En Algérie, la guerre reprend et la Suisse continue d’expulser des requérants

En Algérie, la guerre reprend et la Suisse continue d’expulser des requérants

Antoine Menusier, Le Temps, 1 décembre 1999

RENVOIS. Considérant que l’élection d’Abdelaziz Bouteflika à la présidence de la République avait ramené un semblant de paix, la Suisse a repris ses expulsions de demandeurs d’asile algériens

L’assassinat, le 22 novembre, du leader islamiste Abdelkader Hachani et la recrudescence générale des violences changent pourtant la donne. L’Office fédéral des réfugiés n’en tient pas compte pour l’instant

La guerre, en Algérie, a-t-elle jamais pris fin? Le pays a connu une embellie et l’espoir d’un retour à la paix avec l’élection, en avril, d’Abdelaziz Bouteflika à la présidence de la République. Mais depuis début novembre, près de 200 personnes ont été tuées dans des violences attribuées aux groupes armés. Le 22, le numéro 3 du Front islamique du salut, Abdelkader Hachani, a

été assassiné à Alger. Cet attentat met à mal la «concorde civile» plébiscitée par les Algériens en septembre et fragilise la position du chef de l’Etat face à l’armée, qui détient le pouvoir réel, et face à l’opinion. A une dizaine de jours du commencement du ramadan, traditionnellement plus meurtrier que les autres mois de l’année, l’Algérie donne l’impression de replonger dans la guerre civile. L’Office fédéral des réfugiés (ODR) n’a pas mis fin pour autant à ses procédures de renvoi de demandeurs d’asile algériens. Il les avait suspendues jusqu’à l’élection d’Abdelaziz Bouteflika. Puis, jugeant que la situation s’améliorait, il les a reprises. Trente-trois requérants ont été renvoyés depuis, explique la porte-parole de l’ODR, Virginie Claret. Depuis le début de l’année, 416 ressortissants algériens ont déposé une demande auprès de l’office: 25 ont obtenu l’asile, 33 une admission provisoire, 325 ont été déboutés. Les critères d’attribution de l’asile se résument dans les faits à un seul: la persécution de particuliers ou de groupes par un pouvoir d’Etat. Dans ce schéma assez théorique, les Algériens les mieux placés pour l’obtention de l’asile sont les islamistes, alors que les attentats frappent aveuglément des civils, sans distinction d’appartenance politique.

Le cas de Mourad Dhina
Mais la donne, à l’ODR, a changé. Depuis l’élection d’Abdelaziz Bouteflika, les procédures de renvoi touchent aussi les sympathisants islamistes, jusqu’alors épargnés. L’ODR estime que leur vie n’est plus en danger en Algérie. Seuls les membres dirigeants ou supposés tels du FIS échappent encore à ce traitement. Pas tous, cependant. L’ODR, confirme Virginie Claret, a adressé une décision de renvoi à l’islamiste Mourad Dhina, domicilié dans le canton de Genève, qui l’a reçue deux jours avant l’assassinat d’Abdelkader Hachani. Mourad Dhina est physicien. Il travaillait au CERN jusqu’à ce que la présence de son nom sur une liste de deux cents personnes soupçonnées d’implication dans un trafic d’armes au profit des groupes armés algériens n’apparaisse dans la presse suisse, fin 1994. Une fuite, dont l’origine est restée inconnue, avait permis la divulgation de la liste. L’enquête de la police fédérale sur le «réseau» des prétendus trafiquants n’a pas abouti. Un inspecteur de la police genevoise, ayant transmis la liste aux services algériens, devait, par la suite, être jugé et condamné pour espionnage par le Tribunal fédéral. Mourad Dhina s’était porté partie civile au procès. La divulgation de son nom, parmi les deux cents autres, lui a fait perdre son emploi au CERN. Considérant que la Suisse l’avait placé dans une situation délicate, Mourad Dhina n’a jamais voulu fonder sa demande d’asile sur ses liens avec le FIS. Il bénéficiait toutefois d’un permis provisoire jusqu’à peu. La mort d’Abdelkader Hachani devrait lui éviter une expulsion que le chef des services algériens, le général Smaïl Lamari, était venu demander à Berne en 1995, affirme Mourad Dhina. La Suisse n’est pas seule à procéder à des renvois de requérants algériens. La France en expulse aussi, «au compte-gouttes», assure un fonctionnaire du Ministère de l’intérieur. En Suisse, «l’ODR examine les demandes d’asile des Algériens au cas par cas», explique Virginie Claret. L’Office fédéral des réfugiés n’exclut pas d’interrompre ses renvois vers l’Algérie si la détérioration de la situation sécuritaire dans ce pays devait se confirmer. L’ODR attendra que le mois du ramadan se passe et avisera fin janvier, au terme de la durée d’application de la loi sur la concorde civile. Cette loi d’amnistie s’adresse aux maquisards islamistes. Le président Abdelaziz Bouteflika a promis qu’il éradiquerait les derniers maquis après le 13 janvier.

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