Les liaisons coupables

Les liaisons coupables

par K. Selim, Le Quotidien d’Oran, 13 février 2007

Rien de plus sérieux qu’un dirigeant de syndicat avouant un faux en écriture pour placer inconsidérément l’argent des travailleurs. Face à une qualification de ce genre, il appartient au juge de trouver quelque circonstance atténuante, mais elle ne peut en aucun cas être éludée. De même, l’habitude, inacceptable et désastreuse, d’outrepasser les règles ne saurait d’aucune manière être invoquée.

La prestation du secrétaire général de l’UGTA en qualité de «témoin» provoque des vagues au sein de l’opinion algérienne. Si un acte aussi grave qu’un faux en écriture, qui a permis de drainer des milliards de dinars de la CNAS vers la banque de Khalifa, n’est pas poursuivi, que font donc dans le box des accusés ces remplisseurs de sachets et autres acteurs mineurs de cette affaire ?

Impossible, même si cela semble être érigé au rang de texte sacré, de ne pas s’interroger sur une instruction et un arrêt de renvoi aussi sélectifs. La prestation de Sidi Saïd a bel et bien défoncé cette instruction et elle conforte le scepticisme perceptible d’une opinion publique qui continue de s’intéresser à l’affaire sous l’angle des limites à ne pas franchir et des techniques juridiques de contournement.

On a beaucoup évoqué, depuis le début du procès, les «lignes rouges» implicites qui auraient été fixées par l’arrêt de renvoi. A l’évidence, certains ont le sentiment qu’elles existent puisque, après des aveux étonnants, des «témoins» disent «assumer» et repartent tranquillement chez eux.

Mais une ligne rouge n’a de sens que si elle n’est pas visible. Est-ce le cas ? Des aveux sidérants sont obtenus, mais en même temps tout tourne autour du pot, défense incluse pour l’instant, pour éviter d’admettre qu’il s’agit d’un scandale qui va bien au-delà des turpitudes d’employés indélicats. Et qu’il est vain de vouloir occulter des responsabilités autrement plus significatives.

Une chose est sûre: quand les citoyens discutent de l’affaire, ils se moquent des lignes rouges réelles ou supposées qui pèsent sur le procès Khalifa. Ils se posent toujours la question, pour l’heure toujours sans réponse: où sont passées ces sommes astronomiques ? Et ils mettent en cause clairement un système politique sans règles réelles et où le mélange des genres semble être un usage établi. Pouvoir, politique, syndicalisme, argent, tout baigne dans des rapports incestueux qui ont provoqué des dérèglements vertigineux.

Car tout ce que nous donne à voir cette histoire scabreuse, honteuse et qui commence à susciter une sourde colère chez beaucoup, c’est le mépris souverain de la primauté du droit. Quand on est dans ce cas, il est presque déplacé de parler de «politique», car nous n’y sommes pas encore. La société stagne dans l’infrapolitique, dans le préalable élémentaire du fonctionnement d’un Etat.

On a envie de préciser à M. Benbouzid: monsieur le ministre, un Etat et des responsables respectueux des lois et des règles, cela ancre plus sûrement l’amour de la patrie dans l’esprit des jeunes qu’une participation quotidienne au lever des couleurs. Si les Algériens ont de bonnes raisons de ne pas s’occuper de la politique locale, ils n’en sont pas non plus totalement déconnectés. Il suffit de les entendre commenter avec amertume les péripéties de Blida pour comprendre qu’à leurs yeux, c’est bien ce système, où les responsables ne sont pas comptables de leurs actes, qui a largement dépassé les lignes rouges…