire auraient ainsi nourri un système qui courait à sa perte. Selon les policiers, l’ouverture d’une information judiciaire permettrait de connaître les dessous de certaines opérations telles que ce transfert de 1,26 million d’euros de Khalifa Bank, en juin 2002, via la Sao Paulo, suivi, en juillet, d’un crédit de 2,62 millions d’euros.
Le parquet de Bobigny a ouvert, quant à lui, une enquête commerciale, confiée au tribunal de commerce, sur les conditions dans lesquelles Khalifa TV avait déposé son bilan. Au terme des investigations, il avisera sur les éventuelles suites pénales.
Jacques Follorou