L’enfer du désert pour les Africains subsahariens

MIGRATIONS

L’enfer du désert pour les Africains subsahariens

Kaci Racelma*

ALGER, 22 nov (IPS) – Ils sont des milliers de migrants africains subsahariens, hantés par la peur des lendemains incertains, à partir massivement, au péril de leur vie, forcer le destin pour s’installer clandestinement en Europe.

L’immigration clandestine est actuellement au centre des préoccupations de tous les dirigeants du bassin méditerranéen. Le phénomène est de plus en plus accablant aussi bien pour le vieux continent européen saturé qui se dit  »incapable d’accueillir toutes les misères du monde », que pour l’Afrique touchée de plein fouet dans sa dignité à travers le sort réservé à ses ressortissants migrants.

La mer Méditerranée, qui sépare les deux continents, enregistre de nombreux aventuriers africains fuyant la misère et qui ont payé de leur vie leur quête de l’eldorado européen et d’un avenir meilleur. Plus de cent migrants africains ont péri dans cette mer cette année, selon des sources policières à Alger.

Les enclaves espagnoles de Ceuta et Mellila – au nord Maroc -, fortement barricadées pour empêcher les clandestins d’entrer en Espagne, ont été depuis des années le point de passage privilégié pour les migrants subsahariens. Ils ont d’abord pour premier point de chute la ville algérienne de Tamanrasset, située à 2.000 kilomètres au sud d’Alger, dans le désert. Ils y viennent de partout, l’Algérie étant l’un des premiers pays de transit avant les rives de la Méditerranée.

Les Africains subsahariens constituent le plus gros lot des migrants, plus de 3.000 cette année, selon la police algérienne, avec notamment des Maliens, Sénégalais, Tchadiens, Nigériens, Nigérians, Mauritaniens… Mais d’autres arrivent également d’Asie, spécialement de l’Inde et du Pakistan, environ une centaine.

En Algérie, beaucoup d’entre eux travaillent en noir pour s’acclimater d’abord, goûter au sens de l’aventure et amasser l’argent nécessaire à leur séjour, pour éviter de puiser dans leurs réserves en devises.

A la fin de leur séjour algérien qui dure environ trois mois, ils passent au Maroc où ils rejoignent directement les côtes espagnoles à bord d’embarcations de fortune exposées souvent aux naufrages.

En dehors des risques de naufrages mortels des embarcations de fortune qui guettent ces aventuriers, il y a également la mort par balles ou par la faim et la soif pendant la traversée.

Cette fin tragique, qui dépasse tout entendement, a suscité, au début du mois d’octobre, un climat de tension et de polémique au plus haut sommet entre les Etats algérien et marocain.

Tout a commencé le 6 octobre lorsque des soldats marocains ont tiré sur des centaines d’Africains subsahariens qui tentaient de forcer un autre passage vers l’enclave espagnole de Mellila, tuant six migrants. Cinq autres Africains avaient péri dans des circonstances similaires une semaine auparavant.

Le drame de ces infortunés bloqués dans leur quête de l’eldorado européen, par les barbelés de Ceuta et Mellila, mais aussi par l’usage des balles réelles, a tourné à une crise régionale impliquant directement le Maroc et l’Espagne.

L’organisation non gouvernementale Médecins sans frontières (MSF), citée par des médias algériens, indique avoir constaté de visu la déportation de plus de 500 migrants, dont des femmes et des enfants, dans le désert du sud-marocain, à El Aouina.

MSF affirme également avoir prodigué des soins à plus de 50 personnes qui souffraient de blessures par balles en caoutchouc et de contusions.

Les témoignages d’immigrés subsahariens accablent le Maroc. Joël N’tolo, un jeune Camerounais de 24 ans, raconte sa mésaventure à IPS à Bamako, la capitale malienne, où il a été rapatrié avec d’autres.  »Ce que nous ont fait subir les Marocains nous restera indélébile à jamais. Ils nous ont non seulement abandonnés à notre propre sort dans le désert avec seulement trois pains, trois boîtes de sardines, deux gourdes d’eau et une orange, mais aussi ils nous ont délestés de notre argent ».

Un Ivoirien du même âge, Oumar Traoré, n’a pas lui aussi, hésité à fustiger ses  »bourreaux » qu’il dénonce pour leurs  »pratiques inhumaines ».  »Comment oser réserver un tel traitement à ses semblables alors que la misère est la seule raison de notre fuite? », a-t-il demandé, affirmant avoir été délesté d’une somme de 1.400 euros avant d’être  »matraqué et malmené par des policiers marocains ».

 »Je condamne avec énergie le traitement réservé aux migrants africains qui n’ont pour seul tort que de fuir la misère », déclare à IPS, Moustapha Badara N’diaye, écrivain et journaliste au mensuel africain ‘L’Etendard’ paraissant au Sénégal. Rencontré à Bamako, N’diaye dit qu’il regrette le fait  »qu’aucune réaction officielle ne soit venue des gouvernements africains pour dénoncer ces pratiques portant atteinte à la dignité humaine ».

Amar Zaidi, avocat algérien et militant des droits de l’Homme, partage le même sentiment, dénonçant le mauvais traitement dont ont été victimes les migrants africains.

 »L’Europe a sa part de responsabilité dans ce qui se passe dans le continent noir. Ce qui est le plus écœurant et blessant, c’est le fait de recourir à l’usage des armes à feu comme s’il s’agissait d’envahisseurs. La misère a été de tout temps la cause des flux migratoires à travers le monde », a-t-il dit à IPS.

Les conclusions d’une mission de dix jours, effectuée en Espagne et au Maroc par l’organisation de défense des droits de l’Homme, Amnesty International, font le même constat. Son conseiller principal pour les programmes régionaux du secrétariat international, Javier Zuniga, avait dénoncé, en octobre à Madrid, des atteintes aux droits humains commises contre les migrants aux frontières de l’Europe.

Amnesty International avait déploré également l’absence d’une protection adéquate des réfugiés au Maroc, et le refoulement des demandeurs d’asile reconnus comme des réfugiés par le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.

 »Les autorités marocaines ont conduit des centaines de migrants, parmi lesquels des demandeurs d’asile, près de la frontière algérienne, avec pour consignes de franchir la frontière à pied et de se rendre dans les localités algériennes les plus proches », note le rapport d’Amnesty International qui mentionne également l’usage de  »balles réelles ».

Mais, les autorités marocaines se déchargent sur l’Algérie qu’elles accusent de  »passivité » dans le passage vers le Maroc via la ville frontalière de Maghnia. Dans un commentaire diffusé, le 7 octobre, l’agence gouvernementale marocaine d’information ‘MAP’ a accusé l’Algérie de  »se prêter au jeu morbide de laisser faire et de persister dans son élan déstabilisateur ». Et MAP parle même de  »gain illusoire que l’Algérie cherche à tirer de cette affaire ».

Et, une semaine plus tard, le Premier ministre marocain, Driss Djettou, a accusé ouvertement, l’Algérie de faire de ce dossier  »un outil de propagande et d’instrumentalisation » dans le conflit du Sahara occidental qui oppose les deux Etats maghrébins.

L’Algérie n’a pas manqué de répliquer par le biais de son ministère des Affaires étrangères :  »La malheureuse fuite en avant, dont les autorités marocaines donnent le spectacle désolant, ne concerne en rien l’Algérie ».

*(Kaci Racelma, qui est stringer de IPS en Algérie, a effectué un reportage à Bamako, au Mali, au cours de ce mois de novembre). (FIN/2005)