Youcef Yousfi, ou le réversible destin d’un ministre du déclin pétrolier

Youcef Yousfi, ou le réversible destin d’un ministre du déclin pétrolier

El Kadi Ihsane, Maghreb Emergent 21 mai 2013

Les marchés mondiaux de l’énergie n’ont pas réagi à la conférence de presse de Youcef Yousfi. L’ont-ils seulement entendu ? Instantané d’un ministre qui patine sur la pente d’un déclin géologique que les investissements ne sont plus là pour combler.

Le ministre algérien de l’énergie et des mines Youcef Yousfi a annoncé que l’Algérie était sur le point de faire sa plus grande découverte de pétrole depuis 50 ans « en dessous de du gisement de Hassi R’mel ». C’était ce dimanche lors d’un point de presse au siège du ministère. Aucun journal algérien parmi ceux qui ont été sélectionné, n’a repris cette sensationnelle information sur sa page Une. Le message du jour quasi unanimement retenu par les présents est la montée au créneau du ministre pour protéger les entreprises de son secteur. Invitation patriotique à la presse nationale pour ménager Sonatrach et Sonelgaz. « Nous ne sommes pas tous corrompus ». « Il faut éviter de démoraliser les managers du secteur ». La presse serait donc un canal de déstabilisation du secteur de l’énergie. Et Youcef Yousfi paye de sa personne : « je ne laisserai pas faire ». Au final donc, le fait est que l’annonce ministérielle sur un Hassi R’mel pétrolier n’a visiblement pas été prise au sérieux. Elle l’a été d’autant peu que le ministre a choisi, pour apporter cette grande nouvelle au monde, de laisser à la porte de sa conférence, Bloomberg, Reuters, toute la presse étrangère et les médias électroniques algériens spécialisés en économie. Il faut bien dire que les clients énergétiques de l’Algérie n’écoutent plus que d’une demi-oreille les annonces déroutantes de l’austère ministre algérien de l’énergie. Il y a trois ans, dans la foulée de son retour aux affaires, il annonçait, sur la foi de ses dires, à Houston lors d’un congrès énergétique international que l’Algérie avait probablement le même potentiel en gaz de schiste que les Etats Unis. Une « bombe» dans le microcosme qui n’a finalement réussit que très moyennement à masquer la chute de la production algérienne en gaz naturel. 20% depuis 2008 pour l’ensemble des hydrocarbures selon Abdelatif Benachenhou, 6%, au plus, selon Ali Hached, Conseiller du ministre de l’énergie. Les dernières semaines ont été particulièrement ardues pour Youcef Yousfi obligé de faire feu de tout bois. L’Algérie a renoncé à exécuter son contrat de livraison de gaz naturel liquéfié à l’Egypte en 2013, a confirmé l’enterrement du projet du Galsi le gazoduc vers la Sicile et la Sardaigne, et le prix du brut algérien a perdu 8 dollars en mars sur le marché européen à cause d’une activité raffinage déprimée. C’est dans ce contexte tendu que BP, un acteur important sur l’amont pétrolier algérien, a annoncé qu’il allait différer ses investissements en cours. L’arrivée des premières quantités du gisement d’El Merk – Sonatrach-Anadarko plateau de 127 000 barils jour – aurait pu adoucir l’ambiance. Mais El Merk avait cinq ans de retard.

Plus sérieux qu’une faiblesse dans la communication

Si le ministre de l’énergie algérien a réuni la presse, ce 19 mai, pour rappeler à la planète que l’Algérie va demeurer un fournisseur majeur d’énergie fossile dans les 20 prochaines années, l’effet est franchement manqué sur la bourse médiatique mondiale. Une incompétence de sa communication ? Rien de nouveau de ce côté-là, le parallèle avec son prédécesseur -communiquant compulsif – est affligeant pour Youcef Yousfi. Mais là n’est pas l’essentiel. Le ministre algérien de l’énergie persiste, dans un style daté semblable à celui de la communication sur l’état de santé du président, à escamoter l’évidence. Il va y avoir un trou d’air dans les excédents de pétrole et de gaz algérien durant les prochaines années. Par la faute d’un énorme sous-investissement dans la seconde moitié de la décade Khelil. Youcef Yousfi aurait dû être à l’aise pour dire la vérité aux algériens qui sont d’autant prêts à l’entendre que les partenaires étrangers la connaissent déjà. Et lui d’autant plus à l’aise que l’irruption, plus tôt que prévue, de la déplétion pétrolière algérienne n’est pas de son bilan mais de celui de Chakib Khelil, le protégé du président. Youcef Yousfi a fait de très bonnes choses dans le secteur de l’énergie. Il y’a trente ans. Il a initié la loi sur le partage de production en 1986 qui a permis un second âge pétrolier dans les années 90. Sa mission à son retour était la même. Reconstruire le contexte abimé d’un business gagnant-gagnant dans l’industrie pétro-gazière algérienne avec extension vers les énergies renouvelables. Cette mission patine. Elle paraissait ce dimanche 19 mai au bord de l’échec. Parce que les outils pour la réussir sont en compote. Sonatrach en tête. Mais aussi parce que le ministre de l’énergie a manqué d’audace politique depuis 3 ans. Trop rigide avec son aval, trop accommodant avec sa hiérarchie. Conséquence, une révision de la fiscalité dans son secteur en retard de deux ans. Et finalement accueillie sans enthousiasme par les partenaires étrangers, la concurrence faisant mieux ailleurs. Youcef Yousfi, jamais finalement en disgrâce politique durant sa longue carrière de haut fonctionnaire discipliné, parait aujourd’hui en porte à faux avec son seul challenge. Il a choisi de vendre – à qui ? – du gaz de schiste, une centrale nucléaire en 2025, et un gisement géant de pétrole caché sous Hassi R’mel, lorsque il est attendu sur une question unique : la relance ici et maintenant des investissements dans l’amont pétro-gazier et dans l’électricité solaire.