Le ministère britannique de l’intérieur a donné son accord : Khalifa sera extradé
El Watan, 29 avril 2010
Après de nombreux reports, le ministère britannique de l’Intérieur a fait connaître, hier, sa décision d’autoriser l’extradition vers l’Algérie de l’ancien homme d’affaires Abdelmoumen Khalifa, condamné par contumace à la perpétuité par le tribunal criminel de Blida, en mars 2007, pour plusieurs « crimes » en relation avec la gestion de la caisse principale d’El Khalifa Bank. « Le ministre de l’Intérieur a décidé, mercredi, d’ordonner l’extradition de Abdelmoumen Khalifa », a indiqué la porte-parole du Home Office britannique, précisant qu’une lettre expliquant les raisons de cette décision a été envoyée aux avocats de Khalifa.
La lettre du Home Office, dont une copie a été obtenue par l’AFP, précise que le ministre de l’Intérieur, Alan Johnson, « a conclu que rien ne l’empêchait d’ordonner l’extradition de M. Khalifa » en vertu de la loi sur l’extradition de 2003, après avoir « examiné avec soin » toutes les requêtes. Le ministère y souligne avoir reçu des « garanties » du gouvernement algérien, en particulier au sujet de la peine maximale encourue par M. Khalifa, à savoir la prison à vie. « La peine de mort pour des infractions économiques a été abolie en novembre 2001. Il ne risque par conséquent pas la peine capitale », est-il relevé dans la lettre, où il est précisé qu’aucune condamnation à mort n’a été appliquée en Algérie depuis 1993. « Etant donné les faits, les circonstances et l’exposition du dossier, le ministre pense que les autorités algériennes sont parfaitement conscientes (du fait) que l’affaire de M. Khalifa sera suivie de près en contrepartie », préviennent les auteurs du courrier. La justice britannique avait, rappelle-t-on, autorisé le 25 juin 2009 l’extradition de l’ancien golden boy algérien. Il appartenait donc au ministre britannique de l’Intérieur de valider cette décision. Initialement, ce dernier devait rendre sa décision avant le 24 octobre 2009, mais il avait obtenu un report à quatre reprises.
Toutefois, l’extradition de l’ancien patron de l’empire Khalifa ne devrait pas intervenir dans l’immédiat dans la mesure où il a encore la possibilité de faire appel de la décision du ministère britannique de l’Intérieur. Pour cela, il dispose d’un délai de 14 jours pour engager une procédure dans ce sens. A ce propos, l’avocate de M. Khalifa, Anita Vasisht, a annoncé hier son intention de faire appel. Une initiative qui aura pour effet de suspendre la procédure d’extradition de son client. « Nous allons faire appel », a-t-elle déclaré à la presse. Selon elle, le ministre de l’Intérieur britannique, Alan Johnson, a « accepté les garantie diplomatiques » de l’Algérie concernant la sécurité de son client dans son pays. Le juge Timothy Workman (tribunal de Westminster à Londres), qui s’est prononcé favorablement sur la demande d’extradition introduite par la justice algérienne auprès des autorités britanniques, avait lui aussi estimé, en juin 2009, que l’extradition de Abdelmoumen Khalifa « ne contrevenait pas à la Convention internationale des droits de l’homme ».
L’affaire de M. Khalifa sera suivie de près par les Britanniques
Le ministère britannique de la Justice avait précisé notamment, dans un communiqué publié à l’issue du verdict du juge Workman, que la décision d’extradition « a été prise suite à une série de procédures qui ont abouti à l’annonce de l’acceptation de la demande algérienne en la forme et à l’examen, ensuite, de l’objet de la demande, la vérification des pièces à conviction, en s’assurant que les conditions qui garantissent un jugement équitable du concerné devant les tribunaux algériens sont réunies et ce, au cours de nombreuses séances d’audition de témoins, d’experts et des plaidoiries des avocats ». Lors d’une déclaration faite à la presse durant la même période, le ministre de la Justice, Tayeb Belaïz, avait précisé que la demande formulée par son département pour l’extradition de Abdelmoumen Khalifa était notamment basée sur des documents relatifs à la falsification de l’hypothèque de la villa familiale et d’un local commercial jusqu’à la constitution du groupe Khalifa. Parmi les autres chefs d’inculpation retenus contre Khalifa figurent également les cas de vols survenus au niveau des différentes agences d’El Khalifa Bank sur ordre de l’accusé lui-même, la gestion anarchique et la négligence ayant marqué les transferts de devises sous le couvert de diverses transactions qui étaient, selon la liste des chefs d’accusation, des détournements organisés.
Si le feu vert donné, hier, par le Home Office britannique pour l’extradition de Abdelmoumen Khalifa a pour effet immédiat de battre sérieusement en brèche les arguments soutenus, à Alger, par de nombreux observateurs – connus pourtant pour être très avertis – ayant maintes fois misé sur le fait que « Londres ne remettra jamais Khalifa au pouvoir algérien », il est certain aussi que la nouvelle annoncée par le département dirigé par Alan Johnson n’ira probablement pas sans provoquer un véritable séisme dans les différents cercles des hautes personnalités qui ont longtemps gravité autour de l’empire Khalifa. Epargnées par la justice lors du premier procès Khalifa, ces mêmes personnalités pourraient effectivement se voir inquiétées dans l’hypothèse où, réellement, Abdelmoumen Khalifa sera extradé et rejugé à Blida. Au plan politique, il est certain que les décideurs ne se priveront pas d’essayer de rentabiliser au maximum l’affaire Khalifa et, pourquoi pas, d’en faire un exemple. L’exercice pourrait être très lucratif, surtout dans le contexte actuel marqué par une lutte sans pitié contre la corruption. Mais en attendant que les choses se confirment, il est certain que beaucoup se tiennent le ventre et ont déjà commencé à sombrer dans une terrible angoisse.
Par Zine Cherfaoui
La procédure judiciaire est encore longue et difficile : Une extradition aux allures de film à suspense
Lorsqu’un golden boy ruiné, ayant provoqué l’un des scandales les plus sordides que l’Algérie ait connu, a le malheur d’apprendre la nouvelle de son extradition vers son pays d’origine, le suspense reste entier.
Moumen Rafik Khalifa devra ainsi exploiter tous les filons qu’offre la justice britannique pour éviter la justice algérienne. La procédure britannique d’extradition est déjà suffisamment compliquée pour lui permettre de gagner du temps. Depuis que le tribunal de Westminster a donné son autorisation d’extradition, en juin 2009, l’avocate de Moumen Khalifa, Anita Vasisht, a entamé la procédure d’appel auprès de la cour et rien ne pourra se faire sans que la justice britannique rende publique sa décision définitive. « Il faudrait d’abord savoir si la cour d’appel a statué pour pouvoir juger de la possibilité de son extradition », nous explique Me Mokrane Aït Larbi, avocat. S’il est certain que l’autorisation du ministère britannique de l’Intérieur est un grand pas vers l’extradition du play-boy algérien, les démarches administratives s’avèrent aussi longues que difficiles. Khalifa peut désormais introduire un recours devant la Cour suprême dans un délai qui ne saurait dépasser les quatorze jours.
Dans une méticuleuse explication de la procédure d’extradition, Mokhtar Lakhdari, directeur des affaires pénales et des grâces au ministère de la Justice, expliquait à l’APS, en juin dernier, que la durée du procès devant la Cour suprême britannique « dépend des moyens et des éléments invoqués par le demandeur et des arguments que lui opposera la partie adverse ». En principe, a-t-il précisé, « la Cour suprême statue sur des points de droit, mais le débat pourra s’étendre à des questions de fond s’il s’agit de faits nouveaux qui n’ont pas été discutés devant la premier juge et qui sont de nature à remettre en cause la décision d’extradition ». L’ultime recours dont disposera Moumen Khalifa sera la Chambre des Lords (House of Lords), la Chambre haute du Parlement du Royaume-Uni, composée de plus de 700 membres nommés à vie. Devant cette prestigieuse institution britannique, la plus haute instance judiciaire du pays qui ne traite que des affaires qui relèvent de « l’intérêt national britannique », il lui faudra de convaincre que la Grande-Bretagne gagnerait à se préoccuper de sa cause. S’il devait passer devant la Chambre des Lords, Moumen Khalifa aura certainement besoin d’un brillant avocat et d’une magistrale plaidoirie, s’appuyant – comme d’habitude – sur les risques de « liquidation » à Alger, invoqués dans les tabloïds londoniens cette semaine.
« L’homme d’affaires algérien fait face à une éventuelle extradition malgré les mises en garde des services de sécurité britanniques », titrait il y a quelques jours le journal The Guardian. Au cas où Khalifa échouerait à toutes les voies de recours, l’affaire deviendrait alors diplomatique et irait nettement plus vite. Le gouvernement britannique, selon les explications de Me Aït Larbi, a allégé les procédures d’extradition depuis l’affaire du terroriste réfugié à Londres, Rachid Ramda, qui n’a, pour rappel, été renvoyé en France qu’après dix ans de batailles juridiques. Dans la mesure où l’Algérie et la Grande-Bretagne ont déjà signé une convention d’extradition, il ne devrait plus y avoir de couacs supplémentaires. Mais tout cela appartient au domaine de la supputation, car dans une affaire aussi importante, le suspense reste entier. Le dénouement dépendra, peut-être, des négociations en coulisses entre les responsables des deux pays.
Par Amel Blidi