Khalifa le flambeur
Khalifa le flambeur
Le magot envolé
par Jérôme Dupuis, Gilles Gaetner, L’Express du 18 décembre 2003
Villas à Cannes, chaîne de télévision, voitures de luxe… Un juge français s’intéresse à la faillite du tycoon algérien. Et s’interroge sur l’origine de sa fortune
On l’appelait «le milliardaire algérien». Il organisait de somptueuses fêtes, sur les hauteurs de Cannes, où, coupe de champagne à la main, il posait avantageusement entre Catherine Deneuve et Naomi Campbell. Mais le vent a tourné, et Rafik Khalifa semble aujourd’hui bien esseulé sur la photo qui orne sa fiche «Wanted» à Interpol. Le capitaliste modèle de 37 ans qui avait lancé à grand fracas une chaîne de télévision, une compagnie aérienne et une banque est en effet recherché par la justice algérienne. Et le temps risque de se gâter encore un peu plus pour lui: L’Express peut révéler qu’une information judiciaire vient d’être ouverte à Nanterre sur ses activités en France. Elle a été confiée à Isabelle Prévost-Desprez, une magistrate spécialisée qui a longtemps œuvré au pôle financier de Paris.
Tout avait pourtant commencé comme une incroyable success story. Un jeune entrepreneur, issu de la nomenklatura algérienne, se lance dans le commerce de médicaments au début des années 1990. Son groupe monte en puissance et, bientôt, il crée une compagnie aérienne, Khalifa Airways. En 1999, consécration, il obtient l’autorisation de s’implanter sur les aéroports français. Une quarantaine d’avions assurent des liaisons vers le Maghreb. C’est l’époque où le nom de Khalifa scintille sur les maillots des joueurs de l’Olympique de Marseille, dont il est l’un des sponsors. Dans la foulée, disposant de capitaux considérables dont personne ne connaît l’origine, le tycoon d’Alger se lance, toujours en France, dans la location de voitures de luxe (Khalifa Rent a Car) et la télévision. Le 28 février 2002, le président Bouteflika adoube le jeune milliardaire lors d’une soirée mondaine à Alger, où l’on croisait les inévitables Catherine Deneuve et Gérard Depardieu.
«Ce groupe était géré d’une façon totalement irrationnelle»
Le lancement de Khalifa TV, qui émet vers le Maghreb depuis le studio 107 de La Plaine-Saint-Denis, loué à TF 1, va rassembler le gratin de la jet-set. Ce 3 septembre 2002, à la villa Bagatelle, avenue des Pharaons, sur les hauteurs de Cannes, se pressent Gérard Depardieu, Melanie Griffith, Sting, Bono… Rafik Khalifa est aux anges. Pourtant, la chaîne n’a toujours pas l’autorisation du CSA. Qu’importe, elle émet quand même! Khalifa dépense à tout va, place des proches – un ami dentiste, le fils d’une famille de policiers de Blida, une tante… – aux postes clefs, mais «oublie» de créer une régie publicitaire. Résultat assez prévisible: la chaîne n’engrange pas un centime de recettes et fait faillite. Tout comme Khalifa Airways et Khalifa Rent a Car. Fin de l’empire.
Des soupçons de blanchiment d’argent
La justice s’intéresse aujourd’hui de près à la luxueuse propriété de Cannes. Composée de trois villas, elle avait été achetée en 2002 pour 35 millions d’euros par Khalifa Airways. On voit pourtant mal l’intérêt économique pour une compagnie aérienne qui salariait aussi gardiens et personnel de maison… Plus grave: quelques jours avant le dépôt de bilan de Khalifa Airways, en juillet 2003, les villas sont vendues dans la précipitation à une mystérieuse SCI pour moins de la moitié du prix. L’argent – 15 millions, tout de même… – a disparu. Même scénario pour les Mercedes de Khalifa Rent a Car: une partie s’est évanouie dans la nature. La chaîne de télévision, elle, laisse en tout et pour tout un camion régie sous douane…
«Ce groupe était géré d’une façon totalement irrationnelle, avec l’assentiment, au moins tacite, des autorités algériennes et françaises. Il s’est effondré comme un château de cartes», constate Marie-Christine Béguin, avocate des salariés, tous au chômage. Peut-être l’instruction de la juge Prévost-Desprez permettra-t-elle de lever le mystère sur l’origine de la fortune du milliardaire algérien. Un indice: le 24 février 2003, le patron de Khalifa TV, Djamel Guelimi, était arrêté à l’aéroport d’Alger avec une valise contenant 2 millions d’euros en cash, alors qu’il s’envolait pour Le Bourget… Immédiatement, les soupçons de blanchiment ont resurgi, tout comme les interrogations sur les liens avec les généraux au pouvoir en Algérie. Seul Rafik Khalifa pourrait lever le voile. Il vit aujourd’hui tranquillement à Londres, protégé par la complexité des procédures d’extradition britanniques. Sur la photo de son mandat d’arrêt lancé par Interpol, on devine comme un léger sourire…