Pour raison de sécurité, Hassi Messaoud déménage

LES SEPT MESURES D’URGENCE D’OUYAHIA

Pour raison de sécurité, Hassi Messaoud déménage

Le Quotidien d’Oran, 10 janvier 2005

Hassi Messaoud s’est développée, depuis plus de vingt ans, sur le périmètre du champ pétrolier. Des habitations ont été construites sur les pipelines et à proximité des installations pétrolières.

Ceci peut entraîner une véritable catastrophe en cas d’incidents majeurs. Un conseil interministériel (CIM) s’est penché sur la situation de la première ville pétrolière d’Algérie, le 30 novembre 2004, sur demande de Chakib Khelil, ministre de l’Energie et des Mines. Depuis, Ahmed Ouyahia a pris personnellement en main le dossier.

Devant la menace pesant à la fois sur la sécurité de la population de Hassi Messaoud et sur les installations pétrolières, le gouvernement a mis en place un plan d’action visant à «la sécurisation du champ pétrolier de Hassi Messaoud et au transfert de la ville» hors du périmètre pétrolier. En clair, l’évacuation à moyen terme de la ville. Le chef du gouvernement a explicité et définit les mesures à mettre en oeuvre dans une instruction (n°5) et une décision (n°6) datées du 4 décembre 2004, adressées à l’ensemble des membres de l’exécutif et dont Le Quotidien d’Oran possède une copie. Pour Ahmed Ouyahia, le conseil interministériel a mis en évidence «les graves périls» qui pèsent non seulement sur les installations pétrolières mais aussi sur toute la ville de Hassi Messaoud. «Ces périls, s’ils survenaient, auront pour conséquences la perte de vies humaines et la destruction d’installations ayant coûté des dizaines de millions de dollars», précise le chef de l’exécutif dans son instruction. Ces risques ont dégagé un «consensus» interministériel. Le CIM s’est résolu à déclarer «l’opération de transfert de la ville de Hassi Messaoud et de sécurisation du champ pétrolier ainsi que des installations de Hassi Messaoud comme dossier d’intérêt national».

Un comité gouvernemental chargé du suivi de l’opération décidée a été créé. Présidé par le chef du gouvernement, il est composé des ministres de l’Intérieur et des Collectivités locales, de la Justice, des Finances, de l’Energie et des Mines, des Ressources en eau, de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, des Transports, des Travaux publics, de l’Habitat et de l’Urbanisme, de l’Industrie et du secrétaire général du gouvernement. Le directeur général de sûreté nationale, le commandant de la Gendarmerie nationale, le wali de Ouargla et le PDG de Sonatrach prendront également part aux travaux du comité. Le CIM a, dans ce cadre, adopté «les 17 mesures recommandées à l’issue des travaux du comité d’experts interministériel réunis à Hassi Messaoud en mai 2004». Ces mesures sont adoptées en tant que «plan d’action à court et moyen terme pour le transfert de la ville de Hassi Messaoud et la réhabilitation de la zone pétrolière». Le CIM a, également, arrêté les actions additionnelles à engager immédiatement.

Selon l’instruction n°5 du chef du gouvernement, Hassi Messaoud sera classée par décret «zone à risques majeurs». Les ministres de l’Energie et des Mines, de l’Intérieur et des Collectivités locales, et de l’Aménagement du territoire sont chargés d’élaborer le projet de décret. Une nouvelle ville sera créée. Elle sera implantée «à l’extérieur du périmètre d’exploitation du champ». Le plan d’action prévoit, dans ce cadre, de geler l’attribution de tout permis de construire pour les activités non indispensables à l’activité pétrolière. Les instances concernées devront prendre en charge les problèmes de sécurité et réglementer strictement la circulation sur les routes et les dessertes pétrolières. Les autorités compétentes doivent, dans le même ordre, établir un état des lieux «exhaustif» sur l’environnement de Hassi Messaoud et réviser le plan d’urbanisation actuel. Il s’agit également d’élaborer les modalités de délocalisation de certaines infrastructures de la zone centrale sur le budget de l’Etat.

Une zone industrielle sera créée en vue de rassembler les services de soutien à la production d’hydrocarbures en dehors du permis d’exploitation. Les instances concernées devront, par ailleurs, mettre en place des mesures incitatives permettant le déplacement des activités et des habitations vers les nouvelles zones d’expansion, élaborer un plan de dépollution, mettre à jour les plans «comme construit» des installations de productions et des réseaux de pipelines mais aussi matérialiser et baliser les ouvrages enterrés (pipelines et câbles électriques). Elles devront, aussi, sensibiliser le personnel, renforcer la formation en matière de prévention et d’intervention, ainsi que d’appliquer les normes les plus sévères en matière de sécurité industrielle. Autres recommandations des experts, éliminer «radicalement» les bidonvilles et mener une étude sociologique sur la population résidant dans la ville à l’effet de déterminer les besoins futurs et les aménagements de la nouvelle ville.

Outre le plan d’action, Ahmed Ouyahia a instruit les ministres pour l’exécution de sept mesures d’urgence. Les autorités locales et nationales sont chargées, précise l’instruction n°5, de «cesser l’attribution de tout permis de construire des habitations ou des infrastructures, y compris publiques, dans la zone de Hassi Messaoud, annuler les permis de construire déjà octroyés, exclure les habitations situées à Hassi Messaoud des opérations de cessation des biens de l’Etat et logements OPGI». La vente de promotions immobilières réalisées dans cette zone doit également être arrêtée. Le devenir des différentes réalisations en cours sur fonds publics dans la zone devra également tenir compte du transfert de cette agglomération. Le gouvernement a décidé, également, d’arrêter immédiatement tout octroi de concession dans la zone industrielle et de la zone d’activité de Hassi Messaoud qui devront être transférées. «En outre, les permis de concession et de construction octroyés et non encore mis en service feront l’objet d’annulation». Ces mesures d’urgence prévoient, par ailleurs, l’abrogation du décret portant création de la zone touristique de Hassi Messaoud.

En vue d’élaborer le projet de transfert de la ville, Ahmed Ouyahia charge, également, les ministres de l’Habitat et de l’Aménagement du territoire d’effectuer l’étude quant au lieu d’implantation et à la configuration de la nouvelle ville de Hassi Messaoud. Ceux des Travaux publics, des Ressources en eau et des Transports sont chargés de mener les études relatives à la reconfiguration et au transfert des installations relevant de leur responsabilité. Il revient au ministre des Finances d’étudier les différentes formes de financement de la nouvelle ville (fonds publics et promotions) ainsi que des mesures incitatives à mettre en oeuvre pour les transferts d’activités et de population. Par ailleurs, le wali de Ouargla est instruit, sous l’autorité du ministre de l’Intérieur avec le concours des différentes instances concernées, pour procéder à la destruction des bidonvilles et des constructions illicites érigées dans la zone pétrolière et dans la ville de Hassi Messaoud. «Cette opération devra être conduite de manière graduelle et être accompagnée d’une sensibilisation et de la réquisition de la force publique», précise le chef du gouvernement. Dans ce cadre, le ministre de la Justice, garde des Sceaux est chargé de «sensibiliser le procureur général de Ouargla et le parquet de Hassi Messaoud sur la portée de l’opération de transfert de la ville de Hassi Messaoud et de la réhabilitation de la zone pétrolière».

Le ministre de l’Energie et des Mines est, pour sa part, chargé de procéder, par le biais des entreprises concernées, aux déplacements d’installations à risques, jugés nécessaires, de faire étudier la configuration future de l’assiette territoriale de la zone pétrolière de Hassi Messaoud dans le cadre des objectifs du renforcement de l’exploitation du gisement, de prendre toute mesure conservatoire et opérationnelle nécessaire au renforcement de la sécurité et de la prévention au niveau de la zone pétrolière. La situation à Hassi Messaoud charrie, avec elle, toute la problématique de gestion des risques majeurs dans les sites stratégiques. Ahmed Ouyahia a donné instruction à Chakib Khelil, en vue de prendre en charge l’ensemble de la sécurité des zones d’activités pétrolières, de préparer un dossier lié aux autres zones pétrolières existantes. Le ministre de l’Energie et des Mines doit élaborer en collaboration avec les ministres de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, «un avant-projet de loi destiné à placer la gestion des assiettes territoriales des zones pétrolières dans le cadre d’une gestion administrative ad hoc».

L’approche, précise le chef du gouvernement, devra s’inspirer des expériences vécues en Algérie et de l’expérience internationale en la matière. Elle est destinée à «éloigner les dérèglements et les risques graves qui existent actuellement», ajoute-t-il dans son instruction. Certes, l’instruction du chef du gouvernement et les décisions prises visent en priorité à garantir la sécurité de la population de Hassi Messaoud. Néanmoins, il reste à définir les mesures concrètes à adopter à l’égard de ceux et de celles qui y vivent actuellement. Autre problématique, celle de la responsabilité et du rôle de l’Etat face à un telle situation. Qui a laissé la situation se développer à un tel point ?

Samar Smati

CHAKIB KHELIL

«La nouvelle ville sera à une trentaine de kilomètres au sud de Hassi Messaoud»

 

Le ministre de l’Energie et des Mines est revenu, hier, au cours de la partie magasine du «12-13» de la Chaîne III, sur l’instruction du chef du gouvernement portant sur «la sécurisation du champ pétrolier de Hassi Messaoud et du transfert de la ville».

Pour Chakib Khelil, il est urgent que Hassi Messaoud redevienne ce qu’elle était à l’origine, une zone d’exploitation pétrolière. Il est revenu sur les 21 décisions prises par le conseil interministériel du 30 novembre 2004. Hassi Messaoud sera transformé, a-t-il indiqué, en une zone d’exploitation. Le gouvernement doit situer une zone au sud, à une trentaine de kilomètre de l’actuel Hassi Messaoud, pour implanter la nouvelle ville résidentielle. «Nous devons la localiser le plus tôt possible», a-t-il estimé. La base logistique doit être séparée de la base de vie. Il faut délocaliser, a prôné Chakib Khelil, les différents services administratifs. «Il faut que les autorités locales agissent de manière à permaniser les services au niveau de la nouvelle ville et qu’ils ne soient plus fournis au niveau du complexe». Elle sera près de la route du nouvel aéroport de Hassi Messaoud et aura probablement une extension du chemin de fer, a-t-il ajouté. «Cette zone qui sera très loin va constituer un nouveau pôle qui répond à la nouvelle politique du secteur». Cette dernière vise à faire du Sud non seulement une zone de travail mais également d’installation pour les cadres du secteur et de Sonatrach.

Le processus de transfert de la ville sera, d’après le ministre, long et difficile. «Cela implique le mouvement des personnes, des décisions et du temps. Mais il vaut mieux démarrer maintenant que dans 10 ou 15 ans». Les autorités sont néanmoins mobilisées en ce sens. «Nous avons la même stratégie», a relevé Chakib Khelil.

Interrogé sur les circonstances qui ont conduit au développement d’une telle situation, le ministre a indiqué que la ville s’est agrandie de façon chaotique et désordonnée après le changement de régime du périmètre. «Il y a eu des décisions prises dans les années 80 pour transformer le régime de gestion et le transférer à la commune de Hassi Messaoud, au lieu d’être un périmètre d’exploitation. Sonatrach ne pouvait plus intervenir puisque la ville était gérée par les autorités locales. Hassi Messaoud s’est transformé en une région où l’on pouvait construire des habitations. Pendant la dernière période, c’est devenu chaotique. Beaucoup de permis de construire ont été donnés près de puits ou d’installations très dangereuses», a précisé Chakib Khelil. Il suffit d’un accident pour mettre, selon le ministre, en danger la vie de milliers de personnes.

Par ailleurs, le développement des habitations a eu une conséquence directe sur le développement de la société nationale dans la région. Il devenait impossible à la Sonatrach de forer de nouveaux puits ou de créer de nouvelles installations sans mettre en danger la population. «Cette situation a des conséquences très néfastes pour les gens et pour l’économie nationale du fait que l’on ne pouvait plus développer les activités», a précisé le ministre. Cette problématique se pose également, selon lui, sur de nouveaux gisements tels que Berkine, où il y a un démarrage d’installation de bidonvilles, et à Skikda où des indus occupants résident à l’intérieur du complexe. «Il faut que nous prenions des décisions très rapidement», a précisé le ministre de l’Energie.

Autre problème, celui des constructions sur des gazoducs ou des oléoducs au niveau de 27 wilayas. Les autorités locales doivent, selon lui, faire respecter les règles en vigueur et les citoyens s’y conformer. «C’est toute la question de l’Etat de droit qui est en cause. Il faut faire respecter ces règles par les citoyens. Ils savaient qu’ils construisaient sur des gazoducs ou à proximité d’installations dangereuses. Leur responsabilité n’était pas tout à fait dégagée», a estimé Chakib Khelil.

Samar Smati