Rapport de Human Rights Watch: Extrait

 

Rapport de Human Rights Watch

DISPARITIONS FORCEES EN ALGERIE:
VÉRITÉ ET JUSTICE S’IMPOSENT

Traduction française d’extraits du rapport intégral
Février 2003

http://www.hrw.org/reports/2003/algeria0203/

Le nombre de «disparitions » diminue tandis que les détentions au secret se poursuivent

Depuis 2000, le nombre d’Algériens et d’Algériennes qui ont «disparus » après avoir été arrêtés semble très peu élevé. Cependant, la façon dont les forces de l’ordre algériennes ont d’opérer certaines arrestations est en violation du droit algérien et des normes internationales, faisant courir le risque aux détenus de « disparaître ». L’article 51 du code de procédure pénale affirme qu’un officier de police doit « immédiatement » informer le Procureur de la République s’il décide de garder une personne en détention. Cette personne doit être présentée devant le procureur sous quarante-huit heures, laps de temps qui peut aller jusqu’à douze jours dans les cas où, selon le gouvernement, il s’agit « de crimes qualifiés d’actes terroristes ou subversifs ». Cette loi qui permet à la police de détenir un suspect jusqu’à douze jours en garde-à-vue sans avoir le droit de consulter un avocat est incompatible avec les obligations de l’Algérie dans le domaine du droit international des droits humains. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques exige que les détenus soient traduits « dans le plus court délai » devant un juge ou une autre personne habilitée par la loi à exercer les fonctions judiciaires. Selon l’interprétation du Comité des droits de l’Homme de l’ONU, cette expression signifie que ce délai ne doit pas dépasser « quelques jours » (Commentaire général 8 interprétant l’Article 9 du PIDCP). Le Comité des droits de l’Homme de l’ONU a aussi recommandé avec insistance que les personnes arrêtées aient un accès « immédiat » à un avocat.1

Le droit algérien permet toutefois à un détenu de communiquer avec sa famille. Selon l’article 51, « tout en veillant au secret de l’enquête, l’officier de police judiciaire est tenu de mettre à la disposition de la personne gardée à vue, tout moyen lui permettant de communiquer immédiatement et directement avec sa famille, et de recevoir des visites. »

Dans la pratique, les membres des services de sécurité qui opèrent des arrestations en civil refusent souvent de s’identifier. Il n’est pas rare que les détenus soient tenus au secret au-delà de la limite légale de douze jours avant d’être traduits devant un juge. Pendant cette période, il est souvent impossible à la famille d’obtenir tout renseignement officiel sur le sort de la personne arrêtée.

Kamel Boudahri reste introuvable depuis qu’il a été arrêté, il y a trois mois, le 13 novembre 2002. Selon un communiqué publié le 6 décembre 2002 par la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme, sept hommes en civil et armés sont arrivés à 16h30 chez la famille Boudahri dans la ville de Mostaghanem. 2 Refusant de décliner leur identité, ils ont passé les menottes à Mohamed Boudahri et à son jeune frère de vingt-quatre ans, Kamel, étudiant. Ils les ont ensuite fait monter à bord d’une Ford grise et d’une Peugeot 205 blanche banalisées. Mohamed est rentré chez lui vers 21h ce soir- là. Il a affirmé que son frère et lui avaient été emmenés dans une base militaire et qu’il y avait subi un interrogatoire avant d’être relâché. Le lendemain, à 2h du matin, les mêmes hommes sont revenus et ont informé la mère des deux frères que Kamel leur avait échappé. Le père de Kamel s’est rendu à l’état major local de l’armée et s’est entendu dire que son fils s’était évadé et qu’il avait apparemment rejoint le maquis dans le wilaya de Relizane, en compagnie de deux autres personnes recherchées. Les démarches que le père de Kamel a faites auprès de différentes autorités ne lui ont rien appris de plus.

Fayçal Khoumissi a «disparu » après son arrestation, jusqu’à ce qu’un ancien prisonnier informe sa famille de nombreux mois plus tard qu’il était en prison. En novembre 2000, quatre hommes en civil et armés conduisant une voiture banalisée l’ont arrêté dans une rue de el-Harrache, près d’Alger, selon les dires de Mahmoud Khelili, avocat des droits humains travaillant à el-Harrache. M. Khoumissi était auparavant resté en détention préventive pour des actes terroristes d’octobre 1998 à février 2000, date à laquelle il avait été acquitté et relâché. Après son arrestation dans la rue en novembre 2000, sa famille est restée sans aucune nouvelle. Un juge d’instruction à la Cour de Hussein Dey a lancé un mandat d’arrestation, le 2 janvier 2001 et le 26 juin 2001. Le 20 juillet 2001, Le Soir d’Algérie mentionna dans un article que les forces de l’ordre avaient abattu un «dangereux terroriste » nommé Fayçal Khoumissi, recherché pour l’assassinat d’un policier en novembre 2000.3 Ce n’est que grâce à un ancien prisonnier que la famille de M. Khoumissi a appris plus tard qu’il était en fait vivant et détenu dans une prison de El- Harrache sous de nouveaux chefs d’inculpation. Il s’y trouvait encore en octobre 2002 et attendait son procès, selon Me. Khelili.

Le 25 juin 2002, Mohammed Yahi a été arrêté par des hommes en civil et armés identifiés par ses proches comme étant des membres de la sécurité militaire locale. Ils n’ont fourni aucune explication et n’ont pas indiqué où ils l’emmenaient. M. Yahi, employé dans une boucherie de la ville de Dellys, est resté en détention au-delà de la limite officielle des douze jours avant d’être traduit devant un juge. Pendant cette période, il a été tenu au secret et sa famille n’a reçu aucune information. Ce n’est qu’à la fin du mois de juillet qu’un membre de sa famille a pu lui rendre visite dans la prison militaire de Blida.4

Dans un discours prononcé devant le Conseil des ministres le 15 mars 2000, le Président Bouteflika a déclaré: [L]e contrôle de la police judiciaire par la justice consacré par la loi doit être renforcé, les mécanismes assurant l’effectivité de ce contrôle doivent être mis en place en urgence. Les droits consacrés par la loi aux personnes gardées à vue, notamment, le droit de se faire examiner par un médecin et le droit de communiquer avec la famille, doivent être réellement exercés.5 Les cas décrits ci-dessus ont tous eu lieu après que le Président Bouteflika ait appelé à respecter ces garanties. Ils montrent que les lois et les pratiques qui peuvent empêcher les « disparitions » continuent à être violées. Les forces de l’ordre se sont peutêtre abstenues d’opérer de nouvelles «disparitions » quand l’intensité du conflit algérien a diminué mais la voie reste ouverte à une résurgence de cette pratique.

Les personnes enlevées par les groupes armés et toujours manquantes (enlèvements)

Nous venons de mentionner les «disparitions » dont les auteurs sont les forces de l’ordre et leurs alliés comme sembleraient l’ind iquer les indices existants. Mais il faut aussi parler des centaines voire des milliers de cas d’Algériens et d’Algériennes enlevés et toujours manquants dans lesquels les indices sembleraient désigner les groupes armés comme auteurs. Aucune organisation, ni aucun organisme gouvernemental n’a dressé de liste nominative de tels cas. Il n’existe pas non plus d’estimation fiable qui révèlerait l’ampleur du problème. Human Rights Watch a demandé des statistiques sur ce sujet au gouvernement algérien dans une le ttre datée du 16 mai 2002, mais aucune réponse n’a été donnée.

Une organisation non gouvernementale créée en 1996 par les familles de personnes manquantes, Somoud (« ténacité » en arabe), estime que le nombre d’Algériens et d’Algériennes enlevés par les groupes armés depuis 1992 se situe aux alentours de 10 000, dont plus de la moitié reste manquante. Rabha Tounsi, Secrétaire national de l’Organisation Nationale des Victimes du terrorisme et Ayants-Droit (ONVTAD), a affirmé à une délégation de Human Rights Watch le 22 mai 2000 qu’il existait environ 4 200 cas de personnes enlevées par les groupes armés dont les corps n’ont pas été retrouvés.

Les proches des personnes manquantes ressentent la même angoisse, que les auteurs du crime soient les forces de l’ordre ou qu’ils soient les groupes armés se proclamant islamistes. Dans les deux cas, si le disparu était le soutien de famille, ils doivent faire face à des problèmes financiers. Ils doivent aussi affronter les questions juridiques qui se posent car la personne est manquante mais non officiellement décédée. Selon les fondateurs de Somoud, les familles des personnes enlevées par les groupes armés partagent aussi avec les familles des «disparus » la conviction que le gouvernement a échoué dans la tâche qui consistait à mener des enquêtes sérieuses pour retrouver leurs proches.

Adnane Bouchaïb, jeune avocat de el-Harrache, est le Secrétaire général de Somoud. Le 16 décembre 1995, son père, Mokhtar Bouchaïb, né en 1932, a été enlevé à un barrage routier installé par un groupe armé aux portes de la ville de Médéa. Les personnes qui ont été témoins de cet enlèvement ont précisé à Adnane que les ravisseurs avaient choisi leurs victimes, gardant certaines personnes et relâchant les autres, parfois après les avoir fouettées.6 M. Bouchaïb père était le bâtonnier de l’ordre des avocats de Médéa, qui comprend cinq wilayas, et était probablement considéré par ses ravisseurs comme étant un « ennemi », a déclaré son fils Adnane. L’une des personnes brièvement détenues puis relâchées était un ami du frère d’Adnane à qui il aurait affirmé que les ravisseurs étaient des «terroristes ». Les témoins auraient reconnu l’un d’entre eux comme étant un islamiste, mais ils ne connaissaient pas son nom.

Adnane Bouchaïb prétend que les autorités ont traité le cas avec un manque de sérieux certain. Lorsqu’il s’est rendu pour la première fois dans les bureaux de la gendarmerie de Médéa pour signaler l’enlèvement, derrière une porte, par un œilleton, une personne lui aurait enjoint l’ordre de s’éloigner. Ce n’est qu’une semaine plus tard, grâce à des relations personnelles qu’Adnane aurait réussi à faire remplir aux autorités une déclaration portant son père disparu. Adnane a affirmé à Human Rights Watch que de nombreuses familles qui avaient contacté Somoud disent n’avoir jamais signalé les disparus auprès des autorités, soit parce qu’elles avaient eu trop peur de le faire, soit parce qu’elles l’avaient tenté sans succès.

La police est censée ouvrir une enquête dès qu’une personne est officiellement portée disparue. Or, après six mois, tout ce que les autorités ont fourni à Adnane c’est un formulaire déclarant ce qu’il savait déjà : que son père avait été enlevé par des islamistes. L’enquête n’avait apporté aucun renseignement supplémentaire. La voiture de son père n’a jamais été retrouvée.

En 2000, Adnane a engagé une procédure judiciaire afin d’obtenir le certificat de décès auquel une famille a droit quand une personne est portée disparue depuis plus de quatre ans. Quand il a commencé ces démarches judiciaires, le juge lui a demandé une copie du rapport du procureur déclarant l’enquête terminée et concluant au décès de son père. Ne sachant pas qu’un tel rapport existait, Adnane s’est rendu au tribunal criminel de Médéa et, là, a découvert un verdict enregistré en 1997. Celui-ci reconnaissait coupable par contumace quatre personnes et les condamnait à mort pour avoir enlevé et assassiné Mokhtar Bouchaïb, entre autres. Selon Adnane, «Ces quatre personnes étaient des terroristes bien connus réfugiés depuis longtemps dans le maquis [c’est-à-dire membres de groupes rebelles] et condamnés à mort pour d’autres assassinats. »

Ce verdict découvert par Adnane le mit dans une vive colère. «Il ne faisait que quatre lignes » dit- il et rien n’indiquait que les autorités avaient fait une enquête. En place de celle-ci, « ils ont trouvé plus pratique de prendre le nom de certaines victimes et de certains terroristes et de les connecter pour pouvoir clore le dossier. » C’est à ces insuffisances d’enquêtes sur les enlèvements que Somoud veut remédier par son travail. Le code pénal algérien permet aux victimes ou à leurs proches de porter plainte auprès d’un juge d’instruction pour un crime tel qu’un enlèvement et de demander l’ouverture d’une enquête. Le juge d’instruction étudie la plainte et décide s’il est nécessaire d’ouvrir une enquête. Le juge transmet ensuite le dossier au procureur qui décide d’engager des poursuites judiciaires ou non, après avoir pris en compte les recommandations faites par le juge.

Depuis mai 2000, Somoud a préparé et déposé au nom des familles seize plaintes pour enlèvement auprès de juges d’instruction à Alger, Médéa et Blida, selon M. Bouchaïb. En octobre 2002 ils n’avaient toujours reçu aucune réponse.

Les fosses communes

Il n’existe en Algérie aucune personne détenue au secret a affirmé récemment dans Le Monde une « source autorisée » de l’Armée. La même personne a ajouté que 3 030 Algériens et Algériennes étaient enterrés dans des tombes sous X. 7 Depuis 1998, la découverte de fosses communes, surtout dans les régions déchirées par la violence politique, est entourée d’un mystère qui est le meilleur exemple du manque de transparence caractéristique du problème des « disparitions » et des enlèvements.

La presse ainsi que de nombreux observateurs, ont tout d’abord présumé que ces fosses contenaient les victimes des groupes armés qui opéraient dans la région. Cependant, les avocats des «disparus » se sont demandés si certains de ces sites ne contenaient pas en fait des personnes enlevées par les forces de l’ordre ou les milices d’autodéfense complices. Dans la province occidentale de Relizane, Mohamed Smaïn, membre de la LADDH, a avancé qu’un charnier se trouvait à Sidi Mohamed Benaouda, situé à 17 kilomètres de la ville de Relizane, et qu’il contenait les corps de vingt personnes dont les « disparitions » avait été opérées par les forces de l’ordre et les « milices locales d’autodéfense ». En février 2001, M. Smaïn a alerté la presse sur le fait que les gendarmes et le chef de la milice locale d’autodéfense étaient en train d’essayer d’exhumer et de déplacer les corps pour essayer d’effacer les traces du crime.8 M. Smaïn a essayé de rassembler des preuves de cette action et il a dénoncé les exhumations. Mais ses efforts lui ont valu d’être traîné devant la justice pour diffamation. Le tribunal de première instance de Relizane l’a condamné pour diffamation le 5 janvier 2002; une cour d’appel a plus tard alourdi sa peine qui est désormais d’un an de prison et de 210 000 dinars d’amende, soit à peu près 2 100 dollars américains.9 Il est actuellement en liberté car il a fait appel auprès de la Cour suprême.

Les autorités n’ont jamais fait connaître les procédures qui avaient été mises en place pour préserver les éventuelles preuves et identifier les restes humains lors des exhumations des fosses communes (qu’elles soient découvertes à Relizane ou dans des endroits proches de la capitale, qu’elles soient censées contenir des victimes des groupes armés ou des forces de l’ordre). Il est souvent arrivé qu’après la publication d’un article sur la découverte d’une fosse commune par un ou plusieurs quotidiens privés, les autorités ne fournissent aucune confirmation ni commentaire.

L’organisation de défense des droits des victimes Somoud a dénoncé haut et fort le manque d’information dont elle estime que les familles souffrent quand il s’agit des procédures d’identification des corps et des criminels. Somoud estime aussi que les autorités n’ont pas suivi les pistes qui permettraient de résoudre les cas des personnes manquantes. Les autorités en particulier ne feraient aucun usage des informations détenues par des personnes qui ont quitté les groupes armés pour profiter d’une amnistie (les «repentis »).

Amnistie internationale note que quand les tombes anonymes sont explorées: « Il faut traiter les proches des victimes avec attention et sympathie car l’expérience qu’ils traversent est extrêmement douloureuse…[les anthropologues légistes] devront établir des règles de travail éthiquement acceptables et conformes aux souhaits des familles…Le processus d’acceptation de la vérité semble aussi être moins traumatisant quand on donne aux familles un rôle actif dans l’enquête. Depuis peu elles essaient de rassembler toutes les informations sur les personnes « disparues ». Ces informations peuvent se révéler essentielles pour l’identification des restes. »10

Le Protocole type d’exhumation et d’analyse des restes du squelette de l’ONU représente un guide utile au bon déroulement des enquêtes médico- légales sur les fosses communes.11

Les autorités algériennes n’ont pas répondu à la demande d’information envoyée par Human Rights Watch le 16 mai 2002 sur les procédures suivies pour mener les enquêtes sur les sites des fosses communes et pour fournir des informations aux familles des personnes manquantes. Pendant la mission qu’a effectuée Human Rights Watch en mai 2000, les autorités algériennes ont toutefois fait la démarche appréciée d’escorter un membre de la délégation jusqu’au site des fosses communes et ont donné des informations sur les exhumations. Salah Slimi, procureur à Larbâa à cette époque, a affirmé aux membres de notre délégation le 28 mai 2000 qu’il en avait supervisé trois jusqu’ici. La première, conduite en 1998, a été menée dans un puits abandonné qui, selon lui, contenait au total soixante-trois corps. Les deux autres exhumations, l’une faite en 1998 et l’autre en 1999, ont mis à jour deux et cinq corps. Dans les trois cas, les auteurs de ces crimes étaient des «terroristes » a déclaré M. Slimi.

La délégation de Human Rights Watch a pu visionner un film de la première de ces exhumations fait sur le site, un élevage de poulet abandonné situé à quinze minutes en voiture de Larbâa. M. Slimi a stipulé que le puits faisait soixante-dix mètres de profondeur et que l’exhumation avait été réalisée par la protection civile et qu’elle avait duré vingt et un jours. Les victimes trouvées dans ce puits auraient été arrêtées et tuées dans des barrages installés par les membres des groupes armés.

Selon M. Slimi, il y avait apparemment plusieurs couches de corps entre lesquels se trouvaient des débris, ce qui prouverait que ce puits a été utilisé comme lieu d’ensevelissement pendant assez longtemps. M. Slimi a déclaré que le témoignage d’un «repenti » recoupé par les découvertes faites dans le puits, avait abouti à des poursuites judiciaires, à la condamnation par contumace de cinq personnes qui étaient soit toujours en liberté, soit mortes à la date de la réunion avec Human Rights Watch. Dans le film on pouvait voir un homme descendant dans le puits dans un baril de pétrole pour retirer les restes. Cet homme mettait les restes humains au hasard dans le baril. Les corps étaient dans un tel état de décomposition que seuls des morceaux pouvaient être récupérés. Les morceaux des corps extraits étaient ensuite étalés sur le sol autour du puits. Le procureur a déclaré que seul l’un des soixante-trois corps exhumés avait pu être identifié sans contestation grâce à la dentition et à d’autres caractéristiques. Les autorités ont fait savoir à Human Rights Watch en mai 2000 que les tests ADN, l’un des outils clé dans le domaine de l’identification humaine, n’étaient pas utilisés en Algérie. Ils ne l’étaient toujours pas quand nous avons réalisé notre mission en novembre 2002, d’après ce que nous avons pu constater. Au-delà de ce handicap technique, Human Rights Watch n’a rien vu qui ferait penser que les autorités ont procédé de façon méthodique à la récupération et à la classification des restes humains retrouvés. Même en l’absenc e de test ADN, il existe des méthodes reconnues permettant d’identifier un corps par présomption grâce aux bijoux, aux boucles de ceinture, aux vêtements et autres objets trouvés sur les restes humains.

En Argentine, de tels indices ont été détruits en raison de l’utilisation de techniques inappropriées pendant les premiers efforts faits en 1983 pour explorer les fosses communes contenant les victimes des assassinats politiques. Mais, lorsque des anthropologues légistes ont de manière scientifique extrait des fosses plus de 500 corps et qu’ils les ont examinés, ils ont pu en identifier au moins 150.12 Ces identifications ont pu être réalisées bien que les corps aient été enterrés au moins aussi longtemps que ceux découverts dans les fosses communes algériennes.

Etant donné la violence politique qui règne en Algérie, l’existence d’une fosse commune dont l’emplacement n’est pas signalé, est une preuve qui paraît suffisante à première vue qu’un crime contre l’humanité a été commis (quel qu’en soit l’auteur présumé). La façon dont le gouvernement a géré ces sites n’a pourtant pas permis de protéger les preuves existantes. Le gouvernement n’a pas non plus, dans un pays où des milliers de familles sont à la recherche de proches disparus, mis en place un système satisfaisant pour impliquer ces familles dans l’exploration des sites et les informer des résultats des exhumations.

Notes

1 « Le Comité recommande de procéder à la détention, y compris provisoire, conformément aux exigences de la Constitution et du Pacte. Il souligne notamment que toutes les personnes qui sont arrêtées doivent immédiatement avoir accès à un conseil, être examinées sans retard par un médecin et pouvoir soumettre rapidement une requête à un juge lui demandant de statuer sur la légalité de leur détention ». Rapport du Comité des droits de l’Homme, Géorgie, 5 mai 1997, CCPR/C/79/Add.75, paragraphe 254, sur le web à l’adresse suivante: http://www.unhchr.ch (au 27 février 2002). Voir aussi l’Article 1 des Principes de base relatifs au rôle du barreau, adoptés par le huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, La Havane (Cuba), du 27 août au 7 septembre 1990: « Toute personne peut faire appel à un avocat de son choix pour protéger et faire valoir ses droits et pour la défendre à tous les stades d’une procédure pénale ». Sur le web à l’adresse suivante : http://www.umedia.univnantes. fr/serveur/PAGES/DRFOND/theme8/rolebarr (au 27 février 2003).
2 Sur le web à l’adresse suivante:. http://www.algeria-watch.org/mrv/mrvdisp/boudahri.htm [au 23 janvier 2003]
3 «Alger: Un terroriste abattu», Le Soir d’Algérie, 20 juillet 2001.
4 Actions urgentes d’Amnistie internationale MDE 28/015/2002 17 juillet 2002 et 28/018/2002 1er août 2002.
5 Ce discours peut être consulté sur le web à l’adresse suivante: http://www.elmouradia. dz/francais/president/recherche/President%20rech.htm [au 26 février 2003].
6 Entretien avec Human Rights Watch à Washington, DC, 29 mars 2001.
7 Florence Beaugé, « En Algérie, aucun survivant parmi les disparus de la ‘sale guerre’ » Le Monde, 7 janvier 2003.
8 Voir: « Ikhtitaf dhahaya Fergane min al-maqabir al-jama’iyya », al-Ra’i (quotidien rédigé en arabe et dont les bureaux se trouvent à Oran), 6 février 2001.
9 Voir Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains (programme de la Fédération internationale des droits de l’Homme en partenariat avec l’Organisation mondiale contre la torture), « Instrumentalisation de la justice : les victimes et leurs défenseurs sur le banc des accusés » Juillet 2002. Sur le web à l’adresse suivante : http://www.fidh.org/magmoyen/rapport/2002/alge336obs.pdf (au 27 février 2003).
10 Amnistie Internationale, « Disappearances » and Political Killings: Human Rights Crisis of the 1990s, (Amsterdam : Amnistie Internationale, 1994) p. 149 et 251 n.b.
11 Le protocole est contenu dans le « Manual on the effective Prevention and Investigation of Extra-Legal, Arbitrary and Summary Executions » (Manuel sur la prévention des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et les moyens d’enquête sur ces exécutions (New York:United Nations, 1991) ST/CSDHA/12. Le manuel se trouve sur le web à l’adresse suivante : http://web.amnesty.org/ (au 14 février 2003).
12 Amnistie internationale, « Disappearances » and Political Killings, p. 147.