Lakhdar Guellil torturé au chalumeau à la brigade de gendarmerie d’Aïn Oussera

Lakhdar Guellil torturé au chalumeau à la brigade de gendarmerie d’Aïn Oussera

Alkarama, 4 février 2016

Le 29 janvier 2016, Alkarama a saisi les experts du Comité des Nations Unies contre la Torture (CAT) du cas de Lakhdar Guellil. Arrêté par les gendarmes le 31 juillet 1996, ce chauffeur de taxi de la ville de Djelfa située 300km au sud d’Alger, avait été accusé de ne pas avoir dénoncé des passagers qu’il avait transportés vers la ville voisine d’Aïn Oussera quelques semaines auparavant, apparemment recherchés pour terrorisme. Malgré les déclarations de ce père de famille, alors âgé de 51 ans, selon lesquelles il ne les connaissait pas et n’avait fait que les transporter contre rémunération comme n’importe quels clients, les gendarmes n’ont pas hésité à lui faire subir les pires sévices, usant de toutes les techniques de tortures couramment pratiquées pendant la guerre civile pour lui faire avouer ses liens avec les suspects.

Torturé jusqu’à l’amputation

Dans le but de lui faire signer des aveux, M. Guellil a notamment été fouetté jusqu’au sang sur toutes les parties du corps, subi la torture du chiffon (ou simulation de la noyade) jusqu’à ce qu’il s’évanouisse à plusieurs reprises, et été brûlé au chalumeau.

La victime s’est réveillée à l’hôpital local où elle avait été emmenée par les gendarmes, probablement pour qu’elle ne meure pas dans leurs locaux. Vu l’état dans lequel il se trouvait et la gravité des brûlures subies, en particulier au niveau de la main et de l’avant bras, le médecin de service n’a rien pu faire pour lui. Les gendarmes se sont alors empressés de le présenter le même jour au procureur d’Aïn Oussera, à qui M. Guellil a pu rapporter, ainsi qu’au juge d’instruction, les graves tortures qu’il avait subies durant ses interrogatoires. Malgré son témoignage et les traces évidentes de brûlures et de blessures sur tout son corps, les deux magistrats se sont contentés de le laisser en liberté provisoire, probablement pour éviter qu’il ne meure en détention. La loi obligeait cependant ces derniers à ordonner une expertise médicale et à ouvrir une enquête pour crime de torture.

Au lendemain de sa libération, le 6 août 1996, M. Guellil s’est rendu au service de médecine légale de l’hôpital de Djelfa où le médecin légiste lui a délivré un certificat constatant les lésions et brûlures subies, et demandé de se rendre en urgence à l’hôpital Mustapha à Alger pour être pris en charge. Constatant que son avant-bras gauche était complètement gangréné des suites des brûlures au chalumeau, les médecins de l’hôpital d’Alger l’ont immédiatement amputé. Ce n’est que deux mois plus tard que le chauffeur de taxi a été autorisé à rentrer chez lui à Djelfa, où il est encore resté alité pendant plusieurs mois − une période vécue dans le plus grand dénuement, sans aucune ressource pour subvenir aux besoins de sa famille, même son taxi ayant été saisi par les gendarmes.

Procès inéquitable et détention arbitraire

Lorsque son procès s’est ouvert devant le tribunal criminel de Djelfa le 28 février 1998, son avocat n’a pas manqué de soumettre aux juges les preuves des tortures endurées durant la garde à vue en déposant le certificat de médecine légale et un dossier médical complet. Les magistrats ont ignoré ces arguments et l’ont condamné, à la suite d’une audience expéditive, à 15 années de prison.

À la suite de huit années d’une détention arbitraire, au cours de laquelle Lakhdar Guellil deviendra diabétique et perdra totalement la vue, suite aux tortures subies, il sera finalement libéré le 2 mars 2006 de la prison de Berrouaghia. Complètement brisé, définitivement handicapé et sans aucune ressources pour vivre, Lakhdar Guellil continuera cependant à essayer d’obtenir justice en adressant des plaintes et des demandes à toutes les autorités judiciaires et politiques du pays, y compris au président de la république, sans jamais obtenir de réponse.

Démarche d’Alkarama

Toutes les démarches entreprises au niveau interne restant vaines, voire impossibles en application de la Charte dite de « réconciliation nationale » qui interdit tout recours judiciaire contre les crimes commis par les services de sécurité algériens pendant la guerre civile, Lakhdar Guellil ne voit d’autre possibilité aujourd’hui que de faire valoir ses droits en s’adressant au Comité contre la torture (CAT) de l’ONU.

Mandatée par la victime, Alkarama a donc saisi les experts onusiens le 29 janvier 2016 pour faire établir les graves violations subies par Lakhdar Guellil et à condamner les autorités algériennes à lui accorder une réparation à hauteur du préjudice subi.

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