Escale dans le procès Khalifa

Escale dans le procès Khalifa

Le Quotidien d’Oran, 21 janvier 2007

Le procès d’El-Khalifa Bank qui se déroule au tribunal criminel de Blida entamera, lundi, sa troisième semaine où accusés, témoins et experts continueront de défiler à la barre pendant plusieurs autres jours.

Jusqu’à jeudi, les débats, ont permis de révéler les procédés utilisés par les responsables de la banque pour «camoufler», du moins dans la comptabilité, la saignée continuelle de sa caisse principale et des agences, d’où au moins 3,2 milliards de DA ont été sortis dans des sacs, sans le moindre justificatif.

Depuis le 07 janvier dernier, date de l’ouverture du procès, plusieurs personnes ont été entendues en tant qu’accusés ou témoins.

Dix accusés parmi les 104 cités par l’arrêt de renvoi, étaient absents, dont sept sont en fuite, parmi lesquels Rafik Khalifa.

Trois accusés, dont l’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, Abdelwahab Keramane, son frère Abdennour Keramane, ancien ministre des Finances, et une nièce, Yasmine Keramane, ex-employée de Khalifa Airways avaient refusé de se présenter à l’audience.

Une soixantaine d’accusés ont comparu libres. Les autres, dont l’ancien sélectionneur de l’équipe nationale de football Ighil Méziane, se sont constitués prisonniers à la veille du procès ou étaient en détention préventive depuis plus de deux ans. Quelque trois cents témoins doivent défiler à la barre, parmi lesquels des ministres, des présidents de club, des personnalités politiques et des joueurs. Certains d’entre eux ont déjà été entendus comme témoins, à l’instar de Abou Djerra Soltani ou encore Belloumi.

Selon les recoupements des déclarations de plusieurs témoins et accusés, le 23 février 2003, presque cinq ans après la création de la banque, son fondateur et président-directeur général, Rafik Abdelmoumène Khelifa, appelle par téléphone son second, le P-DG adjoint Ismaïl Krim pour lui demander de «régulariser la caisse principale». Cet appel a eu lieu le jour même où 3 cadres du groupe Khalifa, ont été arrêtés à l’aéroport international d’Alger avec des mallettes contenant 2 millions d’euros qu’ils tentaient de faire sortir frauduleusement du pays. Chargé de la gestion de la caisse principale depuis fin 1998, Youcef Akli a reconnu qu’il donnait en permanence des millions de DA et d’importantes sommes en devises à Khelifa et à d’autres responsables de la banque mandatés par ce dernier, sans recevoir en contrepartie ni chèque, ni reçu, ni bon, ni autre document d’aucune sorte. Après avoir reçu l’instruction de «régulariser la caisse», Krim confie cette mission à Akli qui, en l’absence de pièces justificatives, va recourir à un «artifice comptable», selon le qualificatif d’un des inspecteurs d’El-Khalifa Bank, Madjid Agaoua. En effet, Akli va à son tour demander à son second, Mohamed Chebli, d’élaborer onze «écritures entre sièges» (EES), des documents comptables censés signifier des sorties d’argent, d’une valeur équivalente au «trou» dans la caisse principale: 2,29 milliards de DA et d’importants montants en devises. Le tout s’évalue autour de 3,2 milliards de DA.

Les premières révélations de ce qui allait devenir le plus grand scandale financier du pays, sont rendues publiques lors de la lecture de l’arrêt de renvoi. Il s’avère ainsi que Rafik Khelifa, aurait construit son «empire» à partir de la vente frauduleuse d’une villa héritée de son père, avec l’usage de faux documents et la complicité d’un huissier de justice. La villa a été vendue sans que le frère du principal accusé, Lakhdar, et sa soeur, Hafidha, ne soient au courant et dont la signature sur l’acte de vente a été falsifiée.

Avec l’argent obtenu de cette vente, Rafik Khelifa a bénéficié d’un crédit auprès de la Banque de développement local (BDL) d’un montant total de 950 millions de DA. Une partie de ces fonds servira à constituer le capital d’El-Khalifa Bank, d’un montant de 500 millions de DA. Mais même ce capital initial n’a pas été payé entièrement au Trésor public, qui n’a reçu que 85 millions de DA, en violation flagrante avec les dispositions de la loi sur le crédit et la monnaie.

Au fil des audiences, les langues se délient, pour éclaircir davantage les zones d’ombre qui entourent cette affaire.

Les quatre premiers jours du procès ont été consacrés à la genèse de l’affaire, à savoir la création d’El-Khalifa Bank.

Le notaire Omar Rahal, dans le bureau duquel ont été élaborés les deux actes constitutifs d’El-Khalifa Bank, en avril et septembre 1998, et son ancien clerc Djamel Guellimi, accusé d’avoir joué un rôle central dans la création et la gestion des affaires de Rafik Khelifa, ainsi que le frère et la secrétaire de ce dernier, tous deux témoins, ont été entendus.

Omar Rahal, l’un des premiers accusés à être interrogé a ainsi révélé des infractions flagrantes vis-à-vis de la loi régissant les banques, notamment dans le volet relatif au dépôt des capitaux auprès du Trésor public, des modifications portant sur le changement du P-DG d’El-Khalifa Bank, la réduction du nombre d’associés, et sur l’augmentation des parts du capital de 1.825 à 1.875.

Au fur et à mesure que les audiences avançaient, des noms de personnalités politiques sont ainsi cités. L’un des principaux accusés, Djamel Guellimi qui était clerc de Omar Rahal, avouera connaître Abdennour Keramane ancien ministre et frère d’Abdelouahab Keramane, qui était au moment des faits, gouverneur de la Banque d’Algérie. Guellimi déclarera ensuite avoir rencontré le frère de Boudjerra Soltani (ministre alors du Travail et de la Sécurité sociale) «qui est venu à Paris chercher du travail».

Nadjia Aiouaz qui a travaillé, comme secrétaire de Rafik Khelifa, entendue comme témoin a indiqué, pour sa part, qu’elle recevait souvent des ordres de Rafik Khelifa pour octroyer des cartes de voyages gratuites à bord de la compagnie aérienne Khalifa Airways. Le témoin a aussi dit «avoir servi du café à l’ex-ministre de l’Habitat, Abdelmadjid Teboune, dans le bureau de Rafik Khelifa». Elle dira aussi que Djamel Guellimi, devenu plus tard inspecteur de Khalifa Airways à Paris puis P-DG de la chaîne de télévision Khalifa-TV, «recevait des P-DG d’entreprises publiques et des personnalités, sur instructions de Rafik Khelifa», citant Abdennour Keramane, ex-ministre et frère du gouverneur de la Banque d’Algérie de l’époque, Abdelwahab Keramane. Elle déclarera à la cour que le directeur général d’El-Khalifa Bank et Guellimi «recevaient des personnalités sportives, artistiques et politiques».

Les dépenses faramineuses du «golden Boy», seront ensuite confirmées par un autre accusé. Des sommes colossales en milliards de DA sont sorties des caisses sans justificatifs.

Le directeur général-adjoint d’El-Khalifa Bank, en charge de la caisse principale, Youcef Akli, un des principaux accusés, a ainsi avoué qu’il avait fait sortir «sans laisser de trace» plus de 2,29 milliards de DA au profit principalement de Rafik Khelifa, sous prétexte d’avoir «simplement obéi aux ordres du patron».

C’est dans ce contexte que la présidente de l’audience révélera les montants globaux des fonds extirpés de la caisse principale de la Khalifa Bank: «2,292 milliards de DA, 1,796 million de dollars US, 8,1 millions d’euros, 7,42 millions de francs français (1,13 million d’euros), 8.700 francs belges (215 euros), 2.615 deutsch marks (1.337 euros), 12.570 francs suisses, 57.360 livres sterling, 210 dollars canadiens, 500 marks finlandais (84 euros)».

L’examen des comptes a aussi révélé des «crédits cachés» sous des «artifices comptables». C’est ce qu’a indiqué le témoin Mohamed Djellab, l’administrateur provisoire de la banque nommé, en mars 2003, par la Banque d’Algérie. L’actuel P-DG du Crédit populaire algérien (CPA), a souligné que dans la caisse principale de la banque, «il y avait un trou de plus de 3 milliards de DA, dont 2,92 milliards de DA en monnaie nationale et le reste en devises».

D’autres auditions et témoignages révéleront aussi que les dépenses dépassaient toute imagination notamment celles ayant trait au sponsoring. Aussi, la cour apprendra que les salaires mensuels de certains joueurs d’équipes de football sponsorisées par la banque, comme le CRB, l’USMA et le MCA, atteignaient 400.000 DA et les intérêts sur certains bons de caisse dépassaient 10 millions de DA.

Au huitième jour du procès, c’est le garde corps de Abdelmoumène Khelifa qui fera des révélations fracassantes.

Rédha Abdelouahab, un ex-commandant de l’ANP, a raconté ainsi comment il puisait d’importantes sommes d’argent de la banque sur «ordre» de son ex-patron. L’accusé a évoqué, par ailleurs, les relations de son ex-patron avec son principal conseiller, le Franco-libanais Raghid El-Chammagh. Ce dernier, dira-t-il «ramenait des affaires au groupe Khalifa et prenait des commissions». L’accusé a ajouté qu’il avait aussi pris de Youcef Akli, toujours sur ordre de Rafik Khelifa, d’importantes sommes d’argent en devises, pour des voyages à l’étranger.

Les quelque 900 agents de sécurité du groupe Khalifa, dont ceux chargés de convoyer les fonds, gardaient l’argent sans armes ni moyens de protection. L’accusé Abdelhafid Chachoua, directeur général chargé de la protection et de la sécurité au groupe Khalifa était à la tête de 900 agents de sécurité, chargés principalement des agences d’El-Khalifa Bank sur le territoire national, sans jamais avoir obtenu d’agrément du ministère de l’Intérieur.

Les auditions sur le dossier «Sponsoring» ont permis aussi, de faire la lumière sur des activités soupçonnées d’avoir servi à des détournements de fonds de la banque, accompagnés de corruption. Des témoins tout aussi importants que le président du club blidéen USMB Mohamed Zaim et l’international Lakhdar Belloumi, ont apporté leur contribution, notamment en donnant des éclaircissements sur les contrats de sponsoring des clubs de football.

Enfin, la juge Fatiha Brahimi avait révélé qu’un chèque de 770.000 dollars US (USD) a été libellé, en 2002, au nom d’un réalisateur de Hollywood pour tourner un documentaire promotionnel sur le parcours d’Abdelmoumène Rafik Khelifa. Le film documentaire, qui n’a apparemment jamais été réalisé, devait s’intituler «Le phénomène Khalifa».

Djamel B. Et T. Mansour