L’autre versant de la tragédie

L’autre versant de la tragédie

Salah-Eddine Sidhoum, publié par algeria-watch, décembre 2001

 » Dédié à Mrs. Bernard-Henri Lévy et André Glucksmann, avec toute mon aversion et mon profond mépris pour la malhonnêteté intellectuelle et l’imposture politique.  »

 

…de même que le tyran est le vrai séditieux, la vraie violence, au sens odieux du mot, c’est la permanence du régime.
E. Mounier

Notre passé a été tragique. Notre présent est encore plus tragique. Heureusement que nous n’avons pas de futur.
Proverbe serbe.

 

Tout a été dit sur le terrorisme dit « islamiste « . Et bien plus. Dans le cadre de la vaste campagne de manipulation et de désinformation, le mouvement islamique avait bon dos pour endosser toutes les horreurs d’une guerre sans visage et sans images, que d’aucuns voulaient à huis-clos (1).

Mais pratiquement rien n’a été dit, durant des années, sur le terrorisme d’Etat, responsable de la première violence qui a embrasé le pays et qui a permis d’alimenter régulièrement les vrais et les faux maquis par sa répression indiscriminée. Ce terrorisme des janviéristes qui ont honteusement repris à leur compte les funestes paroles de Pol Pot : « Il vaut mieux tuer 100 personnes innocentes que de risquer de laisser un seul coupable vivant ! »

En ces années de feu et de sang, toute voix osant porter contradiction à la pensée dominante imposée par l’oligarchie et ses laquais, en s’interrogeant sur certains crimes et horreurs était taxée de complice des « terroristes  » et des « égorgeurs  » par les troubadours du régime.

La presse de la discorde (dont les titres se comptent exactement sur les doigts d’une seule main) jouera un rôle prépondérant dans cette politique haineuse de division, d’épuration idéologique et de désinformation. Si le Rwanda a connu sa sinistre radio des mille collines, l’Algérie aura connu, elle aussi sa presse des mille mensonges. Mais avec un certain recul, l’opinion saisira le fossé existant entre la réalité de la tragédie algérienne et la manière dont cette presse en rendait compte.

Les témoignages et les appels de détresse de quelques militants des droits de l’homme n’avaient trouvé aucun écho durant les premières années de la guerre. La machine de la désinformation fonctionnait à plein régime de part et d’autre de la Méditerranée sur l’une des plus grandes mystifications du XXe siècle. Et il ne fallait surtout pas la perturber dans son rendement.  » Il n’y a pas eu d’analyse objective, ni dans la couverture médiatique, ni dans la recherche de la vérité  » pour reprendre le magistrat Ferdinando Imposimato (2). Il a fallu les témoignages en Europe de quelques officiers algériens qui refusaient de cautionner cette politique suicidaire, pour que l’opinion publique internationale daigne s’interroger timidement et remettre en question la thèse officielle du régime d’Alger. Et les derniers témoignages auront eu le mérite d’ébranler bien des certitudes et des consciences. Puis s’élèveront les voix de parents de victimes pour dire non au mensonge et réclamer la vérité sur la mort ou la disparition de leurs enfants.

Des marauds politiques utiliseront durant ces années de braise, une certaine frange de victimes de la tragédie comme fonds de commerce et comme tremplin à leurs desseins inavoués. Le concept fumeux de l’Algérie des deux peuples trouvera, en ces temps d’imposture, toute sa signification et son illustration. On pleurera certains morts et on applaudira d’autres. Les uns seront traités de héros et d’autres de chiens. Certains citoyens seront qualifiés de « patriotes « , d’autres de « fils de harkis « . Les uns seront assassinés, d’autres abattus. Les uns seront enterrés en grande pompe, d’autres ensevelis furtivement et de nuit sous l’étiquette « d’X Algérien « . Deux poids et deux mesures même dans la mort. Le honteux concept d’indignation sélective fleurira à l’ombre et au nom de la démocratie et de la République.

Mais le mensonge ne peut durer éternellement. Sans verser à notre tour dans l’odieuse indignation sélective et tout en nous inclinant devant la mémoire de toutes les victimes de la tragédie algérienne, nous avons jugé qu’il était de notre devoir – un devoir moral de démystification face à ce phénomène de désinformation et de manipulations – de rétablir une partie de la vérité, concernant l’autre versant de la tragédie, malhonnêtement occultée. La tragédie des « gueux  » et des « pouilleux  » des quartiers populaires et des villages isolés de l’Algérie « inutile  » qui ont souffert en silence, torturés, exécutés, massacrés ou « disparus  » et qui n’ont eu droit ni à un comité international de soutien ni aux manchettes et aux larmes de crocodile d’une certaine presse, d’ici et d’ailleurs ni même à une sépulture décente pour ceux qui ont été sommairement exécutés.

De nombreuses familles imploseront durant cette guerre, atteintes de plein fouet par une répression aveugle et sauvage. Des actes criminels ignobles seront perpétrés en toute impunité, au nom de la lutte anti-terroriste. Cette catégorie de citoyens, victime de ces horreurs, a été totalement occultée par le pouvoir officiel responsable de ses souffrances, mais aussi par une certaine presse et la minorité élitiste, adeptes de l’indignation sélective.

Vingt et deux témoignages parmi plus d’un millier, obtenus à la source, précis et irréfutables (3) mettent à nu cette barbarie du terrorisme d’Etat pratiquée à grande échelle. Ils illustrent la profondeur du drame d’une partie, loin d’être minoritaire, de la population que d’aucuns auraient voulu honteusement reléguer au stade de sous-citoyens, ne méritant ni compassion ni miséricorde.

Nous versons ces témoignages irréfragables dans le dossier de l’Algérie meurtrie comme modeste contribution à l’éclatement de la Vérité et le tribunal implacable de l’Histoire, demain jugera.

1. Témoignage de Mme H. Yamina (4), Alger
Nous habitons au quartier Bourouba à Alger. Mes fils, H. Sofiane (19 ans) et Farid (20 ans) ont été enlevés le 17 mars 1995. Des policiers et des militaires sont venus à la maison à 3 heures 30 du matin. On dormait. Ils recherchaient le fils de ma belle-sœur, M. Abdelkrim qui venait souvent voir sa grand-mère. Ils sont venus, de part leur comportement et leur état d’excitation, avec l’intention de tuer. Ils ont pris Farid et Sofiane. Leur père était chômeur. C’était eux qui subvenaient aux besoins de la famille. Leur frère aîné était au service national à Oran.
M. Abdelkrim était recherché. Le policier Saad et les autres qui l’accompagnaient, appartenaient au commissariat de Leveilley (Hussein Dey). En ne trouvant pas M., ils ont pris mes enfants. Dix minutes plus tard, après le départ des policiers et des militaires, j’ai entendu des coups de feu. Je me suis mise à hurler, car je pensais que c’était mes enfants qu’on venait de tuer.
Le lendemain, je suis allée au commissariat de Leveilley à 8 heures. L’un des policiers qui était venu la veille à la maison et que j’ai reconnu, m’avait dit de décliner mon identité. Après cela il m’a demandé de monter. Les policiers m’ont alors dit que ce ne sont pas eux qui sont venus la veille et que des hommes déguisés en policiers les avaient égorgés et jetés quelque part.
J’ai cherché partout, dans les commissariats, les prisons, les tribunaux, mais sans succès.
Dix mois plus tard, Je suis allé à la prison me renseigner mais sans résultats. Je suis alors allée au cimetière d’El Alia, au bureau de l’administration. J’ai donné des renseignements sur la date de l’enlèvement. Le préposé tira un registre et rechercha sur une liste. Il trouva le nom de mon fils Farid, enterré le 26 mars 95. Il était resté 9 jours à la morgue.
Actuellement je suis sans nouvelles de Sofiane. Aucune information n’a filtré sur lui.
Moi je veux savoir s’il est vivant ou mort.
Pourquoi prendre mes enfants alors qu’ils recherchaient M. dont ils connaissaient le domicile ? Le policier Saâd connaissait le domicile de M. Abdelkrim. Pourquoi alors, ont-ils pris mes enfants ?
Je suis déboussolée, brûlante d’envie de connaître le sort de mon autre fils.
Leur père est en chômage, moi, je ne travaille pas. Je voudrais seulement savoir que sont devenus réellement mes enfants.
Un citoyen a été libéré, douze jours plus tard. Il m’a dit avoir vu mon fils au commissariat de Leveilley.
Mes enfants étaient jeunes. L’un d’eux chassait les oiseaux pour les revendre. Ils étaient inoffensifs. Nous avions une seule pièce où nous dormions à 9. Mon autre fils était au service national. S’ils avaient fait des choses méchantes, ils ne seraient pas restés à la maison et on les aurait pas cueillis à 3 heures 30 du matin à notre domicile. Ils sont partis pieds nus. Ils ont laissé leurs baskets. Dès que je vois ces chaussures, je me mets à pleurer à chaudes larmes…

2. Témoignage de la mère de B. Kamel, Halouiya, Blida
Je m’appelle B. Aïcha. Mon fils s’appelle B. Kamal, né le 5 juin 1968. Il est menuisier et propriétaire d’un fourgon de type J5. Nous habitions à Halouiya, près de Soumaa (Blida). C’était le mardi 9 août 1994. Des gens en civils, au nombre de 4, sont venus le voir, l’ont appelé comme s’ils le connaissaient. Ils n’étaient pas masqués. Ils se sont présentés comme étant des « terroristes « . Ils étaient à bord d’une Mazda bâchée et d’une R4. Ils ont pénétré un de leurs véhicules jusque dans la cour. Ils m’ont dit de leur donner notre fourgon. Je leur ai répondu qu’ils avaient leurs véhicules. L’un d’eux me répondit :  » Nous avons commis un attentat et notre voiture a été repérée « . Dès qu’il a entendu cela, mon fils a pris la fuite. Ces hommes qui se présentaient comme des « terroristes  » étaient en réalité des policiers et des agents de la SM. Je les ai rencontrés par la suite, à plusieurs reprises au tribunal où ils ramenaient des prisonniers. Ce jour-là ils se sont présentés comme étant des « terroristes « . Ils voulaient donc lui prendre le véhicule.
Ils ont décidé alors d’emmener le fourgon et mon fils Ahcène qui était à la maison, à la place de son frère Kamal. Je me suis accroché à mon fils en leur disant que je ne le quitterais pas même s’il fallait mourir. Ils nous ont alors embarqués en direction de l’Ecole de police de Soumaa, près de Boufarik. Une fois bien assurée qu’il s’agissait de policiers, ils me dirent de ramener Kamal pour pouvoir récupérer Ahcène. Je revins à la maison à la recherche de Kamal qui est rentré après s’être caché dans les environs. Je lui ai dis que c’était des policiers qui se sont fait passer pour des « terroristes « . Il m’a dit alors :  » Pourquoi se sont-ils présentés autrement, je n’aurais pas fui s’ils s’étaient présentés en policiers « . Nous sommes allés immédiatement alors à l’école de police pour retrouver Ahcène. Il était 15 heures. Nous avons trouvé notre véhicule complètement cabossé. Ahcène fut libéré et Kamal a été introduit à l’Ecole de police. Les policiers me dirent qu’ils allaient l’interroger puis le libérer. Cela dure depuis plus de quatre années. Je suis depuis ce jour-là, sans nouvelles. Mon fils gagnait son pain dignement. Il était menuisier et employait près de vingt personnes. Il n’a rien à voir avec ces événements.
Je passe depuis tout mon temps à courir dans tous les sens pour le retrouver. Je suis allé aux tribunaux, à la 1ere région militaire, partout.
J’ai fini par retrouver les hommes en civils qui ont enlevé mon fils à l’Ecole de police. Ils sortaient d’une caserne de la sécurité militaire de Blida près de Joinville (Haouch Chnou). J’ai accosté un jour l’un d’eux pour lui dire :  » Qu’est devenu mon fils que vous avez enlevé ? « , il me répondit dans un premier temps qu’il n’avait rien à voir avec l’enlèvement de mon fils. Puis devant mon insistance il me répondit cyniquement :  » Moi j’enlève là et je dépose là-bas, je ne sais pas ce qu’ils deviennent « . Je l’ai supplié de me dire où se trouvait mon fils. Il partit avec ses collègues sans me répondre.
Je pense que Kamal a été enlevé pour se venger de son jeune frère Abderrazak âgé de 16 ans qui a pris la fuite et qui a été tué par la suite en 1994 dans une maison isolée. Il ne travaillait pas. Il était constamment à la mosquée. Au moment de la mort de Abderrazak, Kamal était à son premier mois de disparition. Abderrazak avait pris ses responsabilités et il est mort. Kamal n’a rien à voir avec tout ça.

3. Témoignage de la mère M. Mouarek, Sidi Ghilès, Tipaza
1995. Des miliciens et des gendarmes sont venus à notre domicile à Hadjout Hamès près de Sidi Ghilès (Tipaza). C’était en fin d’après-midi, à l’heure de la prière du Maghreb. Ils m’avaient dit qu’ils venaient prendre mes enfants, M. Aïssa et Brahim pour quelques heures pour un simple interrogatoire et qu’ils allaient les libérer peu de temps après.
Dès qu’ils sont sortis, je les ai suivis et je les ai vus rentrer dans le local de la milice. A mon arrivée, les miliciens et les gendarmes me dirent que mes enfants n’étaient pas ici alors que je venais de les voir rentrer. Ma fille s’emporta en leur disant :  » Je ne bougerais pas d’ici tant que je n’aurais pas vu mes frères qui sont chez vous « .
Devant cette insistance, ils me firent entrer alors au local de la milice et j’ai pu alors voir mes enfants. Mon fils Brahim me rassura en me disant qu’il s’agissait d’un simple interrogatoire et qu’il allait incessamment rentrer avec son frère Aïssa à la maison. Rassurée de voir et d’entendre mes enfants, je repris le chemin de notre domicile avec ma fille. J’ai passé une nuit mouvementée, rongée par le doute.
Le lendemain je me suis alors rendue à nouveau chez la milice. Un milicien de faction devant la porte me dit alors que mes enfants ont été pris à minuit par la sécurité militaire.
J’ai pris alors la direction de la gendarmerie de Sidi Ghilès pour me renseigner. Ils me dirent qu’ils avaient reçu des ordres « d’en haut  » pour arrêter mes enfants Brahim et Aïssa ainsi qu’un voisin Mokhtari Mohamed et que leur mission s’arrêtait là. Je me suis alors dirigée vers la gendarmerie de Cherchell puis de Gouraya, sans résultats. Ils ignoraient tout de l’arrestation.
Je suis restée ainsi à errer un peu partout durant six mois à la recherche de mes enfants.
J’ai fais écrire des lettres à l’Observatoire des droits de l’homme et au ministre de la justice. Je n’ai jamais reçu de réponse.
On m’a conseillé d’aller voir un général, directeur de l’Académie militaire de Cherchell, qui selon les gens, écoutait les citoyens qui avaient ce genre de problèmes. Je suis allée le voir et il m’a reçu et écouté. Il m’a interrogé sur les circonstances de l’arrestation. Je lui ai dis que mon seul souci était de savoir s’ils étaient vivants. S’ils ont commis une faute, qu’ils soient jugés. Le général me promit alors de se renseigner et de m’informer des résultats, bons ou mauvais.
Cela fait une année. Je n’ai jamais reçu de nouvelles de ce général.
J’ai saisi le procureur plus de dix fois, mais sans résultats.
Je demande à savoir pourquoi ils ont été arrêtés et s’ils sont vivants.

4. Témoignage de Mme A. , mère de trois disparus, Fouka, Tipaza, Juin 1998
Mon histoire est celle d’une mère qui a perdu successivement trois enfants dans la tempête qui a soufflé sur l’Algérie depuis maintenant six ans. Nous sommes une modeste famille habitant Fouka, dans la wilaya de Tipaza.
Nos malheurs commencèrent le vendredi 26 décembre 1994, lorsque mon fils, A. Hakim, 20 ans, après avoir accompli la prière d’El Djoumoua, sortit de la mosquée de Fouka pour rejoindre son travail de marchand. Il était 14 heures. Il chargeait sa camionnette de cageots de tomates quand soudain, surgirent quatre gendarmes qui lui intimèrent l’ordre de les suivre. Ils prirent également sa camionnette et son chargement de légumes.
Son père, informé de l’arrestation de notre fils par les témoins, s’est présenté alors à la gendarmerie pour se renseigner des raisons de son arrestation. Il lui fut répondu que son fils n’était pas chez eux. Devant l’insistance du père, l’un des gendarmes le menaça :  » Ou tu te tais et tu fous le camp ou tu rejoindras ton fils « . Nous fîmes le tour de toutes les brigades, commissariats et casernes de la région, sans résultats.
Les malheurs ne s’arrêtèrent pas là. Alors que nous poursuivions nos recherches pour retrouver notre fils Hakim, voilà que nous apprenons le 9 août 1995, l’arrestation par des gendarmes, de notre fils aîné, Mohamed, 30 ans, ferrailleur, alors qu’il revenait de son travail. Son véhicule de type 404 et une somme de sept millions de centimes lui furent saisis. Là aussi, les mêmes gendarmes qui l’avaient arrêté nous menacèrent de représailles si nous persistons dans nos recherches.
Un mois et demi plus tard, soit le 26 octobre 1995, ils ont enlevé mon troisième fils, A. Nacer, 23 ans. Il allait à son travail, aux environs de 6 heures du matin à Bou Ismaïl (Tipaza) lorsqu’il fut embarqué par des civils armés dans un fourgon banalisé.
A chaque fois que leur père allait s’informer sur le sort de ses trois enfants, on le menaçait de subir le même sort que ses enfants. On tente ainsi de le réduire au silence.
Mes trois enfants m’ont été enlevés, dans l’impunité la plus totale. A qui s’adresser ?

5. Témoignage de Z. Oumelkheir, soeur de Z. Lakhdar, Khemis Djouamaa, Médéa
Mon frère Z. Lakhdar, 35 ans a été kidnappé le 26 mars 1994 de son domicile à Khemis Djouamaa, Daira de Sidi Naâmane à Médéa. Des hommes armés sont venus à 22 heures frapper à notre porte. Ils portaient des tenues militaires avec des kachabias à rayures par dessus. Ils portaient des cartouchières comme ceinture. Ils étaient tous armés de kalachnikovs. Ils étaient dirigés par un certain Abdelkader B. qui est actuellement milicien à Berrouaghia. Ils ont pris alors Lakhdar qui est sorti portant un survêtement bleu avec une chemise rose clair à rayures et une jaquette en Skaï. Il exerçait la fonction de secrétaire général à la daïra de Sidi Naâmane. Il avait même été proposé comme chef de daïra. Il n’a jamais fait de politique.
Au début nous avons pensé qu’il s’agissait d’un groupe islamique, mais quand nous avons vu leur chef qui est un milicien qui travaillait avec l’armée de la localité de Louhat, près d’Omaria, nous avons tout de suite compris qu’il s’agissait d’éléments de la houkouma (5).
Après 21 jours, des informations nous sont parvenues que Lakhdar était à la prison de Camora à Ksar Boukhari. C’est le frère d’un citoyen kidnappé que nous connaissons et qui est allé à cette prison à la recherche de son parent, qui l’avait vu en ce lieu.
Après deux mois, nous avons eu d’autres informations nous confirmant qu’il était passé par cette prison mais qu’il aurait été transféré vers une destination inconnue.
Nous avons écrit une lettre à l’Observatoire des droits de l’homme (ONDH). Ils nous ont répondu qu’il avait été tué trois jours après son enlèvement par un groupe « terroriste » et que son corps avait été jeté devant la porte de sa maison. Je m’inscris en faux contre cela. A aucun moment le corps de Lakhdar n’a été retrouvé devant notre maison. Bien plus, des témoins détenus à la prison de Camora de Ksar Boukhari l’ont vu là-bas plus d’un mois après son enlèvement.
Je tiens à préciser que des militaires arrêtaient régulièrement des citoyens de cette région durant l’année 1994 et les tuaient. Ils étaient aidés en cela par des membres de la famille B. qui jouaient les indicateurs. Cette famille réglait ses comptes avec la population par ce moyen. En ce qui nous concerne c’est le milicien B. Abdelkader qui a conduit le groupe armé à notre domicile pour arrêter Lakhdar. Je suis catégorique.
Ce sont des membres de cette famille qui tuaient les gens qui avaient eu des différents avec eux dans le passé. Avec les armes que la houkouma leur a donné, ils se permettaient de se venger.

6. Témoignage de Mme K., Cité Dussolier, El Harrach
Je vais vous raconter les malheurs d’une mère qui aura, en l’espace de quelques mois, perdu pratiquement tous ses enfants.
Tout a commencé le 5 mai 1994, lorsque mes enfants Tahar, Abdelkrim et Rabah furent arrêtés par la police à notre domicile à la cité Dussolier.
Tahar a été libéré après 25 jours de détention. Abdelkrim et Rabah ont été transférés à la prison de Serkadji. Après deux années et demi de détention arbitraire, ils furent acquittés.
Abdelkrim fut à nouveau arrêté après sa libération par la gendarmerie d’El Harrach. Il a été séquestré durant 18 jours. Après sa sortie de la brigade de gendarmerie, il s’est retrouvé recherché par la police. Il est allé se cacher chez sa tante. Quand il a appris que j’avais été arrêtée, il s’est rendu à la police et il a été tué.
Son frère Rabah est aussi passé dans la clandestinité quand il a su que son frère avait été tué. Quelque temps après, il a été à son tour tué.
Le 5 mai 1997, je suis allé rendre visite à mon fils Ali qui était détenu à la prison d’El Harrach. Brahim quant à lui venait d’être libéré de la même prison. A mon retour, j’ai fait ma prière et j’ai pris mon café. Soudain, mon fils Brahim qui allait sortir, rebroussa chemin et entra en courant en me disant :  » la police, la police ! « .
En sortant devant la porte, j’ai trouvé des policiers dont un certain Rabah T. . Ce dernier s’adressa à mon fils Brahim :  » Pourquoi as-tu fui en nous voyant arriver ? « 
– C’est normal, lui dis-je, il est terrorisé, il vient de sortir de prison, il y a de quoi fuir en vous voyant.
Les policiers ont fouillé la maison et l’un des policiers m’ordonna de les suivre ainsi que mon fils Brahim. Nous fûmes conduits au commissariat de Bourouba (Hussein Dey). Ils m’ont interrogé sur un certain Mérouane que je ne connaissais pas. Ils me confrontèrent à son épouse à qui ils posèrent la question :  » Qui est cette dame ? « .
– C’est ma tante, lui répondit la jeune femme.
– Avec qui es-tu allé chez elle, lui dit un policier.
– Avec Mérouane.
En réalité ce Mérouane était le compagnon de cellule de mon fils durant neuf mois. Il avait fui par la suite et mon fils l’avait chargé à sa libération de venir me voir pour m’informer qu’il était séquestré au commissariat de Bourouba.
Un civil en cagoule m’interrogea sur un certain Hadj Bettou, dont c’était la première fois que j’entendais son nom. Ils m’ont menacé de me faire passer « sur la table et à l’épreuve du chiffon  » selon leur propre langage.
On a été transféré au commissariat central d’Alger où nous sommes restés une semaine et où les policiers ont rédigé un PV dont j’ignore le contenu.
En tout j’ai passé 15 jours. Au Central, je suis tombé malade. On m’a transporté de nuit à l’hôpital Mustapha. J’ai failli mourir.
Le mardi 20 mai 1997, j’ai été transférée au tribunal d’Hussein-Dey ainsi que d’autres personnes. C’est ainsi que j’ai été mise en liberté provisoire, ainsi que l’épouse de Mérouane et un jeune détenu. Les autres ont été mis sous mandat de dépôt.
En sortant de prison, j’ai appris que ma fille Saïda en me rendant visite à Bourouba le 7 mai alors que je venais d’être transférée sur le commissariat central, avait été kidnappée et séquestrée par la police au commissariat Central puis à Bouzaréah et ce, durant six mois. Elle fut brutalisée. On lui fractura les deux jambes puis plâtrée avant d’être incarcérée à la prison d’El Harrach.
J’ai rejoins la maison difficilement, malade et déprimée. Il ne me restait plus rien. Deux fils morts, deux autres et leur soeur en prison.
Finalement, je fus condamné à deux ans avec sursis par le tribunal pour complicité avec les « terroristes « .

7. Témoignage de Yamina T., Village de Berbessa (Koléa)
Tout a commencé en 1995 dans notre village. Un climat d’injustice et de hogra s’est installé dans la région. Des gendarmes venaient régulièrement nous provoquer et nous agresser. Ils nous insultaient et nous lançaient des obscénités. Maintenant, celui qui détient une arme a droit de vie et de mort sur les êtres humains.
Un voisin milicien nommé M. Mohamed nous provoquait souvent. Il arrêtait mes petits frères, les emmenait à la gendarmerie et leur faisait du chantage en leur disant :  » Je ne vous libérerais pas avant que votre sœur Yamina ne vienne vous prendre « .
La réalité de l’histoire c’est que ce milicien imbu de son arme qu’il exhibait à tout bout de champs voulait se marier avec moi dans le cadre du mariage de jouissance (zaouadj el moutaâ) ce qui est une aberration.
Il est venu une fois à la maison avec son fusil et nous a menacés de nous tuer tous en nous disant :  » vous n’avez aucun droit dans ce pays car vous êtes des terroristes « . Il a répété cela un autre jour à la gendarmerie et devant les gendarmes.
Ce milicien qui était chômeur, faisait des affaires. Il s’est inscrit au RND dès sa création. Les gendarmes étaient avec lui. Ils lui dirent de déposer une plainte contre moi chez le procureur pour me mettre en prison. Ils lui dirent :  » Nous les connaissons tous au tribunal, Abdelatif, Belkacem, nous les connaissons, il n’y aura aucun problème pour la coffrer « .
Abderrahmane est mon frère. Il a été enlevé le 23 février 1994. C’était le jour où les gendarmes ont envahi la maison et ont tué sous nos yeux mon père, Ahmed âgé de 62 ans et mon frère Ali. Les corps ont été transportés par les gendarmes et furent enterrés secrètement à Koléa. Ils nous ont interdit d’y assister.
Mohamed est mon autre frère. Il a été enlevé en juin 1995 par les militaires à Oran où il travaillait. Il a disparu à ce jour.
B. Khadidja est ma mère. Elle a été kidnappée le 11 novembre 1995. Les gendarmes lui ont tendu un véritable piège. Elle avait reçu une convocation de la mairie pour retirer sa prétendue carte de vote. Munie de sa convocation et du livret de famille, ma mère est allée à la mairie. Les gendarmes de la localité de Chaïba l’attendaient là-bas. Ils l’ont emmenée chez eux et nous sommes restés sans nouvelles d’elle depuis cette date.
Un mois après sa disparition, je fus convoquée par les gendarmes de Chaïba qui m’ont remis le livret de famille qui était en possession de ma mère lors de son enlèvement. A ma question de savoir qu’est devenue ma mère, ils me répondirent qu’ils ignoraient où elle se trouvait.
Et depuis, nous ne savons pas ce qu’est devenue notre pauvre mère. Est-elle vivante ou a-t-elle était tuée ?
Nous ne sommes plus que trois à la maison, Mahdjoub âgé de 11 ans, Hamza âgé de 16 ans et moi. Notre famille a été disloquée. Mon père et mon frère ont été exécutés sommairement sous nos yeux. Ma mère et mes deux autres frères ont été enlevés et sont portés disparus.
Malgré tout cet arbitraire, les gendarmes ne cessaient de me harceler avec mes deux petits frères qui restent. Ils venaient souvent de jour et de nuit nous terroriser. Ils me lançaient des obscénités et me faisaient des propositions malsaines.
A qui se plaindre devant cette injustice ? Tout était entre leurs mains. Toutes les portes étaient fermées.
Notre village Berbessa (Koléa) a connu une période d’injustice que nous n’avons jamais connu auparavant. De nombreux innocents ont été exécutés sans aucune raison. Des familles ont été massacrées.
Je vous prendrais l’exemple de mon oncle maternel âgé de 41 ans, handicapé, père de 8 enfants. Il travaillait et avait de l’argent. Les miliciens ont voulu le racketter. Il a refusé de marcher dans la combine. Il a été enlevé en 1995. Il a disparu à ce jour.
D’autres exemples existent. Je vous citerais la disparition de citoyens qu’on voulait racketter comme mon oncle. On les enlevait sur leur lieu de travail ou encore dans la rue, ils étaient retrouvés tués par balles ou égorgés devant le puits de Aïn Messaoud ou au Haouch Riacha, à l’oued de Doumia. C’était les lieux de prédilection où les miliciens jetaient leurs victimes.
Ces miliciens imposaient la terreur dans notre village. Ils réglaient des comptes avec ceux qui auparavant avaient des différents familiaux ou autres avec eux. Ils régnaient en maîtres sur le terrain.
Mahmoudi Abdelhafid est un citoyen de 53 ans qui travaillait dans un domaine agricole. Il a été terrorisé par les miliciens. Ils ont kidnappé son fils qui a disparu depuis. Une année plus tard, ils l’ont kidnappé à son tour. C’est le milicien Amar El G. qui l’a enlevé.
Il existe de nombreuses familles qui sont dans le même cas que nous.
Saad Messaoud est un ancien militaire. Il a été kidnappé en 1996 après lui avoir tué ses deux enfants. Ses deux habitations ont été confisquées.

8. Assassinat de la famille Azizane de Baraki (Alger), 1996
Dans la nuit du 10 au 11 mai 1996, quatre hommes armés et cagoulés se présentèrent au domicile de la famille Azizane, sis au 78, rue Larbi Aïssat à Baraki. Le cinquième attendait dans la voiture. Munis de pistolets de poing avec silencieux, ils firent irruption au domicile de cette famille. Ils alignèrent tous les hommes présents et ouvrirent le feu. Seul l’un d’eux, a pu y échapper et se sauver à travers les champs.
Cinq personnes furent ainsi exécutées. Il s’agissait de :
– Azizane Hocine, né le 8 octobre 1912 et père de 11 enfants,
– Azizane Allal, né le 7 novembre 1958, père de six enfants, agent administratif,
– Azizane Saïd, né le 5 avril 1960, père d’un enfant, commerçant,
– Azizane Moussa, né le 2 juillet 1961, célibataire, commerçant,
– Azizane Samir, né le 5 mai 1973, célibataire et sans emploi

Le surlendemain, la presse annonçait le massacre d’une famille de Baraki par un « groupe armé intégriste ».
Un procès-verbal de police (n° 812/96 de la PJ des Eucalyptus) rédigé par un officier de police anonyme fut remis le 17 juin 1996 à Madame Azizane D. épouse de Hocine et mère des autres victimes. Ce PV stipulait que les cinq personnes furent tuées par balles par un groupe « terroriste  » armé. On imposa à cette vieille dame, sous la menace, de signer un document attestant que son mari et ses enfants avaient été assassinés par des « terroristes  » qu’elle aurait reconnus !

Témoignage fait par Mme Azizane D. aux militants des droits de l’homme et ONG nationales et internationales. 1997

 » Il était près de minuit. J’étais avec mon mari, quatre de mes enfants, ma fille ainsi que mes belles-filles à la maison
Brutalement, quatre hommes en civil et armés se mirent à frapper à la porte du domicile. Ils étaient masqués. Mon fils aîné se leva pour ouvrir la porte. Les quatre individus firent irruption et se mirent à fouiller la maison. Ils réunirent mes quatre enfants présents à la maison et les obligèrent à s’allonger, à plat-ventre, y compris celui qui était malade.
Ils se mirent alors à tirer sur eux avec des pistolets munis de silencieux en visant la nuque les tuant ainsi sous nos yeux. Mon mari, âgé de 84 ans, horrifié, essaya de s’interposer et se mit à crier. L’un des hommes armés lui tira une balle en plein visage. Il tomba raide mort sur le sol.
Même notre chien dans le jardin ne fut pas épargné par leur sauvagerie. On lui tira trois balles. Et par miracle, il survécut.
Au moment de partir ils se mirent à crier :  » Œil pour œil « . C’était la seule phrase qu’ils prononcèrent.
Une voiture banalisée les attendait dehors. Le chauffeur n’était pas masqué et nous l’avons reconnu. C’est un commissaire de police B.D , originaire de Baraki et qui est affecté à Ben Aknoun. Mais il n’habite plus ici depuis un moment. Quatre ou cinq membres de sa famille avaient été tués il y a moins de deux semaines par un groupe armé. Nous l’avons formellement reconnu dans la voiture. Il était le seul à ne pas être masqué.
Il est venu venger avec ses hommes sa famille. Il savait que mon jeune fils était un maquisard qui avait été tué il y a une année. Je vous jure que mes autres enfants n’avaient rien à voir avec la politique. Ils s’occupaient de leur commerce. Et mon mari, de 84 ans qu’a-t-il pu faire ?
Des hommes armés sont revenus le lendemain, jour de l’enterrement pour menacer le reste de la famille que « s’ils parlaient, ils subiraient le même sort « .
Plusieurs jours après l’enterrement, je fus convoqué par la police pour me faire signer un papier comme quoi mes enfants et mon mari avaient été assassinés par des « terroristes « . Devant mon étonnement et ma réprobation, on me menaça de tuer le reste de la famille. Que pouvais-je faire d’autre devant cette injustice flagrante et la loi de la force ? J’ai signé le papier et on m’a remis un double que voici (elle le montra aux militants des droits de l’homme). « 
NB : Le citoyen qui avait accompagné la délégation d’Amnesty International au domicile de Mme Azizane pour recueillir son témoignage, fut retrouvé le lendemain assassiné.

9. Témoignage de Y. Lakhdar, Aïn Naâdja (Alger), 1998
Le 7 juillet 1997, mon fils Nacer, 34 ans, célibataire, vendait du pain dans la rue, près du marché de Badjarah. Un policier nommé Saâd venait souvent prendre du pain de chez lui gratuitement sous la menace. Ce jour-là, il vint prendre du pain comme à l’accoutumée sans payer. Mon fils refusa. Le policier se mit alors à l’insulter et le pris par le col de sa chemise et l’emmena devant le fourgon où se trouvaient ses collègues. Il le frappa violemment et le projeta contre la porte du fourgon. Il tomba à terre. Les autres policiers se mirent alors à lui tirer dessus à bout portant avec leurs armes. Mon fils est mort sur le champ.
Après cet odieux assassinat, les policiers vinrent à la maison et fouillèrent partout. Ils ont trouvé des livres religieux et le Coran qu’ils ont saisi. Ils me laissèrent une convocation car j’étais absent à ce moment-là du domicile. J’étais au Hammam.
A mon retour, je suis allé au commissariat pour m’informer des faits et répondre aussi à leur convocation. Ils ont rédigé leur PV. Depuis aucune réponse.
Devant l’absence de réponse j’ai déposé une plainte pour assassinat auprès du procureur de la République. Le procureur m’a demandé un rapport de police. Au commissariat de Maqaria (ex-Leveilley), on tenta de me dissuader de retirer ma plainte car mon fils était considéré comme un « terroriste « .
 » Sur quelles preuves vous basez-vous pour dire que mon fils est « terroriste  » leur ai-je dis !
– En tombant, il a crié Allah Akbar, me répondit l’un des policiers.
Ainsi dire Allah Akbar était une preuve de « terrorisme  » !
Sa dépouille ne nous fut remise que deux jours plus tard à la morgue de Bologhine. J’ai vu la dépouille de mon fils. Il avait le crâne éclaté en deux et le bas-ventre criblé de balles. Nous l’avons enterré à El Alia sous la stricte surveillance de la police de Badjarah qui surveillait nos moindres gestes. La police a refusé qu’on emmène la dépouille à la maison. Nous sommes allés directement de la morgue au cimetière.
Les policiers ont nié l’avoir tué froidement. Ils prétextèrent que mon fils avait voulu les agresser avec un couteau. Et pourtant des témoins ont assisté à la scène.
C’est une injustice ! Et on nous demande de nous taire. C’est de la Hogra !

10. Témoignage de la famille M., Badjarah, Alger, 1998
M. Mohamed, né le 20 février 1935, demeurant au quartier du 11 décembre 1960 à Bachdjarah (Alger) est sorti de son domicile le 29 juin 1998 à 9h pour aller au marché de Badjarah. Il sera arrêté dans la rue. Son véhicule de type R4 (immatriculation 03364 -384 -16) lui sera saisi.
A 11h, une quinzaine de militaires et de civils armés venus à bord d’une Nissan et de véhicules banalisés ont investi le domicile familial, détruisant le portail du jardin et des appartements pour procéder à une perquisition.
Le lendemain, soit le 30 juin 1998, un groupe de civils armés venus à bord d’un fourgon de type J5 de couleur blanche et se présentant comme étant des agents de la sécurité militaire, sont venus au domicile familial aux environs de 17h pour arrêter l’épouse de Mr M. Mohamed et ses filles S. et N.. Les ravisseurs mirent des bandeaux sur les yeux des trois femmes et les conduisirent vers un lieu inconnu où elles retrouvèrent leur époux et père.
La mère a été également sauvagement torturée et ses filles ont entendu ses cris épouvantables.
Puis vint le tour de la fille, S. qui fut emmenée à coups de pieds vers la salle de torture où se trouvaient 5 à 6 tortionnaires qui la reçurent par des paroles obscènes. L’un d’eux la tira par les cheveux et lui demanda de parler de son père. Puis on la laissa seule et on lui demanda de se déshabiller. Elle se mit à pleurer et à se déshabiller. Elle fut ensuite emmenée vers une autre salle où elle découvrit les habits de son père.
L’autre sœur subit le même sort. Elle fut allongée déshabillée sur un banc en ciment. Des sévices sexuels furent alors pratiqués (que nous ne pouvons décrire par décence) sous les yeux horrifiés de sa mère. Puis ils lui appliquèrent un chiffon mouillé sur la bouche et de l’électricité sur les parties sensibles du corps. Le père qui entendit les cris de son épouse et de ses filles se mis à crier à son tour.
L’un des tortionnaires (Redouane) obligea l’une des filles à lui laver les pieds.
Un individu connu à Badjarah fut enfermé dans une salle avec l’une des filles pour la violer. Il s’abstiendra. Cet individu continue de circuler normalement à Badjarah.
Après huit jours d’incarcération, la mère et les deux filles furent libérées.
Après leur libération, l’épouse et les filles de M. M. subirent les menaces et intimidations de la police de Maqaria (ex-Leveilley) qui venait régulièrement au domicile familial pour les opportuner.
Puis la police et le maire vinrent les déposséder du jardin qui se trouvait devant leur maison. Ils volèrent le taxi du père et tous les bijoux de la famille.
Il s’avérera par la suite que M. M. Mohamed avait été assassiné par ses tortionnaires. Il aurait été enterré en tant « qu’X Algérien  » le 13 juillet 1998 au cimetière d’El Alia (carré n°244, tombe 101). Le cadavre fut ramené d’un hôpital où il avait été examiné. Selon le témoignage fait à la famille par le médecin, le cadavre présentait des traces de brûlures au chalumeau.
Selon le témoignage des fossoyeurs du cimetière, ce jour-là, huit cadavres furent enterrés sous l’étiquette de « X Algérien « , tous mutilés et les yeux arrachés. Dans un sachet se trouvait un corps de femme coupé en tranches.

11. Témoignage du fils de C. Mohamed, Sidi Lakhdar, Mostaghanem, Juillet 1999
C. Mohamed, né le 3 novembre 1936, demeurant au douar Ouled Abdallah, Sidi Lakhdar (Mostaghanem).
Ce jour-là, le 15 septembre 1995 à 22h, mon père, ma sœur Mahdjouba et moi étions à la maison. On faisait la prière d’El Icha. Soudain des individus frappèrent à la porte. Ma soeur alla voir. On lui ordonna d’ouvrir, en disant :  » nous sommes les services de sécurité « . Elle est revenue toute pâle pour demander l’avis de mon père. Ce dernier, furieux contre ma soeur, lui demanda d’ouvrir la porte du moment que c’était El Houkouma.
Après avoir ouvert la porte, trois hommes encagoulés, armés et vêtus d’uniformes de gendarmerie se sont précipités vers mon père en lui disant :  » Tu es là ? « . Mon père répondit :  » Oui, vous êtes les bienvenus chez moi, que puis-je faire pour vous ? « 
Directement, on lui couvrit sa tête avec un sac noir, tout en l’obligeant à les suivre. On le bouscula à l’intérieur d’un véhicule (4×4 vert métallisé). Un membre de ce groupe réclama de l’argent et le livret de famille.
Je leur ai demandé où emmenaient-ils mon père. L’un de ces individus me répondit :  » Venez le chercher demain, vous le trouverez chez moi « . Ce dernier personnage n’est autre que le chef de brigade de notre commune de Ouled Abdallah (C.B. Mohamed ). On l’a reconnu à partir de sa voix et de son regard.
Avant de quitter les lieux, ils nous ont frappé, ma soeur et moi, pour les avoir suivis dehors.
Le lendemain, on s’est présenté à la brigade de gendarmerie mais le chef nous a déclaré que notre père n’était pas là et il nous a même fait visiter les cellules pour nous rassurer. Il nous a recommandé de voir à Mostaghanem. C’est ce que nous avons fait mais sans résultats.
Le deuxième jour de son enlèvement, on est passé encore à la gendarmerie avec ma mère et mon frère Abderrahmane. Lorsque nous avons demandé au chef de brigade où était notre père, il menaça alors mon frère de mort si on ne quittait pas les lieux immédiatement.
On a cherché durant cinq jours notre père, dans les tribunaux et les différentes brigades, sans résultats.
Le 22 du même mois, on a reçu une convocation de la gendarmerie de la commune adjacente à la nôtre (douar Sidi Ali). On est alors parti pour voir ce qu’il y avait là-bas. Dès l’arrivée chez eux, ils nous ont emmenés à l’hôpital, là on nous a demandé de reconnaître un cadavre : C’ETAIT MON PERE, SES MEMBRES ETAIENT SEPARES DE SON CORPS.
Le lendemain (23 septembre 1995) il fut enterré.
Quelques jours après sa mort, on est allé à Oran chez mon frère. On est resté quinze jours.
En notre absence, une personne nommée B. Mohamed est venu demander après nous, en disant que l’Etat allait nous donner 40 millions pour dommages et intérêts.
Remarque : Mon père, Allah yarahmou, avait été victime précédemment d’une agression par arme blanche le 21 mars 1994 par l’un de ses voisins lointains, le nommé T. Mohamed. Ce dernier avait été condamné à un mois de prison et 5 millions d’amende, qu’on n’a pas eu jusqu’à aujourd’hui.
Le wali de Mostaghanem nous a reçus plus de trois fois, mais à chaque fois, il nous disait :  » Je pense que ce sont des terroristes, je ne peux rien faire « . La dernière fois, il nous a dit que le médiateur a pris le dossier en charge. Mais ce dernier, lui aussi, n’a rien fait.
Au début, on subissait des pressions. On nous disait de ne pas dire que c’est la gendarmerie mais que c’était les terroristes qui ont tué notre père.

12. Le drame d’une mère : Mme S. Mebarka, Août 1998
Mon fils s’appelle S. Tayeb, 37 ans. Il habite au Gué de Constantine (Alger). Il a été arrêté à son domicile le 7 décembre 1996 à 2h du matin par des policiers. Comme des milliers d’autres familles, j’ai fait le tour de tous les commissariats, tribunaux, prisons et autres lieux à sa recherche. Sans grands résultats.
J’allais souvent au cimetière d’El Alia à la recherche de mon fils Tayeb.
Je surveillais chaque jour l’arrivée des ambulances à la recherche du cadavre de mon fils. Je me mettais devant les tombes et j’observais les visages.
J’ai tout vu : des gens atteints par balles, des amputés, des gens sans têtes. J’ai vu des cadavres brûlés, d’autres attachés avec des fils de fer, des crânes complètement aplatis.
J’ai vu des vieux, des femmes.
Nous étions plusieurs femmes à guetter au cimetière l’arrivée des cadavres.
J’ai vu les fossoyeurs enterrer deux enfants de un an et de trois ans ainsi que deux femmes qui avaient été tuées lors d’un accrochage à Aïn Naadja. C’était horrible.
J’ai vu également le cadavre d’un citoyen qui avait la tête couverte d’un sachet en plastique noir. J’ai enlevé ce sachet pour voir s’il ne s’agissait pas de mon fils. En enlevant le sachet j’ai vu une image horrible. Le visage était rongé par de l’acide. Il a été ramené par des policiers.
Le 13 octobre 1997, je fus arrêtée au cimetière par des policiers en civils. Ils m’ont reproché de faire trop de tapage au sujet des disparus. J’ai été gardée au commissariat durant 10 jours.

13. Témoignage de Mme M. H, Lakhdaria, Juin 1998
Cela se passait durant le printemps 1994. Lakhdaria était devenue un enfer pour la population. Des cadavres jonchaient les rues. Tous les jours, mes enfants me racontaient avoir rencontré des cadavres et des têtes éparpillées sur les routes.
Un jour, fin mai, vinrent des militaires cagoulés. Mon mari, Mohamed, âgé de 60 ans, dormait. Ils envahirent sa chambre et se mirent à tirer au dessus de sa tête et entre ses jambes. Ils trouvèrent un million de centimes qu’ils mirent dans leurs poches. Ils frappèrent ma fille avec la crosse de leurs fusils. Ils emmenèrent avec eux mon fils Antar, âgé de 17 ans tout en le frappant violemment. A sa libération, il est rentré à la maison comme une loque. Il avait les jambes oedématiées. Il nous raconta qu’il avait subi de nombreuses séances d’électricité.
Mon mari, en s’apercevant que son argent avait disparu se décida, malgré notre opposition, à aller protester et déposer plainte contre ces militaires. Il alla à la brigade de gendarmerie. Le gendarme qui le reçut lui promit de récupérer son argent.
Une semaine plus tard, d’autres militaires encerclèrent puis envahirent notre domicile. Ils se mirent alors à insulter mon époux en lui disant :  » Tu nous as traités de voleurs et tu es allé déposer plainte contre nous « 
– Oui, répondit mon mari ce sont des militaires cagoulés qui m’ont volé le modeste fruit de mon labeur.
Un adjudant-chef dit alors à mon mari :  » Pardonne-lui ce vol. Peut-être que ce militaire était dans le besoin « .
– Je ne peux pardonner à celui qui rentre chez moi pour me voler, répondit mon mari.
– Eh bien tu le payeras très cher, lui répondit l’adjudant-chef.
Une semaine plus tard, le 2 juin 1994 les militaires revinrent. Mon fils dormait à l’étage supérieur. Mon mari somnolait au rez-de-chaussée. Ils frappèrent violemment à la porte. Mon mari qui était en gandoura se leva et ouvrit la porte. Ils l’emmenèrent et le jetèrent dans un blindé stationné devant la porte. Je les vis démarrer et s’arrêter devant le commissariat de la ville qui était à quelques centaines de mètres de notre domicile.
Le lendemain, je suis allée avec mon fils au commissariat. Les policiers nous dirent qu’ils n’avaient rien à voir avec cela et que mon mari n’était pas retenu chez eux.
Une semaine plus tard, des rumeurs folles qui se confirmèrent par la suite, circulaient dans la ville. Des cadavres mutilés de citoyens enlevés par les militaires étaient retrouvés sur l’autoroute.
Toutes les familles ayant des parents enlevés par les militaires se mettaient à courir sur l’autoroute à la recherche des leurs.
Jusqu’au moment où un groupe d’hommes et de femmes qui étaient nos amis et nos voisins vinrent en sanglotant nous apprendre que le cadavre affreusement mutilé de mon mari a été retrouvé sur l’autoroute. C’était dramatique. Un vieillard de 60 ans, innocent, pris et tué par des militaires (6).
Durant cette semaine, on retrouva 72 cadavres sur l’autoroute.
Mon fils s’est rendu alors à la gendarmerie pour réclamer la dépouille de son père. Ils refusèrent. Ils lui accordèrent seulement une autorisation pour aller voir sa dépouille à la morgue de l’hôpital de Bouira.
Mon fils alla à la morgue. Un spectacle affreux l’attendait. Le corps de son père était pratiquement méconnaissable. Sa gandoura était toute déchirée, en loques.
Il était gonflé comme une outre. Son pied droit était dévoré par des asticots. Son bras était totalement calciné, comme si on l’avait brûlé au chalumeau. Il avait des traces sur le cou et sa langue était pendante. Le médecin qui l’accompagnait, les larmes aux yeux dit à mon fils que son père avait été probablement étranglé après tous les supplices subis. Les ongles étaient arrachés.
Mon fils est retourné à la brigade de gendarmerie de Lakhdaria pour tenter de récupérer la dépouille de son père. Le brigadier accepta dans un premier temps en lui disant :  » Je te le donne à condition que tu nous signes un PV reconnaissant que ton père est un terroriste « .
Mon fils sans hésiter accepta ce chantage, voulant coûte que coûte récupérer le corps de son père.
Au bout d’un moment, le brigadier se rétracta sur ordre du capitaine présent qui expliqua à son subordonné les raisons du refus : cette personne est totalement mutilée et la population sait que ce sont les militaires qui l’ont arrêté. La population va propager des accusations contre l’armée.
Quelques jours plus tard, les gendarmes convoquèrent mon fils pour lui intimer l’ordre de signer un PV reconnaissant que son père a été tué par les « terroristes « . Mon fils refusa. Le gendarme le menaça et lui dit :  » Tu signeras avec ou sans ton bon Dieu ! « . Mon fils devant la menace armée se résigna à signer malgré lui.
Hier on voulait lui faire signer un document comme quoi il était « terroriste  » et aujourd’hui, comme quoi, il a été tué par les « terroristes  » ! ! ? ?
Les employés de la morgue de l’hôpital de Bouira m’apprirent que mon mari ne fut enterré par la gendarmerie que dix huit jours plus tard.
D’autres citoyens ont été victimes de ce terrorisme des militaires. Je vous citerais le cas du citoyen et voisin, Guelati, un gars qui n’a rien à voir ni avec le FIS ni avec la politique. Il a été tué aussi après avoir été enlevé par les militaires.
Je vous citerais le cas d’un autre citoyen handicapé qui était ivre et qui circulait en vélo dans la rue. Inconscient du fait de son état d’ébriété, il n’avait pas entendu les klaxons d’un camion militaire. Il fut arrêté. Son cadavre mutilé fut retrouvé également sur l’autoroute.
En tout, 72 citoyens ont été retrouvés.
Quant à mon fils Antar, il a été arrêté à six reprises. A chaque fois il était affreusement torturé et revenait à la maison comme une loque. La sixième et dernière fois, il est resté alité durant quinze jours. Il avait une fièvre de cheval et ne pouvait se mettre debout du fait des séquelles de la torture. Il me dit alors :  » Mère, dès que je pourrais marcher, je quitterais la ville, vous n’entendrez plus parler de moi « .
Effectivement, dès sa guérison, il quitta la maison un soir sans nous dire où il allait.
Quelque temps plus tard, nous apprîmes qu’il avait rejoint son frère au maquis. C’était du temps où son père était encore vivant. Il ne pouvait supporter cette injustice et les affres de la torture. Ce sont les actes inhumains des militaires qui l’ont poussé à rejoindre le maquis. Dieu est témoin. Il n’avait auparavant aucune notion de la politique. Il passait plus de temps devant la parabole qu’à travailler. Il était en conflit permanent avec son frère Rachid (que Dieu ait son âme) au sujet de cette parabole. Hocine, quant à lui sera assassiné le 22 février 1995 lors du carnage de Serkadji.

14. Témoignage de B. Ahmed
Mon fils B. Samir était gardien de nuit dans une société de construction (ERB). Le 6 avril 1994, en sortant de son travail à 9 heures du matin, il est allé avec son cousin pour prendre un café à la rue Mouloud Zikara à Belouizdad (ex-Belcourt), à quelques mètres de notre domicile. Subitement la police est arrivée en tirant de tous les côtés. Les jeunes qui étaient dans le café s’enfuirent. Mon fils était parmi eux. Seul son cousin, resta sur place. Mon fils blessé au pied, rentra à son domicile qui était proche. Son cousin fut arrêté. A mon arrivée à midi, j’ai trouvé mon fils saignant de sa jambe droite. Il me dit de l’accompagner au commissariat du 7e arrondissement (Belouizdad) pour que la police puisse le transférer à l’hôpital. Car se présenter seul à l’hôpital avec une plaie par balle serait suspecte en cette période de troubles.
Je l’ai alors accompagné au commissariat. Ils l’ont immédiatement arrêté. C’était le mardi. Ils l’ont gardé sans soins jusqu’au vendredi 9 avril 1994 à 1 heure 20 du matin. A cette date et à cette heure précise, en plein couvre-feu, ils l’ont emmené à la rue Yousfi Mohamed et l’ont exécuté. Des témoins qui habitaient les bâtiments de cette rue ont vu de leurs persiennes toute la scène. Ils ont lâché selon les témoins plusieurs rafales. Les habitants éloignés du lieu du crime en entendant les crépitements des armes pensèrent à un accrochage.
La presse rapporta quelques jours après qu’un « dangereux terroriste, B. Samir, activement recherché avait été abattu « .
Le corps fut transporté au petit matin à la morgue de Bologhine puis il fut enterré par leurs soins à El Alia. Je n’ai pas pu voir sa dépouille. J’ai retrouvé sa tombe ensuite grâce aux employés du cimetière. Des amis vinrent me voir, inquiets de ce qu’ils avaient lu dans la presse en me disant :  » Ils ont liquidé Samir ? « . Je suis resté médusé par cette nouvelle.
Je me suis rendu alors au commissariat. Le policier qui me reçut me dit d’une mine compatissante :  » Eh oui, votre fils a été tué par les militaires « .
– Comment ont-ils pu le tuer alors que je vous l’ai ramené en mains propres, blessé à la jambe droite par vos propres collègues alors qu’il était attablé dans un café ? Qu’est-il allé faire chez les militaires ? lui ai-je répondu.
Son cousin A. Youcef qui avait été arrêté le même jour avait été sauvagement torturé. On lui a brisé la boite crânienne et fracturé le bras avant de l’étrangler puis il a été jeté dans la forêt de Bouchaoui. On n’a pas osé mettre sur le journal qu’il s’agissait d’un « dangereux terroriste abattu  » car son oncle maternel était officier à la DGSN et son frère policier. Ce sont les gendarmes qui ont retrouvé le cadavre qui a été déposé à la morgue de Béni Messous.
Je ne comprends pas comment des policiers sensés protéger les citoyens les tuent avec cette facilité. Dans quel Etat sommes-nous ?
Je suis persuadé que mon fils a été exécuté sommairement car les policiers et les militaires savaient que son jeune frère Mohamed Yacine 28 ans avait pris le maquis et venait d’être tué lors du fameux accrochage de Haouch El Makhfi, quatre jours auparavant.

15. Témoignage de Mme Benkara Messaouda, juin 1997
Mon fils Benkara Mustapha, chirurgien à Médéa était de garde en ce jeudi 31 mars 1994 à 11 h 30. Des policiers sont venus l’arrêter sur son lieu de travail. Il est resté 25 jours au commissariat de Médéa sous la responsabilité du commissaire C. Mokhtar .
Nous lui envoyions régulièrement des repas et lui nous envoyait ses vêtements pour les laver.
Après 25 jours de séquestration au commissariat de Médéa, il fut transféré à la prison de Camora à Ksar Boukhari. Puis à nouveau il fut ramené au commissariat de Médéa. J’ai pu lui emmener de la nourriture. Puis j’ai appris qu’il venait d’être à nouveau transféré. Je me suis adressé au nouveau commissaire H. Mohamed qui venait de remplacer C. Mokhtar. Il m’a informé que mon fils avait été pris par la sécurité militaire pour l’emmener au camp militaire de Lodi, qui est situé en dehors de la ville de Médéa.
Je suis allée au camp de Lodi. Les militaires m’informèrent que mon fils n’était pas détenu dans ce camp.
Un mois et demi plus tard, j’ai appris par des infirmiers et des médecins de l’hôpital de Médéa que mon fils avait été ramené secrètement de nuit pour des radiographies. Il avait le visage recouvert d’un drap et présentait une fracture de la jambe et de la main. Les éléments de la sécurité militaire l’avaient menacé de ne pas parler à l’hôpital pour que le personnel ne puisse pas reconnaître sa voix, sa tête étant recouverte d’un drap. Les agents de la sécurité militaire étaient constamment à son chevet. Ils ne laissaient personne l’approcher, de peur de le reconnaître.
Au moment de faire la radiographie, mon fils lança au technicien radiologue :  » Doucement, j’ai une fracture de la main « . Le technicien et les infirmiers reconnurent la voix de leur chirurgien. Il avait une fracture de la main et de la jambe.
Le personnel médical et paramédical terrorisé n’a pas osé m’informer sur le champ de peur des représailles. Ce n’est que par la suite et par une voie détournée que j’ai fini par apprendre cet épisode.
Par la suite j’ai appris que la sécurité militaire l’avait transféré à Berrouaghia.
Son frère en allant à Chéraga a été arrêté lors d’un barrage militaire. En voyant le nom de Benkara, l’un des militaires lui ordonna de descendre et lui dit :  » Quel lien de parenté as-tu avec le Dr Benkara, chirurgien ? « .
– C’est mon frère lui dit-il.
Le militaire lui dit alors discrètement que le Dr Benkara était entre les mains des militaires. Il refusa cependant à décliner son identité de peur de représailles.
Il y a deux mois nous avons appris qu’il était détenu au camp militaire de Bahbah. D’autres citoyens dont un médecin, un chauffeur et un marchand de pièces détachées avaient été arrêtés en même temps que lui. Ils avaient été détenus à la prison de Ksar Boukhari puis ont été jugés. Actuellement ils ont été libérés. Seul le citoyen Hadjout a été perdu de vue dès son arrestation.
J’ai frappé à toutes les portes. En vain !
Sa fille qu’il a laissé à l’âge de 2 ans est totalement détraquée. Elle demande régulièrement après son père.
Cela fait 4 années et trois mois.

16. Témoignage de la famille Zenati, Les Eucalyptus, Alger, Juillet 1999
En ce jour du 14 décembre 1994, notre fils Youcef, 18 ans, était assis avec son jeune cousin Zenati Abdelkader, devant la porte de la maison. Il était 19h 45. Soudain, une voiture banalisée de type 405 surgit brutalement dans la rue et s’arrêta devant eux. Elle était conduite par un homme portant un tee-shirt blanc à demi-manches. Deux hommes armés de mitraillettes et portant des pantalons de parachutistes et des pulls descendirent de la voiture. En voyant ces hommes armés, le cousin de notre fils prit la fuite en courant. Le conducteur de la 405 tira une rafale de mitraillette le blessant à la jambe. Youcef, quant à lui, ne bougea pas de sa place. Il fut violemment embarqué par les deux hommes armés qui le jetèrent dans la malle de la voiture qui démarra en trombe.
Beaucoup de nos voisins qui assistèrent à la scène reconnurent la voiture. Il s’agissait selon leur témoignage d’une 405 blanche, immatriculée dans la wilaya de Jijel (18) et qui avait participé à plusieurs attentats dans la région et notamment dans les quartiers d’El Djoumhouria, Château-rouge et Beylot.
Son cousin Abdelkader, blessé à la jambe fut emmené par ses parents à la brigade de gendarmerie des Eucalyptus pour informer les gendarmes de « l’attentat « . Grand fut l’étonnement de Z. Abdelkader de se retrouver en face de celui qui lui tira dessus quelques heures auparavant. Il s’agissait bel et bien du chef de brigade de la gendarmerie !
Pris de panique, le chef de brigade confondu et ses hommes s’en prirent violemment à Abdelkader et à ses parents, les insultant et les menaçant. Le chef de brigade ordonna aux gendarmes d’emmener Abdelkader à l’hôpital pour les soins puis de dresser un procès-verbal en vue de son inculpation pour « activités terroristes « . Il fut par la suite présenté au procureur de la République du tribunal d’El Harrach et inculpé pour « terrorisme « .
Interrogé sur le sort de Youcef qu’il avait kidnappé quelque temps avant, le chef de brigade confus et excité, nia toute relation avec les faits et menaça à nouveau les membres de la famille.
Nous entreprîmes alors les recherches en questionnant les voisins et les témoins sur l’itinéraire pris par la voiture. On apprendra que notre fils fut emmené au lieu dit « Radar « , près de l’ENESA, situé à trois kilomètres de notre domicile et fut tué par balles. En nous rendant sur les lieux, nous avons pu constater des traces de sang et des riverains nous ont dit avoir entendu des rafales d’armes vers 20 heures, ce qui correspondait à l’heure de son exécution.
Sa mort fut ensuite maquillée. Il sera présenté comme étant un « terroriste  » abattu au cours d’un accrochage. Son cadavre fut dans un premier temps ramené à la brigade de gendarmerie. Puis les gendarmes firent appel aux éléments de la protection civile….du port d’Alger, situé à une dizaine de kilomètre des Eucalyptus, alors qu’il existait une unité de protection civile dans notre commune !
Son cadavre fut déposé à la morgue (décès enregistré sous le numéro 301) au niveau de la salle 1 et dans le casier n° 10. Au niveau de la morgue nous avons pu constater dans le dossier que le cadavre fut admis à la demande du chef de brigade avec sa signature et son tampon. Nous apprendrons par la suite, que les gendarmes ayant appris notre passage à la morgue et que nous avions obtenu des renseignements auprès du personnel, firent une descente et tabassèrent les employés de la morgue.
Il sera enterré au cimetière d’El Alia le 20 décembre 1994 sous l’étiquette « d’X Algérien  » (tombe n° 309, carré n° 218). après délivrance la veille par le tribunal d’El Harrach du permis d’inhumer. Sur ce permis il était inscrit :  » victime d’un accrochage armé « . Au même moment deux autres cadavres (X Algériens) furent ensevelis discrètement. Il s’agissait selon les fossoyeurs, de citoyens de Garidi et de la cité La Montagne.
Après l’enterrement, nous avons pris la responsabilité d’ouvrir la tombe pour voir notre fils. Il s’agit bien de Youcef. Il présentait de nombreux orifices de balles au niveau du dos et sur sa tempe. Il avait aussi des traces de bleus (ecchymoses) au niveau du dos.
Depuis cette date et suite à notre enquête et à nos révélations, la fameuse 405 a disparu de la circulation et le chef de brigade de gendarmerie fut muté à Ziama Mansouriah.
En 1999, soit cinq années après l’assassinat de notre fils, le père fut convoqué à la gendarmerie pour signer un procès-verbal stipulant que notre fils est mort lors d’un accrochage ! ! ! ! !. Le père refusa catégoriquement de signer en persistant à dire que Youcef a été tué par les gendarmes, ce qui provoqua le courroux de ces derniers qui le menacèrent.

17. Massacre à la prison de Berrouaghia, novembre 1994 (49 morts). Témoignage d’un survivant B. Abdelkader, détenu du 29 décembre 1993 au 4 mai 1998. Réfugié en France
La prison de Berrouaghia a connu un massacre à la mi-novembre 1994 qui n’a pas été médiatisé en raison de l’isolement géographique du pénitencier et du silence que les autorités militaires et judiciaires imposèrent. Durant quarante-cinq jours il fut interdit aux avocats et familles de rendre visite aux détenus. Jusqu’à ce jour, les circonstances exactes dans lesquelles s’est déroulé le massacre ainsi que le nombre des victimes ne sont pas connus. L’enquête préliminaire menée par le Comité algérien des militants libres de la dignité humaine et des droits de l’homme a dénombré 62 morts, dont cinq auraient été froidement exécutés dans la cour de la prison par le directeur, Hamid Guemache. Dans un article paru dans la presse algérienne, le chiffre de 200 victimes est avancé.  » La confrontation entre les prisonniers et les agents de la sécurité a provoqué la mort de plus de 200 détenus, dans leur majorité jugés dans des affaires de terrorisme, essentiellement assistance à groupes armés, les uns abattus par balles, les autres brûlés suite à l’explosion de grenades lancées sur les mutins.  » (B. Neila, El Youm, 7 mars 2001)

B. Abdelkader rapporte les faits qu’il a vécus une fois la situation de confrontation entre détenus et forces de l’ordre engagée.
13 novembre 1994.
Auparavant j’ai fais le médiateur avec Azzoug Kheireddine en contact avec le chef du groupement de gendarmerie en présence du wali de Médéa.
Il nous a été demandé de quitter le bloc, un petit immeuble de deux étages comprenant 85 cellules et le quartier n° 10 (cellules isolées) réservé aux condamnés à mort.
La médiation a commencé à 17 heures et s’est achevée vers 20 heures. Sans garanties, nous refusions de quitter le bloc. Le procureur avait promis qu’une fois dehors, les détenus ne seront pas touchés.
Le chef de la gendarmerie avait dit que l’affaire serait réglée le matin.
14 novembre 1994 :
Vers 8 heures du matin, ils ont installé leurs armes à des endroits précis et ont commencé à tirer. Des tireurs d’élite ont également pris part à cette tuerie. Ensuite des grenades ont été lancées dans les cellules. Ils ont jeté de l’essence dans une salle et ont allumé le feu. Il y a eu des corps calcinés.
Ceux qui ont pu échapper au feu ont été achevés à leur sortie (Abdelaziz, Saïd, Abdelali de Diar El Djemaa, Abdelali de la cité d’Urgence). Youcef a été brûlé vif.
Le procureur général demandait le cessez-le-feu, le commandant de gendarmerie n’a pas apprécié cet appel au cessez-le-feu et a commencé à gesticuler et la fusillade a continué.
15 novembre 1994.
Une offensive a eu lieu vers 7 h 30 – 8 heures du matin. Ils avaient placé auparavant leurs FMPK. Des tireurs d’élite étaient postés à chaque fenêtre et avaient bouclé toutes les issues. La fusillade a commencé alors et a duré toute la matinée.
Quelques détenus étaient restés dans la salle  » A  » parmi les morts et les blessés Par la suite, ils ont ramené un détenu de droit commun pour casser à l’aide d’une massue le mur mitoyen séparant une cellule de la salle A.
Ils ont réalisé un trou par lequel ils ont lancé des grenades défensives (40 unités). Ils ont ramené de l’essence d’une station proche de la prison en utilisant l’ambulance de la prison pour son transport. M. , chef de détention a été chargé de ramener l’essence dans cette ambulance en compagnie du chauffeur du véhicule. Les gendarmes ont déversé l’essence par le trou et mis le feu. Les prisonniers encore en vie et qui ont commencé à éteindre le feu étaient la cible des tireurs d’élite. La propagation du feu a obligé les prisonniers à fuir. Les blessés par balles et les morts ont été calcinés par le feu.
Une dizaine de survivants sortis à plat ventre ont été achevés un par un à la sortie de la salle A. Les autres ont été sauvagement tabassés. Ils les ont forcés à se déshabiller puis les ont bastonnés à travers une « haie d’honneur  » qui se prolongeait jusqu’à une grande salle qui, théoriquement, pouvait contenir 150 personnes avec des lits superposés. Cinq cent prisonniers furent parqués dans cette salle et ce, durant plus de deux mois, dans des conditions effroyables, sans eau, sans visites. Les prisonniers étaient envahis de poux, sans vêtements (tenue pénale), tous nus, pieds nus. Les gardiens effectuaient quatre appels par jour et à chaque appel, on avait droit à une bastonnade à l’aller et au retour.
· La torture : a été systématique jusqu’au 4 mai 1998, jour de ma sortie. Mes codétenus souffrent jusqu’à présent toutes sortes de supplices.
· Les gardiens : Ils dirigent pratiquement la prison. Ils sont auteurs de nombreuses exactions dans l’impunité la plus absolue.
· Contrôle : Tout est contrôlé, même les correspondances. Nous n’avons pas le droit d’écrire dans nos lettres des versets du Coran ou des Hadiths ni même un poème.
· La nourriture : Elle est infecte, pas de viande et le café est distribué tous les trois jours.
· Les blessés : De nombreux prisonniers gardent encore des balles dans leur corps et souffrent toujours. C’est le cas par exemple de Benkortbi Fouad, Benhaha Moncef, Bendiffallah Sofiane, Hocine…..

18. Témoignage de rescapés de la tragédie du transfert de la prison de Tizi-Ouzou vers la prison de Relizane, Juin 1997

22 juin 1997. Des prisonniers politiques sont transférés de la prison de Tizi-Ouzou vers la prison de Relizane dans des fourgons cellulaires dont l’un avait ses issues d’aération fermées. Ces fourgons constituaient en cette période torride d’été de véritables containers pour reprendre l’expression d’un survivant. De nombreux prisonniers concernés par ce transfert étaient ciblés par l’administration pénitentiaire car jugés trop « subversifs « . D’autres devaient être libérés très prochainement. Pourquoi les transférer alors qu’il ne leur restait que quelques semaines d’incarcération ? Cela rappelait étrangement les mystérieux transferts de prisonniers de la prison d’El Harrach vers Serkadji à la veille du massacre du 21 février 1995.
A l’arrivée à la prison de Relizane, les gardiens retirèrent de l’un des fourgons cellulaires 27 détenus morts asphyxiés.
Cette affaire criminelle ne sera jamais officiellement révélée en temps réel. Elle serait instrumentalisée durant l’été 1998 par une certaine presse pour abattre le « ministre  » de la « justice  » de l’époque, dans le cadre des règlements de comptes claniques qui avaient abouti à la démission du président-général en retraite Zeroual.

Témoignage des survivants
 » Nous étions 66 détenus à avoir été appelés en ce jour de mois de juin 1997 à la prison de Tizi-Ouzou pour être transférés vers une autre prison. Nous ignorions à ce jour laquelle, et la plupart d’entre nous étaient sur le point de terminer leur peine d’emprisonnement. Pour certains il ne restait qu’un mois ou deux, alors pourquoi ce transfert ?
Nous fûmes embarqués tôt le matin dans deux camions containers et attachés tous, les uns aux autres par des menottes. Nous étions 33 par « container ». Après deux heures et demie de route environ, nous sommes arrivés à la prison d’El-Harrach que nous croyons être notre destination. En réalité nous avons passé le reste de la journée dans une salle et le lendemain, on nous a demandé de sortir de nouveau pour un transfert avec des détenus d’El-Harrach. Ces derniers ont été embarqués dans un car tandis que nous, nous regagnions nos « containers » toujours à 33 dans chacun d’entre eux.
Nous avons démarré vers 8 heures du matin. Il faisait déjà chaud et les menottes étaient tellement serrées que déjà elles nous faisaient mal aux poignets. Donc le 23 juin 1997 nous démarrons vers une destination inconnue mais il se confirmait que nous roulions vers l’ouest. Bien sûr on ne voyait absolument rien à l’extérieur. Après deux ou trois heures de route, il y a eu un arrêt au bord de la route. Il se prolongea et la chaleur devint étouffante « dans le container » roulant. Nous entendions les gardiens discuter avec les gendarmes de l’escorte et dire que « le car d’El-Harrach était en panne ». Nous commencions à suffoquer dans le container où il faisait une chaleur épouvantable. Nous commencions à cogner contre les parois de tôles, d’acier. De l’extérieur aucune réponse alors qu’ils étaient là tout près et si on les entendait parler c’est que, eux aussi nous entendaient. Au bout d’une demi-heure ils nous répondirent par des insultes et nous demandèrent de nous taire. Finalement, les véhicules finirent par redémarrer. Il y avait de l’air lorsque le camion roulait. Cela nous permettait de respirer.
Mais aux environs de Chlef, nouvel arrêt, prolongé cette fois. La chaleur devint plus suffocante. Nous ne pouvions plus supporter. Nous crions de toutes nos forces et nous cognons sur les parois du container. Bien sûr, dans la cage prévue pour les gardiens, il n’y avait personne depuis le départ et nous nous sommes plaints de l’absence de gardiens dans le camion car tout le monde savait que c’était contraire au règlement. Bien que le chauffeur et ses accompagnateurs nos entendaient, ils refusaient d’ouvrir la porte, ne serait-ce que pour aérer le camion quelques minutes durant. Au contraire, ce sont des insultes et des rires qui nous parvenaient de l’extérieur. Quelques uns commençaient à s’évanouir et perdre connaissance. C’était ça l’enfer. En appelant les gendarmes et les gardiens pour les informer que l’un d’entre nous venait de mourir, on nous répondit :  » Bouffez le et faites une touiza. Si vous savez faire la prière, priez sur lui  » et d’autres paroles de ce genre.
Au bout d’une heure qui semblait être une éternité, la plupart d’entre nous étaient trop faibles pour parler ou se plaindre. Nous étions tous dans un état presque d’inconscience. Nous pensions que nous allions tous mourir ainsi.
Lorsque le camion redémarra, plusieurs prisonniers s’évanouirent. Ce n’est qu’une fois à l’arrêt, que nous devinions que nous étions arrivés dans une cour de prison. La porte s’ouvrit, on nous détacha les menottes. Certains avaient les poignets ensanglantés. Nous étions hagards et la plupart ne pouvaient se lever.
Les insultes pleuvaient et les premiers qui descendirent étaient accueillis par les coups des gardiens. Ils tombèrent à terre mais il y a quelque chose d’insolite qui se passa dans l’autre camion container de nos camarades. Les coups s’arrêtèrent. Je voyais qu’ils ne pouvaient pas ouvrir la porte intérieure du container. Ils ne s’occupaient plus de nous. Lorsqu’ils arrivèrent à l’ouvrir enfin, personne ne descendit. Le directeur demanda d’apporter des bassines d’eau et les gardiens se mirent à jeter de l’eau dans le camion.
Au bout d’un moment le bruit circula qu’ils étaient pratiquement tous morts en dehors de quelques uns qui descendirent et s’allongèrent par terre. Je comptais six camarades. Ils furent aspergés par les gardiens avec des bassines d’eau. Un gendarme ressortit du camion et dit « Nous les avons tués ».
Nous avons été évacués et je ne voyais plus rien. Nous ne connaîtrons pas le sort de nos camarades durant plusieurs semaines. Ce n’est qu’au bout de deux mois que les six survivants sont revenus parmi nous dans la salle et que la vérité commença a être connue. Ils nous racontèrent l’enfer qu’ils avaient vécu. C’est ce que nous mêmes avons vécu mais dans leur container même les bouches d’aération extérieures étaient fermées et les gardiens avaient refusé de les ouvrir pour aérer. Il y a eu dans le deuxième camion 27 morts et les six survivants dont les noms sont connus.
Les survivants ont été isolés dans des cellules pendant deux mois avec interdiction de communiquer avec quiconque.
Nous avons appris par la suite que nos camarades décédés auraient tous été enterrés au cimetière de Mostaghanem.
Bien sûr que pour nous il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’une action criminelle et préméditée.
Nous avons aussi appris par des gardiens que Rezzag Bara (président de l’ONDH Observatoire National des Droits de l’Homme) serait venu à la prison après le drame et que c’est lui qui aurait donné les instructions pour isoler les survivants afin que la nouvelle ne se répande pas « .

Liste des victimes :
– Amouraz Smaïl (Aïn Taya)
– Abassi Abdelaziz (Thénia)
– Belhouane Ahcène (Khemis El Khechna).
– Benadjal Fodil (Zemmouri)
– Benyahia Moussa (Boudouaou)
– Berkani Rachid (Hraoua)
– Berriah Rédha (Henaoua)
– Bouraï Djemaa (Zemmouri)
– Bourouis Omar (Thénia)
– Chaffaï Nacereddine (Hraoua)
– Chena Rédha (Boudouaou)
– Dif Ahmed (Bordj Ménaïel)
– Fodil Mohamed (Dellys)
– Habib Smaïl (Zemmouri)
– Halouane Ahmed (Thénia)
– Hamza Fateh (Khemis El Khechna)
– Hattab Mohamed (Aïn Taya)
– Ibset Abdenour (Thénia)
– Iza Boualem (Boudouaou)
– Kerchouche Abdelghani (Réghaïa)
– Naïli Kamel (Thénia)
– Radaoui Mohamed (Henaoua)
– Rouis Fodil (Zemmouri)
– Rouis Nacer (Zemmouri)
– Rouis Omar (Thénia)
– Senadji Smaïl (Kharouba)
– Yebsat Mohamed.

19. Témoignage d’un supplicié du centre de Châteauneuf
M. A. Malek, 25 ans, employé à la Sonelgaz, demeurant à la cité Boucheraye, Ouled Koriche (Alger), arrêté en mars 1997 par des agents de la sécurité militaire.

Nos avons été réveillés en pleine nuit par des coups à la porte de la maison. Des hommes armés en furie envahirent la maison. Ils me ligotèrent les poignets avec un fil métallique et me jetèrent violemment à plat-ventre sur le sol. L’un d’eux pointa son pistolet sur moi et me menaça de me tuer sur le champ puis leva son arme pour tirer une balle en l’air, provoquant la panique dans la maison. Tout le monde se mis à crier. Les hommes armés se mirent alors à tout détruire sur leur passage. La vaisselle et les meubles furent jetés au sol et cassés. Des insultes et des grossièretés fusaient de leurs bouches sans retenue. Ma mère fut violemment frappée, ainsi que la petite fille de 2 ans qu’elle portait dans ses bras.
Je fus ensuite emmené vers le centre de Châteauneuf où j’ai connu les plus pires atrocités, matin et soir et ce, durant deux semaines, sans interruption. J’étais tout nu, les poignets ligotés derrière le dos et allongé sur un banc en bois.
L’un de mes tortionnaires s’appelait Djamal. Les autres étaient cagoulés et portaient des numéros. Il m’était impossible de les reconnaître.
On utilisera le chiffon avec de l’eau sale et nauséabonde qu’on m’obligeait d’avaler, jusqu’à perte de connaissance. On me réveillait avec des coups de poings sur le visage et sur l’abdomen. L’un des tortionnaires s’asseyait sur mon ventre pour me faire vomir tout l’eau sale ingurgitée.
Puis on utilisera l’électricité avec un petit appareil électronique de marque russe qui ressemblait à une valise diplomatique, de couleur beige, comportant des boutons qui permettaient d’augmenter et diminuer l’intensité du courant, ainsi que de deux électrodes métalliques qu’ils me placèrent sur le lobe de l’oreille et sur l’appareil génital et ce, après avoir mouillé mon corps avec un récipient d’eau. J’ai alors perdu à nouveau connaissance. Devant cet état, mes tortionnaires m’emmenèrent au service des urgences d’un hôpital. Le médecin qui m’examina ordonna ma mise en observation mais mes tortionnaires qui m’accompagnèrent refusèrent et c’est ainsi qu’ils me ramenèrent au centre de torture, malgré mon état de santé.
Lors d’une séance de torture, ils m’introduisirent dans mon anus une barre métallique chromée à section carrée. Les tortionnaires qui me faisaient cela jouissaient en me pratiquant ces sévices. Cela entraîna une hémorragie abondante et des douleurs atroces qui durèrent très longtemps.
L’un des tortionnaires me menaça alors de mort en me pointant sur la tempe son pistolet automatique.
Je suis ainsi resté chez eux 30 jours, dans un état de santé très précaire. Moralement, j’étais totalement détruit par les actes inhumains qu’ils m’avaient fait subir.
Je fus présenté dans un état physique lamentable au juge d’instruction qui m’incarcéra à la prison d’El Harrach.
Par la suite, j’ai appris de ma famille que ma mère qui avait été violemment frappée lors de mon arrestation, avait fui la maison durant deux mois, de peur de voir ces monstres revenir. La maison fut cambriolée par des inconnus qui ont emporté un téléviseur, un magnétoscope, des meubles et d’autres effets. Lorsque ma mère s’est présentée au commissariat pour déposer une plainte, les policiers refusèrent d’enregistrer la plainte en lui disant :  » tu es la mère d’un terroriste ! « . Elle écrira alors une lettre au procureur du tribunal de Baïnem qui restera sans réponse.
Je viens de demander à mon avocat de déposer une plainte pour tortures et pour demander une expertise médicale.

20.Témoignage de la famille F. Zoubir de Hadjout (Tipaza)
Les militaires prenaient durant cette période 1995 des citoyens qui disparaissaient à tout jamais. Mais ils ne s’étaient à ce moment jamais pris à nous. Notre frère Zoubir nous écoutait. Nous lui disions toujours de rentrer tôt à la maison pour éviter les problèmes. Il était commerçant.
Ce sont les policiers R. et S. qui était commissaire qui jurèrent d’avoir la peau de mon frère. Avec d’autres policiers, déguisés en militaires, le visage couvert par un turban (chèche), ils vinrent de nuit le 1er août 1995 à 2 heures. J’ai reconnu l’un d’eux qui était policier au commissariat de Hadjout, son chèche lui tomba, lui découvrant le visage. Ils encerclèrent la maison. Nous avons entendu des cris et du bruit. Ils se sont présentés en appelant mon frère et en lui disant :  » Ouvre la porte, c’est la police « .
– Que me voulez-vous ? Si vous voulez les clés ou la voiture, je vous les donne. Mais laissez-moi, je vous en supplie « .
– Nous ne voulons ni les clefs ni la voiture, nous te voulons toi, ouvre-nous la porte « .
Les policiers défoncèrent alors la porte et la fenêtre. Ils tuèrent notre chien et tirèrent des rafales sur notre voiture.
Ils prirent notre frère. Ce dernier rassura notre mère en lui disant de ne rien craindre car il était innocent.
Mes frères allèrent le lendemain au commissariat de Hadjout pour s’enquérir de la situation de Zoubir. Ils furent menacés par les policiers de subir le même sort que leur frère s’ils persistaient à revenir au commissariat.
Je suis allé alors avec ma mère au commissariat voir l’un des policiers que j’avais reconnu lors de l’arrestation de mon frère lorsque le turban avec lequel il masquait son visage lui est tombé accidentellement.
Confondu, le policier reconnut qu’il avait reçu des ordres d’arrêter mon frère et qu’il n’a fait qu’exécuter les ordres. Il nous dit alors textuellement : :  » S’il n’a rien fait il réapparaîtra, s’il est coupable, que Dieu ait son âme, nous le tuerons « .
Le lendemain, il pleuvait à torrents. Nous sommes allés voir le commissaire S. Ma mère, les larmes aux yeux, lui a alors dit :  » Pourquoi m’avez-vous privée de mon fils Zoubir ? C’est le seul qui subvient à nos besoins ? « .
– Celui qui a fait quelque chose doit payer, lui répondit le commissaire S. Nous allons les exterminer comme des mouches. Comme le fly-tox contre les mouches !
Ma mère se mit à pleurer. Le commissaire nia ensuite que ses hommes soient les auteurs de l’enlèvement. Je lui dis alors que j’avais reconnu l’un d’eux. Il me répliqua que c’était faux et que c’est certainement les maquisards islamiques qui l’ont enlevé.
Nous avons couru un peu partout, Nous avons fait le commissariat de Tipaza, la prison de Serkadji, le tribunal militaire de Blida. Sans résultats.
Mon frère était la sixième personne enlevée à la même période. Ils ont tous disparus.
Il y a eu avant et après l’enlèvement de mon frère, d’autres kidnappings par les services de sécurité. Mais on les a rapidement retrouvés tués. Certains ont été enlevés à 2 heures du matin et leurs cadavres ont été retrouvés le lendemain à 10 heures.
Des policiers honnêtes nous ont dit que mon frère était innocent et qu’on lui avait préfabriqué un dossier noir pour l’impliquer. Il aurait alors été transféré à Alger pour le liquider. Il aurait été mis au secret à Serkadji.
Dieu seul sait où se trouve notre frère.

21.Témoignage de M. Ourida (septembre 1999)
Il était 3 heures du matin. Des militaires et des miliciens ont défoncé la porte de la maison et pénétré de force à notre domicile situé à Sidi Daoud (Dellys). J’ai reconnu les miliciens H. Djillali, D. Abdelkader et K. Ils sont allés directement à la recherche de mon fils Amar qu’ils ont sorti de sa chambre. Je me suis opposée avec mon époux à son arrestation. Mon fils s’opposait de toutes ses forces, s’accrochant au cadre de la porte. Les militaires et les miliciens nous frappèrent avec les crosses de leurs armes et nous insultèrent. Ils traînèrent notre fils, malgré sa résistance. Je les ai poursuivis à l’extérieur en criant. J’ai reçu de nombreux coups de poings et de crosse. Mon fils est sorti, pieds nus. Ils lui ont bandé les yeux avec son tricot de peau. En sortant et dans la bousculade, il avait fait tomber sa carte d’identité.
Le lendemain, je me suis rendue à la gendarmerie avec la carte d’identité. Les gendarmes m’ont questionnée sur les auteurs de l’arrestation. Je leur ai dis que c’étaient les militaires accompagnés de miliciens. Ils nous ont dit qu’ils n’avaient rien à voir avec cette arrestation. Je suis retournée à plusieurs reprises mais sans effets. Je me suis mise à faire les casernes de la région. Je suis allée à la caserne de Dellys puis au siège de la sûreté de la même ville. Puis je me suis déplacée vers les casernes de Boumerdès et de Bordj Ménaïel. Et je recevais toujours la même réponse :  » Ce n’est pas nous « .
J’ai alors rédigé des lettres à Zeroual, à Habachi, à l’ONDH, au procureur du tribunal de Dellys et à la gendarmerie. Les gendarmes m’ont convoquée et m’ont questionnée à nouveau sur les conditions de l’arrestation. Ils me dirent à nouveau qu’ils n’avaient rien à voir avec cette arrestation. Ils rédigèrent un PV qu’ils adressèrent au procureur de Dellys qui me convoqua et me demanda si j’avais reconnu les auteurs de l’arrestation. Je lui ai dit ce que j’avais dit auparavant aux gendarmes :  » Ce sont les militaires et des miliciens « . J’ai cité alors les noms des trois miliciens que j’avais reconnus. Mon mari est mort de chagrin et de désespoir de ne plus pouvoir retrouver notre fils.

22.Témoignage d’une épouse Mme H.Z. Boufarik (Blida)
H. Z Mohamed, 34 ans, demeurant à Boufarik, a été kidnappé le jeudi 31 mars 1995 à 17 heures alors qu’il était dans sa voiture, une Fiat 128 blanche. Il était en compagnie de son fils âgé de 19 mois. Il venait de sortir de la maison. Des témoins l’ont vu à la station d’essence de Ouled El Alleug. Il a été kidnappé par des éléments de la sécurité militaire, en civils. Ils étaient au nombre de trois. Mon mari a été jeté dans une voiture de la SM, un autre civil a pris la voiture de mon époux. Les kidnappeurs de la SM se seraient dirigés vers Boufarik. Ils ont alors déposé l’enfant sur le seuil de la porte d’une certaine Djouher, demeurant à la rue Ahmed Allili à Boufarik. Un citoyen témoin de la scène et qui a refusé de décliner son identité, par peur de représailles, nous a raconté par la suite, avoir vu deux hommes dans une voiture sonner au domicile de cette personne puis déposer l’enfant avant de démarrer. On m’aurait dit que celui qui ouvrit la porte, a vite reconnu mon enfant. Il a loué une voiture à 20 heures pour emmener l’enfant chez sa grand-mère. Le lendemain matin, le frère de Mohamed est allé déposer plainte à la brigade de gendarmerie de Boufarik. A 13 heures exactement, les gendarmes de Ouled El Alleug se présentèrent à la maison. Ils fouillèrent la maison de fond en comble. En entrant, ils virent la sœur de Mohamed devant la porte. L’un des gendarmes lui dit qu’elle ressemblait comme une goutte d’eau à son frère.
En fouillant, ils s’intéressèrent à un papier de Mohamed qu’ils avaient trouvé dans sa chambre. L’un d’eux le mis dans sa poche. Ils feuilletèrent l’album de famille. Ils s’attardèrent sur l’une de mes photos où j’étais en Khimar (voile sur la tête). L’un d’eux dit :  » Voilà la preuve flagrante. C’est la femme d’un terroriste « . J’ai pris un avocat de Boufarik qui m’avait dit après investigations que mon mari était au centre de la SM de Haouch Chnou (Blida) et qu’il était encore vivant. Depuis je n’ai aucune nouvelle de lui et de sa voiture. S’il est vivant, qu’on nous le redonne. S’il est mort, nous prendrons nos droits chez Dieu, Incha Allah.

Références
(1) Nous dénions catégoriquement le qualificatif d’islamique à des groupes qui assassinent des innocents, massacrent bébés, femmes et vieillards. Ils n’appartiennent ni à l’Islam ni au courant islamique algérien authentique. Tout comme nous refusons de dédouaner certains groupes de jeunes qui, au nom de l’Islam, se sont permis de disposer à leur guise de la vie d’innocents, profitant pour certains de régler des comptes dans leurs quartiers et villages, comme cela s’était déroulé durant la guerre de libération. Beaucoup de brigands et de délinquants, la déliquescence de l’Etat aidant, ont également, sous cette couverture sacrée, profité de l’aubaine pour racketter et attenter à la vie d’autrui. Tout comme il n’est pas question aussi de blanchir les groupuscules fanatisés tels qu’El Hijra Oua Takfir et autres, totalement étrangers à nos valeurs civilisationnelles qui, obéissant aux fetwas douteuses de leurs maîtres moyen-orientaux, ont traité toute la Nation algérienne d’impie et se sont autorisés les pires atrocités contre des populations sans défense. Quant aux sinistres « GIA « , il s’agit d’une autre paire de manches……Laissons du temps au temps, le voile commençant lentement mais sûrement à se lever sur cette crapuleuse mystification.
(2) Dans sa préface au livre de Habib Souaïdia, La sale guerre. Le témoignage d’un ancien officier des forces spéciales de l’armée algérienne Ed. La Découverte, Paris 2001.

(3) Ces témoignages complets ont été remis à la disposition des organisations internationales des droits de l’homme, du Centre de Documentation et d’Analyses Judiciaires (CDAJ) de Justitia Universalis (La Haye) et des avocats internationaux chargés de la lutte contre l’impunité des auteurs de crimes de guerre et contre l’Humanité dans le drame algérien.

(4) L’identité de certains témoins n’est pas divulguée pour des raisons évidentes de sécurité, tout comme les noms des responsables de kidnappings ou de crimes. Ils ont cependant été remis, avec toutes les précisions nécessaires données par les familles, au CDAJ et aux avocats internationaux.

(5) Terme populaire utilisé pour désigner les autorités officielles.

(6). L’exécution sommaire du citoyen M. Mohamed est également rapportée par le sous-lieutenant Habib Souaïdia qui donnera le nom de celui qui l’avait exécuté, dans son livre La sale guerre, Editions La Découverte, Février 2001.