Ali Merabet: “Le rapport Ksentini est un non-événement”

Ali Merabet, président de l’association Somoud, à Liberté

“Le rapport Ksentini est un non-événement”

Par Nadia Mellal, Liberte, 3 avril 2005

Liberté : Farouk Ksentini, le président de la commission consultative des droits de l’homme, vient de remettre son rapport final au président de la république. Vous reconnaissez-vous dans les conclusions de ce rapport ?
Ali Merabet : La première fois que nous avons rencontré Ksentini, il nous a affirmé que notre problème était simple. Il nous a expliqué que puisque les nôtres sont décédés, il s’agit tout simplement d’ouvrir les charniers, de retrouver les cadavres et de procéder à l’identification des ossements par les techniques d’ADN. Il nous a promis de nous aider dans ce sens.
Nous nous sommes donc entendus avec lui pour lui ramener toutes les informations possibles de chez les familles des personnes enlevées par les terroristes, mais également des terroristes repentis, pour faciliter la recherche des charniers. Parallèlement à cela, Ksentini, qui a proposé aux autres catégories de familles des disparus des indemnités, s’est rendu compte que peu d’entre elles les ont acceptées. Ce qui a fait qu’il nous a convoqués à notre tour pour nous demander d’accepter des indemnités. Ce que nous avons refusé catégoriquement !

Pourquoi avez-vous refusé l’offre des indemnisations ?
C’est parce que nous ne lui avons jamais demandé d’être indemnisés. Et puis pourquoi serions-nous indemnisés ? Et pour quel préjudice ? Nous savons que les nôtres sont décédés ; notre revendication consiste simplement à chercher et à ouvrir les charniers !

Comment avez-vous interprété cette offre ?
C’est une façon de dévier du fond du problème. Aussi dans son rapport Me Ksentini propose de dire la vérité aux familles.
Mais dans notre cas, nous connaissons la vérité, il s’agit donc de dire cette vérité aux autres catégories de familles de disparus. Ksentini n’a en réalité aucune intention de nous aider.
La preuve, c’est que nous lui avons présenté des terroristes repentis ainsi que des informations émanant de familles des victimes, mais il n’a rien fait pour éclairer le sort de celles qui furent enlevées par les terroristes.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Ksentini se déjuge. En 2002, il a bien dit aux familles des disparus que l’amnistie générale est un danger puisqu’elle annulerait toute poursuite judiciaire contre les mis en cause, et en 2005, il dit que l’amnistie générale est la meilleure solution au problème des disparus !
Donc pour nous, la commission Ksentini n’est pas une structure de règlement du problème des disparus, mais une cellule de crise mise sur pied pour trouver une échappatoire et éviter de régler le problème. Ksentini ne veut pas régler le problème des disparus, il crée la confusion.

Vous n’êtes pas donc satisfait du rapport Ksentini ?
Pour nous, le rapport Ksentini est un non- événement. La preuve : nous lui avions soumis des propositions concrètes pour trouver une solution à notre drame, il nous a proposé des indemnités. Ce n’est pas ainsi qu’on règle le problème, et c’est une manière de travailler peu honorable. Il s’agit, en somme, d’un mépris affiché par Ksentini envers les familles de disparus.

Quel est donc la solution, selon vous, à ce dossier ?
Nous avons formulé des propositions concrètes au président de la République dans le sens du règlement de cet épineux problème.
Nous lui avons demandé de prendre exemple sur plusieurs pays dans le traitement de ce dossier, à l’image de l’Afrique du Sud. Les dirigeants de ce pays ont mis tous les problèmes de l’apartheid sur la table, et ils ont créé des commissions vérité et justice.