La justice britannique relance l’affaire Khalifa

La justice britannique relance l’affaire Khalifa

La boîte de Pandore sera-t-elle ouverte ?

El Watan, 28 juin 2009

Après la cacophonie qui l’a entouré, nul n’aurait misé sur l’aboutissement du dossier d’extradition de Abdelmoumène Khalifa fourni par l’Algérie aux autorités britanniques.

Sauf surprise de dernière minute, l’ancien patron de l’empire Khalifa sera bel et bien remis aux mains de la justice algérienne. La justice du Royaume-Uni a mis tout le temps nécessaire pour examiner toutes les pièces du dossier et aurait cerné tous les contours d’un feuilleton qui semble toucher à sa fin. L’appel du golden boy aura-t-il une chance d’aboutir ? Peu probable ! Dans tous les cas de figure, le sort du milliardaire fugitif semble bien être scellé. L’interrogation qui s’impose à présent concerne la reprise de son procès ici en Algérie même. A la seule idée de le voir à la barre est un événement qui va à coup sûr défrayer la chronique judiciaire. Pas seulement.

Retour à la case départ

Son procès donnera sûrement une autre tournure à une affaire classée dans la rubrique d’un des grands scandales financiers que le pays n’a jamais connu.La collectivité nationale y a perdu 220 milliards de dinars, l’équivalent de 3 milliards de dollars. Que dira alors Abdelmoumène Khalifa pour accréditer la thèse qu’il ne cesse de défendre que « son empire a été victime d’un règlement de comptes politique » ? Que révélera, si il est extradé, l’ex-milliardaire algérien qu’il n’a pas encore dit ou divulgué soit devant la justice britannique ou à la presse internationale ? La boîte de Pandore sera-t-elle ouverte cette fois-ci sous les regards de la justice britannique en particulier et de l’opinion publique en générale, auxquelles l’Algérie a garanti la tenue d’un procès juste et équitable ? L’extradition du golden boy aura peut-être le mérite de revenir sur des interrogations restées en suspens lors du procès concernant la caisse centrale d’El Khalifa Bank, mais aussi de relancer le procès dans l’un de ses volets les plus importants, à savoir les transferts de devises par swift et les cartes de crédit, dont l’instruction a commencé il y a plus de deux ans sans que l’on sache de quoi il retourne. Mais en attendant l’extradition de Abdelmoumène Khalifa et surtout l’appel qu’il a introduit pour s’en extraire, qu’en est-il des autres fugitifs, des Keramane, Abdelwahab, ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, Abdenour, ancien ministre de l’Industrie et sa fille Yasmine, ancienne responsable de l’antenne italienne de Khalifa Airways. Ces derniers avaient, rappelons-le, clamé leur « innocence » et ont parlé d’« une machination politicienne » dans une lettre remise à la presse au moment où se déroulait, en 2007, le procès de la caisse centrale d’El Khalifa Bank au tribunal de Blida. L’on ne sait toujours pas s’ils sont sous le coup d’un mandat d’arrêt international ou non.

En tout cas, il y a longtemps que l’on a cessé de parler d’eux tant les feux de la rampe étaient tous braqués sur Londres où est détenu le patron de « l’empire éclaté ». Du côté de l’Hexagone, c’est la demande de l’Algérie concernant l’extradition des autres pièces du puzzle Khalifa qui revient au-devant de l’actualité après la décision rendue jeudi dernier par la justice britannique. Il s’agit de l’ex-épouse de Abdelmoumène Khalifa, Nadia Amirouchène, d’Amine Chachoua, ex-gérant des affaires Khalifa en France, et de deux autres cadres du groupe, MM. Nanouche et Kebache qui ont fait l’objet d’une demande d’extradition de la part de l’Algérie, mais qui n’a jusqu’à ce jour pas abouti. Les procédures d’extradition sont visiblement très lentes. Encore faut-il une volonté politique qui permettra d’ouvrir la boîte de Pandore pour dire la vérité aux Algériens sur les tenants et les aboutissants d’une affaire qui a coûté cher au Trésor public.

Par Said Rabia

 


Maître Miloud Brahimi : « Dans le cadre d’un nouveau procès, tout sera rejugé »

L’extradition de l’ancien magnat algérien, Abdelmoumène Khalifa, est désormais possible. La Grande-Bretagne, où il s’est réfugié en 2003, a accepté, jeudi dernier, de le remettre à l’Algérie.

Le premier responsable de la plus grande escroquerie qu’a connu le pays n’a devant lui que quelques mois avant de se retrouver entre les mains de la justice algérienne. Il dispose, bien sûr, d’un droit de recours, et son avocate a décidé d’interjeter appel. C’est sa dernière cartouche ! Dans le cas où l’autorité de justice britannique, la Chambre des Lords, confirme la décision du tribunal de Londres, l’ancien golden boy répondra de ses actes devant un tribunal algérien. En effet, il aura droit, conformément aux lois de la République et aux assurances données par l’Algérie à la justice anglaise, à un nouveau procès. « Un procès équitable », assure le ministère de la Justice. Comment sera-t-il organisé ? Le procès qui s’est déroulé en 2007, au tribunal de Blida, sera-t-il annulé ? Ce nouveau procès révélera-t-il les profondeurs de cette affaire qui n’a pas encore livré tous ses secrets ? Selon maître Miloud Brahimi, le verdict prononcé par le tribunal de Blida concernant l’affaire Khalifa sera annulé si le premier responsable de l’affaire était extradé. « Dans le cadre d’un nouveau procès, tout sera rejugé et le principal accusé sera considéré innocent jusqu’à sa condamnation par la justice », a-t-il déclaré, précisant que la présomption d’innocence est consacrée par la Constitution. Le juge, a-t-il ajouté, est appelé à rejuger toute l’affaire, sous toutes ses facettes, en prenant en considération l’arrêt de la chambre d’accusation.

Ainsi, ce n’est pas uniquement le patron de l’empire Khalifa qui sera appelé à la barre. « Les témoins et les personnes déjà condamnées pour leur implication dans l’affaire seront rappelés. Ils seront auditionnés à nouveau par le juge », précise notre interlocuteur. Dans ce sens, les ministres et anciens ministres, les cadres de la nation ainsi que les responsables ayant une relation avec l’affaire défileront tous devant le tribunal. Ce nouveau procès sera-t-il une occasion de faire de nouvelles révélations ? D’autres dignitaires du régime impliqués dans cette affaire et qui ont permis à un tel scandale d’arriver seront-ils condamnés ? Ce sont, entre autres, des questions que se posent aujourd’hui les Algériens. Mais les réponses ne seront données qu’une fois Abdelmoumène Khalifa renvoyé en Algérie et présenté devant le juge. Cela ne devra pas être possible de sitôt. « L’examen de l’appel interjeté par la défense de Khalifa va prendre beaucoup de temps. La décision finale ne sera pas prise, en tout cas, durant l’année en cours », souligne Me Brahimi. Et la question des personnes condamnées par contumace pour leur implication directe dans cette banqueroute frauduleuse ? Ces derniers, explique encore notre interlocuteur, ne seront rejugés qu’une fois capturés. Donc le verdict rendu par le tribunal de Blida en 2007 à leur encontre sera maintenu. L’épouse de Abdelmoumène Khalifa, Nadia Amiro,uchène, son oncle Ghazi Kebbache et Mohammed Nanouche (tous deux cadres du groupe Khalifa), dont l’extradition de France n’a pas été obtenue par l’Algérie, ne seront pas concernés par cet éventuel procès, sauf s’ils se rendent à la justice algérienne. Ce qui est peu probable. Les frères Keramane Abdenour (ex-ministre de l’Industrie) et Abdelwahab (ancien gouverneur de la Banque d’Algérie) qui se trouvent actuellement en France et qui ont rejeté les accusations portés à leur encontre, ne seront pas rejugés non plus.

Par Madjid Makedhi


 

L’extradition, une longue procédure

Rien n’est encore acquis concernant l’extradition de Abdelmoumène Rafik Khalifa vers l’Algérie même si le juge britannique, Timothy Workman, a rendu le 25 juin dernier sa décision de remettre Abdelmoumène Khalifa aux mains de la justice algérienne.

Mais ce verdict n’est pas définitif. « Il ne s’agit pour le moment que d’une décision non exécutoire », a précisé Me Mokrane Aït Larbi. L’Algérie devra donc encore patienter et attendre la confirmation de ce verdict par la Chambre des lords (Haute Cour) de Londres, pour espérer que l’ex-homme d’affaires algérien lui soit livré. Jeudi, en rendant son jugement, le juge londonien, Timothy Workman, s’est dit « convaincu que les assurances diplomatiques données par l’Algérie, quant au respect des droits de M. Khalifa, étaient à la fois fiables et de toute bonne foi ». Pour ce magistrat, Abdelmoumène Khalifa « n’est pas victime d’un règlement politique ». Si sur ce plan, la justice britannique semble avoir eu des garanties de la partie algérienne, il n’en demeure pas moins que la question de l’extradition ou non de l’ex-golden boy algérien n’est pas encore confirmée. Ce qui est certain, c’est que son extradition peut ne pas se concrétiser de sitôt. « Elle peut même prendre beaucoup de temps », selon Me Aït Larbi. Joint hier, ce dernier confirme d’emblée qu’ « il s’agit d’une décision de première instance susceptible d’appel ». Selon lui, « Abdelmoumène Khalifa a même la possibilité d’exercer un dernier recours devant la Chambre des lords ».

Ce qui est d’ailleurs le cas, puisque l’avocate de Khalifa, Anna Rothwell, a, une fois le verdict prononcé par le premier juge, décidé de faire appel devant la Haute Cour de Londres. Ce n’est donc qu’après le verdict de cette instance juridique qu’on saura si Abdelmoumène Khalifa sera ou non extradé. Le processus pourrait s’étaler sur plusieurs mois, indique notre source. Mais, techniquement, qu’en est-il de la procédure d’extradition ? Me Mokrane Aït Larbi explique qu’après tous les recours prévus par le droit britannique, et après une décision définitive, deux cas peuvent se poser. Selon lui, ou bien la justice britannique autorise le gouvernement à extrader Abdelmoumène Khalifa vers l’Algérie, et dans ce cas, c’est au gouvernement britannique de prendre la décision (la décision d’extradition n’est, en fait, qu’une autorisation). Elle devient alors une affaire diplomatique d’Etat à Etat. Le second cas qui peut se présenter, « c’est lorsque la justice britannique rejette la demande de l’Algérie. Abdelmoumène Khalifa ne sera tout simplement pas extradé ». Notre interlocuteur a pris le soins de préciser qu’ « aujourd’hui, rien n’est encore acquis, la procédure risque de prendre des années ». Pour lui, « on doit toujours avoir à l’esprit que le Royaume-Uni est un Etat de droit ». En tout état de cause, si l’extradition de l’ancien milliardaire viendrait à se concrétiser, une fois en Algérie, il aura droit à un deuxième procès. Il devra faire opposition à sa condamnation par contumace, prononcée en mars 2007. Il a été condamné à la réclusion à la perpétuité par le tribunal criminel de Blida qui l’avait accusé de faillite frauduleuse, association de malfaiteurs, vol qualifié, faux et usage de faux… Et à ce jour, Khalifa n’a apporté aucun élément concret prouvant son innocence.

Par Rabah Beldjenna