Hafnaoui Ghoul : “Comment j’ai été libéré”

Au lendemain de sa sortie de prison

Hafnaoui Ghoul : « Comment j’ai été libéré »

Par Samia Lokmane Liberté, 27 novembe 2004

Sa requête adressée au juge mercredi, jour de la visite du président de la République à Djelfa, grâce aux conseils d’un officier de la prison, a obtenu satisfaction dans la journée.

Après l’avoir conduit derrière les barreaux, l’instrumentalisation de la justice a rendu à Hafnaoui Benameur Ghoul sa liberté. Son retour mercredi dernier parmi les siens à Djelfa, notamment auprès de son père qui n’a cessé d’appeler à la clémence du président de la république, tient dans un coup de baguette magique. En habile prestidigitateur, Abdelaziz Bouteflika a donné vie aux outils du droit, endormis dans les tiroirs des juges depuis des mois pour mettre fin à l’incarcération du journaliste et défenseur des droits de l’Homme.
Hafnaoui lui-même a peine à croire au miracle. Joint hier par téléphone, il se dit encore surpris par sa délivrance. Tout s’est déroulé si vite comme il ne l’avait jamais imaginé. Pour cela, il a suffi que le chef de l’État donne son aval pour que la machine se mette en marche, de manière très rocambolesque. Récit du concerné.
Mardi 23 novembre, Hafnaoui Ghoul en détention à la prison de Ouargla – où il a été jugé dans l’affaire du mouvement des citoyens du sud -, apprend qu’il sera transféré, dans la journée, au pénitencier de sa ville natale. Sa peine n’étant pas purgée, le déplacement dont il va faire l’objet semble inexpliqué. Le lendemain matin, il se réveille donc à la prison de Djelfa. Ce jour-là, la wilaya doit accueillir un hôte de marque en la personne du président de la république qui se rend dans la localité de Hassi-Bahbah en compagnie du président d’Interpol, afin de superviser la destruction d’un lot de mines antipersonnel.
Au même moment (vers 11 heures), dans sa cellule, Hafnaoui reçoit la visite d’un officier de la prison. Celui-ci lui recommande de rédiger, sur place, une demande de liberté provisoire. Jamais auparavant, il n’avait bénéficié d’une telle sollicitude. L’officier se charge de la transmission de la missive.
De son côté, ne se faisant guère d’illusions, le journaliste replonge dans son désouvrement.
La journée passe quand, à 16 h30 exactement, le détenu reçoit une seconde visite au cours de laquelle il apprend qu’il est libre et peut désormais rentrer chez lui. « Personne n’était au courant, pas même mes avocats. Ils n’ont d’ailleurs rien compris », relate-t-il encore sous le coup de l’émotion. Propagée comme une traînée de poudre, la nouvelle de sa libération fait le tour de la ville. Le clan Ghoul se précipite à sa rencontre.
Le vieux père perspicace s’empresse de remercier le président de la république. Il sait que la décision de libération vient de lui. « Elle a coïncidé avec la visite de Bouteflika », explique le fils. Soulagement, exaltation. les qualificatifs ne lui manquent pas pour décrire son état. Cela fait six mois que Hafnaoui n’a pas pris dans ses bras ses trois enfants. Incarcéré en date du 24 mai dernier suite à l’émission d’un mandat de dépôt par le juge d’instruction près la cour de Djelfa, il a comparu plusieurs fois devant le tribunal.
En sa qualité de correspondant de presse et de président du bureau local de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme (Laddh), il est accusé de diffamation de l’administration locale.
Ses rapports et ses articles comportent, en effet, de nombreuses accusations de dilapidation de deniers publics, de détournements, gabegie. Ses réquisitoires impliquent le premier magistrat de la wilaya, Mohamed Addou El-Kebir, actuel wali d’Alger. Soutenu par l’ensemble de l’exécutif de wilaya, ce dernier attaque Hafnaoui Ghoul en justice. 53 plaintes sont déposées contre lui. 28 affaires en découlent. L’une d’elles lui vaut 11 mois de prison ferme. Les amendes résultant des différents procès s’élèvent, quant à elles, à un milliard de centimes. L’acharnement de l’appareil judiciaire local doublé de l’indifférence des pouvoirs centraux fait réagir l’opinion.
En vain. Au moindre faux pas, dont une lettre écrite à sa fille à partir de la prison, le journaliste est accablé davantage. Compte tenu de ce harcèlement, rien ne laissait présager sa remise en liberté, sauf un geste très inattendu du président. Aujourd’hui, en dépit de cette mansuétude, Hafnaoui n’entend pas abandonner ses idéaux. « Je ne renoncerai jamais aux principes pour lesquels je suis rentré en prison », promet-il. 

Maître Ahmim à Liberté
« Il a bénéficié d’une grâce déguisée »

Propos recueillis par Samia Lokmane

Président du bureau de Laghouat de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme (Laddh) , cet avocat est l’un des défenseurs de Hafnaoui Benameur Ghoul. Dans cet entretien, il livre ses impressions sur la remise en liberté « surprenante » de son client. Explications.

Liberté : Vous attendiez-vous à ce que votre client soit libéré alors que la justice s’est montrée inflexible jusque-là ?
Maître Ahmim : Je suis d’autant plus étonné que de multiples demandes de liberté provisoire ont été introduites sans qu’elles trouvent écho auprès des juges. Celle concernant notamment la levée des mandats de dépôt. C’est une mesure exceptionnelle à laquelle le collectif de la défense n’a pas été associé.

Selon vous, qu’est-ce qui expliquerait alors ce fléchissement ?
À mon avis, il s’agit là d’une sorte de grâce déguiséecar il est inhabituel que la liberté provisoire soit accordée auxjusticiables, cela en dépit de sa consécration par l’article 128du code des procédures pénales. C’est un fait rare dans les annalesde la justice algérienne. Je ne sais pas à quel niveau cette décisiona été prise. Ce qui est sûr est qu’on a cherché à trouverun moyen juridique pour libérer Hafnaoui Ghoul.

À quel dessein répond cette clémence ?
Il y a deux explications. Soit les autorités veulent tourner la page en privilégiant l’apaisement, soit elles ont reçu des pressions pour mettre fin au harcèlement judiciaire des journalistes.

Donc, il est peu probable que Hafnaoui retourne en prison ?
Compte tenu de ce changement de ton, sa remise en prison semble exclue.
Actuellement, le dossier de Hafnaoui est à la cour suprême auprès de laquelle il a introduit un appel. Si le juge décide du renvoi de l’affaire, il y aura un nouveau procès au terme duquel, mon client a toutes les chances d’être innocenté.