Projet d’amendement du Code pénal :Un sérieux danger pour la liberté de la presse

Reporters sans Frontières

16 March 2001

Projet d’amendement du Code pénal :Un sérieux danger pour la liberté de la presse

Malgré les engagements du ministre de la Justice, Ahmed Ouhaya qui affirmait, le 27 février 2001, que « l’Etat [algérien] n’a nullement l’intention de porter atteinte à la liberté d’expression », Reporters sans frontières (RSF) est très préoccupée par le projet d’amendement du Code pénal, adopté le 22 février en Conseil des ministres. Ce texte qui renforce les peines d’emprisonnement pour les délits de presse ne fera qu’augmenter l’autocensure au sein des rédactions algériennes. RSF rappelle qu’en janvier 2000, Abid Hussain, le Rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, a demandé « à tous les gouvernements de veiller à ce que les délits de presse ne soient plus passibles de peines d’emprisonnement, sauf pour des délits tels que les commentaires racistes ou discriminatoires ou les appels à la violence ». D’autre part, le fait d’infliger des amendes exorbitantes constituera un moyen sûr de fermer les journaux critiques envers les autorités. RSF estime qu’en aucun cas, des amendes ne doivent être utilisées par les autorités dans le but de faire cesser la parution ou la diffusion d’un média. La condamnation d’une publication à une lourde amende l’obligeant à interrompre ses activités est contraire au droit des citoyens d’être informés librement. L’adoption par le Parlement de ces dispositions représenterait un grave recul pour la liberté de la presse qui s’est sensiblement améliorée ces dernières années en Algérie. RSF avait déjà fait part au ministre de la Justice, le 24 janvier, de son inquiétude à l’égard de ce projet de loi.

La première des dispositions de ce projet d’amendement – article 144 bis – stipule que toute personne qui « offense » le président de la République par une expression « outrageante, injurieuse ou diffamatoire que ce soit par voie d’écrits, de dessins, de déclarations ou de tout autre support électronique, informatique ou informationnel » est passible d’un « emprisonnement de un à trois ans » et d’une « amende de 100 000 dinars (1 500 euros) à 1 millions de dinars (15 000 euros) ou de « l’une de ces deux peines à la fois ». Par ailleurs, l’article 144 bis 1 précise que « lorsque l’infraction visée à l’article 144 bis est commise par l’intermédiaire d’une publication quotidienne, hebdomadaire ou autre, les poursuites sont engagées contre l’auteur de l’offense, les responsables de la publication et de la rédaction ainsi qu’à l’encontre de la publication elle-même ». Dans ce cas, les auteurs de l’infraction sont punis d’un « emprisonnement de un à trois ans » et d’une « amende de 100 000 dinars à 1 millions de dinars ou de « l’une de ces deux peines seulement ». De son côté, la publication encourt une amende de « 500 000 dinars (7 500 euros) à 5 millions de dinars (75 000 euros). Dans ces deux cas, les poursuites peuvent être engagées directement par le ministère public. En cas de récidive, les peines d’emprisonnement et les amendes sont « portées au double ».

Toutes ces sanctions sont également applicables dans le cas où les délits sont commis à l’encontre du « Parlement ou de l’une de ses deux Chambres, de l’ANP [l’Armée nationale populaire] » mais aussi de toute « autre institution publique ou tout autre corps constitué ».

Ce projet d’amendement s’inscrit dans une offensive menée par le pouvoir pour mettre un terme aux violentes critiques des journaux, notamment sur l’application de la loi sur la concorde civile. Ces derniers mois, deux hauts représentants de l’Etat s’en sont pris à la presse privée. Le 12 janvier 2001, à Batna, le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, avait estimé qu' »il [était] indécent d’infliger une amende de 1 000 dinars [15 euros] à une personne qui insulte l’Etat et attente à son prestige à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Il ne faut pas confondre la liberté d’opinion qui est un moyen de prise de conscience et de culture, avec l’invective ». Le 26 février, dans un ordre du jour aux officiers, sous-officiers et djounoud, le chef d’état-major de l’armée, le général Mohamed Lamari, avait déclaré : « Vous avez vu et vous aurez encore à constater à travers des écrits éhontés, des caricatures et autres, des outrances et des insanités à l’égard de votre armée. L’obligation de réserve qui est la nôtre jusqu’ici ne peut nous empêcher de regretter l’usage méprisable qui est fait des libertés chèrement acquises par notre peuple ».

Pour tout renseignement complémentaire, veuillez contacter Virginie Locussol au (33) 1 44 83 84 84

 

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