Affaire Khalifa: La justice, rien que la justice !
Ouverture ce matin du premier des quatre procès du scandale du groupe Khalifa :
La justice, rien que la justice !
par Youcef Brahimi, Le Jeune Indépendant, 8 janvier 2007
Malgré les moyens mis en œuvre pour la tenue, dans les meilleures conditions possibles, du plus grand scandale que l’Algérie ait connue, l’absence des principaux accusés, en fuite, risque de peser sur le déroulement du procès dont l’ouverture est prévue ce matin à Blida.
En plus de l’absence du principal accusé, Rafik Abdelmoumène Khelifa, réfugié à Londres, et dont les autorités algériennes disent travailler à son extradition, sept autres cadres et proches de Rafik Khelifa se sont mis officiellement ou officieusement sous la protection des autorités françaises ou britanniques.
En outre, une partie des 33 inculpés concernés par la prise de corps (devant être jugée non libre) n’a pas rejoint hier la prison de Blida, comme exigé par l’ordre de prise de corps. Selon des sources judiciaires, un peu plus de 20 inculpés, dont l’ex-DG de Digromed, l’ancien directeur technique national de l’EN de football Ighil Meziane ainsi que d’ex-cadres de Khalifa, se sont constitués prisonniers.
Il manquerait à l’appel une dizaine d’inculpés ; parmi eux les deux frères Keramane, l’un ex-gouverneur de la Banque d’Algérie, et le second un ancien ministre, qui a réalisé des affaires avec le groupe. Un troisième membre de la famille Keramane, une femme, ancienne représentante de la défunte Khalifa Airways à Rome, serait cité également en tant qu’inculpé.
Selon une source proche de l’ex-gouverneur et qui nous a déclaré être sans nouvelles de son «ami» depuis quelques jours, les Keramane ont le sentiment qu’ils seront les boucs émissaires d’un scandale dont l’instruction n’a pas prouvé qu’ils ont profité directement des fonds du groupe.
Etant les plus «gradés» des inculpés, les Keramane, pense notre source, qui jouissaient d’une totale liberté de mouvement y compris de voyage tout au long de l’instruction, créeront la surprise, qu’ils soient présents ou absents lors du procès.
Toujours selon notre source, les inculpés qui passent en jugement sous des chefs d’inculpation relevant du criminel avaient jusqu’à hier 20 heures pour se présenter à l’établissement pénitentiaire de Blida. Il n’est pas exclu que des inculpés choisissent de se présenter ce matin directement au tribunal, ce qui rend aléatoire tout pronostic sur la présence ou l’absence de la dizaine d’inculpés encore en liberté.
Les «corrompus» jugés en fonction de la nouvelle loi sur la corruption La deuxième partie des inculpés, constituée par des P-DG, DG d’entreprises publiques et cadres d’institutions étatiques laissés en liberté provisoire, sera jugée pour des charges relevant de la correctionnelle.
Ils encourent au maximum 10 ans d’emprisonnement en vertu de la nouvelle loi sur la corruption. Seront présents au box des accusés les DG de Saidal, de l’AADL, des OPGI et EPLF, de la CNAS, de la CNAC… poursuivis pour corruption active.
C’est à l’issue de l’appel des 104 inculpés par le greffier du tribunal criminel que l’assistance, en particulier les avocats, sera fixée sur l’attitude à prendre face à un procureur mieux préparé et mieux armé, et que l’assistance saura qui a ou n’a pas répondu à la tenue du procès.
Les avocats, quelque peu désarçonnés après l’inattendu rejet en bloc des pourvois en cassation par la cour suprême, ensuite par la programmation du procès, un mois plus tard, tenteront de peser le rapport de force qui se dessinera après la lecture de l’arrêt de renvoi.
Est-il juste de tenir un procès alors que les principaux antagonistes sont en fuite ? Est-il possible de défendre des clients peu de temps après avoir reçu les convocations ? Telles sont les principales questions que tenteront de poser une partie des avocats hostiles à la tenue du procès et qui reviendront à la charge pour soulever ce qu’ils considèrent comme des vices de procédure que la chambre d’accusation de la Cour suprême a balayés sans prendre de gants.
La défense, du moins une partie, tentera à travers un discours lyrique de faire pression sur le tribunal qui, même s’il est très peu probable qu’il accepte un report, pourrait être amené, face à la ténacité des avocats, à adopter une attitude non hostile vis-à-vis des prévenus.
Bien entendu et conformément à la loi, les avocats des inculpés en fuite n’auront pas droit à la parole. L’ancien patron du groupe Khalifa, Rafik Abdelmoumène Khelifa, 40 ans, réfugié à Londres depuis 2003 ainsi que les autres inculpés en fuite seront jugés par contumace, en même temps que les 90 autres inculpés.
Ils sont accusés de faillite frauduleuse, vol qualifié, association de malfaiteurs, faux et usage de faux, corruption. La genèse du scandale La Khalifa Bank, épine dorsale du groupe, avait été mise en liquidation en mai 2003 après la découverte d’un «trou» de caisse de 32 millions de dinars (320 millions d’euros), selon l’enquête qui a duré trois ans.
Le procès d’aujourd’hui n’est donc que le premier des 4 procès attendus pour juger ceux qui sont responsables, directement ou indirectement, d’un préjudice évalué à au moins 1,2 milliard d’euros au détriment de petits épargnants, d’institutions étatiques, d’entreprises publiques, de fournisseurs de biens et services… L’astuce est simple : des rabatteurs sollicitent des patrons d’institutions et d’entreprises publiques pour qu’ils placent leur argent chez la Khalifa Bank.
En contrepartie, il est accordé différents avantages : voyages de luxe, villas, appartements, cartes de crédit, embauche de la progéniture (élève pilote avec le niveau de terminale !), invitations en France, billets d’avion gratuits… Les fonds récoltés serviront en partie à faire tourner les filiales du groupe largement déficitaires.
L’autre partie a été transférée illégalement à travers des opérations fictives de commerce extérieur ou à travers des escroqueries. C’est le cas de deux unités de déssalement d’eau de mer importées à l’état de ferraille, sans dossier.
Bien que l’opération ait été présentée comme un don, elle a permis à Moumène de transférer 63 millions d’euros ! Poussé à la faute, l’irréparable est alors commis Le vent a définitivement tourné pour Rafik Khelifa lorsqu’en novembre 2002, après plusieurs mois d’hésitations de la Banque d’Algérie et du ministère des Finances, les opérations de commerce extérieur de Khalifa Bank sont gelées et l’établissement placé sous tutelle administrative, à la suite de malversations décelées par deux enquêtes ordonnées par la Banque d’Algérie.
Entre novembre et février 2003, les dirigeants du groupe sont poussés à la faute afin de justifier la déconfiture qui allait fatalement suivre devant une opinion publique incrédule. La débâcle se confirme donc lorsqu’en février 2003 trois des proches de Rafik Khelifa sont arrêtés à l’aéroport d’Alger alors qu’ils tentaient, une énième fois, de faire embarquer à bord du jet privé de Moumène une mallette contenant deux millions d’euros.
L’argent devait servir à desserrer l’étau sur la moribonde chaîne de télévision satellitaire qui émet depuis Paris et dont les employés restaient sans salaires depuis novembre 2002. Mettre au chômage 13 000 personnes ? Impensable ! Pendant que la souricière se refermait sur ses proches, Moumène tenta de faire pression à travers les 13 000 personnes qu’il employait dans ses différentes filiales.
Mettre au chômage autant de personnes dont une partie sont des proches de ministres ou d’anciens ministres, de généraux en exercice ou en retraite, de hauts responsables, de magistrats, de P-DG, de syndicalistes… Impensable, soutenait-on à l’époque, surtout que l’un des avocats du groupe est le propre frère du président de la République.
N’ayant plus le contrôle de la banque pour supporter les découverts de ses filiales, Khelifa assistera, impuissant, à la liquidation de Khalifa Airways, KTV ainsi qu’une demi-douzaine d’autres entreprises. Le système mis en place par Moumène Khelifa reposait sur le principe du fameux jeux de dinarjet ou dollarjet : le dernier qui mise perd ! En 2004, le golden boy a mis à la disposition d’Ali Benflis, candidat malheureux aux élections présidentielles, une chaîne de télévision émettant à partir de Londres avec des moyens rudimentaires et passant en boucle de la propagande anti-Bouteflika.
Mis à part une interview accordée à un magazine français, Moumène Khelifa se fait plus discret, surtout depuis la signature des accords judiciaires entre Alger et Londres. Des accords qui rendent en théorie possible son extradition, dans la mesure où il ne risque pas la peine de mort… Y. B.