Les jours tranquilles d’un milliardaire déchu
L’exil Londonien de l’ex-tycoon
Les jours tranquilles d’un milliardaire déchu
Mounir Boudjema, Liberté, 22 mars 2006
Il n’est pas rare que des compatriotes algériens le croisent à Hyde Park à Londres, un gobelet de café à la main et le costume gris froissé. Malgré cette allure, Abdelmoumène Rafik Khalifa n’a pas l’air soucieux pour son extradition et continue à mener une vie paisible à Londres.
On croyait qu’il avait diminué des fastes d’antan lorsque son groupe jonglait entre l’aviation, les banques, le bâtiment et la location de voitures de luxe. Réfugié à Londres depuis quatre années, “Moumène” dépense, discrètement, un argent qui devrait être théoriquement gelé après que ses avoirs ont été bloqués dans certaines banques londoniennes. Ceux qui l’ont récemment rencontré sur les bords de la Tamise le décrivent comme étant tout aussi irascible et nerveux que par le passé. Entouré de quatre amis qui traînent derrière eux des mandats d’arrêt internationaux — lui en a deux dont un à Interpol —, il n’hésite pas à égrener ses “projets” d’avenir, convaincu qu’il rebondira.
Deux mariages plus tard, il a fait circuler la rumeur qu’il est remarié à la “nièce de George Bush”. Il se déplace toujours avec deux gardes du corps, d’anciens commandos de la marine britannique recrutés à la sortie de la Navy, et cherche à acquérir encore des affaires à Londres. Les créanciers qui tapent à la porte de son domicile dans la banlieue de Londres ne trouveront personne. Par précaution, l’ancien milliardaire, responsable de la plus grande faillite financière algérienne, change de domicile, mais garde quelques habitudes de luxe. Dîners dans des restaurants branchés, petites virées dans les pubs londoniens et séjours discrets sur l’île de Jersey, les Bahamas anglais, réputée pour être un paradis fiscal. “Il ne fait plus le fanfaron comme à Paris”, indique un de ses anciens cadres, lorsque Rafik Khalifa offrait des tournées générales au Bouddha Bar.
Mais depuis un moment, Khalifa multiplie des contacts avec des millionnaires connus à Londres pour être en rapport avec la mafia russe. La capitale britannique est réputée pour être le refuge de plusieurs magnats russes qui avaient fui Moscou après l’arrivée de Poutine. Amateur de football, Rafik Khalifa a tenté, à l’instar d’Abramovich de Chelsea, de s’enquérir de l’achat d’un club londonien de troisième division afin de mettre le pied dans le milieu du football, mais sa réputation sulfureuse l’ayant précédé, aucun club n’a voulu de son investissement estimé à 400 000 euros. Après avoir vendu des bureaux qu’il avait rachetés à une société de production d’un network arabe, Rafik Khalifa dit à celui qui veut l’entendre qu’il relancera son bouquet satellite (Khalifa TV et Khalifa News) en coopération avec des hommes d’affaires libanais.
Or, pour ceux qui l’ont côtoyé ces derniers temps, Rafik Khalifa s’est assuré de blinder son dossier juridique avec ses avocats. Les dernières déclarations de Jack Straw, le MAE britannique, à Alger, évoquant l’absence d’un accord sur son extradition l’ont momentanément soulagé. Lui cherchait à aller au Brésil, le paradis des “in-extradables”. Le plus ironique est qu’un cabinet d’études stratégiques londonien vient de pondre un rapport sur les dégâts occasionnés par l’affaire Khalifa, estimés entre 1,5 et 7 milliards de dollars. Lui n’en a cure et se croit immunisé. Il achète toujours ses cigares à son nom, menace ses interlocuteurs algériens de dévoiler la liste de “ses parrains” et claque au vent l’argent des Algériens.
Mounir B.
Affaire El Khalifa Bank
L’instruction quasiment ficelée
Samar Smati, Liberté, 22 mars 2006
Le dossier de l’instruction menée depuis près de trois ans au niveau du tribunal de Chéraga près la cour de Blida, devrait être transféré à la Chambre d’accusation près la cour de Blida d’ici le mois d’avril prochain.
L’affaire El Khalifa Bank avec toutes ses ramifications devrait opérer dans les prochaines semaines un important tournant au niveau judiciaire. Les magistrats du tribunal de Chéraga en charge de l’instruction du dossier ont quasiment achevé leur travail, avons-nous appris de sources judiciaires. “Le dossier ne va pas tarder à atterrir à Blida. Les magistrats ont quasiment ficelé le dossier”, précisent nos sources.
Cette information a également été confirmée par le collectif des clients d’El Khalifa Bank, qui s’est constitué partie civile. “Il va y avoir du nouveau dans cette affaire vers les deux premières semaines d’avril”, a indiqué Omar Abed, président du collectif. Une fois le dossier transmis à la Chambre d’accusation près la cour de Blida, les premiers procès, tant attendus de l’affaire, devraient être inscrits au rôle des prochaines sessions criminelles. Cette affaire focalise l’attention des plus hautes autorités de l’État. Sur ordre du président de la République, le ministre de la Justice, garde des Sceaux, Tayeb Belaïz, a instruit, ces derniers jours, le procureur général près la cour de Blida pour que l’instruction du dossier soit achevée et transmise à la Chambre d’accusation. Le décès du directeur général de la banque, Mohamed Al-Azhar Allioui, survenu il y a quelques jours au niveau de la prison de Serkadji, a également “bousculé” l’ordre établi.
Les procès avaient été maintes fois annoncés, notamment pour la session criminelle de mars 2005. Du côté judiciaire, on avance la “complexité” du dossier pour expliquer une instruction aussi importante et longue. Il aura fallu près de trois ans d’un travail “acharné et minutieux” aux magistrats instructeurs, uniquement chargés de ce dossier, pour remonter le fil de l’imbroglio économique et financier du groupe et de son épine dorsale, la banque, appartenant à Abdelmoumène-Rafik Khalifa. Les juges instructeurs ont avancé “progressivement” sur l’un des dossiers les plus sensibles qu’a eu à traiter l’appareil judiciaire.
Depuis le mois de novembre 2002, et le début de l’affaire El Khalifa Bank, déclenchée par le dépôt de la première plainte concernant la banque, et à laquelle se sont greffées près d’une douzaine d’affaires du groupe, les juges instructeurs et le parquet n’ont certes pas chômé. “Un travail de titan a été effectué. Les magistrats sont en train de reconstituer le puzzle petit à petit, mais à un rythme soutenu”, relèvent nos sources.
Outre la complexité du dossier, l’absence des principaux accusés — cinq hauts responsables du groupe, dont Abdelmoumène Khalifa, sont recherchés et font l’objet de mandats d’arrêt internationaux — ainsi que les lenteurs dans la liquidation administrative de la banque ont quelque peu entravé le travail des magistrats. Ces derniers ont auditionné plus de 4 000 personnes en qualité de témoins ou d’inculpés pour certains. Près d’une soixantaine de personnes ont été inculpées dans les différentes affaires. “Chaque jour qui passe apporte son lot de surprises”, précisent nos sources. Il semblerait, toutefois, que l’instruction a atteint, cette fois-ci, sa phase ultime. À moins de nouvelles surprises.
Samar Smati