Affaire Khalifa: Des arrestations et des peines à perpétuité en vue
AFFAIRE KHALIFA
Des arrestations et des peines à perpétuité en vue
Le Quotidien d’Oran, 23 août 2004
Le directeur général de Khalifa Bank, Mohamed Al-Azhar Allioui, est sous les verrous depuis mardi dernier, avons-nous appris de sources judiciaires. Quatre mandats de dépôt, dans quatre affaires différentes, ont été prononcés à son encontre. Cinq autres personnes, dont Abdelmoumen Khalifa, font l’objet de mandats d’arrêt internationaux.
Deux autres responsables de la banque, le directeur de la caisse principale et le caissier principal, sont également incarcérés pour les mêmes motifs. Information confirmée, hier, auprès de la cellule de communication et d’information de la cour de Blida. Le procureur général, M. Tahar Lamara, a confirmé «l’arrestation, l’inculpation et la mise en détention préventive, mardi dernier, du directeur général de la banque Khalifa».
La première chambre du tribunal de Cheraga dépendant de la cour de Blida traite actuellement quatre affaires liées au groupe Khalifa. Elles sont toutes en cours d’instruction. Les juges en charge des différentes affaires sont dans la phase la plus délicate de leurs missions : la confrontation des auditions et des témoins. En tout, une quinzaine de responsables du groupe Khalifa sont inculpés dans le cadre des quatre affaires. «Les juges d’instruction reconstituent le puzzle à la lumière des informations qu’ils réunissent.
Et il n’est pas exclu que d’autres inculpations ou mandats de dépôt soient prononcés dans les prochains jours», indiquent des sources judiciaires.
La première affaire (99-03), connue sous la désignation de «l’affaire de la caisse principale de Khalifa Bank», porte, précisent des sources proches du dossier, sur un trou de «3, 27 milliards de dinars au niveau de la caisse principale de la banque», selon une première expertise comptable. Cette affaire implique dix responsables de la structure, dont cinq sont actuellement en état de fuite, Rafik Abdelmoumen Khalifa, Karim Smaïl, Abdelouahab Réda, Chabli Mohamed et Bouabdallah Salim Moulay. Ils font tous l’objet de mandats d’arrêt internationaux.
Concernant les autres inculpés, trois sont sous mandat de dépôt exécuté, le DG de la banque, le directeur de la caisse principale et le caissier principal. Ils sont incarcérés à Serkadji et la prison d’El-Harrach. Les autres sont encore libres de leurs mouvements.
De nouvelles réquisitions ont vu le jour pour cette affaire. Les dix responsables du groupe Khalifa sont inculpés pour «association de malfaiteurs, vols qualifiés, escroquerie et abus de confiance, abus de biens sociaux, infractions à la réglementation sur la création des sociétés par actions (articles 837 et suivants du code de commerce) et, enfin, infractions à la réglementation des changes et aux mouvements des capitaux». Ils risquent au minimum, selon les articles 176, 177, 354 alinéas 3 et 5, 372, 376 et 382 du code pénal, la perpétuité. «Si on applique les textes dans toute leur rigueur, l’association de malfaiteurs est déjà un crime. Allié aux autres chefs d’inculpations, il y a circonstances aggravantes. Ils sont passibles de la peine de mort. Cependant, la peine capitale n’est plus appliquée en Algérie depuis 1992, encore moins pour les crimes économiques. Sans oublier la décision de l’Algérie d’abolir la peine capitale», ont précisé des sources judiciaires.
La deuxième affaire (160-03) concerne le «swift», ou plus exactement «les transferts de fonds vers l’étranger». Elle représente l’un des plus sensibles dossiers traités dans le cadre du «scandale Khalifa». Cette affaire porte sur «l’ensemble des transferts, des dons, d’espèces ou, encore, de billets délivrés au profit de personnalités ou de responsables», ont indiqué nos sources. «Ces swifts ont été réalisés sans aucune garantie, aucun dossier préalable, sur instructions du PDG. Ils étaient mis à disposition des bénéficiaires à Paris, grâce à une banque libanaise, «Credit card and device company Sarl», qui gérait les swifts», indiquent des sources proches du dossier. Et l’on retrouve parmi les sept accusés, les mêmes personnes impliquées que dans la première affaire, dont Rafik Khalifa, Mohamed Al-Azhar Allioui, Baïchi Fouzi, actuellement en fuite et sous le coup d’un mandat d’arrêt international.
La troisième affaire (162-03) porte sur les 5 stations de dessalement d’eau de mer que devait installer Khalifa Construction. Elle implique également 7 responsables du groupe Khalifa, dont le PDG du groupe, le DG de la banque, le caissier principal et le directeur-adjoint de la caisse principale actuellement détenu. Elle porte sur «un transfert de sommes colossales pour l’importation de 5 stations de dessalement par l’intermédiaire d’une société saoudienne, «Huta Site», pour un contrat qui avoisine les 200 millions de dollars». Selon des sources judiciaires, cette affaire est une «escroquerie» assez importante. «Le contrat concernant les trois premières unités, une de 30.000 mètres cubes/jour et deux de 5.000 mètres cubes/jour, qui devaient être importées pour un montant de 67,5 millions de dollars, a été changé pour l’importation d’une station de 1.200 mètres cubes/jour, sans modifier pour autant son montant». Il semblerait même que le dossier n’ait pas été «techniquement ficelé». Il était «sans études socio-économiques probantes». Il aurait même été confié à «des personnes non qualifiées». Le juge d’instruction auditionne actuellement, selon nos sources, de «hauts fonctionnaires au niveau du ministère des Ressources en Eau et de l’Algérienne des Eaux afin de déterminer les degrés de responsabilité de chacun».
La dernière affaire dite des «valeurs de la Société Générale» porte sur «25 millions de dollars transférés par le biais de Fiba Holding International» pour l’acquisition de 25% des actions de la Société Générale Algérie. «Cet argent a été transféré dans les formes les plus irrégulières. Actuellement, 8 millions de dollars ont été récupérés à travers le rachat de ces actions par la Société Générale. La différence, nul ne sait où elle se trouve, hormis que cette somme a dormi pendant plus de deux ans chez un notaire suisse», indique nos sources. Ce notaire devrait être auditionné par le juge en charge de l’affaire.
D’autre part, les responsables d’entreprises publiques économiques, de caisses nationales, de mutuelles et d’autres organismes sont auditionnés par les juges d’instructions sur «les dépôts à terme» en tant que témoins. Le montant global avoisinerait les 50 milliards de dinars, selon les premières estimations, alors que les dépôts variaient entre 100.000 DA et plus de 300 millions de DA. Ils ont été effectués entre fin 2001 et mi-2003 sur la base de taux d’intérêt mirifiques entre 16 et 19 %. Cependant, des sources financières sûres ont révélé que «jamais le taux réellement donné n’a dépassé les 7,75%».
Il variait même, selon les dépôts, entre 5 et 7,75%. L’affaire Khalifa n’a jamais pris un tel virage.
Les juges en charge des différents dossiers liés les uns aux autres auditionnent par ailleurs, de hauts responsables et cadres des ministères des Ressources en Eau, de l’Habitat, des Finances, de l’Inspection générale des finances, de la Banque d’Algérie et bien d’autres. «Ils vérifient à travers l’organigramme de chaque institution, les fonctions et degrés de responsabilité de chacun», précisent nos sources. D’autant plus que le premier signal d’alarme a été tiré en décembre 2001 par l’IGF.
Il n’est pas exclu, selon nos sources, que d’autres inculpations éventuelles puissent être prononcées. Elles impliqueraient de hauts fonctionnaires.
Samar Smati