Le rapport d’Hélène Flautre

18-23 mai 2001. ALGERIE

Le rapport d’Hélène Flautre

Députée européenne – les Verts/Ale –
Vice Présidente de la délégation Maghreb du Parlement européen
Rédigé en collaboration avec Claude Taleb

Juin 2001
Groupe des Verts-Ale
au Parlement européen

PREAMBULE

Partir en délégation officielle du Parlement Européen, c’est reconnaître une légitimité au dialogue interparlementaire. Cela ne pose aucun problème de principe, seulement de situation.
Pour le moment, c’est elle qui prime. Plutôt inconfortable quand vos interlocuteurs sont une représentation notoirement déformée par la fraude électorale, quand la question de l’autonomie parlementaire, par rapport à l’exécutif, déclenche le sourire entendu de tout Algérien, quand le pouvoir paraît jouir d’un discrédit avéré.
Votre position de parlementaire délégué au Maghreb en visite officielle à Alger devient alors délicate !

Je ne veux pas me satisfaire du rôle de  » voyeur  » qui rapporte après coup. A qui ? à l’opinion publique internationale ? Encore moins me contenter du  » confort  » du protocole. En fait, c’est le désir d’entrevoir un bout de vérité, au détour d’un discours convenu, provoqué par une question jugée agaçante. L’envie de débusquer derrière le titulaire du pouvoir officiel, le doute qu’il s’applique à nier. La conviction que votre interlocuteur, fusse-t-il tortionnaire, qu’il vous révulse ou pas, est un être humain… de la même humanité que vous. C’est cela qui dissipe l’inconfort de ma position qui, à priori, est utilisée par le pouvoir en place pour dorer son blason.

En fait, très vite, l’évidence vous tient : il faut tenter de comprendre. Et pour cela, entendre beaucoup d’histoires, des histoires de vies, des histoires à ne pas dormir… La mère qui pleure son fils mort, ou peut-être mort et le général qui commandait les forces de sécurité. Le journaliste qui cherche la vérité et le Ministre de la justice qui se félicite de la concorde civile. La famille d’un jeune tué à Béjaïa et le président de la commission d’enquête qui parle de légitime défense, …

Ni voyeur, ni donneur de leçons, vous êtes directement interpellés : le chaos algérien est aussi le nôtre. Fonder un avenir commun après être morts les uns contre les autres, lutter démocratiquement contre la violence armée, penser son identité en pleine relation au monde, vivre ensemble dans la diversité des langues, des cultures et des histoires entremêlées, répondre au discrédit total du politique, à la mainmise de 20% de la population sur 80 % des richesses…

Défis du présent algérien… Possibles demains du monde.

Les familles de disparus sont la manifestation la plus violente de la schizophrénie du pouvoir : comment être juge et assassin ? Supposer comme le général Nezzar que la majorité des disparus sont, étaient des militants islamistes, que le pays était en guerre civile et que l’éradication de l’islamisme armé est une cause supérieure de l’Etat, c’est finalement, répondre et invalider toute demande de justice. Le besoin des familles de connaître la vérité n’est pas soluble dans la raison d’Etat. Les grandes enquêtes, jamais individualisées dans leurs conclusions, sont un masque sur une question à laquelle l’Etat ne veut pas répondre: qu’a fait l’armée de l’Etat au nom de la raison d’Etat ? Pour lever le voile, toutes les familles de disparuss que j’ai rencontrées, demandent la venue du rapporteur spécial de l’ONU sur les disparitions forcées. Y a-t-il une raison de nos Etats qui pourrait nous interdire de soutenir cette demande ?

Après la guerre civile, la réconciliation…

« La concorde civile », dit le Général Nezzar, « est la couverture politique tardive d’un accord de 1997 entre l’armée et l’Armée Islamique du Salut ». Le Ministre de la Justice mesure au nombre des 6 000 islamistes descendus du maquis sa pleine réussite. Une députée raconte la tragédie de cette grand-mère tenant dans les mains ses deux petits-enfants, leurs pères sont morts, l’un tué par l’armée, l’autre par les islamistes. Elle dit : quand ils auront vingt ans sauront-ils ne pas s’entretuer ? D’autres reconnaissent dans leur voisinage l’assassin de leurs enfants, dénoncent l’arrogance des repentis, crient à l’impunité :  » C’est un accord d’impunité réciproque sur le dos du peuple, de la justice et de la vérité ! ».
Le Ministre de la Justice dit que plus de 400 maquisards et 300 militaires sont poursuivis actuellement par la justice… on attend les procès.
 » Si nous avions promis des procès, croyez-vous qu’ils seraient descendus des maquis ?  » interroge le général Nezzar.

La concorde civile sème la discorde. Comprendre, faire justice, permettre aux douleurs individuelles de se raconter publiquement, de faire l’histoire, tragique mais commune. C’est peut-être le chemin de la réconciliation. Aux otages de la guerre civile, que la logique des camps armés a étouffés, d’ouvrir la voie… Ingérence de les soutenir ?

Les exigences citoyennes sont réelles, les balles aussi

A Tizi-Ouzou, à l’écoute des témoignages des parents, des frères des jeunes tués, des blessés, vous comprenez vite, malgré l’émotion, que les  » événements  » dits de Kabylie sont le précipité d’un état prolongé de domination par la force, d’un pouvoir spoliateur sur une population pauvre et digne, en quête d’avenir.

Vous êtes épatés par leur incroyable sang-froid, maturité citoyenne, et détermination et vous prenez l’engagement de les aider à débroussailler des chemins de liberté. Repassent dans votre tête les propos du Ministre de la justice, tardivement compatissants et globalement insipides, les déclarations vainement volontaristes des présidents de commissions d’enquête, les phrases trop générales sur la situation économique et sociale des leaders politiques. Vous vous dites :
La société algérienne est très loin devant, saurons-nous être à sa hauteur ?

Arras, 10 juin 2001.

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SOMMAIRE:

Page 4. le contexte de la visite

Page 5. une société qui étouffe, un régime à bout de souffle

page 6 1. La sale guerre
1.1 Sale guerre : la version officielle
page 7 1.2  » Dépassements  » et massacres
page 9 1.3 Arrestations illégales et disparitions forcées

page 12 2. L’insécurité
page 12 2.1 Les islamistes armés aujourd’hui
page 12 2.2 Cinq cent mille hommes armés « contre le terrorisme »
page 13 2.3 La concorde civile, échec de Bouteflika ?

page 15 3. Les enjeux d’un partenariat euro-méditerranéen
page 15 3.1 Un pays riche peuplé de pauvres
page 16 3.2 Un environnement saccagé
page 17 3.3 Des libertés publiques mises entre parenthèses
page 19 3.4 L’accord d’association Europe-Algérie

page 21 l’insurrection démocratique

page 22 octobre 88-printemps 2001

page 22 22 mai 2001, TIZI OUZOU
page 23 1. Victimes de la  » hogra  »
page 26 2.  » Vive la gendarmerie, à bas tamazight « 
page 27 3.  » Un pouvoir qui tue ses enfants n’a pas d’avenir « 
page 28 4. Promesses de Démocratie
page 29. 5. Notre responsabilité, en Europe

page 31 les Annexes

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Un contexte particulier

Cette visite, « ordinaire » prévue de longue date dans le cadre du dialogue inter-parlementaire Algérie-Union européenne, s’est déroulée dans un contexte « extraordinaire »: en plein renouvellement des termes mêmes du débat national et international sur « les sales guerres » qui ont endeuillé l’Algérie tout au long de la seconde moitié du siècle. En plein développement de la contestation et de la révolte commencée en Kabylie:

– l’histoire récente de l’Algérie en débat
Pour la première fois à cette échelle, en France notamment, un large débat public met en évidence, depuis plusieurs mois, les méthodes criminelles employées par l’armée française, entre 1954 et 1962, pour contenir la lutte de libération nationale algérienne. Les témoignages de victimes mettent directement et personnellement en cause plusieurs haut responsables militaires français. Concernant l’Algérie, c’est surtout son histoire récente qui fait l’objet d’interrogations; le Président Bouteflika a lui même estimé, dans une déclaration publique, à plus de 100 000, le nombre de victimes de la guerre civile commencée en 1992. Plusieurs livres et témoignages de protagonistes de cette sale guerre, de victimes et de témoins, accusent gravement les méthodes employées par les forces de sécurité contre des civils suspectés de complicité ou de complaisance envers les islamistes. Une plainte portée contre l’une des principales figures des généraux « décideurs » algériens a failli aboutir à son arrestation à Paris, quelques jours avant la visite, sous des inculpations de crime universel.

– la révolte des jeunes
A la suite de la mort, consécutive à ses blessures par balles, dans les locaux de la gendarmerie de Béni Douala, le 18 avril, d’un jeune lycéen, Massinissah Guermah, la révolte de la jeunesse s’est généralisée à toute la population de Petite et Grande Kabylie.
Alors que la délégation était à Alger, Le 21 mai, 500 000 personnes manifestaient à Tizi Ouzou contre la violence et les meurtres commis par les forces de sécurité, contre le mépris et l’injustice généralisés, pour demander la justice sociale, la démocratie, la reconnaissance des identités culturelles.
Ces événements dits « de Kabylie », si distants et si proches, ont alimenté, sous tendu, toutes les conversations officielles et informelles, tout au long du programme de visite.
A l’évidence, cette mobilisation populaire avait un impact et une résonance qui allaient alors déjà, bien au delà des limites géographiques de cette région; c’est l’avenir de toute l’Algérie qui était -qui est- en suspens.

Plusieurs « grandes questions » émergeaient de la préparation à la visite:
Où en est l’Etat de droit mis « entre parenthèses » depuis le décret de l’état d’urgence le 9 février 1992 (réforme de le magistrature, lois sur la communication, suspension des libertés publiques, loi sur le terrorisme)?
Quels sont les résultats de la concorde civile? de la création des milices d’autodéfense (GLD)?
Quelle est la réponse apportée aux dossiers des arrestations illégales et des disparitions forcées?
Quelles conclusions sont tirées de la révolte des jeunes? Ou en est la situation économique et sociale? Quelles perspectives faut il en déduire pour les relations euro-algériennes ?
Tel fut le fil conducteur des questions posées, dans le cadre du dialogue interparlementaire, des rencontres avec la société civile, et, avec les autorités algériennes.

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UNE
SOCIETE
QUI ETOUFFEE,

UN REGIME
A BOUT DE SOUFFLE

1. La sale guerre

Après 10 Ans, retour à la case départ ?

A écouter le Chef du gouvernement, le chef du Conseil de la Nation (Sénat), les parlementaires, les partis au pouvoir, on constate que les objectifs d’aujourd’hui: instaurer la paix civile, rétablir la confiance, l’état de droit et le pluralisme, réaliser l’ouverture du pays, la modernisation de l’outil de production de l’appareil éducatif tout en améliorant la protection sociale et l’emploi… sont les mêmes que ceux affichés au début des années 90, avant la guerre civile.
Le bilan, l’histoire de cette guerre civile sans visages est au cœur des interrogations d’une population qui, peut être en vertu de sa jeunesse (70% de la population a moins de 25 ans) manifeste une volonté chaque jour réaffirmée de se projeter dans un avenir désirable.
Ce chemin est ouvert. Il nécessite le bilan sans complaisance de cette guerre, de ses objectifs, de ses résultats, de ses moyens.

§ 1.1 Sale guerre: version officielle

La vision des députés RND (parti majoritaire à l’assemblée et au gouvernement) rejoint celle des membres du gouvernement et des autres décideurs:
« des ennemis jurés de la démocratie ont profité de l’ouverture brutale du champ politique pour s’infiltrer…après une période terrible, la situation sécuritaire est sous contrôle à 90/95 % (Ali Ben Flis) Aucun état n’est préparé à se confronter à une telle violence…à l’existence de terroristes circulant librement sur des territoires vierges de toute force de sécurité suite à la suppression de nombreuses gendarmeries à la fin des années 70…(Ahmed Ouhiaya). Khaled Nezzar, assume « le choix de 91-92, fait, avec mes compagnons » par l’existence d’un danger islamiste que le pouvoir politique d’alors sous estimait alors que, selon lui, le Fis avait stocké  » uniformes, armes avec l’appui logistique des mosquées et des municipalités conquises en 1990 « . « le Fis proposait un voyage sans retour »; une élection suivie de l’instauration d’une République islamique en Algérie. Il dit que les généraux ont « été surpris par l’ampleur et la violence de l’islamisme armé », il insiste sur la difficulté de combattre « des maquisards qui choisissent leurs cibles, le moment et les moyens.. » Pour M.Sidi Moussa, Député RND,  » il y a 6 à 7 ans, les fondements mêmes du régime étaient menacés « 
Le Ministre de la Justice affirme que depuis 95, date à laquelle la population a participé massivement aux élections, malgré la pression et les menaces islamistes, ces derniers  » savent qu’ils ont perdu « . Si « la menace de prise de pouvoir est derrière nous », il se refuse toutefois à « faire des paris sur la fin totale » de même que le Chef du gouvernement qui évoque la « persistance de groupes aguerris », ou le Ministre des Affaires religieuses, M.Gholamallah, pour qui « ça ne va pas finir tout de suite…nous aurons 2 à 3 ans de séquelles, de banditisme… »
Plusieurs Ministres et Députés déplorent « l’accueil » des réseaux islamistes, « dans vos capitales », notamment « à Londres ».

§ 1.2.  » Dépassements  » et massacres

Vus de la fenêtre du pouvoir :

En réponse aux différentes accusations dont a fait écho la presse internationale, Le Président du Conseil de la Nation, M. Boumaaza, se dit choqué d’entendre la mise en cause d’un « régime pourri…d’une armée d’assassins…nous ne sommes pas des anges, mais il ne faut pas généraliser… », pour Abdelkrim Sidi Moussa, député du RND, « c’est une infamie de prétendre que l’état planifie des massacres » .
Le Ministre de la Justice, ex Chef du gouvernement, Ahmed Ouhiaya est plus précis et reconnaît les  » dépassements…personne ne dit le contraire…c’est normal qu’il y en ait eu…un jour tout s’écrira…ces horreurs…la question est : Les avons nous traités ? Avons nous refusé les enquêtes des journalistes ? Des ONG ? Non ! Nous avons jugé des auteurs d’homicides, de tentatives de viols, de menaces de morts, de vols ..(128 en 96, 275 en 98, 348 en 2000)…161 militaires sont été jugés, jusqu’au grade de commandant « .

Khaled Nezzar donne sa version : Il défend l’armée, et souligne ses pertes :
 » si je pouvais vous dire combien nous avons perdu de militaires…vous le saurez un jour …  »  » c’est l’institution qui est restée la plus solide durant ces années, grâce à la réforme du commandement effectuée en 88…seuls 200 éléments ont rejoint les maquis, 199 ont été retrouvés et tués .. « 

Il rappelle que les noms de 100 militaires auteurs de dépassements ont été remis au panel de l’ONU qui s’est rendu en Algérie,  » parmi lesquels Habib Souaïdia  » (auteur de  » la sale guerre « , réfugié en France). Il évoque l’internement massif de militants du Fis dans des camps de détention, de 92 à 93 et dit  » si on ne les avait pas envoyé dans les camps, il fallait les tuer… « . Il dit que ces camps, aujourd’hui, sont fermés. Il réfute toute responsabilité des décideurs dans l’assassinat du Président Boudiaf le 29 juin 1992, dit que s’il avait vécu, celui ci se serait présenté et aurait été élu Président de la République. Il dit que son assassin, Lambarek Boumaarafi, ést un  » dormant  » islamiste infiltré dans l’armée,  » qu’un jour, il parlera « , qu’il était dans le bureau du général Lamari quand celui ci, pendant le soulèvement de la prison de Serkadji a donné l’ordre de tout faire pour préserver la vie de Boumaarafi.

Outre la disparition de Mohammed Boudiaf, il dit aussi beaucoup regretter l’assassinat d’Abdelmalek Ben Hamouda, ancien secrétaire général de l’UGTA (syndicat des travailleurs algériens), l’un des fondateurs du RND,  » un homme de grande qualité…comme il y en a trop peu parmi les politiques algériens…qui aurait pu jouer un rôle important… « .

Pourquoi l’armée n’est elle pas intervenu à Benthala lors du massacre qui a fait plus de 400 victimes durant la nuit du 22 septembre 97 à 1000/1500 mètres d’une caserne?  » Parce que nous n’en avions pas les moyens…les troupes étaient en intervention ailleurs… les terroristes font toujours ainsi : ils attendent l’éloignement des unités pour intervenir…dans ces conditions la seule chose qu’on puisse faire est d’intervenir en embuscade, sur l’arrière…  »

Qui se cache derrière le site internet du Maol (mouvement algérien des officiers libres) ?  » cela ne fait aucun doute, c’est le Fis ! « 

L’assassinat de Lounès Matoub ?  » Malika (sa sœur) raconte n’importe quoi ! « .
Le général Betchine qui avait dénoncé dans un quotidien dont il est propriétaire l’existence d’escadrons de la mort ?  » il a été mis hors de l’armée pour affairisme…il se venge « .

Au sujet des plaintes contre lui, K.Nezzar évoque une  » cabale menée par certains politiques (Aït Ahmed !) et des ong  » …il dénonce ses plaignants,  » terroristes islamistes condamnés ou expulsés de France …on veut remettre en selle le FIS.  » et déplore qu’on fasse deux poids deux mesures :  » on donne des cartes de séjour à des terroristes du Fis à qui on permet de porter plainte contre moi…on fait bénéficier au général Aussaresses -tête d’épingle de l’iceberg, d’un système criminel dans lequel la France a préféré laisser carte blanche aux légionnaires les plus violents plutôt que de négocier une indépendance, avec les plus modérés- une loi d’amnistie de 1984 qu’on ne m’applique pas « .

Parmi les groupes politiques de l’assemblée nationale populaire, seuls le FFS et le RCD se distinguent du discours dominant. Le premier dénonce  » un pouvoir qui sait tirer sur les jeunes de Kabylie mais s’avère incapable de protéger Benthala  » souligne que  » l’Algérie étant signataire des traités internationaux sur la protection des droits humains, il est logique que les citoyens algériens puissent saisir les instances internationales  » et demande  » une commission d’enquête internationale. ». Le second, ayant juste décidé de quitter  » un gouvernement qui tire sur la foule  » annonce  » la fin d’un régime, d’une génération du mouvement national qui fonde sa politique sur l’intrigue et la ruse et méprise l’état de droit… « , reconnaît l’existence de  » bavures et crimes extra judiciaires  » mais craint  » qu’une commission d’enquête internationale ne ramène le Fis dans ses bagages « .

De l’autre coté du miroir :

La délégation européenne a reçu les représentants de plusieurs associations qui ont apporté avec beaucoup de vigueur et de force de conviction un nouveau témoignage des souffrances vécues et ressenties par la population algérienne.

Représentantes du Rafd (rassemblement algérien des femmes démocrates), de la fondation Belchenkheir qui lutte pour les droits des enfants, elles dénoncent le mépris, érigé en système de gouvernement, de la personne humaine.

La fondation Belchenkheir tente de favoriser des programmes de lutte contre la pauvreté des enfants et voudrait faire reconnaître la situation spécifique des enfants victimes du terrorisme.

Le Cnes (Conseil National Economique et Social), dans une étude publiée les 15 et 16 mai 2001, souligne le phénomène spécifique des enfants victimes du terrorisme : orphelins de naissance, abandonnées par leurs mères violentées, ou plus âgés, devenus brutalement sans famille. En découlent des  » taux de troubles psychiques post traumatiques « , qui, dans des secteurs tels  » Benthala, Sidi Moussa, Dely Ibrahim, sont supérieurs ou comparables aux pires qui ont pu être relevés au plus fort du conflit Khmer au Cambodge… « 

Les animatrices du Rafd portent un jugement sévère sur le régime :
 » la violence existe depuis avant l’indépendance…on nous a confisqué nos droits, notre liberté. On a cultivé cette violence comme mode de règlement des différents politiques…question posée dès le Congrès de la Soummam (août 56)…  »
 » …Ce sont toujours les mêmes, vieux, autistes, qui se maintiennent au pouvoir…Bouteflika, Ouhiaya etc…sont les représentants d’un régime honni qui doivent partir et emmener le régime avec eux…  » et puis,  » Les enfants de 10 ans en 90 sont devenus adultes dans un système de violence…où, pour se faire entendre, il faut être nocif ! » ce qui crée des obligations éducatives, thérapeutiques, à qui veut penser et organiser une transition vers un système démocratique la Laddh, (ligue algérienne des droits de l’homme) dénonce l’existence d’un  » pouvoir réel, d’un cabinet noir, qui n’est pas apparent  » et dénonce les massacres en cours en Kabylie. La Ladh, autre ligue des droits de l’homme, dénonce le fait que l’état ne reconnaît pas les femmes violées comme des victimes, dit que la majorité des victimes continuent à ne pas se manifester et entend défendre les victimes du terrorisme islamique comme les familles de disparus, souligne la nécessité de projets de formation et d’éducation à la citoyenneté et à la démocratie.

Un journaliste évoque l’existence d’escadrons de la mort et rappelle qu’en 1992, la presse quotidienne (Le Matin, la Tribune) a publié des communiqués de mystérieuses organisations (OSSRA, OSAL) annonçant leur volonté de  » régler leur compte aux intellectuels islamistes « .

§ 1.3. Arrestations illégales et disparitions forcées.

L’autre Algérie

Une visite chez Maître Mahmoud Khellili, avant même le commencement du programme officiel, donna à voir une vision de la réalité algérienne totalement contraire à l’image que veulent en donner les autorités.

Recevant dans son modeste bureau situé dans une périphérie d’Alger (El Harrach), où nos « accompagnants » craignaient de se rendre « c’est très loin… dangereux…la voiture officielle, c’est mal vu… », Maître Khellili a présenté 60 dossiers « sélectionnés » transmis à la justice française, dans le cadre de la procédure ouverte contre le général Khaled Nezzar. Il s’agit des dossiers de personnes victimes de disparitions et/ou d’éxécutions sommaires, arrêtées devant témoins, par des membres de la police, de l’armée, ou de la sécurité militaire. Les plaintes déposées par leurs familles ont été suivies de « non lieux ».

Selon Maître Khellili, « le métier d’avocat est difficile en Algérie ». Notamment depuis le décret de 1992 réformant les conditions de nominations des magistrats, les avocats font face à une profession intégralement dévouée au pouvoir qui n’hésite pas à multiplier les provocations pour entraver les droits de la défense. Situation aggravée, selon M.Khellili par l’arabisation brutale des procédures, des plaidoiries, l’exclusion de fait des professionnels francophones. Ce qui lui fait déclarer que l’islamisme n’est pas venu tout seul, qu’on lui a fait du pied ». Désigné d’office en 92 pour défendre les dirigeants du FIS (dont Ali Bel Hadj, auquel il ne peut rendre visite), Me Khellili, malgré un discours sans aucune complaisance pour les islamistes, continue à être l’objet d’accusations de complicité avec ces derniers (cf portrait de presse en annexe). Il est également l’avocat des assassins « présumés officiels » de Matoub Lounès. Il est très sollicité par des familles de victimes de disparitions forcées.

Voici quelques exemples évoqués:
– Madame Ferhassi, présente lors de cette rencontre, est sans nouvelle de son mari, journaliste, arrêté et disparu depuis 1995.
– M e Mme Bouabdallah, également présents, témoins de l’arrestation de leur fils, Aziz, à leur domicile, le 12 avril 1997 font part de leur désespoir: « Au début nous avions peur…pour nous, nos autres enfants…maintenant nous parlons…S’ils sont morts, qu’on nous le dise, s’ils sont prisonniers, qu’on les juge ou qu’on les libére! »
– Khaloufi Zahar, soldat; « votre fils a disparu dans un accrochage ». Un cadavre, rendu à la famille dans un cercueil fermé, n’était pas le sien. Un témoin a certifié à la famille qu’il avait été tué par un officier après avoir refusé un ordre illégal. Son corps reste disparu, son histoire cachée.
– Abdelkrim Azizi, arrêté à son domicile le 24/09/94, torturé dans sa propre baignoire en présence de sa famille. Malgré le témoignage écrit d’un policier ayant assisté à son exécution le 14/12/96, aucune suite ni réponse n’a été donnée aux plaintes de sa famille.

Maître Khellili évoque le cas récent de ce boucher de village, demandant à un gendarme de lui payer la viande servie et recevant pour toute réponse, une balle dans la tête. Il dénonce le massacre d’un groupe d’enfants, marchands de cigarettes, pour des raisons analogues. Il fait coïncider le développement à grande échelle des violences commises par les forces de sécurité avec une déclaration de Redha Malek, alors Chef du gouvernement, en proie à la violence islamiste, déclarant, en 1993, à propos de la population, « puisqu’ils ne nous soutiennent pas, la terreur va changer de camp ».

Autre rencontre brutale avec d’indicibles souffrances: dimanche 20 mai, devant la porte -fermée- de l’ondh (observatoire national de défense des droits de l’homme), pourtant officiellement chargé de leur répondre, avec l’association Sos disparus et une soixantaine de personnes, en majorité des femmes mères ou épouses de disparus, et aussi quelques enfants et des vieillards. Elles -ils- manifestent depuis 4 ans dans le centre d’Alger, pour obtenir des informations sur leurs fils, maris ou frères, la plupart du temps arrêtés à leurs domiciles ou lors de rafles. Elles -ils- brandissent les portraits, les identités des disparus et demandent que l’ondh, les autorités judiciaires, leur rendent leurs proches ou leur disent ce qu’il sont devenus. Ce sont des gens modestes, venus de banlieues ou de villages distants de plusieurs dizaines de kilomètres. Au plus fort de leur mobilisation, ils ont rassemblé un millier de personnes. Elles -Ils- disent être épuisés par le déni de justice, l’impossibilité de faire, si nécessaire, le deuil de leurs parents et demandent une enquête internationale.

Dans le cadre du programme officiel, l’ensemble de la délégation parlementaire a reçu le comité vérité et justice, l’association nationale des familles de disparus et l’association des familles de disparus de Constantine qui porte 700 dossiers de cette région (cf annexe).

Les témoignages de toutes ces associations concordent. Elles évaluent à plus de 7000, le nombre total des dossiers de disparus en leur possession. Elles demandent reconnaissance et indemnisation des victimes, vérité et justice.

A l’exception de l’AFD qui souhaite un règlement algéro-algérien du dossier des disparitions, ces mouvements se prononcent en faveur d’enquêtes internationales et de la venue d’un rapporteur spécial de l’ONU à qui ont été transmis plus de 200 dossiers individuels.

Des réponses évasives

Le contraste est frappant entre ces demandes précises, étayées par un travail de fourmis appliquées à contourner tous les obstacles qu’elles rencontrent, et des discours officiels qui, sans nier la réalité de ce drame, restent flous, bien loin d’exprimer une volonté politique de répondre à ces douleurs imprescriptibles, par un effort de recherche de la vérité:

Pour le Chef du gouvernement, Ali Benflis, « …au sortir d’une guerre civile qui n’a pas dit son nom, contre 20000 terroristes armés…il faut du temps…la justice a pour mission de chercher…les ong internationales peuvent toutes venir…. ».

Le Ministre de la justice, ancien Chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia,  » compatit avec le chagrin des familles…accepte ce qu’elles peuvent dire…regrette que des partis politiques en fassent un thème…  » dit que beaucoup, ayant rejoint les maquis, ont été assassinés par les terroristes…je ne dirai jamais que pas un seul n’a été arrêté par un militaire…nous souhaitons des éléments…si vous avez des dossiers, amenez les… puis il explique que  » …des guichets d’accueil des familles ont été ouverts dans les daïras (sous préfectures): 3000 affaires ont été traitées par la justice: la clarté a été établie sur 1000 cas: 833 étaient des maquisards, 93 ont été abattus, 82 sont détenus, 74 sont rentrés chez eux, 7 repentis bénéficient de la concorde civile… »

Les autorités, reconnaissent officiellement plus de 4000 disparitions. Les familles doivent se contenter de ces affirmations générales. Alors que « la clarté a été établie sur 1000 cas », les familles qui se sont signalées dans les bureaux d’accueil n’ont reçu aucune réponse ou notification d’aucune sorte à titre personnel, ni de la justice, ni de l’ondh. Il faut signaler que le Président de cet organisme, qui semble disposer de peu de crédit auprès des familles, a déclaré dans la presse, sans plus de précision, qu’il existait des centres de détention. Maître Khellili qui l’a sommé, par huissier interposé, d’en dire plus n’a pu obtenir plus d’éléments à ce jour.

Le général Khaled Nezzar, ancien chef d’état major, ancien Ministre de la défense, membre du Haut Comité d’Etat après la suspension du processus électoral et la proclamation de l’état d’urgence, en 1992, reconnaît des « bavures », des « dépassements ». Selon lui « il faudra, un jour, que les gens sachent …quand? Nous sommes en guerre! ». Il risque une explication peu convaincante: « les gens sont montés en masse au maquis, croyant qu’ils avaient gagné…puis se sont entretués…la métaphore technico-militaire donne alors à voir le scénario cruel: « dans une guerre anti-terroriste…90% de la bataille c’est la logistique dont dépendent les maquis, quand on ne peut atteindre les maquisards, il faut atteindre la logistique… » Les militaires algériens ont-ils frappé les populations civiles des banlieues et contrées éloignées pour isoler les maquis? Ils n’auraient alors fait que répéter la tactique de leurs ennemis d’hier ; ainsi le rappelait le général: « le 2 ème bureau (de l’armée française) avait un droit illimité sur les prisonniers; exécutions sommaires etc…ce qui aboutit à une considérable mortalité de civils ».

Laissons les historiens établir les comparaisons.
L’un deux, M. Mohammed Harbi, propose par exemple, qu’une commission constituée d’historiens des deux rives soit chargée d’instruire le douloureux dossier des crimes commis au nom de la colonisation et pendant la guerre d’indépendance.
Mais défendons le droit à la vérité et à la justice pour toutes ces victimes. Symbole et condition de la reconstruction d’une paix durable entre algériens.

2. L’insécurité

§ 2.1. Les islamistes armés aujourd’hui

Si la baisse d’intensité des actions armées des islamistes semble réelle et spectaculaire, quelques groupes, qui rejettent la concorde civile, continuent à faire parler d’eux et à tuer :

Dans la région est d’Alger et sur la côte Kabyle, le GLSPC, (groupe salafiste pour la prédication), d’Hassan Hattab, s’est rendu coupable de l’attaque et du meurtre de policiers, en Kabylie, durant le séjour de la délégation. Ce groupe présente la particularité de ne s’attaquer qu’aux forces du régime et semble, pour cette raison, peu craint par la population des régions concernées. A l’inverse, pour la même raison, K.Nezzar le considère comme étant  » le plus dangereux « .

Des Gia (groupes islamiques armés. Groupes d’Antar Zouabri), sont également actifs dans l’algérois et dans l’ouest du pays (Mitidja) : le samedi 19 mai, un groupe armé a fait irruption dans une mosquée à Chlef et a assassiné les 6 fidèles qui s’y trouvaient. La stratégie des Gia (petits groupes de 5 bonhommes difficiles à saisir), est réduite à la  » punition des populations qui les ont soutenu puis abandonné… et à passer des messages négatifs à l’extérieur pour déstabiliser le pays…  » (Nezzar)

§ 2.2. Cinq cent mille hommes armés  » contre le terrorisme « .

Telle est l’estimation de plusieurs experts ajoutant aux forces  » régulières « , armée et police, les effectifs des groupes de légitime défense (GLD), et les sociétés privées de gardiennage, qui ont connu un fort développement ces dernières années, la plupart du temps financées par des entreprises publiques et des commerçants soucieux de se protéger du racket. En 98, le Chef du gouvernement informait l’Assemblée populaire nationale de l’existence de 52 entreprises privées de sécurité et 5000 groupes armés d’autodéfense.

C’est en 1993/94 que sont apparus les premiers groupes d’autodéfense, parfois constitués spontanément par des citoyens voulant se protéger des attaques des groupes armés.  » Régularisés  » par une loi de 97, créant les GLD, le nombre de ces miliciens est aujourd’hui estimé à 150 000. Leur rôle est controversé, plusieurs affaires ont mis en évidence les exactions commises par certains de ces groupes :

Dans la région de Relizane (ouest), la milice créée par 2 élus locaux membres du RND (parti au pouvoir), est accusée par de nombreux témoignages relevés par la Laddh et la Fidh (fédération internationale des droits de l’homme) de s’être livrée à de multiples expéditions punitives, extorsions de fonds, exécutions sommaires de plusieurs dizaines de victimes dont les corps ont été rassemblés dans des charniers.

A Tazmalt, (Kabylie), le 28 juin 98, le chef du Gld local, M Smail Mira, s’est livré à l’exécution publique d’un lycéen, Ouali Hamza, qui avait participé à une manifestation pacifique de protestation contre l’assassinat de Matoub Lounès.

Plusieurs interlocuteurs rencontrés ont accusé un autre chef de Gld, Nourredine Aït Hamouda, Député du Rcd, en Kabylie, de racket et de crimes. Selon eux, nombre de Gld utilisent les services de repris de justice, délinquants de droit commun.

De nombreux défenseurs des droits de l’homme soulignent, une plus forte insécurité et la concentration des massacres dans les zones où sont actifs les GLD.

On peut même se demander si ces miliciens désormais rémunérés, sans que les sources de financement soient du domaine public, ont réellement intérêt au retour de la paix civile ? leur démilitarisation et leur reconversion ne seront pas le problème le moins épineux que l’Algérie aura à régler.

Seul responsable étatique a évoquer les Gld, le général Nezzar, estime  » qu’il ne s’agit pas d’un facteur d’instabilité…que les Gld vont être pérennisés en police communale officielle « . Tout au plus, reconnaissant l’existence de  » voyoux et de racketteurs « … » qu’il faudra nettoyer…remettre de l’ordre « …assurant que ces phénomènes étaient  » inévitables « , compte tenu du développement  » rapide et mal fait  » des milices d’autodéfense…

§ 2.3. la concorde civile, échec de Bouteflika ?

La loi de Concorde civile est la grande réalisation de la présidence Bouteflika.

Elle lui a permis de bénéficier de la bienveillance et du soutien de la communauté internationale dans les premiers temps de son arrivée au pouvoir.

Cette loi, du 20 juillet 1999, ratifiée par référendum 45 jours plus tard,  » exonère de poursuites, ou selon les cas, atténue les peines, des personnes impliquées dans des actes de terrorisme ou de subversion, exprimant leur volonté de cesser cette activité. « 

Ces personnes sont soumises à une période de probation et ne peuvent être exonérés de poursuites si elles se sont rendues coupables de  » mort d’hommes, viol ou utilisation d’explosifs dans des lieux publics « .

Entre 6000 et 7000 membres des groupes armés seraient descendus des maquis, dont 3000 en rendant des armes. Entre 5 et 6000 auraient bénéficiés d’une grâce.

Pour Ali Benflis,  » ce n’est pas rien dans la vie d’un pays, c’est un grand succès « . La concorde civile était soutenue par le RND et le FLN, par le RCD et par les deux partis islamistes  » modérés  » membres de la coalition : En Nahda et le MSP. Pour le Ministre de la justice,  » c’est un couronnement…l’AIS a demandé une trêve, on ne pouvait pas les canarder…le recours au référendum au travers duquel la population a donné son approbation était nécessité par les assassinats commis par des gens pouvant bénéficier de la concorde et de grâces…

Racontant une visite dans l’Ouarsenis, dans un village ou 200 personnes avaient été tuées, il a rencontré, ensemble, des familles de terroristes et de victimes :  » si on désintellectualise…ils sont tous aussi misérables… « .

Il dit que des poursuites sont engagées contre 400  » descendus des maquis « . Il réfute néanmoins tout processus  » vérité et réconciliation…peut être valable…pour les sud africains « .

Le Ministre des affaires étrangères, M.Belkhhadem, déclare ne pas bien comprendre les ong ; ainsi  » Amnesty qui dénonçait, il y a quelques années, l’arbitraire, le trop grand nombre de prisonniers puis, qui, après que Bouteflika ait décidé, en 99, la concorde civile et la grâce, a fait un nouveau rapport disant c’est bien mais reprochant la libération de criminels  » . Il en conclut que  » les recettes toutes faites, peut être bonnes, ailleurs, ne sont pas applicables, ici. « .

Dans le même registre, M.Bensalah, Président de l’Assemblée Nationale Populaire dit  » on nous a demandé de dialoguer…voici qu’on nous reproche d’amnistier…nous sommes perplexes « .

Le général Nezzar, qui soutient la concorde civile, à la question n’a t’on pas perdu du temps ? répond :  » on aurait pu dès 1997 ; les islamistes armés étaient groupés près de Djijelli, prêts à descendre…ils attendaient une couverture politique.. « .

Il reconnaît que l’absence de jugements pose problème aux victimes. Dit qu’il ne faut pas répéter, avec les islamistes, l’erreur commise avec les harkis, pour qui  » après quatre ou cinq années, il aurait fallu passer l’éponge « .

Les associations féministes dénoncent l’impunité de ceux qui peuvent parader, bénéficiant d’allocations et de l’argent des maquis, au milieu de leurs victimes impuissantes et toujours abandonnées. Elles disent que cela renforce, notamment parmi les jeunes, l’idée que seuls ceux qui agissent hors de la légalité, par la brutalité, s’en sortent. Elles demandent l’indemnisation des victimes du terrorisme.

Pour la Laddh, la concorde civile n’est qu’une apparence : la réalité est qu’elle avait pour fonction première de montrer à l’opinion publique internationale que le gouvernement agissait pour trouver des solutions à la violence généralisée.

Un avocat dit même qu’  » après y avoir cru, il a du constater qu’elle était appliquée parcimonieusement par les forces militaires pour récupérer des supplétifs « 

La Ladh dénonce une loi qui n’a fait qu’entériner l’accord conclu par des négociations secrètes entre l’AIS (armée islamique du salut, liée au Fis) et la DRS (sécurité militaire). Elle déplore qu’aucune liste des personnes amnistiées n’ait été publiée. Elle donne une définition de la concorde convaincante :

 » la concorde civile ? c’est un état d’esprit qui doit venir de la société, non pas de négociations secrètes entre hommes armés. Elle doit inclure le projet de règlement des problèmes de pauvreté et de corruption…il faut la justice et la vérité « .

Toutes les ong refusent l’amnistie des crimes reconnus universels et imprescriptibles par le droit international.

Le caractère secret des négociations entre protagonistes armés, la non publication de listes, donnent lieu à des suspicions diverses d’autant que le pouvoir qui a négocié, directement, par Drs interposée, avec l’armée islamique du salut (AIS), refuse catégoriquement toute négociation avec des islamistes politiques qui ont cristallisé un courant d’opinion si important qu’il est aléatoire d’imaginer qu’il n’existe plus dans la société algérienne.

3. Les enjeux d’un partenariat euro-algérien

§ 3.1 Un pays riche peuplé de pauvres

Pour le FMI, l’Algérie constitue un exemple de réajustement structurel réussi :

Une balance commerciale excédentaire depuis 10 ans, des réserves de devises qui ont doublé depuis 99 et permettent de soutenir le remboursement de la dette, un ratio du service de la dette ramené de 80 à 20% en quelques années, un déficit budgétaire ramené de 9 à 1,4% du Pib, une inflation quasi nulle ; 0,34%…

Dans l’étude sur l’exclusion sociale publiée les 15 et 16 mai 2001, le Conseil National Economique et Social (CNES) présente l’envers de ce décor:

Le réajustement imposé en 93 pour faire face à la crise financière que traversait alors le pays a eu des effets sociaux immédiats : 400 000 licenciements dans le secteur public, remise en cause de la gratuité de certaines prestations de santé et d’éducation, arrêt du soutien des prix de produits de première nécessité…

Les conséquences en sont une augmentation de la pauvreté et de l’exclusion sociale. Le taux de chômage officiel est de 28 %.

6,4 millions d’algériens, 21% de la population totale vivent dans la pauvreté. 70% de ces personnes vivent en zone rurale, parmi eux, 60% sont analphabètes.

Quelles sont les caractéristiques de ces personnes en situation de pauvreté ?

Ce sont beaucoup de personnes âgées disposant de peu ou pas de revenus, abandonnées. Beaucoup d’enfants orphelins, sans familles, abandonnés. Des handicapés sans soutien économique ni social. Une augmentation des problèmes de santé mentale.

La restructuration économique et l’insécurité du milieu des années 90 ont favorisé le développement de l’économie informelle et du commerce spéculatif d’où une forte augmentation du travail au noir et du travail des enfants : selon un article publié par El Watan en juin 2000, un million 300 000 enfants âgés de moins de 16 ans, dont 60% de filles, sont astreints au travail.

La baisse des effectifs des professionnels de santé, combinée au départ à l’étranger de nombreux spécialistes et à la moindre protection sociale ont eu pour effet la réapparition de maladies de la pauvreté : choléra, tuberculose, typhoïde, diphtérie…

Les  » bons résultats  » macro-économiques doivent beaucoup à la manne des exportations d’hydrocarbures qui à elles seules rapportent 97% des recettes de devises du pays. Mais ce  » miracle  » a des effets pervers : 30% de ces recettes d’hydrocarbures sont consacrées au remboursement de la dette, une autre partie assure, à elle seule, le financement de l’institution militaire. La balance commerciale reste excédentaire malgré la prolifération des sociétés d’import export : 27000 sociétés essentiellement vouées aux importations de biens de consommation courante. Ces deux phénomènes ont pour conséquence la contraction des investissements disponibles pour un développement endogène. De larges secteurs de la population, des acteurs politiques, des médias, dénoncent le poids de tous ceux, en premier lieu des généraux, qui bénéficient et ont donc intérêt au maintien d’une économie essentiellement fondée sur l’exportation du gaz et du pétrole et sur l’importation des biens de consommation.

Le Chef du gouvernement lui même semble déplorer cet état de fait, soulignant à titre d’exemple, les  » 4 à 500 millions de dollars de facture d’importations pharmaceutiques.  » Il dit la nécessité de la réforme d’un appareil éducatif délabré ; il souhaiterait  » dégager des moyens pour financer des grands travaux…adduction et traitement des eaux, routes, rail… « 

Les exemples du logement, de la production agricole, de la pêche, illustrent les défis qu’auraient à relever les porteurs d’un projet de développement durable de l’Algérie : En moyenne, chaque logement , est en Algérie occupé par 8 personnes. Le taux d’occupation de pièces (TOP), mesuré par le Cnes est de 2,7 personnes par pièce, 3,7 pour les pauvres. Selon M. Dine, président de la commission des finances de l’APN,  » il manque 800 000 logements, (1 200000 selon d’autres sources) on en construit 50 000 par an… « .

La production de lait et de céréales ne couvrait en 2000 que 35% de la demande nationale. Cette même année, de forte sécheresse, la production végétale nationale a diminué de 140% (céréales -50%, légumes secs -45%, huile -23%, dattes -8%). Seul l’élevage a augmenté de 4,25%.

 » L’Algérie est le seul pays où les poissons meurent de vieillesse « . Cette boutade dit tout sur la quasi inexistence de cette industrie dans un pays dont la majorité des zones habitées sont situées sur la rive de la Méditerranée.

Alors que beaucoup de députés rencontrés ont témoigné des  » fortes tensions sociales  » dans tout le pays, et des  » résistances syndicales aux privatisations « , un journaliste faisait observer que  » l’état d’urgence est bien utile pour contrecarrer les mobilisations sociales « .

§ 3.2. Un environnement saccagé

Les effets de l’absence quasi totale de politiques urbaines , d’aménagement du territoire et du littoral, de protection et de mise en valeur des ressources en eau et des espaces naturels, semblent susciter une prise de conscience écologique.

L’eau, devient de plus en plus rare, peu ou non gérée dans de vastes étendues peu habitées et délaissées, soumise à une pollution extrême dans les villes sans systèmes d’épuration. Les eaux de baignade ne font l’objet d’aucune protection, des analyses ont montré récemment des niveaux d’infection micro biologique très élevés sur les plages des zones urbaines.

Les déchets ne sont pas traités, seulement stockés en décharges à ciel ouvert. Les surfaces agricoles et les terres les plus fertiles ont beaucoup souffert des années de guerre : abandonnées par les paysans fuyant les maquis, craignant les massacres, livrées à l’urbanisation sauvage autorisée par la quasi absence de plans d’occupation des sols, le peu de pouvoir et le manque de formation des techniciens territoriaux et des autorités communales. L’agriculture est sinistrée au point que dans ce pays d’oliviers, l’huile d’olive ne cesse d’augmenter pour atteindre 300 dinars le litre (30FF). Les forêts ont beaucoup diminué : napalmées comme dans la région de Médéa, en 93/94, livrées elles aussi à l’urbanisation sauvage, telle la forêt de Baïnem, près d’Alger. Le littoral, également, serait l’objet d’ opérations immobilières non raisonnées; dans la région de Bougie, à Zéralda.

On peut donc conclure que, loin de constituer  » un luxe  » les questions environnementales, l’élaboration d’un projet d’avenir fondé sur le développement durable, seront des défis essentiels à relever pour améliorer les conditions de vie de toutes les algériennes.

§ 3.3 les libertés publiques mises entre parenthèses

L’interruption du processus électoral, en 1992, a été immédiatement suivi de l’institution de l’état d’urgence (décret du 09-02-92), d’un décret loi (du 30-09-92) sur le terrorisme et la subversion, et d’un décret (du 24-12-92) réformant la magistrature.

Les parlementaires, comme les Ministres rencontrés, souscrivent à la déclaration du Vice Président de l’Assemblée Populaire Nationale, M.Maazouzi, selon lequel « aujourd’hui la paix est là, place à la stabilité économique et sociale… » Selon M.Benflis, Chef du gouvernement, « nous sommes sur le point de sortir d’une décennie de crise…nous avons payé cher le passage du système de parti unique au pluralisme ».

Concernant l’état d’urgence, qui confère notamment au Ministre de l’intérieur et aux walis (préfets) le pouvoir d’internement en centre de détention, de suspension ou interdiction de toute assemblée locale, M BenFlis affirme que « ça peut se lever, que c’est une étape à venir ». Le Chef du gouvernement concède « que la justice doit gagner en crédibilité, en transparence, en sûreté pour ceux qui la rendent… ». Il annonce qu’il compte suivre la suggestion de la commission sur la réforme de la justice constituée « d’experts indépendants » en revenant sur les prérogatives accordées par le décret de 92 au Ministre de la Justice, par le rétablissement de l’élection du Conseil Supérieur de la Magistrature par les magistrats.

Tous les Ministres rencontrés, les parlementaires du bloc majoritaire (RND-FLN-En Nahda-MSP) vantent le pluralisme politique, la possibilité qu’ont les députés d’interpeller et de censurer le gouvernement. A l’inverse, selon la Laddh (ligue algérienne des droits de l’homme), auditionnée par la délégation du parlement européen, « en Algérie, on peut voter, mais on ne peut pas élire ». Beaucoup d’interlocuteurs ont corroboré cette opinion en dénonçant la fraude massive lors des dernières consultations électorales. Un rapport sur cette fraude a d’ailleurs été commandé par le gouvernement; le représentant du groupe parlementaire du FFS (Front des Forces Socialistes) a déploré, devant la délégation,  » en tant que parlementaire, de n’en avoir pas eu communication. « 

L’Assemblée Nationale Populaire avait adopté, quelques jours avant l’arrivée de la délégation, une réforme du code pénal visant, notamment, la presse et les prêches dans les mosquées. Ceux-ci ne pourront désormais plus être prononcés que par des imams agréés. La question de la presse oppose la majorité parlementaire à toute la profession et aux défenseurs des droits de l’homme et continue à faire couler beaucoup d’encre. Elle semble avoir été motivée, en  » haut- lieu « , par l’allergie inspirée par les dessins quotidiens, dans Liberté, du caricaturiste Dilem, très populaire en Algérie, et spécialiste du portrait du président Bouteflika. A l’entrée en vigueur du nouvel article du code pénal, tous les journalistes, rédacteurs ou dessinateurs, reconnus coupables  » d’injures ou de diffamation des autorités publiques  » seront passibles d’emprisonnement et de lourdes amendes. La délégation européenne a rencontré des responsables des principaux quotidiens algériens ; ils s’indignent de ce qu’ils considèrent comme une épée de Damoclès menaçant toute leur profession. Ils s’alarment du risque mortel encouru par la presse indépendante.

Le Directeur d’El Watan, soulignait ainsi que vu l’état actuel de trésorerie de la presse algérienne, très endettée, il suffirait de 3 amendes pour que le plus fort tirage quotidien (El Khabar, arabophone) mette la clef sous la porte. Durant cette rencontre, les journalistes ont témoigné de la difficulté à faire leur métier:  » 110 journalistes sont morts assassinées depuis 10 ans; la presse privée reste dépendante de l’unique imprimerie d’état, laquelle lui facture, une partie du tirage de la presse d’état, dont elle reçoit des injonctions à payer…le lendemain de la publication d’articles ayant déplu… La menace de lourdes amendes aura dans cette situation un effet dissuasif indéniable…  » ils craignent que le financement, à hauteur de 5 millions d’Euros sur cinq ans, par l’Union européenne, dans le cadre du programme Méda-démocratie, de la formation de journalistes, ne soit « détourné s’il n’est pas bien cerné et contrôlé par la profession »… Ils s’inquiètent de l’issue du combat mené par la presse « dans un pays ou les autorités ne tiennent aucun compte des manifestations de 3000 avocats ni de celles d’une population qui descend dans la rue chaque jour. »

La version officielle, répétée tout au long des rencontres, cherche à minimiser l’impact de cette réforme: Coté officiel, le Ministre de la Justice, Ahmed Ouyahia, insiste sur le volet  » contrôle des prêches  » dans les mosquées de sa réforme.

Puis, il justifie les mesures vis à vis de la presse par la multiplication des articles et dessins outrageants et diffamatoires. Notons à ce propos que les représentants de l’ondh, ( » observatoire national des droits de l’homme. « ) organisme sensé défendre les libertés publiques, ont créé une certaine sensation en présentant à la délégation européenne un échantillon de coupures de journaux et dessins justifiant, selon eux, la réforme.

Le Ministre de la Justice, dit, lui, s’être inspiré de 2 articles de la loi française.

Il déplore que « la mère des crises en Algérie soit la crise de confiance des citoyens envers les autorités que l’avenir dira si cette loi est liberticide « …et conclut sa réponse en assurant,  » sauf catastrophe, qu’il ne donnera pas le plaisir à la presse de lui donner un martyr derrière les barreaux… »

Ce faisant, il ne répond pas aux directeurs de journaux qui craignent surtout de se retrouver sur la paille.

§ 3.4. l’accord d’association Europe-Algérie

Le dialogue et le partenariat euro-algérien ont une portée historique fondée sur la proximité géographique, historique, culturelle entre les habitants des deux rives de la Méditerranée et des échanges économiques anciens.

Aujourd’hui, 3,5 millions de citoyens algérien-ne-s vivent en Europe
70% des exportations de l’Algérie sont destinées à l’Union européenne, dont elle fournit, à elle seule, 20% des ressources en gaz.
60% des importations viennent de l’Union européenne.
Ces chiffres sont à comparer à ceux de ses échanges avec les voisins tunisiens et marocains : 2% des exportations et 2,5% des importations de l’Algérie.
Cette asymétrie est la source d’un premier problème à régler dans la perspective d’un rapport plus équilibré : le développement de la coopération et des échanges intrarégionaux.

Selon M.Belkhadem, Ministre des Affaires étrangères,  » les négociations sur l’accord d’association EU-Algérie sont en phase d’accélération « .

Il dit que  » …4 ou 5 titres sont finalisés…que le démantèlement tarifaire est en cours de négociation…mais qu’ il est difficile de démanteler la politique sociale.. (menacée par la diminution des recettes douanières), que  » beaucoup d’entreprises algériennes ont besoin d’être mises à niveau avant de supporter le choc de la mise en concurrence… « 

M.Dine, député de l’APN dit attendre de l’UE  » aides à la mise à niveau de l’outil de production, à la réhabilitation des infrastructures, aux privatisations… « .

S’inquiétant des risques sociaux et du développement inégal, le Ministre des affaires religieuses, M Gholamallah, cite un proverbe arabe qui dit  » qu’en cas de conflit entre richesse et pauvreté, c’est toujours le pauvre qui gagne car il n’a rien à perdre.. « 

Le Chef du gouvernement dit que  » le marché et la circulation des capitaux c’est très bien mais qu’il reste un problème de liberté de circulation des personnes… Il regrette que les programmes Méda souffrent de  » procédures trop complexes  » donnant pour exemple l’aide à la reconstruction d’établissements scolaires détruits par des attentats,  » très positive mais freinée par les contrôles à priori… « . Le Pdt de la commission des affaires étrangères de l’APN, M.Si Assif, demande  » les droits civils pour les immigrés légaux. « 

Le Ministre de la Justice, Ahmed Ouhiaya, se plaît à souligner que :
 » on sue sur le volet économique de l’accord mais il n’y a pas de difficultés sur la partie démocratique et politique « 
Aucun des courants politiques rencontrés n’exprime d’opposition sur le principe du partenariat. Le président du groupe parlementaire En Hada souhaite  » que l’Europe regarde vers le sud et un  » accord d’intérêt commun « . Le FFS est le plus réservé,  » pas hostile à l’économie de marché  » mais inquiet du  » bradage du pays « , et dénonçant une UE qui se contente  » de déclarations indignées sans prendre de mesures concrètes « .

Les journalistes rencontrés tempèrent également l’optimisme affiché.

S’inquiétant du non respect des clauses relatives aux droits de l’homme et aux libertés civiles Le directeur de la Tribune regrette que  » les européens vont signer l’accord d’association en se contentant de la présentation qui leur sera faite « . Celui d’El Watan déplore  » que l’UE ne nous aide pas à aller vers la démocratie « 

M Mokrab, père d’Azzedine, 25 ans, tué par les balles de la gendarmerie à Larba Nath Irathène, exprime d’autres attentes de la société algérienne :
 » ce que je demande à l’Europe ? …qu’elle aide les jeunes en Algérie…ils ont besoin de justice, de vérité ; on les tue… ! « .

Dans la situation actuelle, la poursuite, comme si de rien n’était, des négociations, est plus qu’une hypocrisie : elle constitue une ingérence dans les affaires de la société algérienne par le soutien et la légitimité qu’elle apporte à un régime dont le bien être et la sécurité des citoyens, est le cadet des soucis, comme le montre le chapitre suivant.

C’est l’avenir et la crédibilité du partenariat euro-algérien qui sont en jeu:

Si nous voulons, demain, jeter les bases d’un partenariat durable, fondé sur la compréhension et la coopération des sociétés civiles des deux rives de la Méditerranée, il faut suspendre la négociation d’un accord d’association qui ne peut, aujourd’hui, se conclure que sur le déni des souffrances, et de la demande de justice, du peuple algérien.

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L’INSURRECTION

DEMOCRATIQUE

A Dahman et Yayiah,
sans oublier notre chauffeur
Octobre 1988 – printemps 2001

Plusieurs parlementaires rencontrés, des journalistes, des témoins, le général Nezzar…se rejoignent, paradoxalement, pour comparer ces deux « insurrections » motivées par une « protestation générale contre la misère, le manque d’emplois, de logements, de perspectives, la hogra, le rejet des autorités… »

Le massacre de 500 manifestants mitraillés par l’armée, à Alger, en octobre 88, avait été suivi de mesures politiques d’ouverture, de l’instauration du pluralisme, du droit d’association.

Il avait également eu pour conséquence la montée du FIS.

L’interruption du processus électoral et l’instauration de l’état d’urgence, en février 92, alors que le FIS, avec 28 % des voix, était sur le point d’obtenir la majorité absolue des sièges à l’Assemblée Populaire Nationale, a été suivie du développement de l’islamisme armé, de longues années de tragédie, d’une violence extrême qui a coûté la vie à (100 000 selon le président Boutéflika , 200 000 selon le FFS) algériens et algériennes.

A ces chiffres effrayants, il faut ajouter toutes celles et ceux, plus nombreux et nombreuses encore qui portent les stigmates des blessures physiques et morales qui ont affecté de larges secteurs de la population, bien au delà des protagonistes directs du conflit armé.

La décroissance des conflits armés et de la pression qu’ils exercent sur la population semblent bien rendre possible la reprise de la contestation et de la protestation d’aujourd’hui.

22 mai 2001, à Tizi Ouzou

Comment repartir d’Algérie sans essayer, sans écouter, les acteurs de ces manifestations quotidiennes ? Comment ne pas avoir envie de transgresser le protocole de la visite officielle pour aller à la rencontre de ces manifestants,  » vus à la télé  » derrière ces calicots tragiques sur lesquels ils écrivent  » vous ne pouvez pas nous tuer, nous sommes déjà morts  » ?

Il s’agit moins de rapporter que de comprendre.

La triple revendication, de justice sociale, de démocratie et de reconnaissance de l’identité culturelle et l’opposition au  » pouvoir assassin  » n’annoncent elles pas l’émergence d’une troisième voie, d’une Algérie plurielle qui ne demande qu’à s’épanouir en rejetant les deux termes de l’alternative violence islamiste/violence d’état ? Qu’attendent ils de l’Europe, de ses citoyens, de ses institutions ?

Le refus, exprimé tardivement, par le protocole de l’APN, d’organiser cette visite, l’a sans doute finalement facilitée : aucun protocole officiel n’aurait su organiser un programme d’une telle intensité : aller-retour en voiture Alger-Tizi, accueil par les responsables de la Maison des droits de l’homme et du citoyen, rencontre avec les victimes et leurs proches, avec la coordination des étudiants, avec la ligue algérienne de défense des droits de l’homme (laddh), de la willaya de Tizi, avec les élus (Sénat et commune de Tizi), avec la coordination des aouch (comités de villages).

§ 1 Victimes de la  » hogra « 

La première étape fut la plus bouleversante et la plus éprouvante de tout le voyage : à la Maison des droits de l’Homme et du citoyen, lieu défini par nos hôtes comme « un espace dédié au développement des droits de l’homme, créé par le bénévolat, dans une cité populaire « , ou attendaient plusieurs dizaines de personnes.

Le témoignage de victimes et de parents de victimes des violences des forces de sécurité, pendant plus de 3 heures, fut un grand choc émotionnel et …un réquisitoire implacable contre la férocité et le caractère délibéré des crimes et des exactions commises au nom de l’Etat.

Bélaïd Bouzerma, 31 ans, de Larba Nath Irathène

Blessé par balles tirées à la mitrailleuse depuis la terrasse de la gendarmerie, le 28 avril, à Larbaa Nath Irathène (LNI), amputé d’un jambe. Il dit :
 » il n’y a pas de boulot, que du chômage, aucun espoir pour notre génération… C’est après la mort de Massinissah que nous avons manifesté…Pourquoi cette hogra ? on est jeunes, démocrates, je n’ai jamais manqué de respect pour les autorités…j’ai été deux fois militaire et me suis mis à la disposition de cet Etat qui n’est pas à la hauteur…nous sommes des hommes libres -imazighen- nous n’acceptons pas cette hogra… « 

§ M Guermah, père de Massinissah Guermah, 20 ans, de Béni Douala
 » Depuis quelque temps les gendarmes multipliaient les provocations, ils avaient été dénoncés le 16 avril par le comité de village. Le 18, mon fils, interrompant ses révsions du bac pour prendre l’air a été interpellé par 2 gendarmes sur le trottoir au pied de notre logement. Frappé durant son transport, il est entré titubant au poste. 5 minutes plus tard, des témoins qui se trouvaient dans le gendarmerie ont entendu 2 rafales. Il a été transporté à l’hôpital de Tizi puis à celui d’Alger où ils est décédé deux jours plus tard, le 20 avril. Mon fils était une force de la nature, qui a résisté deux jours, avec 6/7 de tension, après avoir perdu beaucoup de sang, les 2 jambes déchiquetées par des balles explosives tirées à bout portant, j’ai vu de mes propres yeux ses blessures… C’était un ange, il ne supportait pas l’injustice…10000 personnes ont assisté à son inhumation…je n’ai pas assisté à la mise en terre car je suis resté à l’entrée du cimetière pour supplier les jeunes de renoncer à toute violence…j’ai perdu un ange, je ne veux pas en perdre d’autres…Les instances ont embrasé les chose avec les communiqués du commandant de gendarmerie insultant moi fils accusé d’être un voleur et un agresseur et avec celui du Ministre de l’Intérieur, Zerhouni, parlant d’un délinquant âgé de 26 ans… J’ai peut être été formé à l’école des ânes mais je suis plus intelligent qu’eux : je ne veux pas de violence ! … je ne témoignerai pas devant leurs instances (les commissions d’enquête présidentielle et parlementaire)…je tiens à rendre hommage aux avocats et au personnel hospitalier de la région qui font tout pour aider la population… « 

§ Hamza Bellahouès. 31 ans, Mekla
Blessé de 2 balles dans le dos.  » on ne peut faire du bien qu’avec du bien, pas avec du mal… « . Il parle d’une vie  » inutile, de mort anticipée… nous sommes déjà morts… « 

§ M Saïd Mokrab, père d’Oulbane Mokrab, dit Azzedine, 25 ans, Larbaa Nath Irathène, tué le 28 avril

Les gendarmes ont tiré sur mon fils alors qu’il se trouvait à plus de 150 mètres de la gendarmerie ; il a reçu une balle qui lui a traversé le cou. Il était a- politique, il a été tabassé le jeudi (26), assassiné le samedi. Ici, ce n’est pas le problème d’une région, c’est le problème d’une Nation. C’est une lutte pacifique de jeunes contre la mal vie, pour l’identité… Nous voulons le jugement des criminels, je veux entendre prononcer le nom de l’assassin de mon fils…

Il voulait vivre, les enfants avaient des pierres, les gendarmes, postés sur les terrasses des gendarmeries, tiraient partout. Ils agissaient sur ordre. Ils avaient une stratégie, tirant derrière les manifestants pour qu’ils se rapprochent de la gendarmerie. Il faut que l’Union européenne fasse pression sur l’armée pour qu’elle livre les responsables des tueries car ici, la justice n’a aucun pouvoir sur l’armée… « .

A ses cotés, d’autres témoins, membres de l’association des parents de victimes de LNI, dont l’un, faisant état de  » 24 mois de services dans la Mitidja « , ont vu, le 28 avril, à 15h30, Areski Hammache et Mouloud Belkalem, être  » achevés au P.A par le Chef de la brigade de gendarmerie de Larba N.I. « .

Belkacem Bouguera, frère de Rachid Bouguera, 25 ans, de Boghni,
 » Le 27 avril, mon frère, volontaire au Croissant Rouge algérien, a été abattu d’une balle dans le cou alors qu’il se rendait au siège du CRA. Les témoins ont vu que c’était un policier, membre de la Brigade Mobile de Police Judiciaire (BMPJ) qui l’avait tué. Les témoins ont subi des pressions de la police leur demandant d’accuser la gendarmerie. »

Samir Allalou, 23 ans, de Borj Menaïel,
Blessé par balles le 29 avril, à Boumerdès, avec 6 ou 7 autres personnes alors qu’ils se trouvaient à plus de 500 mètres du commissariat et de la gendarmerie. Etait hospitalisé depuis 23 jours souffrant de graves blessures à l’abdomen.

M Béchar, père de Ali Béchar, 21 ans,
Son fils a été blessé par une balle tirée, à Naciria, par un policier, non menacé, distant de 30 mètres au moment du tir, a plus de 500 mètres du commissariat.

Khellil Raab, frère de Slimane Raab, 23 ans, de Bouzeguene
Sorti de son domicile le 28 avril, une heure après le début des manifestations, son frère a reçu une balle dans le cou alors que des manifestants fuyaient dans tous les sens. Est décédé le 14 mai.

Le frère de Kemal Irchène, 27 ans, d’Azaga,
Dit que son frère a été abattu par des gendarmes tirant du toit de la gendarmerie alors qu’il portait secours à un blessé. Avant de mourir, il a écrit le mot  » Liberté  » avec son sang sur le mur du café en face de la banque. Depuis, les habitants avaient érigé une petite stèle à cet emplacement, déposaient des fleurs, allumaient, chaque soir, des bougies. A ce moment, les gendarmes à plusieurs reprises, on lancé des pierres. La veille, 21 mai, ils avaient tiré des grenades lacrymogènes sur les personnes se recueillant. On apprendrait le lendemain, que, pendant cet entretien, ils se livraient à une véritable profanation en brisant le portait de Kemal Irchène.
Le juge d’Azazga a demandé au père de la victime  » d’apporter la preuve que son fils a bien été tué par les gendarmes « .

Salah Ouidir, 22 ans, de Aïn El Hammam
Blessé par balle, dans la jambe, le 28 avril, à Ain El Hammam. Dit qu’alors que des écoliers effectuaient une marche pacifique en criant  » pouvoir assassin « , les gendarmes ont commencé par proférer des grossièretés.  » Ils sont revenus 20 minutes plus tard avec des kalachnikovs, nous ont poursuivi en tirant jusqu’en lsière de forêt. « . Un de ses amis venu lui porter secours a été tué.

M Aït Abba, époux de Nadia Aït Abba, 33 ans, institutrice, de Aïn El Hammam.
Habitant à AEH devant la gendarmerie, dit qu’il  » a assisté à la guerre …le 26 avril, j’avais vu les gendarmes sur leur toit, filmant, photographiant… le 28 avril, son épouse, enseignante en arabe,  » qui avait peut être été vue donnant du vinaigre aux enfants suffocant dans les lacrymogènes « , a été abattue de plusieurs balles -dont une balle explosive qui lui a provoqué une lésion de 8 cm- (cf annexe) alors qu’elle se trouvait derrière la fenêtre, chez sa voisine, au 5 ème étage. Son beau frère témoigne :  » ils tiraient dans tous les sens…ils ont continué à nous tirer dessus alors que nous tentions de l’emmener sur un brancard… « . C’est ainsi qu’ils ont tué Omar Naït Amara, venu à son secours.

Brahim Bouktoube, 17 ans, de Mekla
Atteint d’une balle dans le dos, le 28 avril, à Mekla, alors qu’il allait chercher son petit frère à l’école.  » Aurait été achevé s’il n’avait été évacué par des témoins… « .

le père de Kamal Rahim, 26 ans, de Boghni
Décédé des suites des blessures consécutives à 3 coups de couteau. Son père ne dispose d’aucun témoignage confirmant qu’il a été frappé par les gendarmes.

Mohamed Hassani, 26 ans, de Matkas
Le 28 avril, à 15h30 ; ne participant pas à la manifestation, rencontrant des  » forces spéciales  » de gendarmerie sur le trajet entre la boutique où il travaille et son domicile. Ceux-ci lui intiment l’ordre de se déshabiller, en pleine rue, puis le forcent à le faire en déchirant ses vêtements à l’aide de leurs baïonnettes. Humilié en public, , contraint de boire l’eau des égouts, battu et ne devant son salut qu’à la fuite, après voir essuyé des coups de feu. Soutenu par le président de l’APC (maire) de son village, qui raconte une tentative d’interposition menée avec son collègue de Mekla pour faire remplacer, avec l’accord des jeunes, les gendarmes par des policiers. Démarche menée sans résultat auprès du Wali (Prefet). Le commandant de gendarmerie refusant quant à lui toute négociation et repoussant, avec brutalité, la médiation de l’élu.

Dans un bilan établi en date du 21 mai, figurant en annexe de ce rapport, la Laddh dénombrait, 49 morts dans les willayas de T. Ouzou, Béjaïa, Bouira, Sétif et Boumerdès, 563 blessés, dont 221 par balles, 18 cas de sévices et tortures (Willaya de Tizi Ouzou), plus de 490 blessés (Willaya de Béjaïa).

2  » Vive la gendarmerie, à bas Tamazight « 

Nous avons pu voir ce slogan inscrit au stylo feutre sur la blouse de Nadia Ait Abba, tuée par les balles de la gendarmerie le 28 avril. Le soir de l’assassinat, les habitants d’Aïn El Hammam accusent les gendarmes d’avoir saccagé l’école et ainsi manifesté leur haine.

Contrairement aux hypothèses ou aux allégations entendues lors des rencontres avec des parlementaires et des membres du gouvernement, il suffit d’aller passer une après midi à Tizi Ouzou, ou sans doute à Béjaïa, et dans d’autres willayas, pour n’avoir aucun doute : comme les nombreuses blessures pas balles dans le dos l’attestent, les gendarmes n’ont, en aucune façon, agi, en état de légitime défense ; les moyens utilisés, armes de guerre, balles explosives, ne sont absolument pas proportionnées à la  » menace  » que peuvent représenter les manifestations pacifiques, le plus souvent d’écoliers et lycéens, du mois d’avril.

Dans plusieurs villages, les tirs ont été opérés depuis les terrasses des casernements. Des victimes ont été poursuivies, achevées.

Il convient d’observer que des policiers ont également participé à la répression et commis plusieurs assassinats. Ils sont accusés d’avoir cherché à faire disparaître des preuves en allant rechercher, dans les hôpitaux, les balles extraites des corps.

De nombreuses victimes ont reçu des convocations de juges les sommant de prouver qu’ils étaient victimes de la gendarmerie. Aux demandes de rapports d’autopsie, il n’avait jusqu’alors été répondu que par la fourniture de certificats attestant que des autopsies avaient été éffectuées…

Réponse à la  » hogra  » si fortement manifestée par les forces de répression, de nombreux habitants, des victimes, des témoins, la population, fin mai, boycottaient les gendarmes, ceux-ci étant contraints, suite au refus de les servir des commerçants, de s’approvisionner à l’extérieur de la région. Beaucoup demandaient  » le départ de la gendarmerie, qui en Kabylie, selon M.Aït Amara,  » représente la hogra  » « . Des représentants des comités de village n’hésitaient pas à affirmer que ce corps d’état joue un rôle essentiel dans la délinquance :  » allez en boîte de nuit, vous n’y verrez que des gendarmes, à la tête des réseaux de trafic de drogue, de prostitution etc… « .

Si l’exigence de vérité, de justice, de punition des coupables, est, bien légitimement, générale, plusieurs familles de victimes expriment fortement leur conviction que ces actes sont commis parce qu’ils sont assurés de l’impunité.

Sentiment résumé dans une expression :  » nous voulons la punition des coupables et au delà, savoir qui est coupable de n’avoir pas donné l’ordre d’arrêter de tirer ! « .

§ 3  » Un pouvoir qui tue ses enfants n’a pas d’avenir « 

Cette sentence prononcée par un parlementaire local du FFS, dit toute la difficulté de la solution pacifique et démocratique de cette crise. Comment obtenir de ce pouvoir, sinon une proposition d’avenir convaincante et crédible, au moins qu’il reconnaisse la gravité de la situation et qu’il donne, toutes affaires cessantes, les ordres nécessaires à l’arrêt des crimes commis contre une population pacifique ? Comme le disait Belaïd, blessé par balles,  » cet Etat n’est pas à la hauteur « .

Les médecins et les soignants de l’hôpital de Tizi Ouzou ont ainsi refusé de voir et parler au Ministre de l’Intérieur, M.Zerhouni, venu en visite impromptue à minuit, après avoir injurié la mémoire de Massinissah.

A la date ou la laddh diffusait cet état de la situation, le Préfet (Wali) évoquait  » une quarantaine de victimes  » sans fournir de liste ni de précisions sur les circonstances, l’origine des blessures.

A l’assemblée Nationale Populaire, dans les Ministères, les membres de la délégation ont pu entendre de façon unanime, les élus et Ministres rencontrés, pourfendre la dernière résolution du Parlement européen, votée quelques jours avant la visite sur la proposition de Députés qui souhaitaient surtout faire part de sa condamnation des massacres, au motif qu’elle contenait un passage certes inapproprié, singularisant les droits du  » peuple berbère de Kabylie « .

Diversion bien opportune pour qui ne souhaitait pas se prononcer plus clairement sur les évènements en cours !

Tous ces interlocuteurs ont dénoncé ce qu’ils appellent des  » dépassements « . La main sur le cœur, ils ont appelé de leurs vœux enquêtes et punitions. Il s’est trouvé un responsable de groupe parlementaire, celui du groupe EnHada, islamiste membre du gouvernement, pour demander  » qu’on sanctionne les participants aux émeutes  » ! Le Ministre de la justice, tout en se disant « prêt à engager et à accompagner les poursuites « …évoquait la mise sous mandat de dépôt d’un seul gendarme,…  » celui dont l’arme est tombée… « .

Le Président de la République et l’Assemblée Nationale Populaire ont diligenté deux commissions d’enquêtes.

On a promis aux parlementaires européens qu’ils seraient parmi les premiers destinataires de ces rapports. Le président de la commission d’enquête parlementaire a assuré que toutes les pièces lui seraient communiquées,  » même les rapports d’autopsie « , quelques heures avant que le Ministre de la Justice n’affirme que les commissions pourraient accéder à tous les documents,  » sauf, bien sur, les rapports d’autopsie… « . M.Issad, Président de la commission d’enquête nommée par Abdelaziz Bouteflika, ne prétend pas, lui, faire le travail de la justice, mais plutôt savoir,  » si un chef d’orchestre se cache derrière ces évènements. « 

Les victimes ne veulent rencontrer, ni l’une, ni l’autre, de ces commissions.

Les étudiants de Tizi Ouzou, comme les représentants de la Laddh, mettent en cause la volonté de provoquer des troubles, une stratégie concertée, relevant qu’on a ouvert le feu, le même jour dans des localités distantes de plus de 200 kilomètres.

De nombreux témoins affirment que les gendarmes avaient multiplié les provocations envers les habitants, les commerçants, dans les semaines précédant les premières manifestations.

Un Sénateur (FFS) de Tizi, nomme l’enjeu de ces provocations :  » l’hégémonie par le désordre « .
Il s’agirait de discréditer tel ou tel haut placé au pouvoir tout en autorisant la reprise en main d’une région qu’on tente d’isoler du reste de la population.

Dans cette situation, seul l’affichage d’une volonté politique nouvelle de faire toute la lumière et d’assumer une transition légitimée par le retour de l’état de droit et des élections libres, semblent susceptibles de satisfaire la demande de dignité et de démocratie. Ce régime en est-il capable ?

§ 4  » promesses  » de Démocratie

La société civile semble, en Algérie, dix pas en avance sur le système politique officiel.
Il faut d’abord rendre hommage aux familles de victimes qui, sans aucune exception, malgré des souffrances indicibles de parents auxquels on a arraché leurs enfants, refusent de céder à la tentation de la vengeance, revendiquent leur non violence, et se concentrent sur l’exigence, sans concession, de justice. N’oublions pas non plus tous ces avocats, ces médecins, et tous les personnels médicaux, unanimement loués. Et puis aussi les femmes, frappées elles aussi, massivement présentes dans les rues le 21 mai, mais trop absentes lors des différentes rencontres.

Les étudiants, reconnaissant n’être intervenus que dans un deuxième temps, en solidarité des enfants, élèves du primaire, collégiens et lycéens, premiers descendus dans les rues. Le 21 mai, jour de grande manifestation, ils tentaient de  » canaliser  » la virulence des plus jeunes, assurant un service d’ordre protégeant la police. Ils expriment avec beaucoup de conviction et de clarté ce qu’il appellent leur  » soif d’un avenir de liberté et de démocratie « .

Les revendications de toute la population sont communes, sinon identiques ;
– refus de la hogra, du mépris érigé en système de gouvernement
– Justice sociale, de vivre dignement dans ce pays riche
– Démocratie ; élections libres et non truquées, justice, état de droit
– Reconnaissance du Tamazight: identité culturelle et exercice de la pleine citoyenneté.  » Savoir être ensemble « , solidaires, s’appuyant sur la préservation des communautés de base.

Tous réfutent toute visée uniquement identitaire. Pour les comités de villages, (aouchs)  » la revendication identitaire n’est pas une priorité, on assiste surtout à une explosion sociale « . Quant à la revendication séparatiste ? c’est complètement idiot !

« Notre révolte et nos revendications sont pour toute l’Algérie » disent tous les acteurs rencontrés. Les étudiants rappellent que 17 lycéens ont été tués, au sud d’Alger, à Médéa en décembre 2000.

S’il faut singulariser leur région, beaucoup emploient le terme de  » soubassement démocratique  » pour décrire une tradition ancrée dans l’histoire de ses luttes.

Pour le président de l’APC (commune) de Tizi Ouzou, FFS,
 » en 80, on revendiquait beaucoup de Tamazight, un peu la démocratie,
en 88 c’était une manifestation de ras l’bol général, pour la démocratie,
en 2001 ; c’est justice sociale contre les licenciements, démocratie et Tamazight « .

Les responsables de ce parti, disent que les incendies de permanences politiques, y compris du FFS, sont significatifs de  » l’absence de médiation politique dans laquelle se trouve le pays après 10 années d’état d’urgence « . Ils dénoncent  » la privatisation des pouvoirs publics  » à laquelle s’est livré le pouvoir et  » le droit de vie et de mort sur les citoyens  » qu’il exerce dans  » une guerre à huis clos. « 

La coordination des comités de villages avait organisé, la veille, le 21 mai, à Tizi, la plus grande manifestation de l’histoire de la Kabylie, à laquelle ont participé 500 000 personnes, hommes et femmes, venus des villes et villages de toute la région. Cette organisation traditionnelle semble aujourd’hui ljouer un rôle fédérateur des aspirations citoyennes.

En s’organisant ainsi dans chaque village, ses représentants veulent » mettre fin à la démission des adultes, cesser de nous occuper de nos petites affaires, et alors que les jeunes et les enfants se sont soulevés, disent que plus un gosse ne doit mourir… qu’ils vont prendre leurs responsabilités et …restaurer des espaces naturels de citoyenneté… « .

§ 5 Notre responsabilité, en Europe

Les interlocuteurs rencontrés formulent des reproches qui trahissent une attente jusqu’ici déçue.
Le Président le l’APC et les étudiants reprochent une  » non assistance à population en danger « .
Maître Zehouane le sage, avocat-militant de la Maison des Droits de l’Homme et des citoyens regrette que le  » Parlement européen pare de vertus démocratiques des éradicateurs qui vivent dans des enclaves « .

Personne ne croit à l’objectivité des commissions d’enquête créées par le pouvoir, alors que les précédentes, destinées à enquêter sur la fraude électorale et sur l’assassinat de Matoub Lounès n’ont donné aucun résultat.

Le FFS, la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme, les étudiants, souhaitent la mise en place d’une commission d’enquête internationale.

Européens engagés dans la négociation du partenariat, le moindre que nous puissions faire est d’appuyer une transition démocratique sans laquelle aucun partenariat durable ne verra le jour. Chaque jour perdu à tergiverser laisse filer l’inflation de victimes, les fractures de toutes sortes qui déchirent la société algérienne.

Peut on qualifier d’ingérence le soutien à l’internationalisation de la résolution démocratique de la crise algérienne tout en continuant à payer les commissions des exportateurs de gaz ou des importateurs de produits pharmaceutiques?

Nous pouvons aider à la mise en place d’une commission d’enquête internationale, conformément aux usages internationaux, avec l’ONU.

Engagés dans une négociation bi-latérale Europe-Algérie, dans la situation actuelle, nous ne saurions conclure sans une investigation commune des blessures qui creusent un précipice entre dirigeants et dirigés en Algérie.

Tel est le sens de la proposition d’une commission d’enquête euro-algérienne, premier acte d’un partenariat à construire. Si la résolution algéro-algérienne des questions est incontournable, dans une situation d’incommunication totale, il s’agit, par cette médiation, de promouvoir l’engagement de ce processus.

Ce faisant nous ne nous occupons pas de l’Algérie mais de l’avenir de l’Europe. Parce que nous sommes favorables à un partenariat fondé sur l’exigence et le respect mutuels. Parce que nul ne peut parier, à la veille de l’élargissement, sur la singularité de l’histoire contemporaine de l’Algérie. A qui veut on faire croire que cette misère, ces violences, ces intégrismes, ce banditisme généralisé, ce goût de la manipulation, ne sont pas ou des choses vues, ou des questions, dans des régions d’Europe ?

L’Algérie mérite sans conteste mieux que le vote d’une résolution d’urgence, ou qu’un débat bâclé, à la fin d’une session du Parlement.

Assumons notre responsabilité et laissons le mot de la fin à Maître Zehouane :  » que l’Europe déjoue le piège de ceux qui veulent l’emprisonner dans le piège de la phobie de l’intégrisme et lui faire accepter comme un moindre mal, les massacres et l’état d’urgence… la société algérienne arrive à un seuil tel que la situation de pouvoir par la manipulation ne peut plus durer « .

Contact

– au Parlement européen:
Rue Wiertz. Bureau 8 G 169. B-1047 Bruxelles
Tel 00.32.2.284.73.64 Fax 00.32.2.284.93.64 Email: [email protected]
– Arras: 10, rue de Justice. 62000 Arras.
Tel 03.21.71.29.79 Fax 03.21.51.21.67 Email: [email protected]

ANNEXES

Composition de la Délégation du Parlement européen

– Raimon Obiols i Germa, Président, PSE, Espagne
– Jorge Hernandez Mollar, 1 er Vice Président, PPE, Espagne
– Hélène Flautre, 2 ème Vice Présidente, Les Verts-Ale, France
– Yasmine Boudjenah, Gue, France
– Hugues Martin, PPE, France
– Pasqualine Napoletano, PSE, Italie

Personnalités rencontrées en Algérie

1) Programme officiel de la délégation

· Assemblée Populaire Nationale (APN) :
– M. Abdelkader Bensalah, Président de l’APN
– M. Abdelhamid Si Affif, Pdt de la commission des affaires étrangères
– Une délégation de députés de la majorité gvtale (RND-FLN-EnHahda-MSP
– Les groupes parlementaires de l’APN (RND, FLN, EnHahda, MSP + le FFS et le RCD)
– La coordination des femmes parlementaires
– Le Président et les membres de la commission d’enquête parlementaire sur la Kabylie
· Conseil de la nation (Sénat):
M.Boumaaza, Président et une délégation de sénateurs
· Gouvernement Algérien :
– M.Ali Benflis (chef du gouvernement)
– M.Ahmed Ouyahia (Ministre de la justice)
– M.Adelaziz Belkhadem (Ministre des affaires étrangères)
– M. Boauabdellah Gholamallah (Ministre des affaires religieuses)

· M Mohand Issad, pdt de la commission d’enquête sur la Kabylie

· Société civile :
(Liste établie en concertation avec les autorités algériennes sur la base des propositions des membres de la délégation)

– Mesdames Fathma N’Soumeur, Ouricha Chouaki, Fondation Belkhenchir
– Mme Benhabib Sos Femmes en détresse
– Mmes Zazi Sadou et Kheira Dekali, RAFD (rassemblement algérien des femmes démocrates)
– Ms.Aït Yahia et Hocine, Mme Rahma LADDH (Ligue algérienne de défense des droits de l’homme)
– M Guéchir Boudjemaa, LADH, (Ligue algérienne des droits de l’homme)
– Mme Lila Eighil, AFD,(association des famillles de disparus)
– M.Rabah Benlatrèche, AFD Constantine
– M Djemil Benrabah, Comité de coordination vérité et justice

– Les Directeurs de journaux suivants : El Watan, Liberté, Le Matin, EL Khabar, La Tribune, l’Authentique, el Hayat, Reuter, BBC

2) Rencontres informelles, hors programme officiel

· Maître Mahmoud Khellili . avocat et Mme Ferhassi, et M et Mme Bouabdallah, femme et parents de journalistes disparus
· une soixantaine de femmes rassemblées devant le siège de l’ONDH à l’appel de l’association SOS Disparus. Mme Fatima Yous et M.Allalou, responsables de l’association.
· Khaled Nezzar, Ancien Chef d’Etat major des armées (88-90), ancien Ministre de le Défense (90-91), l’un des 5 Membres du Haut Comité d’Etat mis en place en 92.
· Dalila Taleb, responsable du RAJ (Rassemblement Action Jeunesse), Députée à l’APN
· Différents journalistes : Yassine Temlali (Algérie Interface), Kadi Ahcen, Youcef Zirem (le jeune indépendant), Mohamed Mehdi (le quotidien d’Oran)
· Maître Zehouane, M.Aït Yahia, M.Aknin, Mme Rahma, et d’autres responsables de la Maison des Droits de l’Homme et des Citoyens de Tizi Ouzou. militant-e-s de la Ligue Algérienne de Défense des Droits de l’Homme.
· Des parents et des victimes de la répression en Kabylie
· le collectif des étudiants de Tizi-Ouzou
· Le Président de l’APC (municipalité) de Tizi Ouzou, le Sénateur et des responsables du FFS-Tizi
· Les représentants de la Coordination des aouchs (comités de villages)

Personnalités rencontrées avant le départ

– Driss El Yazami, Fédération Internationale des Droits de l’Homme
– Mychèle Rieu, Groupe des Verts au Parlement européen
– Nacéra Dutour, association SOS Disparus
– Nesroulah Yous, témoin du massacre de Benthala,
auteur de  » qui a tué à Benthala ? « 
– Habib Souaïdia, auteur de  » la sale guerre « 
– M. Bendera, économiste, membre du courant des  » réformateurs « 
– Hamida Bensadia, représentante du FFS en France
– Malika Matoub, fondation Matoub Lounès

petite bibliographie

– la gangrène et l’oubli, Benjamin Stora, ed la découverte/syros 1998
– Qui a tué à Benthala, Nesroulah Yous, ed la découverte. 2000
– La sale guerre, Habib Souaïdia, ed la découverte. 2001-07-08
– Mémoires du général. Khaled Nezzar. Chihab éditions. 2001
– La guerre sans images. Benjamin Stora, PUF, France 2001
– Etre journaliste en Algérie. Ghania Mouffok, ed Reporters sans frontières.
– Démocratie et corruption en Algérie. Djillali Hajjaj

– Maison des droits de l’Homme et du Citoyen / Laddh :
Etat non exhaustif des victimes (mortes ou blessées par balles), des évènements du mois d’avril 2001. Tizi Ouzou, mai 2001.

– lettre d’Akli Aït Abba à sa mère assassinée

– Certificat médical descriptif ; blessures de madame Aït Abba

– Courrier à la délégation européenne de l’association des disparus de Constantine

– Coupure de presse (Le Soir d’Alger): M Khellili :  » je défends la personne humaine »

– coupures de presse (Alger le 23 mai) : La Tribune, le Jeune Indépendant, Le Matin

– articles de la presse européenne : Le Monde, Libération, Le Soir

– Article d’Algéria interface

– Appel de Parlementaires européens (juillet 2001)