Ce qui a sauvé Sonatrach
Face à la baisse des prix du pétrole
Ce qui a sauvé Sonatrach
Le Soir d’Algérie, 31 janvier 2016
Comment la Sonatrach pourra-t-elle affronter la baisse des cours du baril qui a provoqué une cassure quasi générale des compagnies pétrolières? Contrairement à la majorité des compagnies qui ont décidé de réduire sensiblement leurs dépenses et d’abandonner certains actifs, le groupe pétrolier algérien, classé dixième au monde, a décidé de maintenir son plan d’investissement et d’accroître ses capacités de production.
Bien que toutes les analyses convergent vers une remontée des cours du pétrole à partir de 2017, la Sonatrach a maintenu tous ses objectifs, alors qu’un vent de panique a secoué cette activité dans le monde.
Fusions-acquisitions en masse
Pour éviter la mort, certaines compagnies ont décidé d’accepter les offres d’acquisition de leurs actifs par d’autres. L’information de la semaine est sans doute le vote des actionnaires de British Gas en faveur de l’absorption de leur groupe par le géant Royal Dutch Shell. Cette méga-transaction est considérée comme la plus importante de l’histoire du pétrole. Elle a porté sur les 64 milliards d’euros pour le rachat de BG et porte ainsi Shell à 186 milliards de capitalisation boursière.
Cette chute des prix du pétrole semble créer un climat similaire à celui des années 90, qui a vu une multiplication de fusions et acquisitions. A cette époque, BP avait tout simplement racheté Amoco et Arco, alors qu’Exxon avait absorbé Mobil. L’américain Chevron avait lui aussi absorbé sa compatriote Texaco.
Le même phénomène de fusions et acquisitions est observé aujourd’hui chez les sociétés de services. Halliburton est sur le point de fusionner avec Baker Hugues et sa rivale Schlumberger attend le feu vert légal pour mettre la main sur Cameron.
Weatherford, qui ne s’est pas laissé entraîner dans ce sillage, risque tout simplement de s’écrouler dans les mois à venir, sous l’effet de la dette et du manque de commandes.
En Europe, les compagnies françaises de services CGG et Technip ont vu chuter leurs recettes et, première mesure, elles ont vite recouru au licenciement, avant d’envisager des opérations d’endettement. Technip a déjà lancé, il y a deux semaines, une opération d’emprunt obligataire de l’ordre de 375 millions d’euros. Pour sa part, l’italienne Saipem, qui a chuté de 32% depuis le début de l’année, a procédé, il y a quelques jours, à l’augmentation de son capital à hauteur de 3.5 milliards d’euros pour combler la dévaluation de 14 milliards, enregistrée sur les trois dernières années.
Toutes les compagnies de services enregistrent une baisse de leur chiffre d’affaires à hauteur de 50%. En dépit de la réduction (20%) des prix de leurs prestations, ces compagnies n’ont pu remplir leurs carnets de commandes et ont toutes commencé les licenciements d’une partie de leurs personnels respectifs.
Dans l’activité de forage, on évoque le terme de catastrophe. Aux Etats-Unis, ce sont des dizaines de compagnies qui ont mis les clés sous le paillasson. Dans son dernier rapport trimestriel, Baker Hughes annonce une réduction de 46% du volume des plateformes de forage à travers le monde au cours des douze derniers mois et estime que l’année 2016 connaîtra une autre diminution qui pourrait atteindre 30%.
L’ouverture du capital
Qui aurait imaginé, il y a un an seulement, que la plus grande compagnie au monde allait introduire en Bourse une partie de son capital ? Quand le groupe saoudien Aramco a annoncé, il y a quelques jours, son intention d’aller en Bourse, les traders ont vu venir une révolution.
Aramco est valorisée à plusieurs milliers de milliards de dollars, donc très loin des 560 milliards d’Apple, première capitalisation boursière au monde. La compagnie saoudienne qui gère 15% des réserves mondiales et une production quotidienne de 10.2 millions de barils, ne devrait pas trouver de difficulté à attirer les investisseurs.
Idem pour le numéro deux mondial, la compagnie russe Rosneft, qui produit 5 millions de barils par jour. La compagnie russe a, elle aussi, l’intention d’introduire en Bourse 20% de son capital. A Moscou, on considère que cette opération est nécessaire pour maintenir un bon niveau d’investissements dans l’activité de production.
Même l’américaine Exxon Mobil, troisième compagnie au monde, a été affectée par la chute des prix du pétrole et le début de déclin de certains gisements de gaz de schiste aux USA. Cette compagnie, qui produit 4 millions de barils par jour, voit ses gains se réduire de 50% en l’espace d’une année. Elle est donc forcée de réduire ses coûts et geler certains investissements pour ne pas recourir à l’endettement.
La française Total s’est inscrite dans la même logique en décidant de réduire ses dépenses à hauteur de 1.2 milliard de dollars et de préparer une short-list d’actifs qu’il s’agit de céder en cas où les prix du pétrole se maintiennent dans cette tendance baissière.
Il y a quelques jours seulement, Total a entamé l’exécution de ce plan de cession d’actifs en procédant à la vente de la moitié de ses participations dans le gisement de Khariaga, dans l’Arctique russe. Ces parts françaises ont été acquises par la compagnie russe Zaroubejneft.
La direction de British Petroleum, pour sa part, est confrontée à un mécontentement généralisé de ses investisseurs qui ont vu chuter le rendement de leurs action de 43% par rapport à l’année dernière. BP devra revoir, en 2016, tous ses calculs pour maintenir ses dividendes à un niveau qui puisse satisfaire ses actionnaires.
Le rôle des banquiers
La semaine dernière aura été également mouvementée chez les banquiers. Moody’s, le principal analyste financier aux Etats-Unis, a revu à la baisse la cotation de 175 compagnies pétrolières et minières. Ce choc provoqué par Moody’s s’inscrit naturellement dans la continuité de l’action initiée par des grandes banques américaines. Celles-ci ont énormément influé sur la baisse des prix du pétrole en diffusant continuellement des analyses faisant ressortir un baril à 20 dollars dans les prochains mois. Cette politique qui consiste à tirer les prix vers le bas, est menée essentiellement par les trois banques d’investissement majeures (Morgan Stanley, Goldman Sachs Group et Citigroup).
Ces mêmes banques considèrent que le tiers des compagnies américaines de pétrole risquent la faillite au début de l’année 2017.
Dans la réalité du paysage américain, une trentaine de petites sociétés qui doivent aux banques un montant supérieur à 13 milliards de dollars ont déjà déclaré faillite au cours des sept derniers mois. Le reste des petites compagnies dépense près de la moitié des recettes uniquement pour payer le service de la dette et éviter la faillite.
En somme, l’ensemble des producteurs américains observe une diminution de 89.6 milliards de dollars sur les douze derniers mois.
Cette crise profite naturellement aux banques et aux fonds d’investissement qui auront à racheter, pour une poignée de dollars, les sociétés en faillite ou les gisements abandonnés par ces petites compagnies.
A la reprise haussière des cours du pétrole, ces institutions financières auront réalisé des chiffres inimaginables.
Ces banques continuent de saigner même certains Etats. Car, si des pays comme l’Algérie et le Venezuela ont été sévèrement affectés par la baisse des cours du pétrole, un Etat nouveau comme le Soudan du Sud risque la faillite générale dans les prochains mois. Depuis son indépendance, le Soudan du Sud tire l’essentiel de ses recettes du pétrole. Mais l’or noir soudanais est vendu à perte depuis plusieurs mois.
En raison de sa qualité moindre, le pétrole soudanais est vendu 5 à 6 dollars en dessous du Brent. Or, pour l’extraire, le baril de pétrole revient déjà à 15 dollars. En plus, le Soudan du Sud est tenu de verser à Khartoum 24 dollars sur chaque baril qui est transporté par les pipelines vers Port-Soudan…
Le Soudan du Sud est donc astreint à l’endettement pour vendre à perte son pétrole. Mais, la question est de savoir jusqu’à quand les banques continueront à le soutenir.
Le paysage algérien
Comparativement à la catastrophe survenue aux Etats-Unis et au Canada, le paysage pétrolier algérien demeure relativement stable.
Dans son activité de recherche et de production en partenariat, la Sonatrach est associée à 30 compagnies étrangères, immatriculées dans 21 pays.
Pour l’heure, la compagnie publique algérienne produit des hydrocarbures dans le cadre de 26 contrats d’association avec les groupes étrangers et gère 8 nouveaux contrats, qui sont encore dans une phase d’exploration.
La part des associations avec les compagnies étrangères représente quelque 30% de la production nationale. Du coup, la Sonatrach est tenue de conserver une certaine vigilance à l’égard de ses associés.
A ce jour, la situation des compagnies étrangères opérant en Algérie est relativement stable, à l’exception de Petroceltic et Medex qui se sont écroulées sous le poids de l’endettement et ne sont plus en mesure d’honorer leurs engagements contractuels.
La compagnie irlandaise Petroceltic, qui opère sur le champ d’Isarène, a mis en vente, il y a quelques jours, tous ses actifs en Algérie et en Egypte. Mais, elle n’a pas obtenu des offres à la hauteur de ses attentes. Les repreneurs potentiels attendent le moment de l’écroulement de son action en Bourse pour s’accaparer de l’entreprise à moindre coût.
La compagnie tunisienne Medex, qui opère sur le champ de Bourarhat Nord, au sud d’Illizi, est pratiquement dans la même situation de faillite. La Sonatrach a déjà engagé une procédure d’arbitrage pour mettre un terme à cette association.
L’autre cas, qui est en cours d’examen, est celui de l’italien Enel. Ce dernier a annoncé, il y a un an, son intention de vendre tous ses actifs en Afrique du Nord et se concentrer sur son activité de production d’électricité.
Enel est présent dans l’association Isarène, en phase de développement, et trois autres permis d’exploration (d’Illizi Sud avec Repsol et GDF, Msari Akabli et Tinhert Nord avec l’émiratie Dragon Oil). L’opérateur italien devra donc trouver des acquéreurs à ces participations en Algérie.
Mais le cas qui suscite le plus d’inquiétudes est celui du géant américain Anadarko qui se trouve dans le viseur de la compagnie publique chinoise, Sinopec. Les responsables de celle-ci ne cessent d’inciter les actionnaires d’Anadarko à accepter leur offre de vendre toute la société, qui détient de gros actifs, notamment en Algérie.
Si cette transaction venait à terme, la Sonatrach et le gouvernement algérien se trouveraient dans une gêne sans précédant. Le permis de Hassi Berkine, géré par la Sonatrach et Anadarko, présente un poids non négligeable dans la production nationale.
Sérénité à la Sonatrach
Même avec un baril à 30 dollars, la Sonatrach ne se sent pas dans la difficulté. Car, si le baril de pétrole grimpe à 140 dollars, le prix de référence instauré par le gouvernement est toujours plafonné à 37 dollars. Autrement dit l’excédent de recettes de la Sonatrach est absorbé par les différentes taxes rentières, notamment la TRP et la taxe sur les superprofits, qui représentent plus de la moitié des revenus.
Par ailleurs, il faut retenir le fait que l’hétérogénéité du sous-sol algérien influence énormément sur les coûts de production des hydrocarbures. On retrouve parfois des gisements à forte pression et bonne porosité qui permettent d’extraire un pétrole à 7 dollars seulement le baril. D’autres accumulations sont plus compliquées dans leurs structures rocheuses et le soutirage des hydrocarbures devient donc plus cher.
A la Sonatrach, on privilégie aujourd’hui l’optimisation des procédés et la réduction des coûts d’exploitation. Sur Hassi Messaoud, par exemple, des sommes faramineuses ont été dépensées, pendant plusieurs années, pour augmenter le taux de récupération des hydrocarbures et maîtriser le GOR (Gas Oil Ratio), mais le résultat recherché n’a pas été atteint. Les centaines d’opérations de Work Over et différentes opérations de stimulation ont été vainement menées, puisque la production déclinait d’année en année. Aujourd’hui, on traite les gisements de Hassi Messaoud avec une nouvelle vision moins coûteuse et plus rentable.
Les responsables de la Sonatrach ont fini par se rendre à l’évidence que l’assistance technique fournie par les prestataires étrangers a été largement défaillante et qu’il faut désormais compter sur les compétences locales. Les centaines de millions de dollars, affectées annuellement auparavant aux études fournies par les cabinets étrangers, sont de facto économisées dès lors que l’engineering pétrolier est mené par un personnel algérien.
Un plan de relance de la production de Hassi R’mel est mis en place pour redonner à ce gigantesque gisement un second souffle et lui permettre de retrouver un meilleur niveau de rendement. La mauvaise gestion de ce réservoir a provoqué, au cours des dernières années, un déclin de la production
Outre cette maîtrise de la dépense, la Sonatrach fait l’exception dans le monde des pétroliers. Contrairement à la Sonelgaz, par exemple, Sonatrach n’enregistre actuellement aucune dette auprès des banques et son cash flow est maintenu à un niveau qui lui permet une autonomie de plusieurs années. Ce sont seulement certaines de ses filiales qui ont contracté des crédits d’équipement et de renouvellement de l’outil de production.
Forte de ces atouts, la Sonatrach est en mesure de maintenir son plan d’investissement sur fonds propres et n’a nullement besoin de recourir à l’endettement. Sur les cinq dernières années, les investissements se sont stabilisés à hauteur de 10 milliards de dollars annuellement. Avec les nouvelles orientations de maîtrise des coûts, les budgets devraient se situer à hauteur de 8 milliards de dollars, sans pour autant réviser à la baisse les objectifs des projets structurants.
Mokhtar Benzaki