Affaire « Le Matin » / ministère de la défense sur les évènements de T’Kout

AFFAIRE « LE MATIN »/MINISTÈRE DE LA DÉFENSE SUR LES ÉVÈNEMENTS DE T’KOUT

Le procès renvoyé au 23 novembre prochain

Le Soir d’Algérie, 10 novembre 2004

Le procès tant attendu sur la pratique de la torture survenue au début de cette année lors des événements de T’kout, une ville située dans les Aurès, à l’est du pays, n’a pas eu lieu hier. La partie plaignante, représentée par le ministère de la Défense, ne s’est pas présentée au tribunal Abane-Ramdane d’Alger. La juge du siège décide du renvoi de l’audition au 23 novembre prochain. C’est le second report prononcé concernant cette affaire. A la barre, il n’y avait que le directeur du quotidien Le Matin , amené de la prison d’El Harrach, la journaliste Abla Chérif, auteur d’informations incriminant des éléments du corps de la gendarmerie dans des pratiques de torture, et le collectif des avocats de la défense.

Nadir Benseba-Alger (Le Soir) Il y avait aussi deux témoins-clefs dans cette affaire : il s’agit du père de Salim Yezza, un des principaux animateurs du mouvement citoyen des Aurès, et un autre délégué des populations de cette partie du pays victime des exactions des éléments de ce corps d’élite de l’institution militaire. Mais l’attention est plus retenue par la présence de l’épouse et des deux filles de M. Benchicou. Ces dernières ont tenu ainsi à faire le déplacement de Paris pour revoir leur père. Un père qu’elles ont perdu de vue depuis son incarcération le 14 juin dernier pour un prétendu manquement à la réglementation des changes que ses avocats réfutent et considèrent comme un prétexte pour faire taire le journaliste auteur du livre Bouteflika, une imposture algérienne. (Benchicou a été interpellé et fouillé au niveau de l’aéroport d’Alger le 23 août 2003. La police des frontières a trouvé dans son bagage à main des bons de caisse d’épargne d’une valeur de 11 millions de dinars non négociables à l’étranger). L’émotion était ainsi à son comble lorsque Mohamed Benchicou escorté par deux policiers investit la salle de l’audience. Son apparition surprend plus d’un présent. Les membres de sa famille sont les premiers à chercher un meilleur emplacement afin de communiquer avec le détenu. A ce moment-là, M. Omar Belhouchet, directeur du journal El Watan, tente de répondre aux questions de la juge concernant une information publiée il y a quelques années à propos d’un trafic d’armes qui transitaient par la voie postale dans la ville de Chlef. C’est le mardi, le jour est réservé pour les auditions et les affaires concernant les délits de presse. Plusieurs affaires concernant des délits de diffamation sont enregistrées. Fait remarquable, les plaignants sont absents, seuls les journalistes ou les directeurs de journaux sont présents. Le directeur du Matin et la journaliste Abla Chérif ainsi que leur collectif d’avocats l’apprendront à leurs dépens puisque le représentant du ministère de la Défense n’est pas au rendez-vous. Ce dernier a pris toutefois la précaution de déléguer un de ses confrères qui s’est excusé à son tour de ne pouvoir entamer la plaidoirie en raison de sa méconnaissance du dossier. Le coup de théâtre provoque un tumulte dans la salle. Les robes noires protestent. A l’adresse de la présidente de la séance, ils demandent « comment expliquer le fait que la partie plaignante ne soit pas au rendez-vous pour la deuxième fois ? ». Les accusés déplorent quant à eux les problèmes de déplacement qu’endurent à chaque fois les témoins durant leurs déplacements. Ces derniers, indique-t-on, manquent de ressources financières pour faire face aux frais de leur séjour à Alger. Les journalistes présents ont fait part quant à eux de possibles pressions que risquent de subire dans l’intervalle ces mêmes témoins. S’ensuivra alors une cacophonie telle que la juge du siège a dû intervenir pour ramener le calme. En dépit de cela, les membres de la défense formulent une série de remarques à propos de la nature de la convocation des prévenus. Des anomalies, attestent les avocats, ont entaché la procédure de justice dans son caractère relatif à la citation directe des accusés. Me Messaoud relève à titre d’exemple que  » dans le cas de figure de la citation directe, la procédure concerne uniquement l’auteur de l’écrit et non pas l’entreprise de presse à laquelle il appartient ». Et d’ajouter : « Concernant les conditions de la qualification du représentant du ministère de la Défense celles-ci ne sont pas honorées du point de vue de la loi ». Succéderont par la suite Me Benarbia et Me Bourayou pour étayer les arguments de la défense en se référant à diverses dispositions de la procédure pénale. Après avoir pris note de ces remarques, la juge du siège décide de renvoyer cette affaire pour le 07 décembre prochain. Une date qui n’arrangeait pas le calendrier du collectif de la défense. Ils réclament de la juge de fixer un autre rendezvous. Devant un tel état de fait, la magistrate, après consultation, décide d’arrêter la date du 23 novembre prochain pour l’organisation du procès des événements de T’kout. Pour rappel, les événements de T’kout ont été déclenchés, le 13 mai 2004, suite à l’assassinat de Chaib Argabi, un jeune de 19 ans. Les habitants soupçonnent des éléments du Groupe de légitime défense de la ville. Des manifestations éclatent en signe de colère. L’ordre fut donné à la gendarmerie pour réprimer les manifestations. Des dérapages se produisent et des témoins se manifestent alors pour faire cas de pratique de la torture sur des personnes arrêtées.

N. B.