Revenus des prisons d’El Gueddafi

Revenus des prisons d’El Gueddafi

El Watan, 19 septembre 2009

Tahar, Lamine et Abdelhalim faisaient partie des 57 détenus algériens en Libye, condamnés à différentes peines dont la perpétuité. Graciés par Mouammar El Gueddafi en mars dernier, ils viennent d’être libérés. Pour El Watan Week-end, ils ont accepté de témoigner. Afin de protéger ceux encore incarcérés, ils ne parlent qu’à demi-mot de la torture et des mauvais traitements subis. Le prix de la diplomatie.

Ce n’est pas une tâche facile de les joindre pendant la journée. Encore troublés, ils n’arrivent pas à distinguer le jour de la nuit. Tahar Ziadi, Lamine Gasmi de Tébessa et Abdelhalim Ramdani de Oued Souf reviennent de loin. Depuis le 11 mars, date à laquelle les autorités algériennes ont appris la décision du Guide de la révolution libyenne Mouammar El Gueddafi, d’amnistier 57 détenus algériens condamnés à différentes peines, ils attendaient de retrouver les leurs. Parmi la trentaine libérée depuis le mois d’août, nous avons pu en contacter quelques-uns. Condamnés à perpétuité par la justice libyenne en mai 2005, Tahar Ziadi ne s’attendait pas qu’il puisse un jour revoir son fils, laissé à l’âge de 8 ans. « J’avais peur que mon fils ne me reconnaisse plus. Dieu merci, j’ai retrouvé les miens », témoigne t-il. Son histoire commence en mai 2005, lorsque la police lybienne des stupéfiants l’arrête pour un contrôle à Tripoli. Dans la vente de voitures, Tahar, une quarantaine d’années, avait l’habitude de faire des virées dans la capitale libyenne. Poursuivi pour détention de drogue, Tahar jure qu’il est « innocent ». « Je croyais en la justice libyenne. Au début je n’étais pas inquiet et j’attendais ma comparution devant le juge. Finalement, il s’est avéré qu’il ne s’agit pas d’un pays de droit. Et mon enfer a commencé. » Transféré de prison en prison jusqu’à El Djadida, Tahar perd tout espoir. Inquiet pour ses amis qu’il a laissés en Libye, notre interlocuteur préfère d’abord garder le silence sur les conditions de détention dans l’espoir que les autorités libyennes en amnistient certains à l’occasion de l’Aïd. Mais après avoir longuement discuté, il confie. « J’ai subi la torture pendant onze jours, sans répit, dans le commissariat de police. Mains derrière le dos, menotté, j’étais pendu la tête en bas. Je ne peux même pas vous décrire cette horreur. Les policiers se relayaient. Ils me battaient avec un cordon en métal. Ils voulaient à n’importe quel prix que je reconnaisse un délit que je n’ai jamais commis. Et depuis, je souffre de mon bras et de mes os qui deviennent de plus en plus fragiles. »

En mai 2008, Tahar devient le plus célèbre des prisonniers, tristement connu pour avoir fait, en compagnie des autres Algériens emprisonnés, une grève de la faim au cours de laquelle il a cousu… sa bouche ! Une manière de ne plus manger ni encore moins de parler. « La veille, j’avais trempé le fil dans un désinfectant. Quant à l’aiguille, elle était cachée dans une photo du président Bouteflika… » Au matin, il passe à l’acte. Un acte qui lui fait gagner une rencontre en tête-à-tête avec le consul algérien en Libye. Il témoigne : « Ce n’est pas difficile de chercher le courage de le faire. Quand je ferme les yeux d’un ami qui meurt dans mes bras… tout devient faisable. » Des morts, Lamine Gacemi, 37 ans, de Tébessa, récemment libéré, en a vu aussi en prison. Tombé lui aussi pour trafic de drogue il y a sept ans et deux mois, trimbalé d’une prison à l’autre, il se souvient d’Abdelmalek Soufi et Amar Boufelous, atteints d’hépatite C, qui ont perdus la vie par manque de soins médicaux. « On avait une clinique en prison, mais elle ne servait à rien ! » De la prison libyenne, il garde des complications rénales qu’il tente de soigner en espérant que ce n’est pas trop tard. Le quotidien en prison, c’est aussi l’argent gagné grâce au trafic de drogue. Un de leurs camarades, qui préfère garder l’anonymat, parle de « h’chich ». « Les policiers libyens se débrouillaient pour nous passer de la drogue et les Algériens prenaient en charge sa commercialisation dans la prison pour les autres prisonniers libyens. Par manque de confiance, jamais cette drogue ne passait de Libyen à Libyen. » Meneur de la grève de la faim de 21 jours observée en 2008, Abdelhalim Ramdani, lui, essayait de remonter le moral à ses compagnons. Son triste périple débute en octobre 2006, alors qu’il voulait partir pour la omra. Aux frontières tunisiennes, il est refoulé à cause de sa barbe. Il s’entend alors avec le chauffeur de bus pour le retrouver à la frontière libyenne après avoir traversé les wilayas du Sud. Tout allait pour le mieux jusqu’à ce que la police de stupéfiants découvre de la drogue dans le taxi loué par Abdelhalim, ancien fonctionnaire des Domaines. Direction, le commissariat, puis le procureur. Suivent un mandat de dépôt puis la présentation au juge. Verdict : la perpétuité. Il y aura finalement échappé. Mais à quoi ressemblera demain ? « J’espère que les pouvoirs publics nous aideront, confie Abdelhalim. Sinon, la plupart des prisonniers pourraient retomber dans la déprime et les interdits. »

Rappel
Le 11 mars 2008, les autorités algériennes reçoivent une correspondance de la présidence de la Jamahiriya les informant de l’amnistie de 57 détenus algériens condamnés à différentes peines, dont la perpétuité, la peine capitale et l’amputation de la main. Les prisonniers algériens seront également graciés en Algérie, étant donné que la loi sur la grâce stipule que les personnes amnistiées ne seront plus poursuivies, y compris en Algérie. Selon Alger, sur les 57 prisonniers algériens en Libye, 30 sont condamnés à la peine de mort ou à la prison à perpétuité. Ces détenus algériens, dans leur majorité originaires de la wilaya d’Illizi, ont été arrêtés entre 2006 et 2008 pour « trafic de drogue et de contrebande ». 26 autres prisonniers attendent d’être libérés. De son côté, l’Algérie a gracié, fin 2008, une dizaine de détenus libyens emprisonnés en Algérie, dont des éléments accusés de terrorisme et que Tripoli réclamait.

Par Nassima Oulebsir


Abdelkader Gasmi. Porte-parole du collectif des prisonniers

La situation est urgente

Le porte-parole du collectif des prisonniers algériens compte saisir le colonel Mouammar El Gueddafi et son fils Saïf El Islam, président d’une fondation internationale, pour qu’ils interviennent en faveur des prisonniers en Libye.

Peut-on avoir les données exactes sur le nombre d’Algériens encore incarcérés par les Libyens ?

Je n’ai pas les données précises, mais selon les informations que je détiens pour le moment, il y a approximativement 26 Algériens dans les prisons libyennes. 24 ont été déjà jugés et condamnés à perpétuité, à mort ou amputés des mains. De ce groupe restant, nous avons des informations selon lesquelles il y aurait encore deux femmes et trois jeunes. Tous ces prisonniers ont entre 26 et 60 ans et sont originaires de Constantine, Tébessa, Illizi, Mascara, Oued Souf et de 10 autres wilayas dont nous n’avons pas encore les détails.

Que comptez-vous faire pour mettre de la pression sur les autorités des deux pays ?

Nous commençons d’abord par envoyer un écrit à El Gueddafi et à son fils pour les sensibiliser et leur demander de prendre les mesures nécessaires afin de libérer nos prisonniers. Nous espérons qu’il décidera d’une amnistie. La situation est urgente. Je dois vous dire qu’au total, depuis 2004, nous avons enregistré 11 décès dus aux maladies chroniques, particulièrement l’hépatite C. Une maladie qui avait atteint Abdelhamid Ben Messoud de Oued Souf, libéré la semaine passée et qui souffre également de diabète.

Le groupe récemment libéré craint d’être abandonné par les autorités…

Actuellement, nous pouvons rien faire. Psychologiquement, ces personnes sont encore faibles et n’arrivent toujours pas à s’adapter. Nous nous retrouverons tous ensemble après la fête de l’Aïd pour savoir ce que nous devons faire.

Par Nassima Oulebsir


Boudjemaâ Ghechir (LADDH)

Les propos de Ksentini sont irresponsables

Polémique. Boudjemaâ Ghechir, président de la Ligue algérienne des droits de l’homme (LADH), critique les déclarations de Farouk Ksentini, président de la CNCPPDH, qui a affirmé que l’Etat algérien ne pouvait pas poursuivre en justice la Libye pour avoir torturé des Algériens.

Des propos qualifiés d’ « irresponsables » et de « désolants », selon l’avocat qui a également expliqué à El Watan Week End que « la première raison d’être d’un Etat est de protéger ses citoyens : dévié de cette mission, l’Etat ne sert plus à rien. Il est inacceptable que ces propos viennent d’un responsable d’une institution rattachée à la présidence de la République », regrette Ghechir. Et d’insister : « La LADH condamne ces déclarations et demande à l’Etat de mieux s’occuper de ses citoyens. » L’Algérie peut-elle engager des poursuites ? « Oui, dans la mesure où elle a ratifié la Convention internationale contre la torture, explique le président de la LADH. Mieux encore, les prisonniers torturés peuvent poursuivre l’Etat libyen à titre individuel dans n’importe quel pays du monde ayant ratifié ladite convention. » Une convention qui vient au-dessus de toutes les lois, et en deuxième position après la Constitution. Cette convention d’une compétence universelle, publiée dans je Journal officiel en 1989, stipule dans son article 5 que les Etats signataires peuvent poursuivre en justice un autre Etat pour non-respect des droit de l’homme. « Notre pays doit respecter ses engagements internationaux et veiller à la sauvegarde de la dignité de ses citoyens. Une dignité qui passe avant même les raisons politiques », a réclamé Ghechir.

Par Nassima Oulebsir