Je donnais des milliards avec une simple carte de visite comme garantie !
L’ex-directeur de l’agence d’El-Harrach à la barre :
Je donnais des milliards avec une simple carte de visite comme garantie !
par Sihem H. et Nassima O., Le Jeune Indépendant, 30 janvier 2007
Avec Aziz Djamel, la présidente pense avoir mis la main sur l’un des rabatteurs qui ont permis à l’escroquerie mise en place par le système Khalifa de fonctionner. En contrepartie de privilèges, des DG et des P-DG d’entreprises et d’institutions publiques avaient confié des milliards aux rapaces de Khalifa Bank qui les ont immédiatement engloutis pour faire tourner la machine… Dimanche, la présidente du tribunal criminel a dû intervenir à plusieurs reprises pour amener l’accusé, Aziz Djamel, ex-directeur de l’agence d’El- Harrach à répondre convenablement et avec précision aux questions.
Au dix-septième jour du procès Khalifa, Aziz Djamel est passé pour la deuxième journée consécutive à la barre. Malgré les mises en garde de la présidente, l’accusé n’a pas été plus coopératif que la veille. Pis, par moments, il a même refusé de répondre aux questions… ce qui provoqua l’ire de la présidente.
Après insistance et beaucoup de patience de la part du tribunal, on apprendra qu’au total, 23 milliards de dinars ont été placés et perdus chez Khalifa Bank par les caisses de sécurité sociale. La CNAS a perdu 10 milliards de dinars, la CASNOS 12 milliards de dinars alors que la CNAC en a laissé un milliard de dinars ! La présidente commença son interrogatoire par l’énigme de la contrepartie des dépôts.
L’accusé, après plusieurs tentatives d’explication, laisse entendre que les responsables de ces caisses ou d’autres entreprises publiques ont bénéficié de cartes d’accès au complexe de thalassothérapie de Sidi Fredj ou de cartes de voyages gratuites.
Il existe bel et bien, selon la juge une, liste nominative de 39 responsables d’entreprises et d’organismes publics ayant déposé des fonds chez l’agence d’El-Harrach et qui ont bénéficié en contrepartie de privilèges, dont des cartes de soins, lesquelles ont été effectivement utilisées.
Aziz : mon agence avait signé cette convention dans le cadre d’une opération de marketing et les bénéficiaires étaient appelés à payer eux-mêmes les prestations de services. – La présidente : le DG du centre de thalassothérapie de Sidi Fredj, M. Mouaci Idris, avait indiqué, dans sa déposition, que la signature de cette convention de sponsoring était conditionnée, du côté de l’agence d’El-Harrach de Khalifa Bank, par le dépôt des fonds du complexe auprès de cette banque et le payement par cette dernière de ces prestations.
Mme Brahimi a procédé ensuite à la lecture d’une liste de responsables d’entreprises publiques ayant bénéficié de la carte de soins, parmi lesquels on trouve le P-DG de Saidal. Elle fait savoir que le complexe a réclamé le payement de la facture des prestations au liquidateur de Khalifa Bank et s’est même constitué partie civile dans cette affaire.
La présidente : quelle est votre relation avec Mouaci Idris ? Aziz : c’est le P-DG du centre de thalassothérapie de Sidi Fredj. Il est client de notre agence. Il m’a dit qu’il voulait améliorer la qualité de services de son centre à travers des équipements neufs, à l’exemple de parasols, de chaises et de tables, financés par notre banque.
En contrepartie, le centre met trois locaux à la disposition de Khalifa. – Qui a signé la convention de sponsoring ? – Moi-même ! – En quelle qualité ? – Il s’agit d’un simple projet de convention. Je l’ai donc personnellement signé.
– Pourquoi étiez-vous chargé de la distribution des cartes de membres de thalassothérapie ? – C’est une des dispositions de ce centre pour améliorer son image de marque. Il s’agissait de simples cartes d’accès, sans plus. – La carte est un abonnement annuel qui coûte 120 000 dinars ! Le procureur général intervient alors… – Vous étiez, selon les témoignages de plusieurs patrons d’entreprises publiques, l’intermédiaire dans le contrat de sponsoring ? – Cela entrait dans le cadre des opérations de marketing de la banque.
– Tous ces responsables n’avaient pas de compte à Khalifa, pourtant l’ouverture de ce dernier était la troisième condition du sponsoring ? – Ils avaient déjà un compte… La présidente du tribunal reprend son interrogatoire : – Qui a établi la liste des bénéficiaires des cartes de thalasso ? – Mon adjoint et moi-même.
Le procureur général fait savoir qu’il y a des responsables de la CNAC, de la CNAS, de la CASNOS ainsi que des entreprises publiques qui ont bénéficié de ce privilège en contrepartie du dépôt de fonds à l’agence d’El-Harrach. – Qui prenait en charge financièrement les personnes bénéficiaires de ces cartes ? – Ces personnes payaient pour elles… La présidente : pour la dernière fois, je vous demande qui a financé ces cartes ? Pas de réponse convaincante de l’accusé.
– A quel titre vous, directeur d’agence bancaire, avez intervenu pour dresser la liste des 39 responsables et leur permettre d’avoir la fameuse carte, alors qu’ils peuvent facilement se permettre ce luxe ou de payer carrément un prix symbolique à travers la sécurité sociale ? – C’était une liste nominative entrant dans le cadre de nos relations commerciales.
Les responsables du centre nous ont demandés de leur fournir des noms de personnes respectables, pour bénéficier de soins. Et nous l’avons fait. – Vous avez vous-même rédigé donc cette liste ? Et pourquoi ne pas avoir donné la priorité à votre personnel ? – Ce sont eux qui ont demandé de leur transmettre les noms de gens intéressés par leurs prestations de services.
Lors de l’interrogatoire, la présidente faite savoir que l’accusé avait accordé à Dahmani Nourredine une somme de 9,5 millions de dinars. Aziz Djamel tente de s’expliquer en affirmant qu’il s’agissait d’un responsable à Khalifa Airways qui avait ramené un ordre écrit du P-DG.
La présidente : et les 4,5 millions de dinars ? Aziz : cette somme a été octroyée à Nanouche, l’ex DG de Khalifa Airways, pour financer l’achat d’un logement au profit de sa fille. – Même les cadeaux s’offrent avec l’argent des déposants ! Vous qui êtes un spécialiste dans le domaine, croyez-vous qu’il s’agit d’un acte légal ? – Oui, normal, cela se faisait sur ordre du P-DG ! – Qui est Yacine ? – Yacine Ahmed est un client de la banque.
Il est le P-DG de Digromed. – Parlez-nous des placements qu’il a effectués dans votre agence ? – Yacine Ahmed a placé à mon agence 325 millions de dinars. L’accusé fait savoir qu’il a présenté Yacine Ahmed au P-DG du groupe. – Quel était l’objet de cette rencontre entre Yacine et Abdelmoumène Khelifa ? – Il a demandé un crédit administratif lié à son activité.
Lorsqu’il a sollicité le prêt et sa signature, je lui ai dit que cela relevait des prérogatives du P-DG et je lui ai donc pris rendez-vous. Aziz Djamel reconnaît également avoir donné de l’argent dans des sacs pour des cadres de la banque, dont Nanouche, Kebach Ghazi, Sakina Taïbi et bien d’autres.
– Parlons de Sakina Taïbi, qui est-elle ? – C’est la directrice de Khalifa Airways. – Quelle relation a-t-elle avec la banque ? – Aucune ! – Pourquoi alors lui avoir donné de l’argent ? – Je n’ai pas donné d’argent à elle directement.
Elle a envoyé son chauffeur avec sa carte de visite et la signature d’Abdelmoumène au verso me demandant de lui envoyer 1,2 milliard de centimes. – Et alors ? – J’ai exécuté l’ordre ! – Avec une simple carte de visite ?! – Oui, une carte de visite avec la signature de Khelifa… Très surprise par la réponse, la présidente releva au passage que parmi les recommandations, soi-disant, signées par le P-DG, la secrétaire de Khelifa, qui était la seule capable de reconnaître toutes les signatures, n’a pas reconnu plusieurs autres signatures attribuées à Khelifa.
L’accusé révéla plus loin avoir servi d’intermédiaire pour que de nombreuses entreprises publiques déposent leur argent dans son agence, à l’exemple de la distillerie publique d’El-Harrach qui a placé 80 millions de dinars. La présidente s’est longuement attardée sur les biens personnels acquis en un temps record par Aziz Djamel, exhibant à un certain moment des photos de la villa de l’accusé.
Aziz ne pouvait logiquement se permettre le luxe de construire une villa en huis mois avec un salaire mensuel de 80 000 dinars. Passer de statut de locataire d’une très modeste chambre à un propriétaire d’une villa de trois étages en l’espace de six à huit mois seulement, il faut le faire ! En plus, la villa abritait également une clinique dentaire et un centre d’hémodialyse, avec des équipements ultramodernes.
La présidente : d’où avez-vous obtenu l’argent qui vous a permis un tel luxe ? – C’est le fruit de mon salaire ! Là, la présidente a failli perdre son sang-froid avant de déclarer avec un air très menaçant : de toute façon, les enquêtes sont établies sur chacun des accusés et les biens qu’ils détiennent.
Elle se concentre ensuite sur l’agence et plus précisément sur la manière avec laquelle sortait l’argent de l’agence. – Aziz : sur simple recommandation d’Abdelmoumène ! – Comment faisiez-vous pour enregistrer ces sommes d’argent que vous mettez à la disposition de personnes étrangères ? – J’avais mes écritures entre sièges que j’envoyais au directeur de la caisse principale, même sans la contrepartie en espèces.
La confrontation avec le caissier principal est inévitable, la présidente appelle Akli Youcef, Akli : une partie des écrits entre sièges ue lui a adressée Aziz Djamel n’était pas accompagnée de fonds. Je recevais ces écritures parfois par courriers et parfois par porteurs.
M. Abdelmoumène Khelifa m’ordonnait de laisser ces écritures en instance, le temps de régulariser la situation. C’est ce que j’ai fais. Mais il est du devoir du directeur de l’agence d’El-Harrach de s’inquiéter dès qu’il constate le non-retour de l’accusé de réception.
S. H. et N. O.