Paris traque l’argent sale de Khalifa

LA JUSTICE FRANÇAISE OUVRE UNE ENQUETE SUR LE MILLIARDAIRE ALGERIEN

Paris traque l’argent sale de Khalifa

Le Quotidien d’Oran, 17 décembre 2003

Après le tribunal d’Alger, c’est au tour du tribunal de Nanterre en France d’ouvrir une information judiciaire contre le milliardaire déchu, Abdelmoumène Rafik Khalifa. La justice française compte prouver comment l’empire Khalifa a fonctionné en France, soupçonnant une méga-opération de blanchiment d’argent.

Selon la dernière livraison de l’hebdomadaire français L’Express, cette information judiciaire a été confiée à Isabelle Prévost-Desprez, une magistrate spécialisée qui a longtemps oeuvré au pôle financier de Paris et qui est connue pour être une des meilleurs spécialistes juridiques anti-corruption. Khalifa sur lequel court déjà un mandat d’arrêt international lancé par Interpol mais qui coule des jours paisibles à Londres, sous le regard bienveillant de Scotland Yard, a de quoi s’inquiéter tant cette magistrate a la réputation de conduire ces affaires jusqu’au bout. De l’affaire du blanchiment d’argent impliquant 8 banques internationales entre la France et Israël, jusqu’à l’affaire Angolagate, concernant un vaste trafic d’armes dans le cadre de l’affaire Falcone, la magistrate Prévost-Desprez en a fait trembler plus d’un. Charles Pasqua, Pierre Anselin (ami intime de Chirac), le banquier Jean-Pierre Richard, Gérard Longuet, ancien coqueluche de la droite, ainsi que de nombreuses personnalités françaises ont eu déjà à tester l’obstination et l’abnégation de cette juge parisienne.

Selon L’Express, «la justice s’intéresse aujourd’hui de près à la luxueuse propriété de Cannes. Composée de trois villas, elle avait été achetée en 2002 pour 35 millions d’euros par Khalifa Airways», ainsi qu’aux autres activités incohérentes du groupe en France dont la justice française veut en retracer les fonds et les capitaux initiaux. «Plus grave: quelques jours avant le dépôt de bilan de Khalifa Airways, en juillet 2003, les villas sont vendues dans la précipitation à une mystérieuse SCI pour moins de la moitié du prix. L’argent – 15 millions, tout de même… – a disparu. Même scénario pour les Mercedes de Khalifa Rent a Car: une partie s’est évanouie dans la nature. La chaîne de télévision, elle, laisse en tout et pour tout un camion régi sous douane…», écrit encore L’Express.

La justice française qui s’auto-saisit en quelque sorte du fait que les fournisseurs et les PME/PMI françaises qui sous-traitaient pour les différents segments du groupe Khalifa ont initié des poursuites à part pour récupérer le montant de leurs factures, semble emboîter le pas à une véritable aversion à l’ancien conglomérat algérien dont une partie des activités étaient en France. Abdelmoumène Khalifa n’a pas seulement fait prospérer un argent douteux en France mais s’est également mêlé à des jeux de pouvoir en France à travers certaines de ses amitiés à Paris. Ses démêlés avec la droite française remontent au moment où son nom a été évoqué comme finançant des activités de personnalités et des partis politiques qui avait convaincu l’Elysée que Khalifa était une sorte de financier occulte des adversaires politiques de Jacques Chirac. D’où l’aversion pour ce richissime algérien qui claquait son argent dans le Tout-Paris organisant des cocktails à Cannes à 20 millions d’euros ou payant des tournées générales au Bouddha Bar à Paris, un des endroits branchés où il se retrouvait avec ses collaborateurs.

Car si Rafik Khalifa ne risque pas encore d’être inquiété directement par la justice française, en attente de l’achèvement de la procédure du tribunal de Nanterre et une probable demande d’extradition, ses amis et anciens collaborateurs en France risquent gros. Car si le groupe Khalifa a coûté au contribuable algérien plus de 120 milliards de dinars, une grande partie de cet argent n’a jamais été retrouvée. D’anciens cadres de Khalifa Bank, Khalifa Rent a Car, Airways et KRG Pharma sont «réfugiés» en France, menant un train de vie digne d’aristocrates. La justice française serait certainement intéressée de savoir par quel miracle ils continuent de rouler carrosse à Paris, Cannes et Nice alors que le groupe a sombré. La justice française devrait aussi s’intéresser aux montages financiers, circuits bancaires et autres SARL et SAS, qui ont servi à Khalifa pour s’implanter en France. Les spécialistes estiment en effet à 2,5 milliards d’euros ayant été exfiltrés d’Algérie vers des banques offshore, des paradis fiscaux et des succursales européennes. Mais ces transactions ont laissé des traces dans les banques françaises auxquelles la juge parisienne s’attellera à retracer dans le détail. De quoi éclabousser beaucoup de personnes influentes en France et en Algérie qui ont couvert par leur mutisme la fantastique faillite de l’ancien premier groupe privé algérien.

Mounir B.