Procès Khalifa: 12 000 questions pour une sentence
Le tribunal criminel près la cour de Blida entame les délibérations
12 000 questions pour une sentence
Par : Samar Smati, Liberté, 10 mars 2007
Plus de douze mille questions. Le tribunal criminel près la cour de Blida, en délibération depuis jeudi soir, devra se prononcer d’ici le 21 mars prochain sur les douze questions relatives aux 104 inculpés du procès de la caisse principale d’El Khalifa Bank.
Ces questions, le jury devra y répondre afin de prononcer son verdict. Si la présidente du tribunal a fixé la date du 21 mars prochain, il n’est pas dit que le verdict sera connu ce jour-là. Il sera suivi par la suite du jugement par contumace pour ceux qui sont en état de fuite. La journée a été consacrée aux dernières plaidoiries de la défense, à la réponse des plaignants, du ministère public, puis une nouvelle fois la défense. Le dernier mot, avant celui du tribunal, revenant par la loi aux accusés. Me Chelgham plaidera le premier. Son mandant n’est autre que Me Omar Rahal, accusé de faux en écritures authentiques et leur utilisation. Le fameux acte constitutif de la banque. Il risque 18 ans de prison. L’avocat dira que le parquet n’a pu étayer ni prouver l’accusation. Il relèvera également qu’aucun membre fondateur de KB n’a “à ce jour” porté plainte sur le contenu de l’acte. “Ils l’ont signé, mais seul Me Rahal est inculpé”, précisera-t-il, ajoutant que son client n’est pas le “bénéficiaire” de cet acte. Me Rahal, dira l’avocat, est “victime” du manque de sincérité des membres fondateurs. Il relèvera aussi que le rapport de l’administrateur provisoire envoyé à la Banque centrale ne conteste pas la libération du capital, ni les 11 rapports d’inspection. “Même la poursuite contre RAK ne porte pas sur cet acte.” Me Chelgham demandera la relaxe de Me Rahal.
Suivra par la suite Me Abdelhakim Mouda, qui plaidera pour Hakim Guers, Houcine Soualmi, Mohamed Ghaouli. L’avocat rappellera que les directeurs d’agence avait pour obligation et instruction “formelle” du P-DG de ne pas dépasser “le plafond d’encaissement” fixé à 1,5 million de DA, le reste étant envoyé à la caisse principale accompagné des EES. Il relèvera également que les deux directeurs ont été sanctionnés par RAK. Il dénoncera la détention préventive de 24 mois. Il reviendra sur le rapport d’expertise de M. Foufa, disant que ce dernier a imputé toute la responsabilité au P-DG. “Les liaisons entre sièges étaient transmises, elles n’étaient pas rejetées par le destinataire. Ça dégage leur responsabilité.” Me Mouda rappellera également que les deux directeurs d’agence n’ont bénéficié d’aucun avantage. Concernant Hakim Guers, il dira que le 1% de supposées commissions versées pour des organismes publics de l’Ouest n’est en réalité qu’une “révision” du taux d’intérêt. Quant aux sommes retirées, elles sont remises contre des documents à Faouzi Baichi, directeur général adjoint de la trésorerie de KB avec accusés de réception. Me Mouda plaidera le même “traitement” que celui qui a prévalu pour les responsables de l’agence de Koléa. “Ce sont les mêmes faits qui leur sont reprochés.”
Me Chorfi, quant à lui, défendra, dans une métaphore en clair-obscur, comme un match de football, Redha Abdelwahab, qui assurait la sécurité personnelle de RAK, de sa famille et de ses biens. Il rappellera que son client est un commandant de l’ANP, “hautement apprécié” ayant quitté l’effectif à sa demande, une mise en retraite pour raison de santé. Il a été chargé par RAK fin 2001 de sa sécurité personnelle. Élevé dans la rigueur militaire, il ne pouvait demander des comptes, ni des justificatifs à son supérieur hiérarchique. “II exécutait les ordres du patron et ne connaissait pas le montant des sommes récupérées chez Akli.” Il rappellera le contexte de l’époque. “Il y avait deux personnes dans ce pays. Le président de la République et Moumen Khelifa.” Il rappellera que Rédha Abdelwahab a apporté son assistance à la liquidation. Me Chorfi demandera la relaxe et la réhabilitation de son mandant.
Me Ablaoui défendant Djamel Zerrouk, cadre de Khalifa Airways, estimera que tous les cadres du groupe Khalifa sont des “victimes” de RAK. L’association de malfaiteurs existe, selon lui, mais elle n’est constituée que d’une seule personne, le P-DG. Il contestera la constitution de la liquidation. “C’est comme si nous étions montés dans un bus, et à un contrôle on se rend compte que le chauffeur n’a pas de permis. Et on embarque tout le monde. C’est difficile d’appliquer l’association de malfaiteurs. Si vous l’appliquez, elle s’appliquera à Moumen et à tous les autres.” Un nouveau mot vient toutefois de rejoindre le vocabulaire utilisé jusque-là : “réconciliation”. Il appellera à une justice qui ne fasse pas dans la “vengeance”.
Me Farouk lui succédera pour défendre le même accusé et clôturer la phase des plaidoiries. “C’est un dossier historique. Faisant en sorte que ce soit la journée de la réconciliation entre la justice et les justiciables”, dira l’avocat. Il exprimera son envie que tous les petits déposants, “victimes”, soient entièrement remboursés. D’autant qu’il y a eu, selon lui, “une faute lourde des agents de l’État chargés du contrôle et de la supervision”. Son client a bénéficié d’un “prêt social” de 2,5 millions de DA de KA. “Aucune relation avec KB.” Il dénoncera également l’absence dans ce dossier d’autres “parties” qui ont, à l’instar de Djamel Zerrouk, “emprunté de manière plus conséquente et qui ne sont pas poursuivies”.
Il reviendra par la suite au représentant du ministère public de répondre à la défense. Le procureur général dira qu’il n’est à “aucun moment sorti du dossier de l’affaire traitée par le tribunal criminel”. Il rappellera que le ministère public est le “seul autorisé à s’exprimer au nom de la société”, qu’il n’est pas “personnalisé” par le magistrat. “Je n’ai porté atteinte à personne, ni défense, ni accusé, ni témoin…” Alors qu’il avait la possibilité d’étendre sa réponse, le PG remerciera le tribunal, sa présidente, la presse, la défense. Notamment, “les jeunes” avocats. “Je suis avant tout un magistrat et certains jeunes avocats ont effectué un travail de recherche, de documentation sur la base de la loi et du droit exemplaire”. Il dira que le procès est un “acquis” pour la justice dans son ensemble. Me Mokrane Aït-Larbi s’exprimera par la suite au nom de la défense. Il ne rentrera pas dans une “surenchère” avec le parquet, se contentant d’appeler à une justice qui interpelle “le citoyen et les consciences”.
S. S.