Les nationalisations des ressources en hydrocarbures se succèdent dans le monde

Les nationalisations des ressources en hydrocarbures se succèdent dans le monde

Le grand retour du nationalisme économique

ABDELMALEK SKENAZI, Liberté, 4 octobre 2006

La fièvre des nationalisations s’est emparée cette année de plusieurs pays producteurs de pétrole. La forte demande internationale sur l’or noir, ajoutée au déclin des réserves mondiales, ont ravivé les vieux démons du nationalisme… économique.

En révisant à la hâte les fondements de sa loi sur les hydrocarbures, l’Algérie a fini par rejoindre, sur la pointe des pieds, le club des pays ayant décidé de reprendre en main les destinées de leurs ressources énergétiques. Les circonstances qui ont entouré l’amendement de la loi du 28 avril 2005 relative aux hydrocarbures en disent long sur l’urgence de ce revirement. En prenant conscience de la gravité des concessions offertes aux compagnies étrangères par la loi de Chakib Khelil, le président Bouteflika ne s’est pas encombré des règles d’usage en confiant dans la hâte à son ministre des Finances le soin de modifier le texte. En l’absence même du patron du secteur de l’Énergie et des Mines ! Le décret rétablissant le quasi- monopole au profit de la compagnie nationale dans tous les projets gaziers et pétroliers en Algérie, restitue en fait à Sonatrach la mission stratégique qui a toujours été la sienne depuis le 24 février 1971 : la garantie de la sauvegarde et de l’exploitation rationnelle du potentiel national en hydrocarbures.

Un trublion nommé Chavez
Si l’Algérie a quelque peu traîné les pieds avant de franchir ce pas, les pays d’Amérique du Sud avaient déjà montré la voie en reprenant le contrôle des richesses de leurs sous-sols. Les leaders “latinos”, sous l’impulsion du trublion président vénézuélien Hugo Chavez, ne se sont pas fait prier pour récupérer leur pétrole et faire profiter leurs communautés nationales des retombées sonnantes et trébuchantes de la flambée des prix enregistrée ces dernières années. Et c’est l’enfant terrible de la révolution bolivarienne qui a ouvert le bal.
Depuis son élection à la tête du pays en 1998, Chavez n’a eu de cesse de narguer le patron de la Maison Blanche, en remettant en cause les intérêts de puissantes et très gloutonnes compagnies pétrolières américaines, à l’image d’Exxon Mobil, Chevron et ConocoPhilips. “Il faut remettre le pétrole au peuple”, clamait-il aux foules, accusant au passage les compagnies étrangères de pomper sans retenue du pétrole sans que sa population n’en perçoive les bénéfices. La décision prise par Chavez de renégocier les contrats avec les “majors” US donne encore des sueurs froides aux Américains qui importent une grande partie de la production vénézuélienne estimée actuellement à 2,6 millions de barils/jour.
Pourtant, cette politique n’a pas été sans risques pour l’homme fort de Caracas. Après avoir échappé à plusieurs tentatives de renversement sous l’instigation de la CIA, Chavez a fait la purge dans les rangs de l’armée et de la puissante PDVSA et entrepris immédiatement des négociations pour le rachat de parts majoritaires dans des mégaprojets dont la valeur en investissements donne le tournis : 43 milliards de dollars ! Mais les ennuis de la Maison-Blanche ne s’arrêtent pas au Venezuela.

L’Amérique du Sud “vire” à gauche
La “revolucion” à la Chavez a vite fait de gagner d’autres pays pétroliers émergents d’Amérique du Sud. Le tout nouveau président bolivien de gauche, Evo Morales, ne s’est pas fait prier, en envoyant — un certain 1er mai —, ses troupes prendre le contrôle des puits de pétrole et de gaz exploités par les compagnies Petrobras (Brésil), Total (France), BG Group (Royaume-Uni), Pluspetrol (Argentine) et l’inévitable Exxon Mobil (USA). Ces compagnies ont tout simplement été invitées à rééquilibrer les conditions contractuelles sous peine de se voir expulser du pays dans les six mois.

Le gouvernement équatorien a fait de même en nationalisant les 15 champs pétrolifères opérés par la compagnie Occidental (USA) après une longue dispute sur les termes de la révision des contrats d’exploitation. Au Pérou, où le leader de centre-gauche Alan Garcia vient tout juste de balayer son rival Ollanta Humala de la présidence du pays, le monde des affaires appréhende sérieusement un changement de cap dans la politique énergétique du pays avec, en ligne de mire, la renégociation du contrat pour le développement du champ gazier de Camisea où Sonatrach est partie prenante avec d’autres compagnies internationales.

Bref, au grand bonheur du leader Maximo Fidel Castro, grand pourfendeur du capitalisme et du pays de l’Oncle Bush, l’Amérique du Sud se libère de plus en plus du joug des compagnies pétrolières occidentales. Ces dernières se rendent de plus en plus à l’évidence qu’elles doivent désormais composer avec des gouvernements de gauche, revoir leurs appétits à la baisse et partager les dividendes tirées de la flambée des prix de l’or noir au profit des pays détenteurs des ressources.

Poutine, le libéral qui voit “rouge”
En Russie, la reprise du contrôle des ressources stratégiques dont regorge le pays a été l’un des plus importants chantiers du président Vladimir Poutine. Après en avoir décousu avec les puissants groupes pétroliers Sibneft et Youkos, dont le propriétaire Mikhail Khodorovsky purge une peine de prison en Sibérie, le patron du Kremlin prépare une nouvelle loi sur les hydrocarbures qui verrouillera davantage l’exploitation des réserves pétrolières et gazières russes aux compagnies étrangères.

Les blocs d’hydrocarbures tomberont désormais sous l’escarcelle des géants étatiques Rosneft et Gazprom et les compagnies étrangères devront recevoir un quitus de ces deux groupes pour prétendre à une licence d’exploitation d’hydrocarbures.
Moscou a également opéré un forcing pour le rachat des parts plus importantes dans les contrats de partage de production qu’elle a signés avec les groupes Royal Dutch Shell, Exxon Mobil et Total.
Certains opérateurs ont déjà flanché devant le rouleau compresseur du Kremlin, d’autres ne devraient pas tarder à flancher prédisent des experts.

Profitant de l’embellie financière tirée des revenus pétroliers (la Russie est le premier producteur mondial de pétrole), Vladimir Poutine manipule à fond l’arme énergétique sur le plan international dans une tentative de redonner à son pays l’influence perdue dans les décombres de l’ex-URSS. Les vannes des pipelines se sont révélées efficaces non seulement pour infléchir les plus récalcitrants des gouvernements ex-satellites de la Russie, mais hantent les esprits des dirigeants de l’Union européenne qui se font livrer 25% de leurs besoins en gaz de Russie.
Le leader “orange” d’Ukraine Viktor Youchenko en sait quelque chose. Après avoir raflé une victoire aux présidentielles contre son rival sponsorisé par le Kremlin, l’Ukraine paie son ralliement vers l’Ouest : le prix de ses importations de gaz de Russie a été multiplié par 4, sachant que le pays ne pourra jamais le payer. Le résultat est vite tombé : Youchenko fait marche arrière et son rival d’hier à la présidentielle est nommé Premier ministre.

La Grande-Bretagne hausse les taxes
Sans remettre en question le libéralisme économique hérité depuis des siècles, le gouvernement travailliste de Tony Blair a profité de la conjoncture pétrolière exceptionnelle pour augmenter les taxes sur les bénéfices de l’extraction du pétrole et du gaz en mer du Nord.
Le très ambitieux ministre des Finances Gordon Brown, en course pour succéder à l’actuel Premier ministre, espère ainsi résorber un déficit budgétaire estimé par les économistes à plus de 18 milliards de dollars (10 milliards de livre sterling), au risque de s’attirer les foudres des compagnies pétrolières.
Celles-ci ont évidemment condamné cette mesure, prédisant au passage un avenir sombre pour l’industrie britannique du pétrole, mais la tentation est trop forte du côté des Travaillistes qui n’espéraient pas autant pour renflouer les caisses de l’État et regagner de précieux points dans les sondages d’opinion. L’alignement inconditionnel de Tony Blair sur la politique moyen-orientale de George Bush a considérablement éprouvé l’image du Labor Party qui joue sa survie dans les prochaines échéances électorales.

A. S.
Analyste des marchés pétroliers