Alkarama décerne le prix « Alkarama Award 2009 » à Me. Abdennour Ali Yahia

Alkarama décerne le prix « Alkarama Award 2009 » à Me. Abdennour Ali Yahia

Alkarama, 12 décembre 2009

La Fondation Alkarama pour les droits de l’homme a organisé Vendredi 11 décembre 2009, à 18 heures, au Centre International de Conférences de Genève, une cérémonie à l’honneur de Maître Abdennour Ali-Yahia qui a reçu le prix « Alkarama Award 2009 » pour les défenseurs des droits de l’homme pour l’ensemble de son œuvre en matière de défense et promotion des droits de l’homme en Algérie. Ce prix est décerné chaque année à l’occasion de la journée mondiale des droits de l’homme, le 10 décembre, à une personnalité ou à une organisation ayant contribué de manière significative à la protection et à la promotion des droits de l’homme dans le monde arabe.

Avocat de formation, Maître Abdennour Ali-Yahia a milité au sein du mouvement national algérien et a été emprisonné durant la guerre de libération nationale. A l’indépendance en 1962, il a été membre de l’Assemblée constituante puis membre du gouvernement, avant de démissionner de son poste ministériel en 1967. Par la suite, il s’est consacré à l’exercice de son métier d’avocat et à la défense des droits de l’homme, ce qui lui a valu détention et déportation. Maître Abdennour Ali-Yahia est le fondateur en 1985 de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme, reconnue officiellement par les autorités algériennes en 1989 ; il en est aujourd’hui le président d’honneur. Né le 18 janvier 1921, Maître Abdenour Ali-Yahia est le doyen des défenseurs arabes des droits de l’homme. Il est l’auteur de « Algérie : Raisons et déraison d’une guerre » (Editions L’Harmattan, Paris 1996) et « La dignité humaine » (Editions INAS, Alger, 2007).

Un grand nombre de représentants d’ONG et des mécanismes onusiens des droits de l’homme et de missions diplomatiques ainsi que des membres de la communauté arabe, et notamment algérienne, ont assisté à la cérémonie. Après le discours du représentant de la Fondation Alkarama , des messages de félicitations envoyés par des amis et collègues défenseurs des droits de l’homme ont été lus, comme le message de M. Ahmed Mannai, défenseur tunisien des droits de l’homme, et Prof. Mario Giro de la Communauté Sant’Egidio (voir Annexe). Toutes les interventions ont salué le long parcours du militant pour la liberté et du fervent défenseur des droits de l’homme et de la dignité humaine. Au cours de la cérémonie, un court-métrage documentaire retraçant les principales étapes du parcours de Me Abdennour Ali-Yahia a été projeté. A l’issue de la remise du prix, Me Abdennour Ali-Yahia prononcé un discours pour remercier la Fondation Alkarama au cours duquel il a exposé la situation des droits de l’homme en Algérie (voir ci-dessous).


Allocution à la cérémonie de remise du prix « Alkarama Award »

Genève, le 11 décembre 2009

Madame, Monsieur,
Mon cher Maître,

Au nom de la Fondation Alkarama pour les droits de l’homme, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d’avoir accepté de partager avec nous ce soir le bonheur d’honorer une personnalité qui nous est chère.

Des dizaines de prix sont décernés chaque année à travers le monde pour reconnaitre les efforts des défenseurs des libertés et récompenser leur action.

Cependant, le besoin s’est fait sentir d’une distinction spécifique au monde arabe, cette région du monde qui abrite plus de 300 millions d’âmes et où des hommes et des femmes exceptionnels se battent courageusement, prenant souvent des risques considérables, pour resituer à leurs concitoyens leur dignité et leurs droits fondamentaux dont ils sont privés par le fait de l’absence, dans la plupart de ces pays, d’un Etat de droit.

C’est pourquoi notre organisation a institué le prix « Alkarama Award » pour les défenseurs des droits de l’homme. Alkarama voulant dire dignité en arabe, il s’agit donc, littéralement, du prix pour la dignité humaine.

Ce prix sera décerné chaque année, à l’occasion de la journée mondiale des droits de l’homme, pour honorer une personnalité ou une organisation ayant contribué significativement à la protection et la promotion des droits de l’homme dans le monde arabe.

Cette distinction sera décernée pour la première fois cette année à Maître Abdennour Ali-Yahia, fondateur et président d’honneur de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme, et doyen des défenseurs des droits de l’homme dans le monde arabe, pour l’ensemble de son œuvre en matière de droits de la personne humaine en Algérie, une cause dont il a fait le combat de sa vie.

Il y a quelques années, j’évoquais Maître Abdennour Ali-Yahia avec un ami. Nous nous demandions comment il a su conserver cette jeunesse débordante, cette énergie inépuisable et ce dynamisme constant qui fait envier beaucoup d’entre nous.

Nous sommes arrivés à conclure que c’est parce que yhabb al-haqq. Parce qu’il aime al-haqq, un de ces termes arabes concis qui ramasse en quelques lettres les concepts de vérité, de justice et de droiture.

En effet, la passion pour la justice et la vérité entretient et conserve le corps et l’âme, car elle préserve de la déchéance morale. C’est un antidote qui protège contre les maladies du cœur et de l’esprit.

Mon cher Maître,

J’ai eu plusieurs fois l’occasion de voir cette passion à l’œuvre. Non seulement comment elle se reflète sur votre visage, sur vos yeux et sur votre voix, mais à quel point elle affecte vos interlocuteurs et les audiences auxquelles vous vous adressez, et comment elle les transforme.

Ce fut le cas en janvier 1993, lorsque j’ai eu l’honneur de vous rencontrer pour la première fois. Vous étiez venu à Genève une année après le coup d’Etat du 11 janvier 1992, pour exposer à l’opinion publique, le bilan déjà désastreux de cette aventure, et lui révéler l’ampleur de la politique des arrestations arbitraires, de la déportation en masse vers les camps d’internement du Sud, et surtout celle du fléau de la torture érigée en système de gestion de l’opposition politique. Vous étiez la première voix entendue à crier votre colère contre ces pratiques.

Certains vous ont alors sévèrement critiqué de défendre des victimes dites « islamistes », comme si leurs opinions politiques les excluaient du domaine de l’humain. Ceci ne vous a point affecté, car vous n’aviez rien à vous reprocher. Vous défendiez l’homme et la femme et non son projet politique quelle que soit sa nature.

D’ailleurs, vous l’aviez déjà fait auparavant en faveur de victimes épousant d’autres sensibilités politiques et idéologiques, allant de l’extrême gauche à l’extrême droite, dont certaines ont eu, par la suite, la discourtoisie de critiquer votre approche.

Mon cher Maître,

J’ai eu le bonheur de vous retrouver à Rome en novembre 1994 et en janvier 1995, lors des rencontres organisées par la Communauté de Sant’Egidio. Ces rencontres qui ont réuni les principales forces politiques du pays, en vue de discuter du conflit algérien, ont abouti à la signature de la plateforme du Contrat national. Le respect unanime qu’avaient les participants pour vous a fait que vous avez été désigné président et porte-parole de ces rencontres.

Au début de l’année 1995, le peuple algérien comptait parmi ses enfants 25 à 30 milles victimes. Le Contrat national, s’il avait été accepté par le pouvoir algérien, aurait pu épargner au pays 200 milles victimes et tant de massacres, de tortures, d’exils, de destructions, de désolations et de souffrances. Hélas, ce pouvoir s’est montré d’un autisme politique aigu en traitant cette initiative de paix de « non événement » et en la rejetant « globalement et dans le détail ».

Là aussi, vos détracteurs habituels ont critiqué votre participation à Sant’Egidio qui serait, selon eux, un acte politique et non une action de droits de l’homme. Ils ont oublié, ou ignoré, que dans un conflit, la situation politique, la situation humanitaire et celle des droits de l’homme sont étroitement liées, interagissant et s’affectant mutuellement. Par conséquent, contribuer à résoudre un conflit politique, c’est contribuer à améliorer la situation des droits de l’homme. Ils ont peut-être confondu action politique et action partisane, ce que vous vous êtes toujours refusé d’entreprendre.

Mon cher Maître,

J’ai eu au cours des années suivantes plusieurs occasions de vous revoir en Europe, notamment à Londres et à Genève. Discuter avec vous est toujours un plaisir enrichissant dans les domaines de la politique, du droit et des droits de l’homme.

Vous êtes un politique, au sens noble du terme, sans tomber dans le piège de la boulitique — avec un « b », comme aimait à l’écrire le défunt penseur algérien Malik Bennabi — c’est-à-dire l’approche politicienne étroite et marécageuse de la politique.

Vous êtes aussi un juriste reconnu, sans tomber dans le piège du juridisme. Je me souviendrai toujours de votre rappel à l’ordre adressé en 1999 lors d’une réunion au siège du CICR à un ami et éminent juriste algérien qui s’était empêtré dans les méandres du juridisme, alors que le but de notre délégation était simplement d’alerter cette instance internationale sur la situation inhumaine dans les lieux de détention en Algérie.

Vous êtes un fervent défenseur des droits de l’homme et de la dignité humaine, sans tomber dans le piège de la bureaucratie droits-de-l’hommiste. Je retiendrai toujours vos critiques pertinentes à l’endroit de certaines personnalités et organisations des droits de l’homme, aux attitudes corporatistes, ou paternalistes, voire néocolonialistes, quand elles approchent les pays du Sud, comme s’il s’agissait d’un marché de plus servant à écouler un produit occidental appelé « droits de l’homme », reléguant les peuples de ces pays au statut de consommateurs et leur déniant leur contribution multiséculaire en la matière.

Mon cher Maître,

En suivant votre parcours, qui va être illustré par le court métrage que nous allons voir tout de suite, on se rend compte que votre vie est structurée essentiellement autour du thème de la liberté.

Votre mobilisation à 22 ans contre le régime de Vichy. Votre débarquement avec les troupes alliées à St-Tropez et la blessure que vous avez subie lors de cette opération. Votre adhésion très tôt au mouvement national algérien. Votre arrestation et votre détention de près de quatre ans durant la guerre de libération dans divers camps d’internement, puis votre expulsion d’Algérie par le régime colonialiste. Vos oppositions aux dérives du régime liberticide qui a pris le pouvoir à l’indépendance de l’Algérie. Votre démission de protestation du gouvernement de Boumediene. Vos détentions successives dans les années 1980 à cause de vos activités en matière des droits de l’homme, notamment la constitution de la Ligue algérienne des droits de l’homme. Vos positions face aux dérives du pouvoir dans les années 1990 et 2000. Tout cela indique une chose.

Vous êtes un véritable Amazigh, c’est-à-dire un homme libre, épris de liberté, et qui lutte pour libérer son peuple et lui restituer une existence digne et une vie décente. Et c’est pour cela que les Algériens vous aiment.

 

Mon cher Maître,
Da Abdennour,

Votre anniversaire est au mois prochain incha-Allah. Permettez-moi dès maintenant de vous présenter mes meilleurs vœux.

Pour continuer votre combat honorable, je vous souhaite une bonne santé, tel le genévrier, cet arbre, qui n’est pas de Genève, mais symbole de votre village natal Taka, et qui malgré la pauvreté du sol et la sécheresse du climat, peut vivre plus de mille ans, tout en gardant sa parure verte toute l’année.

Je vous souhaite une longue vie, au service du peuple algérien, indiquant la voie à suivre pour l’émancipation, et montrant l’exemple à des générations de vos concitoyens et les inspirant pour mener à bien le combat de la liberté et de la dignité.

Merci de votre aimable attention.


Discours de Me Abdennour Ali Yahia à la cérémonie de remise du prix « Alkarama Award »

Mesdames, Messieurs,

Je remercie la Fondation Alkarama et ses dirigeants, de m’avoir invité à la commémoration du 61ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, et de me décerner son premier prix. Je sens d’abord le devoir, le doux devoir, d’évoquer la mémoire de tous les militants des droits de l’homme qui, de par le monde, se sont sacrifiés pour combattre l’oppression qui a enfanté la liberté et la répression qui a enfanté les droits de d’homme.

Le peuple algérien était présent au moment de la préparation du terrain pour libérer le pays du colonialisme par la lutte armée, puis des semailles, des périls et des sacrifices, mais a été écarté au moment de la moisson.

Le régime politique algérien toujours en vigueur s’est imposé en 1962 par la violence, et a remplacé la domination coloniale par la domination d’un clan issu de l’armée des frontières. La devise de « la révolution par le peuple et pour le peuple » a laissé place à une autre : « sans le peuple et contre le peuple », du fait que le droit du peuple algérien à disposer de lui-même, pour lequel il a combattu avec acharnement sept ans et demi durant, est devenu le droit de l’Etat à disposer du peuple.

Toute révolution est grosse de l’évolution qui l’efface. La marginalisation du peuple algérien exclu de tous les centres de décision, érigée en règle de conduite, permet au pouvoir unique, centralisé, dictatorial de se consolider et de se perpétuer.

Les droits de l’homme subissent en Algérie une agression tous azimuts d’une gravité exceptionnelle, et sont en état de légitime défense.

L’actualité politique nous rappelle que les droits de l’homme ne se donnent pas mais se gagnent et se méritent, qu’il faut se battre pour les faire respecter, les consolider, les élargir. Pour les droits de l’homme, la raison d’Etat est le moment où l’Etat déraisonne, perd la raison. Trois raisons sont supérieures à la raison d’Etat : celle du droit contre l’injustice, celle de la liberté contre la tyrannie, celle de l’humanité contre la barbarie.

Les droits et libertés garantis par la Constitution n’ont pas été appliqués, ou ont été amendés dans un sens restrictif par les ordonnances, les décrets législatifs, les décisions réglementaires, et surtout le fait du prince, l’arbitraire de l’administration. Les constitutions, cinq en 47 ans d’indépendance, peu appliquées, sont révisées et usées avant d’avoir servi. Tout ce qui met au grand jour le visage répressif de l’Etat est réduit au silence. Le droit est torturé pour lui faire dire ce que veut le pouvoir politique, à mesure qu’il se pervertit.

A tous ceux qui veulent ignorer les violations graves des droits de l’homme perpétrées par le pouvoir politique, nous rappelons les mots d’Albert Camus : « Maintenant il n’y a plus d’aveugles, de sourds et de muets, mais des complices ».

1— L’état d’urgence

L’état d’urgence est un danger pour la démocratie, les droits de l’homme, les libertés individuelles et collectives.

L’annulation du deuxième tour des élections législatives, suivie du coup d’Etat du 11 janvier 1992, ont engendré l’état d’urgence du 9 février 1992 qui a glissé vers l’état de siège par l’arrêté non publiable du 25 juillet 1993. L’état d’urgence qui est une époque triste de notre histoire, toujours en vigueur, a permis sur le champ, l’ouverture de 9 camps de concentration dans le Sahara, cette horreur du 20ème siècle, où ont été internés 18’000 militants du Front islamique du salut (FIS). L’internement administratif, qui a obligé des milliers d’Algériens à payer leurs convictions politiques et religieuses, par une privation de leur liberté et la perte de leurs moyens d’existence, s’est fait au mépris des lois internes et des pactes et conventions internationaux sur les droits de l’homme ratifiés par l’Algérie, qui édictent que la privation de la liberté de la personne humaine, relève de la justice et non de la lettre de cachet, du pouvoir exécutif.

La levée de l’état d’urgence conditionne la libéralisation des champs politique et médiatique, ainsi que l’exercice des libertés individuelles et collectives.

2— La torture

Cette forme extrême de terreur individualisée est devenue partie intégrante des interrogatoires qu’elle remplace ou accompagne. De très nombreux messages, vérifiés, exprimés avec force, angoisse, détresse et colère, par les détenus, leurs avocats et leurs familles, ont fait état durant les deux décennies écoulées de tortures qui ne sont pas des bavures, des faits isolés ou des accidents de parcours, mais une pratique administrative courante employée par les services de sécurité relevant tant de l’autorité militaire que de l’autorité civile. Pour faire reculer la torture qui est de notoriété publique, l’éradiquer même, il faut des témoins qui parlent, agissent, sensibilisent l’opinion publique.

La Convention internationale sur la torture de 1984, fait obligation aux Etats qui l’ont ratifiée de déférer en justice, sur leur territoire, tout tortionnaire, quelles que soient sa nationalité et celle de ses victimes, et quel que soit le pays où il a trouvé refuge et vit en exil doré, ou est seulement de passage.

3— Le pouvoir

La politique est réduite à la technique de la conquête et de la pratique du pouvoir. L’accès au pouvoir se fait par un coup d’Etat par les armes et par les urnes, ou par un coup d’Etat constitutionnel. Le président Abdelaziz Boutelflika qui est couvert de nombreuses cicatrices du passé, concentre entre ses mains la quasi-totalité du pouvoir qui s’est transformé au cours des années en monarchie républicaine, qui se maintient par l’encadrement policier de la population, la délation généralisée, l’exercice de la répression qui a tendance non pas à régler les problèmes mais à éliminer ceux qui les posent, à régler les contradictions en éliminant les contradicteurs.

Le 3ème mandat est un mandat de trop, obtenu par un coup d’Etat constitutionnel amendant la Constitution pour lui permettre de rester au pouvoir. Il est à la fois chef de l’Etat et de l’exécutif, ministre de la défense, a fait du gouvernement l’annexe de la présidence, et du parlement deux chambres d’enregistrement, veut tout organiser, tout régenter, tout diriger, tout contrôler. Le parlement et la justice ont abdiqué leurs pouvoirs constitutionnels pour se mettre à son service. Le parlement n’est en réalité qu’une maison de retraite lucrative destinée aux cadres des trois partis de la coalition gouvernementale.

Les ministres qui ont sensiblement outrepassé leur crédit politique se maintiennent au-delà de leur utilité. Tous s’évertuent à prévenir les désirs du président, pour éviter la disgrâce ou gagner du grade. La longévité des ministres n’est pas un facteur de stabilité, mais fabrique de la fragilité économique et de l’exaspération sociale. Dans notre monarchie républicaine celui qui est dans l’orbite du président, comme le président lui-même, échappe à la règle commune. On ne peut rien attendre du pouvoir pour débloquer la situation, puisqu’il est lui-même le problème.

4— La justice

Les cours de justice et tribunaux ne sont pas des lieux où la justice est rendue, mais des instances politiques où le pouvoir politique juge ses adversaires. La justice est monopolisée par le pouvoir, n’est que son ombre par sa soumission organique et fonctionnelle, le glissement d’une justice debout et assise, vers une justice à genoux et à plat ventre. Les jugements et arrêts ne sont pas des opérations de justice mais des actes de justice, dans des affaires politiques et d’opinion, en fonction des consignes données par le pouvoir, par ministre de la justice et services de sécurité interposés. Le problème de la dépendance de la justice au pouvoir est posé. Il faut le dire, même le crier, afin de le faire entendre. Il faut rendre à la justice sa dignité et son honneur. Il lui appartient de se mettre à l’heure de l’Etat de droit, de s’imposer par la compétence et l’honnêteté de ses juges, pour mériter le respect des citoyens.

5— La corruption

La corruption florissante est inséparable de l’exercice du pouvoir ; elle gangrène les plus hautes sphères de l’Etat, la justice en premier lieu. Elle est à tous les niveaux et dans tous les domaines. Au niveau économique, de nombreuses transactions se font en argent liquide, en espèces, ce qui facilite la corruption. La corruption est devenue un style de vie et de gouvernement, du fait que la rente pétrolière est gérée de manière féodale, dans l’opacité la plus totale, en dehors de tout contrôle.

L’argent donne le pouvoir, le pouvoir donne encore plus d’argent. Un contrôle rigoureux permettrait de mettre à jour de très nombreux scandales politico-financiers, tant par les sommes détournées, les réseaux impliqués, et la pratique de la corruption généralisée. Un dirigeant qui n’est pas en disgrâce avec le pouvoir, ne peut être poursuivi quand il est en délicatesse avec la justice pour malversation, ni jeté en pâture à l’opinion publique par voie de presse.

6— La démocratie

La démocratie qui est création et contrôle de pouvoir, le régime politique de l’autorité librement consentie et non imposée, se réalise par l’alternance, les contre pouvoirs, la régulation par le droit et l’Etat de droit, qui élargissent l’espace de liberté de citoyens.

La dégradation politique et morale des institutions est due à l’absence d’alternance, qui permet le maintien au pouvoir des mêmes clans et des mêmes intérêts durant une longue période. L’alternance qui ne s’est pas réalisée depuis l’indépendance du pays, reste d’actualité. Il faut solliciter les bonnes volontés, éveiller les esprits, former les consciences, afin que chacun à sa place agissant selon sa propre nature, son propre tempérament, sa propre responsabilité, se mette avec le regard de son intelligence et la sûre intuition de son cœur, au service de la démocratie qui demeure malgré l’ampleur de la tâche source de force, de liberté et de justice, car il n’y a pas de liberté sans justice, ni de justice sans liberté.

C’est vers la réalisation de la démocratie qu’il faut orienter l’action de la jeunesse qui représente la vie, l’espérance, l’avenir, parce qu’il s’agit de son combat et des chances raisonnables de le gagner. Le scrutin, quand il est libre, est une victoire de la démocratie. La fraude électorale, vieille tradition coloniale, amplifiée depuis l’indépendance du pays, bien intégrée dans les mœurs politiques du pays, est au rendez-vous de toutes les élections. Elle porte atteinte à l’autorité de l’Etat et le discrédite, ne légitime ni les élus, ni les institutions. Le truquage des urnes, les élections nominatives, la préfabrication des élus, relèvent du hold-up électoral et du gangstérisme politique. Le boycott est une arme politique dont l’impact psychologique est considérable. Les Algériens ne participent pas en nombre aux élections, car les pratiques qui faussent le scrutin et le libre choix des électeurs sont permanentes. Le Conseil constitutionnel qui est la plus haute juridiction du pays, la seule dotée du pouvoir d’annuler les décisions du suffrage universel que sont la loi et l’élection, n’a pas pris la hauteur nécessaire pour que les Algériens se reconnaissent en lui, c’est une institution au service du pouvoir.

7— La liberté d’expression

Elle est un droit élémentaire de la vie sociale et culturelle, de la création scientifique et artistique. Télévision et radios uniques, moyens d’information et de propagande d’une grande puissance, qui exercent une sorte de dictature douce, fabriquant du prêt à penser qui facilite le décervelage des Algériens, sont là pour rappeler que le pouvoir ne se partage pas, que toute orientation politique, culturelle et sociale, ne peut venir que d’en haut, du Président qui n’accepte aucun contre pouvoir.

La profession de journaliste comporte un grand risque pénal. La première urgence est de condamner la répression qui frappe les journalistes, et qui a atteint avec les dernières incarcérations et condamnations partout dans le monde, l’intolérable qui ne peut être toléré.

8— La liberté religieuse

Elle est inséparable de la liberté d’expression et d’opinion. Elle a été consacrée au niveau international par l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, et confirmée par l’article 18 du Pacte internationale relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966.

Elle a été définie de manière précise par la déclaration des Nations unies du 25 novembre 1981 relative à la lutte contre toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction, dans son Article 1er :

« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté d’avoir une religion ou n’importe quelle conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement. »

La déclaration de l’UNESCO du 16 novembre 1995 édicte : « La tolérance est la clef de voûte des droits de l’homme, du pluralisme, de la démocratie et de l’Etat de droit ».

Le referendum suisse interdisant la construction de minarets est une atteinte grave à la liberté religieuse.

9— La femme algérienne

Le fait majeur de l’évolution de la société, est la volonté des femmes d’être les égales des hommes. L’égalité, non pas théorique mais réelle des droits, est l’essence même de la constitution. Les performances intellectuelles de la femme sont égales à celles de l’homme : « En tout ce qui ne tient pas au sexe, la femme est l’homme ». Si une Algérienne aime à partager son lit et sa vie avec un homme, et donner un père à ses enfants, elle doit le faire en toute liberté.

10— Les droits économiques et sociaux

La réforme économique est mal conçue, mal expliquée, mal acceptée par la population. L’idéologie ultralibérale suivie par le pouvoir se double d’une pratique dirigeante sans règles ni garde fou qui ouvre la voie au marché informel qui fait la loi. La société révèle trop d’inégalités et d’injustices sociales qui exigent la juste répartition des richesses nationales. Avec sa politique économique, le pouvoir a programmé l’apartheid social qui fait de l’Algérie l’exemple d’une profonde injustice sociale. Il y a une rupture entre, d’une part, une minorité jouissant d’un niveau de vie égal ou supérieur à celui des pays les plus riches du monde, et, de l’autre, la majorité de la population dont le pouvoir d’achat baisse d’année en année et qui n’arrive pas à satisfaire ses besoins les plus élémentaires. Les conflits isolés vont se reproduire avec plus de force, et de manière coordonnée.

11— Les disparitions forcées

Que sont devenus les disparus ? Telle est la véritable question ! Des morts sans sépulture ou des vivants sans existence ?

Leurs familles lancent un cri d’alarme et un appel pressant au pouvoir : « Qu’avez-vous faits des disparus. Vous les avez pris vivants, rendez les nous vivants ! ». Leur nombre est évalué à 20’000. L’Argentine a connu 8960 cas de disparitions et le Chili 3500 cas.

Les conditions politiques et juridiques ne sont pas réunies en Algérie pour juger les commanditaires de crimes contre l’humanité que sont ou étaient au sommet de l’Etat, bénéficiant de l’impunité du fait de leur prééminence au sein du pouvoir qui les absout de tous les crimes.

12— La charte pour la paix et la réconciliation nationale

La réconciliation nationale qui devait être un grand projet politique a été réduite à sa dimension sécuritaire. Elle vise à disculper, à innocenter et à consacrer l’impunité des agents de l’Etat : les militaires, les gendarmes, les policiers, de tous grades, car au regard des faits et en termes de droit, rien ne s’oppose à leur comparution devant la justice, pour violations massives des droits de l’homme et crimes contre l’humanité.

La paix sans la vérité et la justice n’est qu’impunité, qui est un déni de justice.

La stratégie du tout sécuritaire qui rend difficile tout traitement politique de la crise, ne mène qu’à l’échec, car elle est sans perspectives politiques, et ne fait qu’entretenir le cycle de la violence et de la répression. L’Algérie veut l’ordre et la paix, à condition qu’il ne soit pas l’ordre des prisons ni la paix des cimetières.

Droits de l’homme et paix sont les deux aspects indissociables de la vie humaine. Toute initiative de sauver l’un au dépens de l’autre, assurer la paix au dépens de la vérité et de la justice, conduit à l’échec des deux et fait perdurer le cycle de la violence.

Mesdames, Messieurs,

Les droits de l’homme sont agressés partout dans le monde. Les droits de l’homme doivent être défendus partout où ils sont bafoués, quels que soient les pays et les régimes politiques en vigueur, sans passer sous le silence les pays amis ou alliés.

Le principe de souveraineté et de non ingérence dans les affaires intérieures de l’Etat, est en contradiction avec l’universalité des droits de l’homme qui ne connaissent ni frontières géographiques, politiques ou idéologiques, ni non ingérence, du fait qu’ils sont partie intégrante des relations internationales, et jouent un rôle important dans la qualité et l’importance des relations entre Etats.

Depuis plus de deux ans et demi, Gaza est soumise à un blocus infernal. De décembre 2008 à janvier 2009, pendant l’opération « Plomb durci », des avions F16 fournis par les Etats-Unis ont lâché leurs feux infernaux sur le peuple palestinien, faisant 1400 morts dont 400 enfants, 5000 blessés, des destructions massives, laissant la population sans électricité et sans eau. Le massacre d’Israël a fait de Gaza le laboratoire d’Israël pour tester ses armes, du phosphore blanc et de l’uranium appauvri, de la technologie robotique, fournis par les Etats-Unis. Le nettoyage ethnique s’est transformé en un crime de guerre et un crime contre l’humanité comme le souligne le rapport du juge Goldstone.

Le monde entier a assisté avec stupéfaction aux massacres organisés par les Etats-Unis d’Amérique contre les populations d’Afghanistan et d’Irak. A Guantanamo, des centaines de personnes ont été détenues dans des conditions inhumaines. Les responsables de ces crimes conte l’humanité doivent être traduits devant la justice internationale.

Les amalgames reviennent souvent : terrorisme=islamisme=islam. La monté de l’islamophobie dans le monde fait que des musulmans sont pourchassés dans certains pays en raison de leur triple identité : nationale, sociale, confessionnelle.

La refondation des Nations unies pour un nouvel ordre international, est une nécessité politique, et une exigence éthique. La réflexion et l’ouverture de l’esprit et de la pensée doivent décrypter le présent pour mieux comprendre l’avenir, afin de savoir si le sens de l’humanisme peut être régénéré et renouvelé sur le plan international, ou si un nouvel humanisme est possible, et à quelles conditions.

Je vous remercie pour votre attention.

Abdenour Ali-Yahia
Genève, le 11 décembre 2009