Procès Khalifa: Le scénario d’un « projet criminacel » en péril
Procès Khalifa
Le scénario d’un « projet criminel » en péril
El Watan, 15 janvier 2007
Les premiers rebondissements d’audience impliquant des ministres dans les largesses de Moumen Khalifa menacent déjà le scénario suggéré aux premiers jours du procès d’un projet criminel prémédité dès le départ par un petit noyau de fondateurs d’El Khalifa Bank.
Plusieurs avocats de la défense dans l’affaire Khalifa ont exprimé leur étonnement dans l’orientation prise par le procès lors de ces cinq premiers jours. L’un d’entre eux qui attend de plaider avant de ne s’exprimer publiquement à la demande de son client : « La présidente a insisté trop lourdement sur les conditions de création d’El Khalifa Bank, la conformité de l’acte notarié, les liens entre les associés, le détournement supposé du crédit de la BDL pour financer le capital social de constitution de la banque. On cherche à nous démontrer qu’il y a eu dès le départ une volonté préméditée d’agir en criminel, une association de malfaiteurs pour être en phase avec l’acte d’accusation. » Dans quel but donc le procès Khalifa s’oriente-t-il effectivement ainsi pour le moment dans cette direction « vaudevillesque » de l’acte délinquant préparé ?
Un projet criminel dès le départ ?
« Il s’agit manifestement de réduire la responsabilité de l’autorité administrative et politique. Elle serait victime d’une sorte de complot pensé ainsi dès le départ, et donc en quelque sorte presque imparable. » Le groupe Khalifa, un plan diabolique concocté dès la fin de l’année 1997 par un noyau de trois ou quatre personnes pour détourner des milliards de dinars ? Ce scénario — écrit en creux dans la tournure des interrogatoires d’audience pour l’heure — présente en effet beaucoup d’avantages pour le pouvoir politique et son administration. Tiendra-t-il la route sur la distance du procès ? Il y a comme un gros malaise qui s’est installé depuis une semaine dans la superbe salle d’audience de Blida. Les protagonistes qui ont défilé à la barre du procès du plus grand scandale financier de l’histoire du pays brouillent le casting que l’on attend d’une telle superproduction. Un vieux notaire « de famille », maître Rahal, qui a fait tout faux dans la constitution de l’acte fondateur d’El Khalifa Bank en ne réunissant à aucun moment les associés en même temps pour le moment solennel de la lecture et de la signature ; un ancien directeur d’agence BDL, Issir Idir Mourad, bon chic bon genre, qui a, en 1998, versé au dossier d’un crédit de 80 millions de dinars accordé à Moumen Khalifa, une garantie hypothécaire (la maison familiale) qui n’en était pas une ; et surtout un ami d’enfance, Djamel Guellimi, clerc du notaire Me Rahal qui a servi de « facilitateur » peu scrupuleux des procédures de constitution avant de devenir « homme de confiance » du boss dans le groupe Khalifa. Des comparses à la voix chevrotante, inaudible ou hésitante pour expliquer « la gestation » du coup Khalifa. « Il y a tous les jours des dizaines d’entreprises qui se constituent dans les mêmes conditions de dilettantisme formel avec l’absence d’un associé au moment de la signature, la lecture de l’acte par un clerc et non par le notaire ou encore la non vérification rigoureuse des pièces du dossier. Toutes ne deviennent pas El Khalifa Bank. Le non-respect par un notaire des formes légales de la constitution d’une société ne fait pas des porteurs de parts une association de malfaiteurs. » Préméditation ? La piste paraît boueuse. Elle s’enlise sous un torrent de questions que le procès aura sans doute du mal à éviter. « Le projet criminel » prêté dès le départ à la naissance d’El Khalifa Bank avait besoin d’une onction suprême : l’agrément bancaire. Moumen Khalifa lui-même raconte (voir article ci contre) qu’il a obtenu son agrément après une discussion avec « un haut responsable » voisin de siège « par hasard » durant un voyage d’avion. Avant cette rencontre miraculeuse, la situation était bloquée.
Ould Abbas et Tebboune, une ouverture dans le procès ?
Ce que le procès devra donc expliquer, c’est comment une banque privée a fortiori frappée de vice de forme dans son acte constitutif a pu satisfaire aux critères de la réglementation bancaire, devenir légale et ensuite drainer durant trois ans et demi des dépôts financiers aussi colossaux que ceux dont a bénéficié El Khalifa Bank. Les trois accusés les plus concernés par les premières investigations en audience, y compris Djamel Guellimi qui semble en savoir plus qu’il n’en dit, ont laissé le sentiment incommodant que l’affaire Khalifa commence vraiment plus loin sur le calendrier que dans la période de l’acte constitutif. « C’est un procès Boumaârafi bis qui se dessinait jusque-là, à la différence que dans le cas de l’affaire Khalifa on n’a pas des supputations sur des complicités haut placées, mais des certitudes avérées », estime un autre avocat qui redoute que le fait de s’être attardé autant sur les premiers pas formels de la société Khalifa n’annonce un survol plus rapide de la suite du développement là où « les préjudices dépassent de très loin la capacité de nuisance d’une association de malfaiteurs ». D’ailleurs l’acte d’accusation lui-même écarte « l’acte isolé » en reconnaissant en quelque sorte qu’« il existait des rabatteurs qui ont permis à El Khalifa Bank de recueillir les dépôts d’entreprises publiques, des OPGI, de la CNAS, des EPLF et d’autres institutions publiques ». Une vraie brèche « pour aller au fond des choses », que les longues péripéties sur l’acte notarié et le rôle de la BDL n’ont pas permis d’élargir pour le moment. Toutefois, de l’avis de plusieurs observateurs présents au procès de Blida, il ne faut pas préjuger de la suite du procès : « Les débats donneront à un moment ou un autre des indications précises sur les niveaux politiques des protecteurs d’El Khalifa Bank d’abord, du groupe Khalifa ensuite. » Ce qu’en fera la présidente Brahimi est une autre question. Première piste palpable, les responsables qui ont bénéficié des largesses de Moumen Khalifa peuvent être légitimement soupçonnés d’avoir aidé sa banque en y faisant apporter des dépôts. Ce qui, faut-il le rappeler, n’aurait pas été un délit en soi s’il n’y avait pas eu ces premières traces lamentables de corruption « bas de gamme ». « Le procès a connu une première ouverture avec l’évocation des noms des ministres Djamel Ould Abbas et Abdelmadjid Tebboune, estime un autre avocat. Ils avaient une vraie capacité d’influencer des décisions de dépôt de trésorerie chez Khalifa pour des organismes de leurs départements. » Le procès souffre toujours, en attendant, d’un décalage de casting car au titre du trafic d’influence, c’est Ighil Meziane, l’entraîneur de l’équipe nationale olympique, qui figure dans le box des accusés.
El Kadi Ihsane