ALERTE ALGÉRIE

ALERTE ALGÉRIE

15 octobre 1997

AMNESTY INTERNATIONAL, LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES DROITS DE L’HOMME (FIDH), HUMAN RIGHTS WATCH, REPORTERS SANS FRONTIÈRES

ALGÉRIE: APPEL À AGIR POUR METTRE FIN À LA CRISE DES DROITS DE L’HOMME

Amnesty International, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), Human Rights Watch et Reporters Sans Frontières lancent un appel à la communauté internationale afin qu’elle agisse au plus tôt pour mettre fin à la détérioration de la situation des droits de l’homme en Algérie. Nous appelons en particulier les membres de la Commission des droits de l’homme de l’ONU à convoquer une session extraordinaire sur la situation des droits de l’homme en Algérie. En tant qu’instance de l’ONU ayant pour responsabilité principale la protection et la promotion des droits de l’homme, la Commission des droits de l’homme a le devoir de prendre l’initiative en vue de rechercher une solution à la situation tragique qui prévaut en Algérie.

Au cours de cette dernière année, l’Algérie a connu la période de violence la plus longue et la plus meurtrière depuis le début du conflit il y a cinq ans. Depuis quelque temps cette violence a pris une tournure encore plus terrifiante avec les massacres collectifs de civils.

Des milliers de personnes – femmes, enfants, démunis et personnes âgées – ont été massacrées avec une brutalité hors du commun. Certains parmi ceux qui ont eu la chance d’échapper à leurs assaillants, et d’éviter ainsi d’être égorgés ou brûlés vifs dans leur maison, ont rejoint les postes des services de sécurité voisins et appelé au secours. En vain.

Leurs appels au secours n’ont été entendus ni chez eux, ni au-delà de leurs frontières nationales. Quelque 80 000 personnes ont ainsi été tuées dans l’indifférence de la communauté internationale.

Les déclarations récentes du Secrétaire Général de l’ONU, du Haut Commissaire des Droits de l’Homme, de l’UNICEF et du HCR (Haut Commissariat pour les Réfugiés) condamnant les massacres de civils et d’autres violations des droits de l’homme en Algérie ont ouvert une brèche dans le mur de silence qui avait jusque-là entouré la crise. Les mots, toutefois, ne suffisent pas.

La communauté internationale est restée sourde trop longtemps au drame que vivent les victimes en Algérie, cela en dépit des cris d’alarme lancés par les organisations des droits de l’homme. À ce jour la Commission des droits de l’homme ne s’est toujours pas penchée sur la situation. Il est temps que des mesures concrètes soient prises afin d’arrêter l’engrenage de la violence et d’assurer la protection de la population civile.

Pour trouver une solution à cette situation tragique il est nécessaire qu’une enquête soit menée et que toute la lumière soit faite. À cette fin nous demandons l’ouverture d’une enquête internationale visant à établir les faits, examiner les prétendues responsabilités, et formuler des recommandations concernant les massacres et autres abus commis par toutes les parties en conflit. Cette enquête devrait disposer de pouvoirs importants et des ressources humaines et matérielles nécessaires. Elle devrait notamment être chargée de rassembler des preuves et des témoignages, y compris de la part de victimes, de témoins et de responsables officiels, afin de découvrir la vérité.

Depuis le début du conflit en 1992, les exécutions sommaires, les meurtres de civils, la torture, le viol, les « disparitions », et les enlèvements sont devenus pratique courante. Les massacres collectifs de cette année se sont déroulés dans un contexte où les droits de l’homme sont de plus en plus souvent bafoués par les services de sécurité, les milices armées par l’Etat et les groupes islamistes armés, qui ont de plus en plus terrorisé et pris pour cibles les civils. En Algérie le mépris des droits de l’homme est devenu la règle plutôt que l’exception, alors même que l’Algérie a ratifié plusieurs traités importants des droits de l’homme, tels que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

Le gouvernement algérien a invariablement manqué à son devoir d’enquêter sur les abus commis par ses propres services de sécurité et par les groupes d’opposition armés, et de traduire les responsables de ces abus en justice. Cela a précipité l’effondrement de l’état de droit et a créé parmi la population civile le sentiment qu’elle est de plus en plus abandonnée et privée de protection.

Les restrictions imposées à l’information et l’absence d’enquêtes n’ont fait qu’augmenter la confusion qui règne autour de cette situation de violence et contre-violence. L’information dite « sécuritaire » est censurée et manipulée, et les organisations des droits de l’homme et les médias étrangers se voient souvent refuser l’accès au pays. Les militants des droits de l’homme et les journalistes qui ont été autorisés à se rendre sur place ont été l’objet de surveillance et de diverses entraves. Ceux qui ont continué à travailler dans le pays ont dû faire face aux menaces et aux assassinats. Tout cela a contribué à mettre en place un mur de silence autour de la crise des droits de l’homme en Algérie.

Nous nous joignons à l’appel du Secrétaire-Général de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) pour un renforcement de la coopération entre l’ONU et les institutions africaines, et appelons les états membres de l’OUA à soutenir une initiative dans ce sens.

Nous demandons aux états membres de l’Union Européenne – dans le contexte de l’Accord d’Association Euro-Méditerranéen avec l’Algérie et de la clause sur les droits de l’homme que celui-ci contient – d’oeuvrer afin qu’une session extraordinaire de la Commission des droits de l’homme et une enquête internationale deviennent des réalités.

Les états membres de l’ONU, lors de la Déclaration et Programme d’action de Vienne en 1993, ont réaffirmé que la protection et la promotion des droits de l’homme était une préoccupation légitime pour la communauté internationale. Nous les appelons instamment à tenir leur promesse.

Le gouvernement algérien accuse systématiquement tous ceux qui critiquent ses pratiques en matière de droits de l’homme de mensonge, d’ingérence dans les affaires internes de l’Algérie et de parti pris. La protection des droits de l’homme n’est pourtant pas qu’une affaire interne ou une question de souveraineté. À un moment où il voit ses citoyens se faire massacrer en grand nombre chaque semaine, le gouvernement algérien devrait se féliciter – et non pas s’opposer – à toute initiative internationale ayant but d’aider à sauvegarder des vies humaines.

 

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