Les intrigues judiciaires de l’affaire khalifa

Les intrigues judiciaires de l’affaire khalifa

Les ratés d’une extradition

El Watan, 20 septembre 2007

Londres, tribunal de Westminster City, mercredi 29 août. Le juge Anthony Evans donne son feu vert pour l’extradition vers la France de l’ex-homme d’affaires algérien, Rafik Khalifa, réfugié en Grande-Bretagne depuis mars 2003.

A moins d’un revirement inattendu de la Cour suprême britannique qui pourrait s’y opposer Khalifa ayant interjeté appel de la décision du juge Evans tout porte à croire que l’ancien patron du groupe éponyme serait extradé dans les prochaines semaines en France pour y être jugé. Objet d’un mandat d’arrêt européen délivré le 5 mars 2007 à la demande de la juge de Nanterre, Régine Capra, le milliardaire déchu est nommément visé par une information judiciaire ouverte fin 2003 par le tribunal de grande instance de Nanterre (région parisienne) pour « abus de confiance, banqueroute par détournements d’actifs, banqueroute par dissimulation et blanchiment d’argent en bande organisée ». Evidemment, la décision de la justice britannique de renvoyer Khalifa vers Paris plutôt que vers Alger a suscité étonnement et soulevé quelques interrogations en Algérie. Pourquoi la Grande-Bretagne a-t-elle répondu favorablement à la demande française alors que les autorités algériennes n’ont eu cesse de réclamer la tête de Rafik Khalifa, condamné le 22 mars dernier à la réclusion à perpétuité par le tribunal criminel de Blida ? Pourquoi les autorités britanniques ont-elles répondu avec une grande célérité à la demande française alors que celle de l’Algérie daterait de fin 2005 ? La réponse est dans la bouche de l’un des avocats britanniques de Rafik Khalifa : « La justice britannique n’a pas reçu de demande d’extradition de la part de l’Algérie. » Comment est-ce possible ? Le département algérien de la justice a-t-il réellement transmis une demande officielle à Londres ? Le gouvernement de Belkhadem a-t-il fait preuve de légèreté dans la gestion du dossier d’extradition ? Comment est-ce possible que Rafik Khalifa échappe de nouveau à la justice de son pays alors que les officiels algériens avaient multiplié les déclarations faisant état d’une extradition « imminente » du golden boy vers l’Algérie ?

Traqué, il coule des jours heureux en France

Pour mieux comprendre les couacs liés à l’extradition de Rafik Khalifa, nous avons enquêté sur la demande présentée par l’Algérie à la justice française pour l’extradition de deux anciens cadres de Khalifa, Kebache Ghazi et Mohamed Nanouche. Certes, les faits ne sont pas similaires, certes encore, les deux hommes ne jouent pas dans la même cour que leur ancien patron, mais cet épisode met en lumière sur les ratés du système judiciaire algérien. D’abord, qui sont ces deux hommes condamnés par contumace le 22 mars dernier par le tribunal de Blida à 20 ans de réclusion ? Pourquoi ont-ils été arrêtés par la police française le 29 mai dernier avant d’être placés sous écrou extraditionnel ? Pourquoi le tribunal de Paris a-t-il ordonné leur remise en liberté ? Enfin, pourquoi ces deux ex-cadres de Khalifa ont peu de chance d’être renvoyés en Algérie ? Ancien directeur de Khalifa Airways entre 2000 et 2003 et gérant de Khalifa Construction, Kebache Ghazi, 58 ans, s’installe début 2003 en France. Peu de temps après son arrivée à Paris, il obtient immédiatement une carte de séjour. Son passeport algérien ayant expiré, il le renouvelle au consulat d’Algérie à Paris le 13 mai 2004. Le même jour, il obtient son immatriculation consulaire avec le numéro 27066. Celui que l’on disait traqué et en fuite, coule des jours tranquilles dans la capitale française. Il voyage même à l’étranger. En juin de la même 2004, Kebache se rend ainsi en Grande-Bretagne où il séjourne plusieurs jours. Dans le courant du mois de novembre, il effectue un voyage au Maroc en passant par l’Espagne. En situation régulière en France, Kebache Ghazi circule donc librement jusqu’au petit matin du 29 mai 2007 où il se fait cueillir par des policiers. Agissant sur la base d’un mandat d’arrêt international délivré le 15 mars 2005 par le juge d’instruction du tribunal de Chéraga, la police française procède donc à son arrestation. Le lendemain, il est placé sous écrou extraditionnel à la prison de la Santé à Paris. Visé par une demande d’extradition émise par la justice algérienne en date du 25 juin dernier, Kebache Ghazi a néanmoins été remis en liberté par la juge de la chambre d’instruction du tribunal de Paris mercredi 19 septembre. Placé sous contrôle judiciaire, il doit pointer au commissariat chaque fin de mois et a pour obligation de ne pas quitter le territoire français. Le 17 octobre prochain, il saura si oui ou non la justice française accepte de le renvoyer dans son pays pour y purger sa peine. Selon son avocat, François Serres, l’homme souffre de diabète de type II et d’hypercholestérol. A ses yeux, ce sont des motifs assez convaincants pour ne pas l’envoyer croupir dans une prison algérienne lorsqu’on sait que certains cadres de Khalifa sont morts avant d’être jugés. Ancien directeur à la Banque du développement local (BDL), Mohamed Nanouche, 61 ans, rejoint le groupe Khalifa, le 1er juin 1998 avant d’être affecté à Khalifa Airways France, le 21 mai 2001. Dans le cadre de ses nouvelles fonctions, il bénéficiera d’un logement et d’un véhicule de fonction à Paris. Cependant, en disgrâce avec Rafik Khalifa, il sera remercié dans le courant de l’année 2003. Bien qu’il ait reçu une proposition d’embauche au sein de la société GoFast (une entreprise de logistique de transport maritime et aérien), propriété du patron d’Aigle Azur, Arezki Idjerouidène, Mohamed Nanouche décide de s’installer à son propre compte. Avec son épouse, il crée la Sarl Dounia avant d’ouvrir un restaurant spécialisé dans la cuisine marocaine situé dans le XVe arrondissement à Paris. Egalement visé par le même mandat international, Nanouche sera arrêté à son domicile le 29 mai dernier avant d’être incarcéré à la prison de la Santé. Le 12 septembre, le tribunal de Paris a ordonné sa mise en liberté. Placé sous contrôle judiciaire, il devra néanmoins pointer au commissariat tous les quinze jours. En attente de la décision de la chambre d’instruction de Paris qui doit statuer sur son éventuelle extradition en Algérie le 17 octobre prochain, Mohamed Nanouche a introduit une demande d’asile politique en France. Son dossier est actuellement à l’étude au niveau de l’OFPRA. « Telle qu’elle se présente, cette affaire est indéfendable pour le gouvernement algérien, lâche un avocat parisien. La demande d’extradition est tellement mal ficelée, mal préparée et peu étayée par des documents et des preuves qu’aucun juge français ne se risquerait à les extrader. C’est à croire que les Algériens font exprès pour ne pas obtenir l’extradition de ces deux types. »

Une affaire indéfendable

Paris, mercredi 12 septembre. La chambre d’instruction du tribunal de Paris siège en audience pour statuer sur la demande d’extradition formulée par le gouvernement algérien à l’encontre de ces deux prévenus. Prenant la parole à la suite des deux plaidoiries d’Isabelle Coutant Peyre et de François Serres, respectivement avocats de Mohamed Nanouche et de Kebache Ghazi, l’avocat général conclut son intervention par ce constat : « On ne peut pas la rejeter d’office s’agissant d’une demande émanant d’un gouvernement étranger et souverain, mais manifestement, la demande algérienne ne requiert pas les conditions minima pour qu’elle soit satisfaite. » Au passage, le représentant du parquet ne manque pas de qualifier le document présenté par le procureur de la République du tribunal de Blida de « bidouillage ». Que reproche la justice algérienne à ces deux cadres ? Pourquoi la demande algérienne ne requiert-elle pas les conditions minima ? Comment les règles procédurales, en vigueur en France, n’ont-elles pas été respectées par la partie algérienne ? S’agissant de Mohamed Nanouche, les faits qui lui sont reprochés, selon les termes de la demande d’extradition, sont les suivants : le document indique, avec l’usage du conditionnel, que Nanouche « serait propriétaire d’un appartement sis au XVIe arrondissement à Paris » et que, lui et son épouse Abla « auraient acquis en 2004 un restaurant situé au 25, rue du Hameau, 75015 Paris ». Ensuite, l’accusation portée contre Nanouche, et pour laquelle il a écopé de 20 ans de prison, repose essentiellement sur le témoignage d’une seule personne, en l’occurrence Aziz Djamel, ancien directeur de l’agence El Khalifa Bank d’El Harrach. Au cours du procès de Blida, celui-ci avait déclaré avoir remis à Nanouche Mohamed « la somme de 4,5 millions de dinars puis une somme de 5,5 millions de dinars sur une simple communication téléphonique de Khalifa Rafik Abdelmoumen ». Notons au passage que les rédacteurs algériens n’ont même pas pris la peine de convertir les sommes susmentionnées en euros. D’ailleurs, lorsque la juge du tribunal énonçait le montant des sommes incriminées, l’assistance n’a pas manqué d’exprimer un certain agacement face à une telle désinvolture. Présent dans la salle, un avocat demande : « ça fait combien 4,5 millions de dinars en euros ? » Sortez les calculettes et le convertisseur de devises…En ce qui concerne Kebache Ghazi, les faits qui lui sont reprochés, toujours selon la demande d’extradition, sont les suivants : sur la base, encore une fois, du témoignage de Aziz Djamel, Kebache Ghazi « se rendait régulièrement à ladite agence (celle d’El Harrach, ndlr) et se faisait remettre des sommes d’argent en monnaie nationale et en devises. Ces sommes variaient entre dix (10) et vingt (20) millions de dinars et entre 5000 et 10 000 euros ». Le document indique également que « durant la période où Kebache exerçait ses fonctions de directeur général de Khalifa Airways (entre 2000 et 2003), d’importantes sommes d’argent dont le montant total correspondait à 726 millions d’euros ont été transférées de manière illicite à l’étranger au profit de Kebache Ghazi lui-même, de sa fille et d’autres personnes physiques et morales ».En outre, « les écritures bancaires font apparaître que Kebache Ghazi était lui-même l’ordonnateur et le bénéficiaire de plusieurs virements d’un montant ayant atteint 350 000 euros, et il a effectué pour le compte de sa fille,(…), des virements d’un montant de 914 694 euros ». Le dernier fait reproché à l’intéressé concerne l’affaire de l’importation de six stations de dessalement d’eau de mer. La demande d’extradition indique que sous couvert de transaction effectuée avec la société saoudienne Huta Sete pour importer des stations de dessalement d’eau de mer, Khalifa Rafik Abdelmoumen et ses complices Nanouche Mohamed et Kebache Ghazi, en leur qualité de directeurs de Khalifa Airways, ont fait de fausses déclarations et utilisé de fausses factures pour transférer la somme de 26,5 millions de dollars et 45 millions d’euros en France. Une partie de cet argent a été transférée au profit du notaire français Ben Souszan Marion Edme et a servi à acquérir deux villas à Cannes pour le compte de Khalifa Airways.

Dossier vide, faits imprécis et preuves inexistantes

Pour les avocats de la défense, aussi bien pour l’avocat général, les faits circonstanciés mentionnés dans le document en question sont vagues et imprécis. Pis, les preuves qui attesteraient de la culpabilité des deux prévenus n’ont pas été jointes au dossier.En effet, après examen des documents remis aux Français, il s’avère que le dossier est plutôt inconsistant. C’est que les pièces adressées par la justice algérienne sont constituées d’une copie du mandat d’arrêt international en date du 15 mars 2005, d’une traduction du jugement rendu par le tribunal criminel de Blida le 22 mars dernier, d’un document intitulé « Exposé circonstancié des faits » ainsi que d’un document intitulé « Demande d’extradition », portant la signature du procureur général de Blida, en date du 13 juin 2007. Conclusion : les pièces transmises ne remplissent pas les conditions requises par l’article 17 de la convention algéro-française du 27 août 1964. En effet, celui-ci stipule que l’Etat requérant doit fournir « un exposé circonstancié des faits pour lesquels l’extradition est demandée indiquant le plus exactement possible le temps et le lieu où ils ont été commis ». Pour maître Isabelle Coutant Pyere, l’absence de documents précisant le temps et le lieu de faits reprochés constitue un manquement à la convention bilatérale et une entorse au code de procédure pénal français. Dans l’impossibilité de contrôler la pertinence de la demande algérienne, elle estime que celle-ci à « toutes les caractéristiques d’une demande arbitraire ». Même son de cloche chez l’avocat de Kebache Ghazi. Celui-ci précise à son tour « qu’aucun élément transmis à l’appui de la demande algérienne ne permet à la chambre d’instruction de localiser les faits reprochés, dater les faits reprochés et considérer d’éventuelles prescriptions ». En clair : les accusations portées contre leurs deux clients reposent sur du vide.

Vice de procédure

Les entorses à la procédure ne s’arrêtent pas là et les avocats des deux ex-cadres se sont appliqués à les débusquer. Le mandat d’arrêt international sur la base duquel les deux personnes ont été arrêtées indique que les deux personnes sont poursuivies pour « association de malfaiteurs, vol qualifié, escroquerie et abus de confiance ». Or, la demande d’extradition émise par le tribunal criminel de Blida a retenu une autre infraction, non visée par le mandat d’arrêt, à savoir celle de faux en écritures bancaires. Pour l’avocat François Serres, la demande tombe sous le coup d’un vice de procédure. S’appuyant sur une jurisprudence, dite « jurisprudence Pétalas », l’avocat fait savoir que lorsque « les données d’une demande d’extradition ont changé en fait ou en droit, le juge de l’excès de pouvoir exige que la demande fasse l’objet d’une nouvelle demande et d’une nouvelle procédure ». Ce qui revient à dire que la justice algérienne est invitée à formuler une autre demande si davantage elle souhaite obtenir la tête des deux condamnés. L’autre écueil qui rend la demande algérienne hypothétique repose sur l’énoncé des peines infligées à Kebache Ghazi et Mohamed Nanouche. Les deux hommes ont été arrêtés pour « association de malfaiteurs, vol qualifié, escroquerie et abus de confiance ». Le mandat d’arrêt stipule que pour ces faits, les peines prévues varient entre « 5 ans de réclusion minimum et la perpétuité maximum ». Or, les infractions aux articles visés par le mandat (c’est-à-dire les articles 176, 177, 354, 382 bis, 372, 376 et 378 du code pénal algérien) prévoient des peines allant de 5 ans de réclusion à la peine de mort. Dans le cas où les deux hommes seraient extradés en Algérie, ils risqueraient théoriquement la peine de mort. Pour les deux avocats, la sentence prévue par l’article 382 bis est contraire à l’ordre public français et à l’ordre public international. L’article 696-4 6° du code de procédure pénal français précise que l’extradition n’est pas accordée « lorsque le fait à raison duquel l’extradition a été demandée est puni par la législation de l’Etat requérant d’une peine ou d’une mesure de sûreté contraire à l’ordre public français ».

Complément d’informations pour une nouvelle demande

L’autre obstacle qui s’oppose à cette demande d’extradition concerne certains faits délictueux dont Kebache Ghazi se serait rendu coupable sur le territoire français. Il lui est reproché d’avoir acquis les deux fameuses villas de Cannes avec des fonds transférés d’Algérie. Pour son avocat, ces faits s’étant déroulés en France, Kebache ne peut être poursuivi dans son pays. A preuve, il cite l’article 694-4-3° du code de procédure pénal français qui stipule que l’extradition est refusée « lorsque les crimes ou délits ont été commis sur le territoire de la République ». Bien que la chambre d’instruction du tribunal de Paris ait décidé de faire patienter les deux ex-cadres jusqu’au 17 octobre, les deux hommes peuvent estimer avoir gagné une première manche. Sans préjuger de la décision qui sera rendue en octobre prochain, tout porte à croire que la justice française s’achemine vers une demande d’un complément d’informations auprès du gouvernement algérien. Dans ce cas-là, le département de la justice devrait tout recommencer à zéro.

Samy Ousi-Ali