Amnesty International: Deux avocats menacés d’emprisonnement sur la base d’accusations abusives

AMNESTY INTERNATIONAL

Déclaration publique

Index AI : MDE 28/018/2006 (Public)
Bulletin n° : 248
ÉFAI
23 septembre 2006

Embargo : 23 septembre 2006 00h01 TU

Algérie. Deux avocats menacés d’emprisonnement sur la base d’accusations abusives

Amnesty International craint que deux avocats appelés à comparaître lundi devant un tribunal d’Alger ne soient emprisonnés à cause de leur travail en faveur des droits humains.Les informations dont dispose l’organisation donnent nettement à penser que les avocats Hassiba Boumerdesi et Amine Sidhoum font l’objet d’une inculpation abusive visant à les intimider et à les dissuader de poursuivre leur activité. Amnesty International estime que les deux avocats sont soumis à un harcèlement judiciaire et que les poursuites engagées contre eux doivent être abandonnées.
Hassiba Boumerdesi et Amine Sidhoum ont été inculpés d’avoir violé les dispositions législatives régissant l’organisation et la sécurité des prisons, après que les autorités pénitentiaires eurent affirmé que tous deux avaient fait passer des objets à leurs clients en détention sans en avoir obtenu l’autorisation. Cette infraction est passible d’une peine de cinq ans d’emprisonnement. Selon la loi qui définit les modalités d’exercice de la profession d’avocat, les pouvoirs publics peuvent demander qu’un avocat faisant l’objet d’une enquête pour une infraction soit suspendu de ses fonctions.

Dans le cas d’Hassiba Boumerdesi, les autorités pénitentiaires assurent qu’elle a transmis à un détenu, sans autorisation, le compte rendu d’une audience qui portait sur son cas. Hassiba Boumerdesi, de son côté, déclare qu’elle a obtenu l’accord oral des autorités pénitentiaires avant de faire passer le document en question. Amine Sidhoum, quant à lui, est accusé d’avoir distribué plusieurs de ses cartes de visite comportant ses cordonnées à un client en détention. Amine Sidhoum reconnaît les faits, mais considère qu’il n’a pas commis d’infraction en donnant ses cartes de visite au détenu.
Amnesty International craint que Hassiba Boumerdesi et Amine Sidhoum ne soient poursuivis à cause d’activités qu’ils ont menées en toute légalité et pour défendre leurs clients. Les charges retenues contre eux sont basées sur une disposition juridique qui interdit expressément de transférer illégalement  » des sommes d’argent, des correspondances, des médicaments ou tout autre objet non autorisé  » à un détenu. En utilisant abusivement cette disposition pour criminaliser la communication de documents juridiques et de coordonnées, les autorités empêchent les avocats d’assurer efficacement la défense de leurs clients.

Amnesty International pense que Hassiba Boumerdesi et Amine Sidhoum pourraient en fait être poursuivis parce qu’ils ont dénoncé des violations du droit algérien et du droit international commises par les autorités. Les deux avocats sont connus pour leur travail en faveur des droits humains. Ils ont notamment défendu des personnes accusées d’infractions liées au terrorisme et ont révélé des violations systématiques des droits humains dans des affaires liées au terrorisme, notamment l’usage fréquent de la torture, les procès inéquitables et le fait que les autorités judiciaires enquêtent rarement sur les allégations de torture et d’autres mauvais traitements.

En plus de l’accusation citée plus haut, Amine Sidhoum est inculpé de diffamation dans une autre affaire, parce qu’il a critiqué publiquement la détention sans jugement, pendant deux ans et demi, d’un de ses clients. Sur la base de propos qui lui ont été attribués dans une interview parue dans un journal, Amine Sidhoum a été inculpé ce mois-ci pour avoir jeté le discrédit sur la justice. Il demeure pour l’instant en liberté, en attendant son procès.
Amnesty International rappelle que les avocats ont le droit et le devoir de faire respecter les droits humains inscrits dans le droit international et les normes internationales. Le Principe 14 des Principes de base relatifs au rôle du barreau (ONU) dispose :  » En protégeant les droits de leurs clients et en promouvant la cause de la justice, les avocats doivent chercher à faire respecter les droits de l’homme et les libertés fondamentales reconnus par le droit national et international et agissent à tout moment librement et avec diligence, conformément à la loi et aux normes reconnues et à la déontologie de la profession d’avocat. « 

Amnesty International appelle les autorités algériennes à protéger les avocats contre toute manœuvre d’intimidation et de harcèlement, conformément au droit international et aux normes internationales. Le Principe 16 des Principes de base relatifs au rôle du barreau prévoit que  » les pouvoirs publics veillent à ce que les avocats […] ne fassent pas l’objet, ni ne soient menacés de poursuites ou de sanctions économiques ou autres pour toutes mesures prises conformément à leurs obligations et normes professionnelles reconnues et à leur déontologie « .

Informations générales
Les années de violent conflit au cours desquelles environ 200 000 personnes ont été tuées ont eu d’importantes répercussions sur la communauté des défenseurs des droits humains en Algérie, qui se sont heurtés à de graves difficultés pour mener leurs activités en faveur des droits humains. Les avocats sont rares, aujourd’hui, à défendre ouvertement les droits des détenus dans les dossiers politiques sensibles comme les affaires liées au terrorisme.
Ces dernières années, le gouvernement algérien a durci l’arsenal législatif sur la liberté d’expression. La mesure la plus récente a été prise en février 2006, lorsqu’une loi a été adoptée afin de rendre toute critique publique de la conduite des forces de sécurité passible de dix ans d’emprisonnement. À la connaissance d’Amnesty International, cette disposition n’a pas été appliquée jusqu’à présent, mais elle menace directement les défenseurs des droits humains et toute autre personne qui ferait un commentaire ou un compte rendu critique sur les violations des droits humains. Cette loi prévoit également qu’aucune plainte visant les forces de sécurité ne peut être examinée par les tribunaux algériens, ce qui a pour conséquence d’accorder une immunité de fait aux membres des forces de sécurité.
Pour en savoir plus sur les préoccupations récentes concernant les droits humains en Algérie, veuillez consulter le rapport d’Amnesty International intitulé Des pouvoirs illimités : la pratique de la torture par la Sécurité militaire en Algérie (MDE 28/004/2006).